dimanche 30 septembre 2012

62e jour (bis) - Le naturel d'une industrie

Jeudi matin, le tribunal présidé par l'honorable Brian Riordan a commencé d'entendre le témoignage de Peter Hoult, un ancien cadre du marketing puis chef de la direction de RJR-Macdonald. L'interrogatoire a duré toute la journée et continuera lundi.  Une prochaine édition en parlera.

Mais il faut d'abord revenir sur des éléments qui ressortent de la comparution de quatre jours de Ray Howie, un ancien chercheur puis directeur de la recherche et du développement chez RJR-Macdonald, de 1974 à 1998.

Comme le témoin Michel Poirier avant lui, M. Howie se souvenait plus spontanément de ce que le gouvernement fédéral canadien pensait ou voulait que des positions déclarés et pratiques de sa propre entreprise, entre autres au sujet des méfaits sanitaires de ses produits, mais même en matière de procédés de fabrication.


Le naturel d'une industrie

Mercredi, les avocats des recours collectifs Lespérance, Gagné et Boivin ont fait examiner au témoin Ray Howie un communiqué du CTMC dont nous parlions dans notre édition de jeudi matin. Il y était notamment question du tabac qui aboutit dans les cigarettes prêtes-à-fumer et du tabac haché fin qui est utilisé par le consommateur pour se rouler des cigarettes maison ou bourrer sa pipe.

Avertissement 1 : S'il ne le savait pas avant le procès, le juge Riordan sait maintenant, grâce à divers témoignages et documents, que le tabac reconstitué est fabriqué notamment à partir de poussières et de brins de tabac qui se dispersent dans les entrepôts et les usines au fil de la production, et qu'on récupère. Ce dont il n'a pas encore été question devant le tribunal, ce sont les étapes suivantes de la production du « recon ».  En attendant, si vous êtes curieux, voyez cet extrait d'environ 3 minutes d'un documentaire diffusé en 2007 sur la chaîne américaine de télévision par câble History.

Avertissement 2 : Dans le dialogue qui suit, l'usage du présent du conditionnel dans le dialogue n'est pas une erreur de traduction de l'auteur du blogue.

Me Lespérance a demandé au témoin Howie de regarder au haut de la page 2 (page 3 du fichier PDF) (pièce 40001), puis il a lu un extrait à haute voix (pour la sténographe): « Deux manufacturiers, RJR-Macdonald et Imperial Tobacco, utilisent de petites quantités de tabac reconstitué, une méthode de récupération et de réutilisation de petits brins de tabac provenant des étapes initiales d'usinage et de fabrique des cigarettes et du tabac haché fin ».
Me Lespérance : De la manière dont je comprends le processus, il s'agit de poussière (résultant de la production) des cigarettes et du tabac haché fin, et cela constitue une partie du tabac reconstitué, c'est ça ? La poussière et tout ce qui est éjecté (des machines ou des contenants) ?
Ray Howie : Vous voulez dire autant la poussière du tabac haché fin que...
Me Lespérance : Ce serait les deux ...
Ray Howie : Oh non. ... Ils étaient totalement séparés.
Me Lespérance : Oui, mais ils iraient au tabac reconstitué, les deux ?
Ray Howie: Non, non, non.  Nous utiliserions (la poussière des) cigarettes pour les cigarettes et celle du tabac haché fin pour le tabac haché fin.
Me Lespérance: D'accord.  Et il y aurait donc deux tabacs réconstitués, un destiné aux cigarettes et un destiné au tabac haché fin ?
Ray Howie : Oui.
Me Lespérance : D'accord. Et (L'avocat lit un extrait) : « Cela constitue 8 % ou moins du poids du tabac dans les cigarettes usinées ou le tabac haché fin. La production de tabac reconstitué implique l'usage d'agents liants d'origine naturelle et d'humectants. » (naturally occured binding agents and humectants) Qu'est-ce qu'ils voulaient dire par "naturally occured" ?
Ray Howie : Si je peux revenir en arrière, désolé.  Je ne pense même pas que nous utilisions du recon dans le tabac haché fin. Je tente d'y repenser maintenant. Je ne pense pas que nous le faisions.
Me Lespérance : Alors c'est exactement ce que je pensais.  N'importe quelle poussière ou rejection (du processus de production) de tabac haché irait au tabac reconstitué qui irait dans les cigarettes.  Il ne retournerait pas au tabac haché fin ?
Ray Howie: Non, je ne pense pas que cela arrivait.
Me Lespérance : Alors vous n'utilisiez aucun rejet de tabac haché fin ? Que faisiez-vous avec cette poussière et ces rejets ?  Que faisiez-vous avec cela ?
Ray Howie : Je ne me souviens plus. (...) Je ne me souviens plus que ce que nous faisions de celle-ci par rapport à celle (issue de la fabrication) des cigarettes. »

Quelques minutes plus tard, le procureur Lespérance est revenu à la phrase : La production de tabac reconstitué implique l'usage d'agents liants d'origine naturelle et d'humectants. (naturally occured binding agents and humectants)
Me Lespérance : « "Naturally", à quoi cela réfère ?
Ray Howie : "Naturally occurring," hum, la glycérine est d'origine naturelle, de même que la gomme de guar.
Me Lespérance : La cellulose de carboxyméthyle de sodium, est-ce que ...
Ray Howie : ...De la fibre ? Tout cela est d'origine naturelle.
Me Lespérance : Oh.
Ray Howie: Je ne suis pas en train de dire que nous utilisions des produits d'origine naturelle, mais cela (ce groupe de substances) est d'origine naturelle.  Ils étaient probablement produits dans une usine, mais le composé chimique en tant que tel provient de la nature, comme le glycérol est naturellement présent dans le tabac.

Me Lespérance : D'accord.  Maintenant, si vous regardez à la page 22 (page pdf) de la pièce 582Je vais juste le lire : « Quand Imperial a constaté que les autres trois compagnies étaient intéressées par le tabac reconstitué Schweitzer, la compagnie a commencé un programme pour mettre à l'essai et améliorer les caractéristiques physiques de son propre tabac reconstitué.  Cela a mené à utiliser la cellulose de carboxyméthyle de sodium (SMSC) comme agent liant, ce qui s'est avéré franchement efficace pour réduire la fragilité (des « feuilles » de tabac reconstitué), mais avait peu d'effet remplissant (des cigarettes??).  Il fut convenu au début de 1976 que toutes les compagnies opteraient  pour cet additif dans le tabac reconstitué, et c'est ce que nous sommes en train de faire.»
Ray Howie : Right.
Brève interruption par le juge, mais elle a semblé permettre au témoin de compléter sa réflexion.
Ray Howie: Okay. Vous avez absolument raison...
Me Lespérance : D'accord. C'est "naturel" ? ....
Ray Howie: À ma connaissance, cela ne provient pas naturellement (that does not naturally occur), cela doit être extrait de la cellulose et fabriqué. »

Finalement, « naturally occured binding agents », c'est de l'anglais, mais une expression inusité qui semble vouloir suggérer quelque chose de rassurant, ...peut-être pour faire oublier quelque chose de déplaisant.

