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dimanche 3 novembre 2013

177e et 178e jours (2) - Utiliser d'abord le tabac déjà séché de la mauvaise façon, même quand on sait qu'il contient davantage de nitrosamines

Cette édition traite aussi brièvement du calendrier des auditions à venir.

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Deux collectifs de fumeurs et d'anciens fumeurs qui sont aujourd'hui victimes de dépendance au tabac, de certains cancers ou d'emphysème, attribuent leur mauvais sort au comportement irresponsable des trois principaux cigarettiers canadiens, durant la période de 1950 à 1998. En plus de réclamer des dédommagements compensatoires, les recours collectifs demandent des dommages punitifs à être versés dans un fonds de lutte contre le tabagisme.

À défaut de pouvoir sortir du procès avec une réputation javellisée, les compagnies poursuivies ont parfois tenté, avec l'air de ne pas y toucher, de faire valoir auprès du juge Brian Riordan que leur comportement se serait amélioré au 21e siècle. En cas de demi-succès, ce genre de stratégie peut cependant se retourner contre elles et renforcer alors l'impression qu'elles sont incorrigibles.

Dans notre édition relative au 176e jour du procès, il a été notamment question des séchoirs à tabac dans les fermes canadiennes, où l’industrie a fait remplacer au 21e siècle le procédé de séchage des feuilles.

Les feuilles étaient alors directement séchées avec les gaz d’échappement de réchauds. À la demande des cigarettiers, les tabaculteurs sont alors passés à un séchage indirect où l’air réchauffé qui touche les feuilles n’a pas été en contact avec la source première de chaleur (De même, quand on dit qu'une maison est chauffée au gaz ou au mazout, il y a un échange de chaleur mais pas de contact entre l'air pulsé et les gaz d'échappement.)

Il aurait fallu ajouter que le procédé du séchage indirect était déjà connu par l'industrie du tabac et utilisé en plusieurs endroits dans le monde. Aucune révolution technologique préalable n'était nécessaire.

Après l'avocat de la compagnie Rothmans, Benson & Hedges (RBH) lors de l'interrogatoire principal,  les avocats des recours collectifs, ont abordé le sujet du séchage lors du contre-interrogatoire de Steve Chapman, un cadre supérieur de RBH appelé à la barre des témoins.

C'était un sujet parmi plusieurs autres importants qu'ont abordés Me Trudel et Me Johnson, mais dans ce cas, le juge, intrigué, a lui-même pris le relais avec ses questions, juste avant de renvoyer le témoin Chapman chez lui.

Et ce que le juge Brian Riordan s'est fait confirmer tient en deux points.

Primo, l'industrie canadienne, après avoir compris que le procédé de séchage utilisé au Canada favorisait dans la feuille de tabac l'augmentation de la teneur en nitrosamines spécifiques au tabac et cancérogènes, a pris environ deux années pour commencer à faire changer ce procédé.

Secundo, RBH, selon M. Chapman, a aussi pris le temps d'utiliser pour la fabrication de ses cigarettes le tabac qu'elle avait en stock et qui avait été séché de la manière fautive. 

Peut-on appeler cela « agir avec diligence » (pour reprendre une expression courante chez les avocats) ?


Promotion des cigarettes « douces »: B&H pionnier

Depuis mars 2012, plusieurs témoins issus de l'industrie du tabac ont tenté de convaincre le juge Riordan que c'est le gouvernement d'Ottawa qui a le premier mis dans la tête des Canadiens que la basse teneur en goudron était un gage de risque sanitaire réduit.

C'est le 20 novembre 1968 que le ministre fédéral de la Santé (à cette époque John Munro) a publié les premiers tableaux de la teneur en goudron de différentes marques de cigarettes, tableaux repris par plusieurs journaux.

Le contre-interrogatoire de Steve Chapman a permis de reparler de la cigarette Viscount, mise en marché LA MÊME ANNÉE par Benson & Hedges Canada (une des deux compagnies qui ont fusionné en 1986 pour donner Rothmans, Benson & Hedges).

