lundi 1 octobre 2012

63e jour - jeudi 27 septembre - Début du témoignage de Peter Hoult

Le 22e témoin au procès en responsabilité civile des trois grands cigarettiers canadiens s'appelle Peter Hoult.

À la fin des années 1960, à Londres, Peter Hoult, qui avait étudié en psychologie et en science économique, faisait déjà de la recherche en marketing, parfois pour les compagnies de tabac. En 1972, il fut recruté pour diriger les recherches en marketing chez RJR Tobacco International (RJRTI), entreprise alors basée à Genève et filiale du holding R. J. Reynolds Industries de Winston-Salem en Caroline du Nord. (RJR Tobacco US était aussi une filiale, LA principale filiale, de ce holding, et elle aussi située à Winston-Salem.)  Au bout de trois années et demie, RJRTI l'a envoyé à Hong Kong en 1976 pour s'occuper du marketing et plus tard prendre les rênes d'une filiale présente sur le marché du Pacifique.

M. Hoult est arrivé au Canada chez RJR-Macdonald, filiale de RJRTI, en qualité de vice-président au marketing, en décembre 1979, puis il est devenu en 1982, le vice-président exécutif du marketing, de la recherche et du développement, et des ventes.

En 1983, notre bonhomme a été promu vice-président au marketing international de l'ensemble du groupe RJRTI, et il a quitté Montréal pour Winston-Salem (où certaines fonctions centrales de RJRTI avaient été déplacées avant d'être relocalisées à Londres quelques années plus tard, puis ramenées à Genève)  M. Hoult est cependant revenu au Canada en 1987 comme président et chef de la direction de RJR-Macdonald, et est resté jusque vers la fin de 1988, quand il a accepté un poste chez R. J. Reynolds Tobacco des États-Unis, la grande compagnie-soeur de RJRTI.

(Cette dernière promotion ne devait pas bien le servir puisque c'est en 1989 que le groupe R. J. Reynolds Industries, qui était devenu RJR-Nabisco en 1985, fut l'objet d'une prise de contrôle hostile par des requins de la finance, prise de contrôle qui s'est soldée entre autres par des congédiements dans la haute direction ainsi que par la restructuration de plusieurs entreprises du groupe, ou leur vente à d'autres intérêts. M. Hoult, qui est maintenant âgé de 68 ans, a dit que sa carrière dans le monde du tabac s'est arrêté à ce moment, en 1989. Cela n'est pas dire que le marketeur Peter Hoult n'a pas été un acteur influent dans cette industrie.)

La rédactrice-éditrice du blogue Eye on the trial, Cynthia Callard, s'est souvenu que ce n'est pas la première fois que Peter Hoult comparaît devant un tribunal au Canada. M. Hoult avait témoigné devant la Cour supérieure du Québec en septembre 1989 quand les grands cigarettiers contestait en justice la constitutionnalité de la Loi réglementant les produits du tabac adoptée à Ottawa en 1988, une affaire qui s'est ramassée en Cour suprême en 1995.

* *

Parmi les choses qu'a racontées Peter Hoult à l'interrogateur Philippe Trudel, il y a celle de la forte centralisation de la recherche et du développement à Winston-Salem, en Caroline du Nord, pour l'ensemble de l'empire R. J. Reynolds, même si certaines recherches étaient menées dans des filiales, comme Macdonald à Montréal.

Pour les marques « internationales » du groupe RJR (Camel, Winston, Vantage, etc), même la production était également concentrée aux États-Unis.

Sans le savoir, l'ancien cadre de haut niveau a cependant contredit sur (au moins) un point le témoin qui l'a précédé, Raymond Howie.  Le chimiste et cadre de Montréal avait parlé du nombre et des qualifications des chercheurs chez R. J. Reynolds à Winston-Salem, sous entendant qu'ils pouvaient étudier les aspects sanitaires de l'usage du tabac. Le témoin Hoult a reconnu d'emblée qu'il ne se faisait pas de recherches médicales là-bas.  (Là non plus.)