**
Le jeu sur les mots et les restrictions mentales dans les relations publiques ne s'arrêtent cependant pas là.

On ne sait pas si c'est pour ne pas avoir à reconnaître clairement qu'ils mettent des additifs dans le papier de leurs cigarettes, -- une opération qui pourrait bien être souvent anodine quand on sait tout ce qui distingue déjà la pulpe des arbres du papier blanc neige fourni par l'industrie papetière--, que les cigarettiers écrivaient, dans le même communiqué de presse : « Aucun des fabricants n'ajoute d'aromates dans les filtres à cigarette ou le papier. »  C'est tout de même intriguant.

Me Lespérance : Que comprenez-vous du mot aromates (flavourants), monsieur Howie ?
Ray Howie : Un aromate ? Ce serait un additif.
Me Lespérance: Un additif.  Et le MAP que nous avons vu dans la pièce 641, c'était une substance ajoutée au filtre et au papier ?
Ray Howie : Oui, ça l'était.
Me Lespérance : ... Et le DAP, pareillement, était ajouté au tabac reconstitué ?
Ray Howie : D'accord. Si vous commencez à parler de cela, ce ne sont pas des aromates.  Les aromates sont des choses différentes.
Me Lespérance : C'est ce que je pensais. ... Alors, vous n'utilisez pas d'aromates, ce qui est vrai, ...mais cela ne dit pas que vous utilisez des additifs comme le MAP, n'est-ce pas ?
Ray Howie : Bien, nous n'utilisons certainement pas d'aromates, et si vous n'utilisez pas de MAP, vous n'avez pas de papier.
Me Lespérance : D'accord, mais n'est-ce pas induire (les lecteurs du communiqué de presse) en erreur ?
Ray Howie : C'est ainsi que le papier est fait.

À ce moment, Me Kevin LaRoche, un défenseur de JTI-Macdonald, a interrompu Me Lespérance, puis s'est objecté à sa question en suggérant de demander plutôt au témoin s'il y avait un mensonge dans l'affirmation des compagnies de tabac. Habitué à décoder la langue de bois et les non-dits du discours corporatif, Me Lespérance a comparé cela à une naïve vérification de l'affirmation classique « il n'y a pas de cocaïne dans le Coca-Cola ». Quand le procureur des recours collectifs a pu reprendre l'interrogatoire, cela a donné
Me Lespérance : ...Les additifs sont différents des aromates, n'est-ce pas ?
Ray Howie : Oui.
Me Lespérance : Quand vous dites (le communiqué dit) "Aucun des fabricants n'ajoute d'aromates au papier, nous devrions lire "Les fabricants ajoutent des additifs au papier" ?
Ray Howie : Nous ajoutons des additifs au papier, oui.

Me Lespérance a voulu savoir si une telle façon de s'exprimer n'était pas trompeuse. M. Howie a dit qu'il ne le pensait pas.

(Les interrogatoires et textes cités ont été traduits de l'anglais par l'auteur du blogue.) 


Contre-interrogatoires terminaux

L'intensité des échanges en fin d'après-midi mercredi n'est pas seulement à mettre au crédit de l'avocat Lespérance et de son témoin coriace. Trois autres avocats, pour le compte de trois clients différents, sont entrés dans le bal avant que le témoin puisse s'en aller.

Depuis quatre jours, Ray Howie avait expliqué que les cigarettiers réduisaient le niveau de goudron à l'appel du gouvernement d'Ottawa, sans préciser aussi que celui-ci, vers la fin des années 1980, avait aussi requis des fabricants la réduction de la teneur en nicotine.  Le défenseur du gouvernement du Canada, Maurice Régnier, a demandé à Ray Howie de confirmer ce fait complémentaire, et le témoin s'est exécuté.

M. Howie avait aussi souvent mentionné, ou peut-être faut-il dire « ploguer », le ferme expérimentale de Delhi, en Ontario, opérée par Agriculture Canada, où furent développées dans les années 1960 des souches de tabac qui ont fini par être adoptées par la plupart des cultivateurs canadiens fournisseurs de l'industrie.

(« Delhi », c'était un mantra de l'industrie devant la Cour suprême du Canada en janvier 2011 au sujet de la poursuite par la Colombie-Britannique. Cela n'a pas empêché la Cour suprême de rendre contre l'industrie une décision unanime en juillet 2001 : le gouvernement fédéral n'était pas votre partenaire et ne peut pas être tenu responsable de ce dont la Colombie-Britannique vous accuse.)

Me Régnier a voulu s'assurer que les points étaient mis sur les i.  À partir d'un document montrant des teneurs en goudron et en nicotine pour différentes marques disponibles au Canada, document que Me Régnier a fait verser comme pièce au dossier de la preuve (pièce 50017), l'avocat avait calculé le ratio goudron-nicotine et a fait examiner sa méthode (archi-simple) et ses résultats à Ray Howie.
Me Régnier : « Si la plupart des cigarettes étaient fabriquées à partir du même tabac (développé à Delhi), comment peut-on observer de telles différences dans le ratio goudron nicotine ?
Ray Howie : Les différences entre ces marques étaient générées par les techniques de développement des produits, pas par le tabac.
Et vlan. Si on veut laisser entendre que la teneur en nicotine de certaines marques a pu augmenter à cause du gouvernement du Canada, c'est préférable de ne pas dire cela devant un juge quand Me Régnier est présent.

Me Kevin LaRoche, défenseur de JTI-Macdonald, est ensuite revenu sur l'interrogatoire de mardi, quand il était question des résultats affichés sur les paquets de cigarettes des tests effectués sur des machines à fumer, et quand le tribunal a pu constater que le chimiste Ray Howie avait fait remplacer, dans un cas, un 13 par un 12 (mg de goudron), sous le prétexte d'un arrondissement (pièce 629). Me LaRoche a habilement fait préciser au témoin Howie que les résultats mentionnés dans l'interrogatoire avaient des marges d'erreur de « plus ou moins 1 mg », et que 12 était donc dans la marge de 13. (Personne n'a eu l'occasion ou trouvé utile de faire dire au témoin devant le juge que 14 mg aussi, aurait été dans la marge d'erreur.)

Me Régnier et Me LaRoche mijotaient leur coup depuis au moins 24 heures. Me Simon Potter, défenseur de Rothmans, Benson and Hedges dans le présent procès, mais vétéran des batailles judiciaires de l'industrie dans son ensemble, a voulu se servir de la pièce enregistrée par Me Régnier pour improviser son bout de contre-interrogatoire de Ray Howie. Très peu d'avocats ont cette audace. Il semble que Me Potter a lu un « 21 mg » (de nicotine) sur une ligne qui concernait une marque de tabac à rouler plutôt qu'une marque de cigarette, et il a fait chou blanc en voulant se servir de cela pour interroger le témoin. Ce contre-interrogatoire a peut-être permis de faire valoir les progrès réalisés par l'industrie du côté de la teneur en goudron, ce qui devait être le but de l'exercice. 