Comme le tribunal l'avait vu lors de la comparution de Ron Bulmer en octobre 2012, la marque Viscount a été une des premières marques de cigarettes vendues au Canada qui s’affichait comme une cigarette à basse teneur en goudron. Plus systématiquement encore, le fabricant qualifiait la Viscount de « cigarette la plus douce au Canada ».

L'examen des pièces 989.39 et 989.71 au dossier de la preuve a de nouveau permis de vérifier que d’un point de vue de marketing, Viscount était conçue comme une offre de solution de rechange à un renoncement au tabac chez les fumeurs soucieux de leur santé.

(Au milieu des années 1970, à l'époque dont a témoigné Ron Bulmer, la concurrence en matière de « douceur » s'était mise de la partie, notamment Imperial Tobacco avec sa Medalion et RJR-Macdonald avec sa Vantage.)

Pour le témoin Steve Chapman, la marque Viscount ne faisait que répondre à la demande des consommateurs, comme si le geste du ministre Munro pouvait faire surgir une demande ex nihilo, et comme si la compagnie Benson & Hedges avait improvisé sa réponse au marché dans la même année. 


= = =


LE CALENDRIER DES AUDITIONS À VENIR


Les fidèles lecteurs de ce blogue ont peut-être souvenance d'un débat, au printemps dernier, concernant le nombre de jours d'audition dont les trois principaux cigarettiers canadiens croyaient avoir besoin pour présenter leur preuve en défense devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec.

Dans sa décision interlocutoire du 15 mai 2013, le juge avait estimé que 175 jours devraient suffire aux cigarettiers pour livrer une solide défense, alors que ces derniers prétendaient jusqu'alors avoir besoin de 216 jours d'audition, après avoir originalement estimé ce nombre à 300.

(Déduction faite de trois demi-journées que la défense de JTI-Macdonald avait utilisées en septembre 2012 pour la comparution du témoin nonagénaire Peter Gage, les avocats des recours collectifs avaient pris 134 jours en 2012 et 2013 pour présenter leur preuve en demande.)

Pour satisfaire le juge Riordan, les trois compagnies de tabac ont présenté le 19 juin un nouveau calendrier censé être « plus économe des ressources de la justice », même s'il a fait commencer la vacance estivale le 20 juin plutôt que le 27, comme l'aurait souhaité le juge.

Au stade où nous sommes en ce début de novembre 2013, la question que le public de la salle d'audience peut se poser est la suivante: ce calendrier de juin dernier est-il économe des ressources de la justice ?


Des temps morts plus fréquents

Eh bien, depuis la reprise le 19 août dernier jusqu'à la fin d'octobre, les interrogatoires et contre-interrogatoires des témoins appelés par les cigarettiers ont à peine réussi à meubler 22 des 29 jours que la défense prévoyait à la fin de juin dernier exiger du juge, du personnel de la Cour et des avocats de la partie demanderesse, durant les mois d'août, de septembre et d'octobre.

S'est ajoutée à ces jours une journée en août, planifiée à cette fin, pour que les parties plaident en faveur ou en défaveur de citations à comparaître qui allaient être envoyées par la défense à des membres des recours collectifs accompagnées d'assignations à produire leur dossier médical.


Le passé garant de l'avenir ?

Or, à partir de maintenant et jusqu'en septembre 2014 inclusivement, 103 jours sont encore prévus à l'actuel calendrier de la preuve en défense. (Plusieurs jours ont sauté dans ce qui restaient à venir en novembre et décembre.)

Mais si seulement 22/29e de ces jours-là sont nécessaires, cela ferait 78 jours.

Si  les avocats des compagnies de tabac présentaient leur preuve au rythme où les avocats des recours collectifs ont présenté la leur, l'instruction pourrait se terminer en mai. Le juge Riordan pourrait alors entendre à l'automne les plaidoiries récapitulatives finales des deux parties, et se retirer avant Noël 2014 pour pondre son jugement final.