Quant aux sommes versées par RJR-Macdonald à la recherche médicale externe, par le truchement du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), Peter Hoult a affirmé qu'elles étaient dérisoires.  Il a suggéré de lui-même que ces efforts de recherche étaient bien utiles d'un point de vue de relations publiques.

M. Hoult fait partie de ces témoins qui ont beaucoup à dire, et pas nécessairement pour éviter de répondre à une question embêtante. N'étant pas au courant de ce que d'autres témoins ont déjà expliqué au tribunal, plusieurs témoins arrivent au palais de justice avec un désir d'expliquer qui se heurte parfois au désir tout aussi légitime des procureurs d'arriver plus vite aux choses nouvelles. Le juge Riordan est intervenu en matinée pour demander à Me Trudel d'attendre la toute fin des réponses de M. Hoult.  Me Trudel a compris et ajuster son tempo. M. Hoult ?  On verra.

Quant aux positions de RJR-Macdonald concernant les méfaits sanitaires du tabac, Peter Hoult n'a aucun souvenir qu'elles aient divergé de celles de RJRTI. M. Hoult a aussi évoqué le leadership de Tylee Wilson, le grand patron du holding américain qui chapeautait  RJR Tobacco aux États-Unis et RJRTI dans le reste du monde, et il a souligné que la position en matière de santé était commune à tout l'empire RJR.

En ce sens, le témoignage de Peter Hoult vient soutenir une impression qu'avait déjà laissée un document versé en preuve lors de la comparution de Michel Poirier, actuel chef de la direction de JTI-Macdonald (RJR-Mac est devenu JTI-Mac en 1999).


Le tabou des recherches de marketing sur les mineurs

En après-midi, Me Trudel a fait examiner à M. Hoult des documents datant de l'époque où il est arrivé à Montréal pour travailler chez RJR-Macdonald.

Dans un mémo lu par Peter Hoult à l'époque, il est question d'« expurger les dossiers (de marketing) des références aux âges inférieurs à 18 ans », afin de se conformer à la directive reçue du président de RJRTI (pièces 656A et 656 au dossier).  Sam Witt III, avocat interne chez RJRTI à Winston-Salem, et Guy-Paul Massicotte, son homologue dans la filiale Macdonald à Montréal, étaient les promoteurs de cette politique (pièce 656B).

Cela n'a pas empêché RJR-Mac de continuer de s'intéresser aux adolescents (pièce 657).  La compagnie a même acheté d'une firme externe, Creative Research, une analyse provenant d'une étude de marketing concernant le ciblage des jeunes (Youth Target 1987). Le même texte, avec ses nombreux diagrammes et son amusante catégorisation des jeunes (pièce 520-CRY27), a été déjà examiné au 50e jour du procès, à l'occasion de l'interrogatoire d'Ed Ricard en août dernier. L'exemplaire acheté par RJR-Macdonald et celui acheté par Imperial Tobacco concernent toutes les deux les attitudes, les habitudes de vie et le comportement tabagique des jeunes Canadiens de 15 à 24 ans.

L'étude achetée par RJR-Mac (pièce 658Aet celle achetée par 
Imperial Tobacco (CRY-527) ont des couvertures différentes.
Il y a eu toute une histoire en août à propos du maquillage que la compagnie Imperial Tobacco avait fait faire à cette étude qu'elle-même et la brasserie Labatt avaient payée. (Et RJR-Mac en plus, on le voit maintenant.)

Sans le savoir, Peter Hoult a marqué un but contre Imperial en admettant d'emblée qu'il aurait été illogique qu'une entreprise comme RJR-Macdonald paie pour avoir les résultats d'une étude omnibus et demande du même coup d'en retrancher des renseignements.  RJR-Mac s'est contenté de changer la page de garde du document qui a circulé à l'interne (pièce 658C)

Le témoignage de M. Hoult se poursuit aujourd'hui (lundi).

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.