Quand les papiers parlent

Les documents versés en preuve mercredi révèlent des choses intéressantes. Quelques exemples.

Alors qu'elle subissait des pressions de Santé Canada, la compagnie RJR-Macdonald a travaillé à l'émergence d'un consensus de l'industrie de n'utiliser que des additifs approuvés par les industries allemande et britannique du tabac. Ce consensus daté de juillet 1983 contenait deux échappatoires : les additifs au papier n'avaient pas besoin d'être sur la liste, pas plus que les « extraits naturels ». (pièce 642)

Les laboratoires de la maison-mère RJR à Winston-Salem en Caroline du Nord, qui menaient des expériences pour relever le ratio de nicotine par rapport au goudron, ont indiqué dès 1977 à leur filiale canadienne trois voies fructueuses vers ce but, incluant l'usage d'additifs (pièce 645)

Le directeur de la recherche de RJR-Macdonal écrivait en 1978 que trois des marques de la compagnie étaient conçues pour procurer un plus haut ratio de nicotine par rapport au goudron (Vantage, Export A légères, et Cavalier). Il était au courant que le cigarettier Philip Morris pratiquait l'ajout de sels d'ammonium pour diminuer l'acidité de la fumée et favoriser l'inhalation de la nicotine, et se plaignait que le traitement soit plus difficile à pratiquer sur les cigarettes canadiennes. (pièce 647)

Entre 1979 et 1984, RJR-Macdonald a fait à répétions l'expérience d'ajouter aux mélanges de tabac des sels d'ammonium dans le but de diminuer l'acidité de la fumée et notamment d'augmenter sa teneur en « nicotine libre », une forme de nicotine encore mieux captée par les poumons. (pièces 648, 648A, 648B et 648C) (voir aussi la pièce 650)

Un document de1980 montre que les papiers utilisés pour les cigarettes de RJR-Macdonald avaient été traités avec du phosphate d'ammonium (pièce 641 ).


*** 

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.





jeudi 27 septembre 2012

62e jour - 26 septembre - Sorbitol, M-7, GRAS list, ... : vous avez-dit additifs ?

Théoriquement, les choses pourraient être très simples : on cueille une feuille de tabac, on la fait sécher, puis on la hache finement, on met du tabac haché dans une feuille de papier à cigarette qu'on roule, puis on allume et on sait ce qu'on fume : du tabac et du papier à cigarette.

Le papier ne pousse pas dans les champs, et on fabrique du papier ayant différentes propriétés en suivant différentes recettes, alors parler des « additifs » dans le papier est une façon arbitraire de s'exprimer qui dépend tellement de la position occupée dans la chaîne de production de la cigarette allant jusqu'au consommateur, que c'est presque un jeu sur les mots.

Par contre, une question du genre « Y a-t-il des additifs dans le tabac des cigarettes vendues au fumeur ? » devrait pouvoir recevoir une réponse simple et univoque, peu importe qui y répond : oui, non ou je ne sais pas.

La question semble cependant embarrasser les cadres de l'industrie cigarettière interrogés lors du présent procès d'Imperial Tobacco, de JTI-Macdonald et de Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Heureusement que des documents écrits existent pour sauver un peu de temps.

À l'occasion du témoignage en mars dernier d'un ancien directeur des affaires publiques d'Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, les avocats des recours collectifs avaient fait ajouter à la preuve un document daté du 1er mai 1985 qui était une déclaration solennelle du Conseil des fabricants de produits du tabac (CTMC) concernant les additifs contenus dans ses produits. (pièce 47)

On y apprenait que l'industrie utilise notamment des humectants, des agents de préservation et des aromates dans la fabrication des produits du tabac. Il était aussi mentionné que plusieurs additifs sont gardés secrets par chaque fabricant, le but étant de ne pas aider la concurrence à imiter ses trouvailles. À chaque fois qu'un des additifs nommés dans le document était aussi utilisé dans l'industrie agro-alimentaire, le texte ne manquait pas de le souligner et de banaliser ce fait, comme si on ingérait normalement les aliments après les avoir fait brûler.

Jeudi dernier, l'affaire partait mal.  Les mêmes cassettes allaient tourner.


Encore la liste du comité Hunter

Le jeudi 20 septembre, Ray Howie, un ancien directeur de la recherche et du développement des produits chez RJR-Macdonald (devenue JTI-Macdonald en 1999), avait déclaré au procureur des recours collectifs : (...) Vous savez, il y avait au Royaume-Uni un comité appelé le Comité Hunter, lequel a dressé une liste d'additifs qu'il était parfaitement approprié du point de vue de la "sécurité" (safety), comme vous appelleriez cela, d'ajouter aux cigarettes.  Alors nous utilisions avec rigueur cette liste du Comité Hunter, et si ce n'était pas sur la liste du Comité Hunter, nous ne l'utilisions pas.

D'autres témoins au procès qui nous occupe ont évoqué l'existence de la liste du comité Hunter.

Mardi dernier, Me André Lespérance, Me Pierre Boivin et Me Gabrielle Gagné ont fait examiner au témoin Howie plusieurs autres documents, avec des listes d'additifs. Il y avait la liste de Hunter, et d'autres.

Ray Howie : Le sorbitol ? Encore un additif traditionnel, cela a un goût sucré.  C'est un autre humectant, et vous en trouvez dans le dentifrice et divers aliments.  En fait, la plupart des humectants, vous les trouvez dans à peu près tous les aliments préparés que vous pouvez prendre des tablettes.  Le sorbitol était utilisé jadis, et je ne sais pas la date de ce document...
Me Lespérance : C'est 1978.
Ray Howie : 1978, d'accord.  Alors c'était encore en usage, certainement, à cette époque, et jusqu'au ...
Me Lespérance : 1985 ?
Ray Howie : ... milieu des années 1980, je présume, à moins que cela ait été retiré avant cela, je ne sais pas.
Me Lespérance : D'accord, cela aurait été... Était-ce au moment dont vous avez parlé où M. Lang (le patron de RJR-Macdonald) a décidé, en 1985, que les additifs cesseraient d'être utilisés.
Ray Howie : C'est exact.  C'est quand la décision fut prise.  Et alors, nous les avons graduellement retirés jusqu'à la fin, vers 1989.  Je pense que le dernier (additif), le DM, dont vous parliez tout à l'heure comme d'un aromate, a été retiré en 1989.
Me Lespérance : D'accord.  Maintenant, voyez-vous le M-7 ?  Savez-vous à quoi cet additif sert ?
Me Gagné : (C'est écrit) juste après le vinaigre.
Ray Howie : Oui.  Je vois cela.  Je n'ai aucune idée de ce qu'est le M-7.
Me Lespérance :  C'est mis en relation (dans une colonne sur la page du document examiné) avec ...
Ray Howie : C'est une...
Me Lespérance : ...la G.R.A.S. list.  Qu'est-ce que la GRAS list ?
Ray Howie : C'est une liste américaine, généralement vu comme une liste fiable aux États-Unis; c'est ce que les États-Unis utilisent comme directive pour les additifs au tabac.
Me Lespérance : Mais c'est pour les aliments ?
Ray Howie : Et pour les aliments, oui.
Me Lespérance : N'est-ce pas principalement pour les aliments ?
Ray Howie : Cela dépend ce que vous fabriquez.  Nous fabriquions du tabac.
Me Lespérance : Oui, mais vous ne mangez pas le tabac, vous le brûlez et vous le fumez.
Ray Howie : Non, je sais cela.
Juge Brian Riordan : La question est : est-ce que la list GRAS était typiquement utilisée pour la nourriture, aux États-Unis, savez-vous ?
Ray Howie : Oui, elle l'est.
Me Lespérance : En quoi est-ce pertinent pour le tabac que vous fumez ?
Ray Howie : Bien, nous n'avions aucune directive du gouvernement fédéral (canadien) à ce sujet, alors nous avions à établir nos propres directives.
Me Lespérance : Alors ...
Ray Howie : Alors c'est ce que nous avons fait.
(...)
Me Lespérance : Donc si un ingrédient n'était pas sur la liste Hunter, s'il était sur la liste GRAS, c'était correct.  C'était votre position ?
Ray Howie : J'aimerais savoir ce qu'est le mélange C (sur la page du document alors à l'examen)...