Le prix du temps qui coule

Hélas, le calendrier s'arrête plutôt à la mi-septembre, avec en juillet et au début d'août 2014 une pause, comme en 2012 et en 2013.

En septembre, tant Me Philippe Trudel (recours collectif des fumeurs dépendants du tabac) que Me André Lespérance (recours des fumeurs et anciens fumeurs atteints d'un cancer ou d'emphysème) ont soulevé les difficultés que l'étirement de la présentation de la preuve en défense leur a déjà causé et continuera de leur causer durant les prochains mois.

Il faut garder à l'esprit la façon dont fonctionnent les cabinets juridiques en charge de recours collectifs.

Les personnes inscrites à un recours collectif, et à plus forte raison celles qui ne sont pas inscrites mais qui auront tout de même droit à une indemnité si la cause du collectif l'emporte, ne paient pas un cent pour les honoraires de leurs avocats. Ces praticiens du droit prennent tout sur leur dos et ne toucheront le fruit de leur labeur que s'ils obtiennent un jugement favorable ou un règlement honorable et accepté par le juge.

Dans l'intervalle, les cabinets qui pilotent des recours collectifs doivent gagner des causes moins longues à gagner pour pourvoir à la subsistance de leurs avocats à l'oeuvre dans la longue action judiciaire contre les compagnies de tabac. À chaque fois que les Trudel, Johnston, Gagné, Lespérance, Boivin, Bélanger, ou leurs associés consacrent du temps de lecture, de recherche et de rédaction à préparer le contre-interrogatoire d'un témoin de la défense que la défense finira par ne pas faire venir, c'est une perte sèche.

Le juge Brian Riordan a souvent fait savoir qu'il comprenait la situation, sans élaborer. Les défendeurs des trois compagnies ne pourront pas jouer la surprise s'il décide à nouveau d'intervenir dans le calendrier.

En attendant, les défendeurs ne ménagent pas les promesses de ne pas saupoudrer sur une longue période un nombre de jours d'audition nécessaires qui n'a pas cessé de fondre.

Un nouveau calendrier est attendu le 17 novembre.

* *

Les lundi 4 et mardi 5 novembre, le tribunal entendra de nouveau le témoignage du chimiste Ray Howie, ancien directeur de la recherche chez RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald).

Les mercredi 6 et jeudi 7 comparaîtra un nouveau venu, également appelé à la barre des témoins par la défense de JTI-Mac, Jeff Gentry.

Après cela, les auditions suivantes auront lieu dans la semaine du 18 novembre.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

vendredi 25 octobre 2013

177e et 178e jours (1) - Des nombres imprimés sur le paquet influencent-ils plus le choix d'une marque que les sensations du fumeur?


Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(PCr)
Au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, le deuxième jour de la comparution de Steve Chapman, un cadre supérieur de Rothmans, Benson & Hedges (RBH), a révélé l'existence d'un comportement qui, à défaut d'être nécessairement incriminant pour l'industrie du tabac dans le procès actuel, donne à réfléchir aux promoteurs de la santé publique.

exemple de nombres affichés
(sous l'empire de la réglementation
en vigueur dans les années 1990)
L'histoire commence au début des années 1990 avec l'imposition par le gouvernement fédéral de nouvelles méthodes de mesure des émissions de diverses substances lors de la combustion des cigarettes.
(44 substances selon le témoin.)

Pour plusieurs marques, les nouvelles méthodes ont donné des teneurs en nicotine, en particules fines (encore appelées goudron à l'époque) et en monoxyde de carbone qui étaient supérieures à celles jusqu'alors affichées sur le paquet de cigarettes.

Selon le témoignage de Steve Chapman, les compagnies de tabac se sont alors retrouvées devant ce qu'on pourrait considérer comme un dilemme cruel pour eux: ou bien changer les nombres affichés, ou bien changer légèrement le « design » des produits pour obtenir des nombres identiques aux nombres auxquels la clientèle était habituée.

La première solution peut paraître la plus économique. Dans le cas de certaines marques, RBH n'a pas retouché le produit et a simplement imprimé les nouveaux nombres. M. Chapman a mentionné que les nombres étaient parfois plus bas avec les nouvelles méthodes.

Dans d'autres cas, quand les nombres qui résultaient des nouvelles méthodes de mesure n'étaient que légèrement supérieurs aux anciens, la compagnie a préféré reconfigurer ses produits pour que les teneurs en goudron et en nicotine soient réellement abaissées et que l'application des nouvelles méthodes produise des chiffres identiques à ceux affichés jusqu'alors.

Pour faire cela, les chimistes créatifs de RBH pouvaient jouer entre autres sur la longueur de la cigarette, sur sa circonférence, sur la quantité de tabac gonflé (après un bain dans la neige carbonique), sur la porosité du papier, sur le nombre de perforations qui font entrer de l'air dans la bouffée avec pour effet d'en diluer les doses de toxines, etc.

Tant pis si cette approche supposait de défrayer les coûts de plusieurs heures de travail en laboratoire.

Au risque que de fidèles acheteurs d'une marque ressentent sur leur palais un « impact » de nicotine amoindri et sur leur langue une saveur de goudron moins intense, un constat qui aurait pu avoir pour conséquence de les faire chercher un autre produit, RBH a préféré changer leur produit favori que de les perturber avec des nombres un peu supérieurs à ceux que le fumeur pouvait lire sur le paquet avant l'application des nouvelles méthodes de mesure des émissions.

La compagnie n'a pas signalé à sa clientèle l'abaissement des teneurs dans la réalité ainsi que le subtil changement du design, et le témoin Chapman n'a pas eu connaissance que le reste de l'industrie ait agi autrement.

Tout cela permet d'entrevoir l'influence que l'industrie prêtait à ces nombres, même s'il est de bon ton en certains milieux de dire que les fumeurs ne les ont jamais lus.

Pour des cigarettiers, une infime minorité de fumeurs effrayés, sur un marché alors en déclin tendanciel, cela aurait été beaucoup d'argent de perdu, faut-il le rappeler.


Le vieux renard et la jeune couleuvre

Peu de cadres ou anciens cadres de RBH sont comparus au tribunal depuis le début du procès, et la liste de ceux qui sont encore attendus est courte, parce que la défense de la compagnie a admis plusieurs faits que les demandeurs au procès voulaient vérifier avec tel ou tel témoin; ou parce que la défense de RBH préfère contrer la preuve des recours collectifs en faisant venir aussi peu de personnes que possible à la barre des témoins et en les y gardant le moins longtemps possible.

Étant donné le trop bon usage que les avocats des recours collectifs ont souvent fait des témoins de la défense, cette stratégie était peut-être la plus sage.

En interrogatoire principal comme en contre-interrogatoire, Me Potter pratique volontiers la rafale de questions, pas forcément courtes mais qui se répondent facilement par l'affirmative ou la négative. C'était très évident lundi.

Au besoin, l'audacieux procureur glisse un peu d'éditorial en préambule de certaines questions, commentaire qu'il retire volontiers si et quand la partie adverse rue dans les brancards, certain d'avoir déjà fait passer un message.

Le juge semble résigné devant ces incartades du vétéran du camp des défendeurs de l'industrie cigarettière. Il n'a pas forcément la même tolérance pour d'autres juristes du camp du tabac, qui s'aventurent parfois à « témoigner » lorsqu'ils émettent une objection ou formulent une question.

Mardi matin, Me Potter a terminé en moins d'une heure, tel qu'annoncé, l'interrogatoire de son témoin commencé la veille.

Jusqu'alors, Steve Chapman semblait certain de son coup en toutes matières.