*
La journée d'hier (mercredi) a permis le versement comme pièce au dossier de la preuve d'un communiqué de presse émis par le CTMC le 21 avril 1994 (pièce 40017), un communiqué dont une copie avait été expédiée à Ray Howie, alors directeur de la recherche chez RJR-Macdonald. Ce document a un contenu très semblable à celui de 1985 déposé lors de l'interrogatoire de Michel Descôteaux, comme si très peu de changements étaient effectivement survenus dans les pratiques de l'industrie entre 1985 et 1994. Mais peut-être était-ce la faute d'Imperial et de RBH...

D'autres documents ont été versés en preuve.

Vers la fin de la journée, le procureur Lespérance des recours collectifs a montré qu'il ne se refusait pas d'être pressant dans ses questions au témoin Howie, quand les circonstances y invitent.

L'après-midi de mercredi s'est terminé sur une succession de contre-interrogatoires, par Me Kevin LaRoche de JTI-Mac, par Me Maurice Régnier pour le gouvernement fédéral canadien, par Me André Lespérance à nouveau.  C'était très intense, un grand moment du sport. Une consultation des 300 pages de la transcription officielle, laquelle sera vraisemblablement disponible cet après-midi, permettra de rendre compte du moment à la hauteur de son mérite, mais ce ne sera pas dans la présente édition.

Ce matin (jeudi), le tribunal entend le témoignage de Peter Hoult, un ancien grand patron de RJR-Macdonald.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.





mercredi 26 septembre 2012

61e jour - 25 septembre - Un peu de science du camouflage et du déni

L'interrogatoire de l'ancien directeur de la recherche de RJR-Macdonald Ray Howie par Me André Lespérance s'est poursuivi toute la journée d'hier (mardi). Rien de dramatique ne s'est produit dans le déroulement de l'audition, comme lundi, mais la documentation versée en preuve s'épaissit et devient chaque jour plus éloquente, malgré le laborieux patinage de l'ancien cadre et chimiste.

37 documents ont été ajoutés comme pièces au dossier de la preuve, pièces dont le nombre total, après soixante jours de procès, dépassait déjà le millier.  Il s'agit de pièces en preuve accessibles au public internaute par le truchement de la banque de données des avocats des recours collectifs.

(Pour y accéder, cliquez sur l'hypertexte permanent juste à droite de notre édition du jour.  Rendu là, cliquez sur la barre bleue Accès direct à l'information, sans vous occuper du reste. Pour avoir accès à une série de documents très liés, écrivez seulement les chiffres du numéro de pièce, sans la lettre, et le moteur de recherche vous donnera la série complète.)


Financer la recherche sympathique

Le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) avait un « comité technique », où ont notamment siégé le patron et prédécesseur de Ray Howie, feu Derek Crawford, puis Howie lui-même, pour le compte de RJR-Mac. L'un des rôles du comité était de faire des recommandations aux patrons des compagnies membres du CTMC quant au financement de la recherche « indépendante » ...et sympathique.

La correspondance entre les spécialistes de la recherche et du développement reflétait généralement une communauté implicite de vues dans les compagnies, au nombre de quatre, jusqu'à la fusion de Rothmans et de Benson & Hedges en 1986. Mais il y a eu parfois des désaccords.

Ce fut le cas, par exemple, lorsque fut examiné en 1985 la possibilité de financer les recherches du professeur de psychiatrie Verner Knott, de l'Université d'Ottawa. Knott avait déjà reçu beaucoup d'argent de l'industrie, et les cigarettiers contrôlés par des intérêts britanniques ou sud-africains (Imperial et Rothmans) n'avait pas d'objection à ce que le chercheur étudie les électro-encéphalogrammes d'enfants canadiens, pour savoir si certains d'entre eux avaient une prédisposition à devenir fumeurs un jour. Dans les compagnies contrôlées depuis les États-Unis (RJR-Macdonald et Benson & Hedges), les avocats s'inquiétaient des conséquences « traumatiques » d'une découverte par le public que l'industrie du tabac finançait une telle recherche. (pièce 618). Derek Crawford, le directeur de la R & D chez RJR-Mac, se démenait pour rapprocher les différentes parties. (pièces 615 et 616).

Ray Howie a affirmé qu'à la fin des années 1980, la totalité des fonds de recherche distribués par le CTMC l'étaient à des recherches servant à prouver que la réglementation sur la protection contre le tabagisme passif était inutile ou indésirable.

En 1987, quand il est devenu apparent que le Parlement fédéral canadien allait se voir proposer une législation pour (entre autres choses) protéger les travailleurs de la fumée de tabac dans l'environnement, les « docteurs » (en chimie) ou scientifiques des compagnies ont jonglé avec l'idée de mettre sur pied, à l'Université Concordia de Montréal, quelque chose ressemblant au Center for Indoor Air Research (CIAR) que l'industrie avait mis sur pied aux États-Unis. (pièce 612B)  (Le CIAR a été démantelé en même temps que divers organismes de façade de l'industrie du tabac, après la célèbre Master Settlement Agreement survenue en 1998 entre les cigarettiers américains et les États américains qui les poursuivaient en justice.)

Depuis le début du présent procès contre les cigarettiers canadiens, les avocats de ces derniers n'ont pas manqué de souligner de temps à autre la concurrence entre leurs clients, parfois pour justifier le huis clos.  Avec un peu de recul, ce qui ressort de la correspondance examinée au procès, au-delà du thème particulier d'un document ou d'un autre, c'est la régularité de la collaboration des scientifiques de l'industrie canadienne et leur relative absence de cachotterie entre eux. (voir notamment les pièces 611 à 621).