Face aux avocats de la partie demanderesse, le témoin a commencé à décliner de diverses façons ces phrases-bouées de sauvetage: je ne sais pas, je ne suis pas au courant, je n'ai pas souvenance, pouvez-vous répéter la question.

Les mots oui et non sont complètement sortis du vocabulaire employé dans ses réponses. Une performance d'artiste, sur ce plan. Il aussi semblé redécouvrir qu'après tout, il n'était pas employé de la compagnie avant 1988 et ne pouvait pas répondre à telle ou telle question.

Un autre homme que Philippe Trudel aurait peut-être perdu patience ou courage, mais Steve Chapman est mal tombé.

Me Trudel puis son associé Bruce Johnston l'ont cuisiné jusque vers 16h20 le mercredi.

Il n'est pas facile de savoir ce que les recours collectifs vont pouvoir tirer lors de leurs réquisitoires en fin de procès des réponses de M. Chapman, souvent pointilleuses et souvent incomplètes, notamment parce que son ange-gardien Potter a fréquemment interrompu les échanges en disant qu'il ne voulait pas interrompre.

Votre serviteur a eu l'impression que l'étoile du témoin Chapman, qui a voulu jouer au plus fin avec les avocats, n'a pas souvent cessé de pâlir durant deux jours.

Un jour, M. Chapman semblait savoir d'instinct quel groupe d'âge aimait applaudir les Spice Girls, et le lendemain, il n'avait plus aucune idée de l'âge moyen des auditoires de Much Musique ou de Musique Plus.

Que faut-il croire d'un témoin qui refuse de dire si un document de 1985 reflète la position de la compagnie en son temps, en faisant valoir qu'il n'est pas entré au service de ladite compagnie avant 1988, mais qui n'hésite pas à disserter sur ce que pensait la compagnie entre 1958 et 1964, alors qu'il est né en 1964 et n'appuie son témoignage que sur des ouï-dire ?

Que faut-il penser d'un scientifique de formation à qui le juge lui-même a dû faire admettre que la nicotine est une drogue ? 


Un mutisme illégal ?

Comme plusieurs autres cadres ou anciens cadres de compagnies de tabac, Steve Chapman a dit que la position de sa compagnie était de laisser le gouvernement parler seul aux fumeurs ou au reste du public à propos des méfaits sanitaires de l'usage du tabac.

Le contre-interrogatoire du témoin de la semaine a de nouveau été une occasion de mettre en lumière que l'industrie s'est battue bec et ongles pour que les mises en garde sanitaires sur les paquets soient attribués à quelqu'un, et surtout pas à elle. (En fin de compte, les mises en garde ont été libellées ainsi: Santé Canada considère que ...)

Comme il l'avait fait avec le témoin Ed Ricard en mai 2012, Me Trudel a montré à M. Chapman un extrait de la Loi réglementant les produits du tabac (LRPT), entrée en vigueur en janvier 1989 (et qui a été remplacée en 1997 par l'actuelle Loi sur le tabac).

L'article 9, paragraphe (3) de la LRPT stipule que les conditions de l'étiquetage des paquets prévus dans la loi n'ont pas pour effet de relever le fabricant ou le distributeur de son obligation d'avertir les consommateurs des effets sanitaires des produits.

Qu'est-ce que le juge va penser d'un homme que son employeur a chargé de gérer ou de connaître ou de suivre les « affaires règlementaires » en 2005, puis, à partir de 2009, la « conformité » des produits aux lois et règlements, et qui prétend découvrir dans un palais de justice en octobre 2013 l'existence d'un article capital de la Loi réglementant les produits du tabac de 1988 qui a été repris avec peu de changement dans la Loi sur le tabac, et qui n'a jamais été abrogé depuis lors.

Dans la loi en vigueur, où la Partie III s'intitule Étiquetage, c'est l'article 16 qui dit
La présente partie n’a pas pour effet de libérer le fabricant ou le détaillant de toute obligation — qu’il peut avoir, au titre de toute règle de droit, notamment aux termes d’une loi fédérale ou provinciale — d’avertir les consommateurs des dangers pour la santé et des effets sur celle-ci liés à l’usage du produit et à ses émissions.
Il serait prématuré de dire quelle portée l'honorable Brian Riordan donnera dans son jugement final à cette disposition de la législation fédérale. Chose certaine, le juge ne pourra pas éviter la question.

Si le mutisme des cigarettiers est une violation de la loi, l'industrie canadienne du tabac ne pourra pas s'en tirer à aussi bon compte que le témoin de la semaine, car il y a un principe élémentaire du droit qui dit que « nul n'est censé ignorer la loi », un principe que connaissaient déjà les Romains de l'Antiquité, des siècles avant qu'une première compagnie de tabac engage un avocat, puis plusieurs avocats...


* *

Une deuxième édition relative aux 177e et 178e journées paraîtra à la suite de la présente édition.

La semaine prochaine, le procès est suspendu et il reprendra le 4 novembre.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
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mercredi 23 octobre 2013

176e jour - Au tour de Rothmans, Benson & Hedges de monter au créneau

(PCr)
Depuis le début de la présentation de la preuve en défense des cigarettiers, en mai dernier, et plus encore depuis août, la défense d'Imperial Tobacco Canada, le chef de file actuel et historique du marché canadien, a absorbé la majeure partie du temps d'audition du tribunal. Les défendeurs des trois cigarettiers avaient ainsi planifié leur calendrier commun.

Lundi, les avocats Simon V. Potter et Pierre-Jérôme Bouchard, qui représentent les intérêts de la compagnie Rothmans, Benson & Hedges (RBH), ont pris place à l'avant-poste dans la salle d'audience. Le premier pour interroger le témoin du jour; le second qui sait par coeur les numéros des pièces au dossier de la preuve et au besoin faire parler les écrans de la salle d'audience ou celui du micro-ordinateur du juge, à coups de disquettes et de courriels, donnant accès à de nouveaux documents ou ressuscitant les anciens. Ainsi vont les procès modernes.

Le témoin du jour, ou plutôt de la semaine, s'appelle Steve George Chapman. C'est un chimiste formé à l'Université de Waterloo en Ontario, entré au service de RBH en janvier 1988, et aujourd'hui le haut responsable de tous les laboratoires de recherche dans l'entreprise, le conseiller de la haute direction en matière de conformité aux réglementations canadiennes relatives à la divulgation du contenu de la fumée des cigarettes, et l'homme sur qui Philip Morris International compte pour gérer rien de moins que le développement des produits dans sa filiale canadienne. Et M. Chapman n'a que 49 ans. Malgré son air modeste, on pourrait penser qu'il n'a peut-être pas atteint le sommet.

Avant d'aboutir devant le juge Riordan, le témoin Chapman est déjà passé à travers 7 jours de déposition préliminaire au procès: les procureurs du gouvernement fédéral canadien l'avaient alors longuement interrogé. Il semble que le vaillant cadre de RBH s'est offert lui-même pour cette épreuve, dont la comparution de cette semaine est une suite logique.

(Cet épisode de la déposition remonte à avant le procès, à une époque clôturée par l'arrêt de novembre 2012 de la Cour d'appel du Québec, une époque où la Couronne fédérale était encore légalement forcée de se défendre contre la tentative des compagnies de tabac de rejeter sur elle tous les blâmes qui leur sont adressés par les recours collectifs. Les compagnies n'ont pas abandonné cette ligne de défense très offensive, même si le fédéral a pu faire reconnaître son immunité par la Cour d'appel et n'envoie même plus d'observateur au procès présidé par Brian Riordan.)


Marque et constance

Me Potter a commencé par faire parler Steve Chapman de l'importance primordiale pour un cigarettier d'offrir, sous une marque donnée, un produit aux caractéristiques invariables.