Vérités contrariantes et « ajustements »

Un échange de mémos daté de 1978 entre un marketeur de RJR-Mac, Alan Mew, et le directeur de la recherche Derek Crawford, montre bien tout ce à quoi l'équipe de ce dernier s'intéresse en vue d'accroître la quantité de nicotine par rapport à la quantité de goudron dans les cigarettes de la compagnie.  M. Crawford mentionne « le mélange sélectionné, le design du filtre, le papier spécial, la dilution (de la fumée), le potentiel de certains additifs, etc. » (pièces 622 et 622A)

Les efforts ne sont cependant pas toujours ou tout de suite couronnés de succès. En 1983, une étude réalisée par un chercheur de la maison-mère RJR de Caroline du Nord montrait que les petits trous que RJR-Mac fait dans certaines de ses cigarettes vendues au Canada étaient en bonne partie bouchés par les lèvres des fumeurs, ce qui diminue alors la dilution de la fumée et augmente l'inhalation de goudron et de nicotine au-delà de ce qui est indiqué sur les paquets. Chez RJR-Macdonald, on décida de ne rien faire, à moins que la question vienne un jour sur le tapis, auquel cas la compagnie canadienne plaiderait l'ignorance. (pièces 623, 623B, 624 et 624A).

Hier, Ray Howie a témoigné que l'étude de RJR accusait de graves faiblesses méthodologiques.  Durant l'été dernier (Oui, oui, l'été 2012 !), le retraité de JTI-Macdonald et témoin attendu cet automne dans le procès qui nous occupe a réanalysé les données de 1983 et il conclut maintenant que c'était seulement entre 40 et 50 % des perforations qui étaient bouchées, pas 75 %.

Quant à la pertinence de faire des perforations de ventilation assez loin du bout de la cigarette qui va à la bouche du fumeur, Derek Crawford n'avait pas encore réussi à persuader la direction de l'entreprise canadienne de procéder aux adaptations nécessaires, quand il lui a fait ses adieux en 1989. (pièce 627)

Dans un document daté de 1989 (pièce 629), Ray Howie admet que les cigarettes Export A light « ont des trous de ventilation situés à 8 mm du bout de la cigarette qui va dans la bouche.  Quand le consommateur fume cette cigarette, il couvre les trous (avec ses lèvres), ce dont résulte une inhalation plus puissante ». Le chimiste observait que la nouvelle méthode alors prescrite par le gouvernement fédéral canadien allait nécessiter que les trous soient percés un peu plus loin du bout buccal de la cigarette. Bien que les tests de M. Howie à l'époque montraient que la teneur en goudron serait de 13 mg avec le nouveau design, il recommandait d'indiquer un résultat de 12 mg sur les paquets. Hier, le témoin Howie a qualifié ce geste d' « arrondissement ».

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Devant cet « arrondissement », le patient procureur André Lespérance s'est contenté d'afficher un visage étonné, sans rien dire. Cela permet d'illustrer une manière de l'avocat différente (mais qui s'est souvent avérée complémentaire) de celle de son coéquipier Bruce Johnston.

Me Johnston arrache parfois des aveux en posant ses questions assez vite pour que les témoins répondent sans embellir leurs réponses. Pour cela, Me Johnston passe souvent le dernier, après ses coéquipiers Lespérance ou Trudel ou Kugler ou Boivin, alors que la conviction du juge est peut-être parfois déjà acquise, même s'il ne le dira pas, et sa patience, surtout en matière de chimie, presque épuisée.

Me Lespérance laisse les témoins s'enfoncer dans leurs propres contradictions, rationalisations ou digressions. Tout cela à quelques mètres des oreilles et des yeux du juge Brian Riordan, impénétrable.

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Le témoignage de Ray Howie se poursuit aujourd'hui (mercredi).  La question des additifs, abordée hier, sera retournée sous différentes coutures.


*** 

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1) aller sur le site de la partie demanderesse
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mardi 25 septembre 2012

60e jour - 24 septembre - Flottement sur les matières à juger

La journée d'hier (lundi) aurait pu ronronner tranquillement et voir le témoignage du chimiste Ray Howie avancer substantiellement. Me André Lespérance a d'abord cherché à éclairer le tribunal sur les tentatives de l'industrie au début des années 1980 de repousser une initiative gouvernementale visant à faire mieux connaître les méfaits du monoxyde de carbone sur le système cardio-vasculaire des fumeurs.

Et puis soudain, vers le milieu de la matinée, le juge Brian Riordan a accueilli favorablement une objection d'un des avocats de JTI-Macdonald, Kevin LaRoche.

Me LaRoche trouvait que les questions de Me André Lespérance à Ray Howie concernant les méfaits cardio-vasculaires de la cigarette s'écartaient du champ des maux frappant les personnes concernées par les recours collectifs, soient l'emphysème, les cancers du poumon, de la gorge et du larynx (recours CQTS et Jean-Yves Blais) et la dépendance à la nicotine (recours Létourneau). Me LaRoche a fait valoir son opposition à « une commission royale d'enquête sur le comportement de l'industrie », qui ne pourrait pas finir « durant le présent siècle ».

En soutien de l'objection pessimiste de l'avocat de JTI-Mac, le juge Riordan a illico annoncé son intention de retrancher ce genre de questions de celles qui sont admissibles dans le procès.  Il a même recommandé à la partie demanderesse de soumettre à la Cour d'appel ce jugement qu'il était sur le point de rendre.

Auparavant, le juge a cependant autorisé un débat.  Ouf.  Le débat s'est tenu durant l'après-midi.

Les avocats des recours collectifs ont été obligé de plaider de nouveau, et avec un court préavis, la nécessité que les interrogatoires servent à révéler non seulement la nocivité des cigarettes, mais le défaut constant de l'industrie de prévenir le public de l'étendue des méfaits de ses produits, voire les  tentatives de l'industrie pour camoufler la vérité et susciter de vaines controverses.

Me Philippe H. Trudel a fait valoir la nécessité pour le tribunal de répondre aux questions formulées par le juge Pierre Jasmin en 2005 dans son jugement autorisant un procès pour les deux recours collectifs.

Les avocats de la partie défenderesse ont eux aussi plaidé sans long préavis, un appui à l'intention du juge. Me Simon Potter en a profité pour dénoncer une fois de plus le caractère, irréaliste à son point de vue, des questions recommandées par le juge Jasmin en 2005.

Entre temps, à la pause du dîner, le témoin Ray Howie, avait été renvoyé chez lui pour le reste de la journée d'hier.

Il est revenu ce matin (mardi) pour la suite de son interrogatoire par les avocats des recours collectifs.

Avant de lui souhaiter la bienvenue, le juge Riordan a déclaré qu'il n'allait pas rendre de décision aujourd'hui sur l'objet du débat de lundi après-midi.  Les questions concernant les méfaits au système cardio-vasculaire seront donc prises sous réserve en attendant.

lundi 24 septembre 2012

59e jour - jeudi 20 septembre - Je portais mon sarrau et j'étais dans le laboratoire...

Pour voir les pièces au dossier de la preuve, suivez les instructions à la fin du message du jour.