À titre de responsable actuel du design des produits, le témoin a expliqué toutes les propriétés physiques dont il faut tenir compte pour livrer toujours le même produit en termes de goût, des propriétés dont on peut aussi se servir pour changer la teneur en goudron et en nicotine: longueur du tube, circonférence, longueur du filtre, intensité de la ventilation, porosité du papier, présence plus ou moins grande de tabac gonflé par un trempage dans la neige carbonique (dry ice expanded tobacco), etc.

On a compris que les cuisiniers de RBH étaient en mesure d'offrir sous chaque marque donnée un produit qui goûte la même chose d'un paquet à l'autre, peu importe les variations de qualité des récoltes de tabac. Les témoins que la défense veut amener pour parler du rôle d'Agriculture Canada seraient sûrement heureux d'apprendre cela.

Même s'il n'est arrivé dans le monde du tabac que dix ans avant la fin de la période d'activités de 48 ans couverte par le procès, Steve Chapman a déclaré que la compagnie n'avait jamais donné aux chimistes d'ordre d'atteindre un niveau donnée de nicotine dans telle ou telle cigarette. Par contre, le témoin a expliqué que la compagnie a déjà fixé des objectifs de teneur en goudron puisque cette variable influence fortement la saveur perçue par les fumeurs.


La « philosophie » chez RBH

Aux dires du témoin, les chercheurs de la compagnie de Brampton en Ontario prenaient pour acquis que l'usage du tabac a des conséquences néfastes pour la santé et, à défaut de connaître LA substance particulière dans le mélange qui cause les maladies (Un cantique déjà souvent entendu dans ce procès.), s'employaient à concevoir les cigarettes à teneur réduite en goudron que les marketeurs de la compagnie croyaient pouvoir vendre. Voilà la « philosophie » adoptée par la cliente de Me Potter.

Un moment donné après 1998, l'industrie canadienne du tabac s'est aperçu que le procédé de séchage des feuilles de tabac utilisé par les tabaculteurs canadiens favorisait l'apparition des nitrosamines dans le tabac. Les nitrosamines sont des substances qui se retrouvent ultimement dans la fumée et qui sont cancérigènes. L'industrie a alors fait changer durant les années 2000 le procédé de séchage de ses fournisseurs, à ses frais, s'il vous plaît! (Le témoin n'est pas allé jusqu'à apporter les factures avec lui.)

Le procédé fautif consistait à faire souffler sur les feuilles des courants d'air très chaud directement issus de moteurs à combustion, plutôt qu'en faisant sécher les feuilles à l'air libre ou par un séchage indirect avec de l'air chauffé comme dans un four.

L'interrogatoire n'a cependant pas permis au juge et au public de savoir quand ni pourquoi les agriculteurs canadiens étaient originalement passés du séchage à l'air libre pratiqué au bon vieux temps du « tabac de Virginie pur » des annonces de jadis, au séchage à même les chauds gaz d'échappement de moteurs.


Les humectants et autres additifs

Guidé par Me Potter, le chimiste Chapman a expliqué l'importance de l'emballage pour préserver un certain degré d'humidité dans les produits du tabac. La bouffée de fumée aspirée par le fumeur contient d'autant plus de goudron que le mélange est séché.

Avec la diminution tendancielle, depuis plusieurs décennies, de la consommation quotidienne moyenne des fumeurs, maintenant rendue sous la barre des 20 cigarettes, cela aurait eu pour effet que la dernière cigarette d'un paquet risquait d'être plus sèche et donc plus goudronneuse que les premières. Par prévenance, RBH s'est donc remise, en 2005, à ajouter un humectant (habituellement un glucide, comme le glycérol, aussi appelé glycérine) dans les mélanges, afin d'en prolonger le caractère humide, une pratique que l'industrie avait abandonnée en 1985.