Si on compte l'avocat John Meltzer et l'ancien cadre de l'industrie Peter Gage, qui ont témoigné sans venir au palais de justice de Montréal, Ray Howie est le 21e témoin depuis le 12 mars à être entendu par le juge Brian Riordan dans le procès en responsabilité civile contre les trois grands cigarettiers canadiens.

Raymond Howie, qui est chimiste de formation, a commencé à travailler dans l'industrie du tabac en 1967, au Royaume-Uni, et est entré en 1974  chez le cigarettier RJR-Macdonald, à Montréal, comme gérant des services d'analyse (chimique).

La compagnie était alors en pleine constitution d'un département de recherche et de développement de produits (pièce 581 et 582). Le chef du département, Derek Crawford, venait lui-même d'être engagé. Quand M. Howie est devenu directeur du département en 1989 (pièce 589), 30 techniciens et chercheurs y travaillaient (pièces 584 et 584A). Par la suite, le personnel a été réduit.  En 1995, l'effectif n'était plus que de 18 (pièce 591).

En 1998, Ray Howie a été promu à la maison-mère de RJR-Macdonald, RJR International, dont les bureaux et laboratoires sont à Genève (où se trouve encore Japan Tobacco International (JTI)).  M. Howie y a fait le même travail de directeur de la recherche, mais pour plusieurs des pays où R. J. Reynolds possédait des filiales.  Il a pris sa retraite en 2001, à 54 ans.

(Entre temps, après que R. J. Reynolds ait vendu ses filiales étrangères à Japan Tobacco, en 1999, RJR-Mac est devenue JTI-Mac.)

Le témoin Howie a admis qu'il avait passé vingt jours avec les défenseurs de JTI-Mac à préparer son témoignage au présent procès.

Cette admission autorise les procureurs des recours collectifs à procéder avec lui selon les règles du contre-interrogatoire, plutôt que selon les règles de l'interrogatoire, ce qui leur permet d'être plus suggestifs dans les questions, à la limite de mettre le témoin sur la défensive, par exemple quand ce dernier semble changer sa version des faits, ce qui n'est pas arrivé jeudi avec M. Howie.


Améliorer le produit ne signifie pas le rendre plus sain

Interrogé par Me André Lespérane des recours collectifs, le chimiste a précisé la nature des recherches auxquelles il a participé ou qu'il a dirigées : il s'agissait de recherche pour fabriquer un produit plaisant au consommateur et au meilleur coût possible, aucunement de recherches médicales sur les effets du tabac. Le témoin Howie a déclaré que le quartier-général de R. J. Reynolds, à Winston-Salem en Caroline du Nord, avait 400 à 500 personnes qualifiées pour faire cela. (Mais il n'a pas affirmé qu'elles l'ont vraiment fait.)

Ray Howie a raconté qu'à l'époque de son arrivée au Canada, les procédés de fabrication et les produits de RJR-Mac avaient besoin d'être améliorés parce que l'usine perdait trop de matériau brut inutilement, fabriquait des cigarettes inutilement denses, avec des filtres trop courts, ces derniers imposant aux fumeurs de gaspiller du tabac pour ne pas se brûler les lèvres.

Une autre des missions du département de recherche et de développement de RJR-Mac était de trouver des moyens de réduire la teneur en goudron des cigarettes, ce qui semblait la meilleure façon de réduire l'ingestion par le fumeur de substances cancérogènes. Le chimiste Howie s'est montré fier d'avoir avec son équipe contribué, en une quinzaine d'années, à réduire de moitié la teneur en goudron (telle que mesurée par les machines à fumer) des cigarettes de sa compagnie, laquelle compagnie accusait en cette matière un retard sur la concurrence. Au-delà, les chercheurs savaient qu'il était possible d'éliminer de la fumée plusieurs substances très nocives, mais il fut décidé de ne pas passer aux actes par crainte d'aboutir sur le marché avec une cigarette insipide et invendable. (Voir les pièces 585586587588).

Réduire le goudron en autant que cela n'enlève pas trop de saveur, et accroître l' « impact » en nicotine de chaque cigarette : tel était l'un des objectifs clairs des recherches menées chez RJR-Macdonald.

Ray Howie a raconté que l'un des collègues, John Hood, a fait l'expérience d'ajouter de l'ammoniac au mélange de tabac afin de relever l'alcalinité (synonyme : relever le pH) de la fumée. M. Howie a souligné que la combustion du tabac séché selon la méthode virginienne produit une fumée très acide (pH très bas).  Avec une fumée moins acide, une plus grande part de la nicotine présente se présentait sous la forme de « nicotine libre », laquelle est plus facilement absorbée par l'organisme. (pièce 585) (John Hood est attendu comme témoin en octobre.)

Rendre la fumée des cigarettes plus facile à inhaler était un objectif parallèle.  Avec moins de substances irritantes dans la fumée, les produits seraient plus acceptables pour les fumeurs, qui en redemanderaient.


Mettre en garde contre les méfaits sanitaires : pas de mes affaires


M. Howie a reconnu sans détour que la fumée de tabac contient environ 4000 composés chimiques dont plusieurs toxiques et entre 30 et 50 qui sont cancérogènes.

Me Lespérance : Vous souvenez-vous de ce que la compagnie avait comme position relative aux méfaits sanitaires du tabac ?
Raymond Howie : Je ne me souviens pas.
Me Lespérance : Est-ce que la compagnie reconnaissait que le tabac cause des maladies ?
Ray Howie : Je ne sais pas.
Me Lespérance : Vous étiez le chef du département de la recherche à partir de 1989 ?
Ray Howie: Oui.
Me Lespérance : À ce titre, vous ne pouvez pas renseigner la Cour sur ce qu'était la position de RJR-Macdonald sur la question de savoir si le tabac causait la maladie ?
Ray Howie : Je peux vous donner ma position mais je ne peux pas vous donner celle de la compagnie.
Juge Brian Riordan : Vous ne savez même pas si la compagnie avait une position ?
Ray Howie : C'est exact.

Plusieurs documents examinés lors de l'interrogatoire de jeudi ont montré que le prédécesseur du témoin comme chef de la recherche, feu Derek Crawford, était impliqué dans des discussions sur les méfaits du tabagisme (pièces 212A, 212B593, 594, 595, 596, 597)

Quant Ray Howie, il n'a pas participé à ces discussions et travaux. « Je portais mon sarrau et j'étais dans le laboratoire », a-t-il répété à Me Lespérance.


Quand le chimiste devenait soudain chatouilleux

L'interrogatoire a permis de constater que le chef de la recherche a parfois été appelé à sortir de sa réserve.  En 1998, le gouvernement de la Colombie-Britannique a distribué l'affiche ci-dessous au sujet des toxines contenues dans la fumée.

Affiche d'une campagne du gouvernement de la Colombie-Britannique en 1998

Ray Howie a travaillé sur une réponse de l'industrie à la campagne du gouvernement de Victoria (pièce 599)

Me Lespérance : Pourquoi aviez-vous besoin de fournir une réponse ?
Ray Howie : Elles (les autorités sanitaires provinciales) avaient des panneaux d'affichage dispersés en Colombie-Britannique qui montraient par exemple la (présence de) formaldéhyde, etc. (...) À mes yeux, c'était biaisé. Le niveau réel de benzopyrène ou de formaldéhyde et des autres substances souvent mentionnées comme causes de maladies ...est si minime (dans la fumée de tabac) que cela ne nuit à personne.
Me Lespérance : Avez-vous nié que la fumée de tabac était nocive?
Ray Howie : Ce n'était pas l'enjeu. Elles concentraient ces annonces sur des substances particulières contenues dans la fumée de tabac et nous traitions de leurs commentaires, nous les rectifiions.

Le témoignage de M. Howie avait auparavant montré qu'il comprenait très bien la différence entre la chimie analytique et la toxicologie (qui est une spécialité médicale).  Au point de refuser, comme d'autres témoins avant lui, de conclure à une relation de causalité entre le tabagisme et la maladie, même quand cette causalité est proclamée par les autorités médicales de plusieurs pays.

Le témoignage de Ray Howie se poursuit aujourd'hui et demain (mardi).


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vendredi 21 septembre 2012

57e et 58e jours - Compléments sur le témoignage de Michel Poirier

Le jeudi 20 septembre, le chimiste Raymond Howie, retraité de JTI-Macdonald, est comparu devant la Cour supérieure du Québec au procès des trois grands cigarettiers canadiens.  Son témoignage sera rapporté dans la prochaine édition de ce blogue, qui sera en ligne lundi matin.

Pour le moment, il nous faut examiner quelques éléments additionnels du témoignage de Michel Poirier, grand patron de JTI-Macdonald depuis 2000, qui est comparu au palais de justice mardi et mercredi. 


RJR-Macdonald n'a jamais admis que la nicotine rend dépendant

En mars 1998, quand M. Poirier est entré, à titre de vice-président aux ventes, au service de l'entreprise qu'il dirige maintenant, celle-ci s'appelait RJR-Macdonald.

(RJR ou R. J. Reynolds est l'entreprise de Caroline du Nord, et numéro 2 du marché américain, qui a pris le contrôle de Macdonald Tobacco au Canada de 1974 et l'a conservé jusqu'en 1999.)

Mardi, Michel Poirier a déclaré qu'à son arrivée chez RJR-Macdonald, l'entreprise reconnaissait déjà la propriété toxicomanogène du tabac. (Toxicomanogène est la traduction suggérée pour « addictive » par le Grand dictionnaire terminologique de l'Office de la langue française.)

Le procureur des recours collectifs Philippe H. Trudel venait de mettre sous les yeux du témoin un document de l'industrie, qui n'a finalement pas été versé comme pièce au dossier de la preuve mais a servi à rafraîchir la mémoire du témoin.

Dans ce document, M. Poirier a pu lire ce passage: « Il n'y a pas plus de consensus scientifique sur la définition (de la dépendance) que sur le degré d'utilisation qui constitue une dépendance, ni sur ce qu'est la dépendance » (traduction de l'auteur du présent blogue, à partir de la transcription officielle).

Me Trudel : « En 2001, est-ce que c'était la position de RJR-Macdonald ?
Me Pratte :  De JTI-Macdonald !
Me Trudel :  JTI-Macdonald, pardon.
Michel Poirier : Non.  Certainement qu'autour de 2001, c'était convenu... Tout le monde comprenait quelle définition était utilisée et nous étions d'accord que le tabac crée une dépendance.
Me Trudel : Quand votre compagnie a-t-elle pour la première fois reconnu que ses produits créaient une dépendance ?
Michel Poirier: C'aurait été avant mon temps. Je penserais que c'est quelque part au milieu des années 1990, peut-être vers la fin des années 1990, mais certainement avant mon temps.

Mercredi, l'associé de Me Trudel, Me Bruce W. Johnston est revenu à la charge.
Me Johnston : « Quand vous avez commencé (chez RJR-Macdonald) en 1998, vous acceptiez que la nicotine créait la dépendance ?
Michel Poirier : En 1998, oui.»

Me Johnston a fait verser comme pièce au dossier de la preuve un recueil de positions (Public Affairs Manual, pièce 569) préparé en 1996 pour les filiales de R. J. Reynolds à l'extérieur des États-Unis (RJR International).

M. Poirier a admis que ce document de 118 pages, qu'il avait reçu en octobre 1998 en même temps que d'autres cadres de RJR-Macdonald, contenait les positions de la compagnie, comme le laissait d'ailleurs entendre le mémorandum d'accompagnement. (pièce 569 A)

La position de RJR-Macdonald en octobre 1998
semble être celle de RJR en avril 1994.

Or, concernant la position des filiales de RJR sur la dépendance, le document reproduisait au complet et sans le moindre bémol le témoignage, devant une commission parlementaire à Washington en avril 1994, de James Johnston, le président du conseil d'administration et chef de la direction de R. J. Reynolds à l'époque. C'est très exactement lors de cette commission du Congrès que les grands patrons des principaux cigarettiers aux États-Unis, y compris le patron de RJR, déclarèrent, sous serment, le 14 avril 1994, qu'ils croyaient que la nicotine ne crée pas de dépendance (vidéo de 59 secondes sur YouTube).

Ils affirmaient cela six ans après que le directeur national de la santé publique (Surgeon General) du pays, le Dr C. Everett Koop, ait affirmé, dans son célèbre rapport de mai 1988, que « les cigarettes sont des dispositifs hautement efficaces d'administration de nicotine et sont aussi addictives que des drogues telles que l'héroïne ou la cocaïne. »

En plusieurs occasions, Michel Poirier a fait état d'une façon différente de définir la dépendance aux États-Unis et au Canada. Or, une quinzaine de mois séparent la parution du rapport de 1988 du Surgeon General (fichier long à télécharger) et celle du rapport de la Société royale du Canada (pièce 212) en août 1989.


Pertinence des mises en garde sanitaires

En matinée de jeudi, Me Trudel a utilisé une déclaration sous serment faite en 2000 (pièce 575) par Michel Poirier pour savoir si la compagnie de ce dernier jugeait que la mise en garde Santé Canada considère que le danger pour la santé croît avec l'usage, que l'industrie a apposé volontairement sur les paquets à partir de 1972, « était un geste suffisant pour informer les fumeurs des dangers du tabagisme ».

Michel Poirier a répondu qu'il fallait se mettre dans le contexte de l'époque et que « le sous-ministre de la Santé, qui était en discussion avec l'industrie à ce sujet, pensait que ce serait idiot de mettre des mises en garde sanitaires sur les paquets, parce que tout le monde savait...»

Me Maurice Régnier, qui représente le gouvernement fédéral canadien dans le procès des cigarettiers, qui tentent de lui faire porter le blâme pour leurs agissements, a dénoncé « le ouï-dire de la part du témoin ». Le juge Riordan a suggéré à M. Poirier de répondre au nom de sa compagnie plutôt qu'au nom du gouvernement.  Le témoin a alors fini par dire qu'il ne savait pas.