Et pourquoi cet abandon en 1985 ? Eh bien parce que l'industrie canadienne voulait pouvoir dire qu'elle ne met pas d'additif dans ses cigarettes. M. Chapman a raconté que des articles de presse avaient engendré dans le public une confusion entre le di-éthylène glycol, contenu dans l'antigel, et le propylène glycol, utilisé dans l'industrie alimentaire. On peut trouver cela difficile à avaler, mais toujours est-il que RBH avait, aux dires de son conseiller scientifique, préféré retirer tous les additifs que d'expliquer la différence.

Le cadre de RBH s'est également fait un devoir de nier que sa compagnie ait déjà mis du coumarin ou de l'ammoniac dans ses cigarettes.

Les teneurs en goudron se sont maintenus après 2005 malgré la réintroduction de glucides dans les mélanges, a ajouté M. Chapman, peut-être en réplique implicite aux Jeffrey Wigand de ce monde qui disent que la glycérine brûlée se transforme en acroléine, un poison.  Bon point alors.

Mais les teneurs en goudron n'auraient-elles pas dû diminuer de ce fait, si on se souvient des explications de départ sur l'humidité ? L'interrogatoire a glissé sur d'autres sujets. De toutes manières, les événements survenus après 1998 ne sont même pas censés figurer dans les sujets examinés par le tribunal. Ils y figurent quand même parce que le juge semble préférer laisser les avocats faire des incursions dans le temps présent que de se faire reprocher un jour de les avoir empêchés de mener à bout leurs savantes explorations.

Par ailleurs, le menthol est le seul aromate que le cigarettier s'autorise à mettre dans des cigarettes vendues au Canada., aux dires de Steve Chapman, et la vente des marques en cause correspond à une petite fraction du marché. Le témoin a aussi mentionné qu'au 21e siècle, RBH n'utilise plus de tabac reconstitué dans ses mélanges, après avoir constaté que cela ne diminuait pas ses coûts de production, puisque le recon retombe plus facilement en poussière que le vrai tabac haché. Trop facilement.

(Rappelons que le procès exclut toutes les affaires reliées à la fabrication et à la vente des cigares et du tabac en vrac que les fumeurs mettent d'eux-mêmes dans le foyer d'une pipe ou dans un tube ou dans une feuille de papier à rouler. L'usage des aromates serait beaucoup plus fréquent de ce côté.)

Pendant un moment non précisé, selon la relation de M. Chapman, RBH a tenté de vendre une marque annoncée comme « sans additif », mais la proximité en langue anglaise des mots « additive » (un additif) et « addictive » (qui créé la dépendance) a trop fait jaser et RBH a retiré le produit du marché.

N'empêche que l'industrie, comme l'a distraitement reconnu le chimiste, est tout de même obligé d'utiliser de la colle pour faire tenir le filtre au papier qui contient le mélange de tabac. L'auteur du blogue n'a pas pu s'empêcher de noter que lorsqu'on parle de colle, on s'inquiète plus fréquemment de ceux qui la sniffent que de ceux qui l'inhalent après l'avoir brûlée. Peut-être à tort.

Lundi soir, il n'était pas facile de savoir ce que le juge Riordan retiendrait de tout cela. Durant la journée, il a cependant plus d'une fois fait allusion à la valeur probative de tel ou tel partie de l'interrogatoire.

Entre autres, le juge a paru désapprouver Me Potter d'avoir parlé à son témoin des affirmations faites par le professeur Richard Pollay, un expert en marketing du tabac sollicité par les avocats des recours collectifs et dont le témoignage a été enregistré au dossier de la preuve l'hiver dernier.

En principe, un témoin de faits doit pouvoir raconter de ce qu'il a lui-même observé ou accompli et doit éviter d'être influencé dans ses propos par ce qu'il aurait appris à l'occasion du témoignage de quelqu'un d'autre.


**

L'interrogatoire de Steve Chapman s'est poursuivi mardi matin (177e journée) et un contre-interrogatoire a aussitôt commencé qui s'est terminé cet après-midi (178e jour).

La prochaine édition de ce blogue racontera les deux journées de mardi et mercredi.