Les mots lourds de sens du marketing

M. Poirier a affirmé, plus d'une fois, qu'aux yeux des fumeurs, selon les études de l'industrie, les mots léger (light), doux (mild) et velouté (smooth) avaient pratiquement la même signification. Ils indiquent une saveur moins forte.

(En novembre 2006, le Bureau de la politique de concurrence, qui relève du gouvernement d'Ottawa, a annoncé qu'il était parvenu à une entente avec les cigarettiers pour qu'ils cessent, comme leur avait demandé le ministre fédéral de la Santé Allan Rock plusieurs années plus tôt, d'utiliser les descripteurs « léger » et « doux » pour parler de produits du tabac. À l'époque, les groupes de lutte contre le tabagisme ont vite perçu que l'abandon des deux descripteurs était une manœuvre.)

Parlant des termes « léger » et « doux ».
Me Trudel : Avez-vous cessé d'utiliser ces descripteurs parce qu'ils pouvaient désinformer le public ?
Michel Poirier : Nous avons retiré les descripteurs parce qu'il y avait beaucoup de pression sur nous, et potentiellement une poursuite judiciaire là-dessus par le Bureau de la politique de concurrence.

Un peu plus tard.
Me Trudel : Pourquoi n'avez-vous pas cessé d'utiliser le descriptif velouté (smooth) ?
Michel Poirier : ...parce que nous avions besoin de nous assurer que les consommateurs reconnaissaient le produit autant que possible, celui auquel il avait été habitué (...)

Vers la fin de l'après-midi, face à Me Johnston, Michel Poirier a affirmé que l'entente avec le Bureau de la politique de concurrence (pièce 40016) (le retrait des mots « léger » et « doux »), n'était aucunement une admission d'un tort.
Michel Poirier : Donc, me demandez-vous si léger, doux et velouté sont la même chose ?  Oui. Parce qu'il y avait aucun mauvaise action au départ.

M. Poirier a aussi prétendu que l'industrie n'avait pas de preuve que des consommateurs associaient « léger » et « doux » avec « plus sûr pour la santé ». Me Régnier, l'avocat du gouvernement, lui en a montré une que Santé Canada a déjà envoyé à l'industrie.

* *
Non entendu devant le tribunal de Brian Riordan, mais resté en mémoire de notre camarade blogueuse Cynthia Callard : depuis septembre 2011, la réglementation fédérale canadienne bannit les mots « léger » et « doux ».

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jeudi 20 septembre 2012

58e jour - 19 septembre - Seulement pour prendre la clientèle des concurrents ?

Michel Poirier, le chef de la direction du cigarettier JTI-Macdonald depuis 2000, a poursuivi et terminé hier (mercredi) son témoignage devant le tribunal présidé par l'honorable Brian Riordan.

La publicité évoquant un style de vie

Comme mardi, il a été notamment question de la publicité que JTI-Macdonald faisait au 20e siècle et encore au début du 21e siècle, particulièrement sous le prétexte de la commandite d'événements, pratique des commandites qui est désormais interdite à l'industrie depuis l'entrée en vigueur de certaines dispositions des législations fédérale et québécoise sur le tabac.

Mardi, la discussion portait déjà sur la clientèle ciblée par ce genre de pratiques. Hier, le procureur Philippe Trudel des recours collectifs a fait verser au dossier de la preuve un échantillon de matériel promotionnel de la marque Export A. (pièces 573 et 573a)

Annonce d'Export A, pièce 573A
Me Guy Pratte, qui assure la défense de JTI-Macdonald, a dit que l'annonce concernait un événement en Ontario et laissé entendre qu'elle n'avait pas nécessairement été placardée au Québec. (La poursuite actuelle a été lancée au nom de fumeurs résidant au Québec.)



Photos inconnues du tribunal
prises au Québec en 1997 et 2003
(Denis Côté, revue Info-tabac)

Me Trudel est parvenu à faire admettre au témoin Michel Poirier que certains jeunes pouvaient s'intéresser aux courses de motocyclettes et qu'il y a « une possibilité » que ce genre d'annonces titillent les jeunes.
(voir aussi la pièce 573 D4)


Un Canada distinct

Hier tout comme mardi, Michel Poirier a prétendu que la publicité ne servait pas à recruter de nouveaux fumeurs mais à fidéliser ses clients et ravir ceux de la concurrence. Les cadres d'Imperial Tobacco chantaient le même refrain au tribunal le printemps dernier.

Michel Poirier a prétendu, comme il l'avait déjà fait (pièce 576), que la taxation et la publicité n'avaient pas d'influence sur le volume du marché pour l'industrie du tabac au Canada. Waou !

Sans prétendre que le Canada est un « marché émergent », le témoin a maintenu sa thèse, même après que Me Trudel lui ait mis sous le nez le rapport annuel de Japan Tobacco du printemps 2012 qui dit que les sur les marchés mûrs, le volume des ventes de l'industrie décline principalement à cause des changements démographiques, des hausses de taxes, des interdictions de fumer et de la réglementation de plus en plus contraignante sur la promotion et la publicité. (pièce 577 dernier paragraphe de la page 51 (page 53 du fichier PDF) ). 

Les interdictions de fumer (en divers endroits) entraînent cependant une baisse de volume des ventes de l'industrie, selon M. Poirier.


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mercredi 19 septembre 2012

57e jour - 18 septembre - JTI-Macdonald en défense

Mardi, un nouveau témoin est comparu au procès des trois grands cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec.

Il s'agit de Michel Poirier, président depuis 2005 de la région des Amériques chez Japan Tobacco International, en plus d'être depuis 2000 président et chef de la direction de la filiale canadienne du groupe, JTI-Macdonald. M. Poirier est entré en 1998 au service de cette compagnie, quand elle était possédée et contrôlée par R. J. Reynolds et s'appelait RJR-Macdonald.

(R. J. Reynolds, le numéro 2 du tabac sur le marché américain, a vendu en 1999 à Japan Tobacco de Tokyo ses filiales hors des États-Unis, incluant Macdonald Tobacco, dont le siège social est situé à Toronto. JTI-Macdonald produit notamment les marques de cigarettes Export A et Macdonald Spéciale, bien connues des fumeurs québécois. La compagnie opère une usine de cigarettes et son service juridique interne à Montréal.)

Michel Poirier
 (photo visible à www.jti.com)


Avant de s'occuper des ventes de tabac, Michel Poirier, qui est âgé de 54 ans, a fait son chemin dans le monde de ces grandes entreprises si apparemment inoffensives, que l'on connaît surtout par leurs marques : Alberto Culver (Alberto VO5, Noxzema, etc), Procter & Gamble (Crest, Tide, Pampers, Clairol, Braun, etc), Johnson & Johnson (Listerine, Band-Aid, Tylenol, Nicorette, etc) et Revlon. Côté scolarité, M. Poirier a notamment fait des études collégiales en sciences au Collège Brébeuf, au pied du mont Royal.

Depuis les débuts du procès des compagnies de tabac en mars, le tribunal a surtout accueilli des retraités comme témoins.

Quand un haut dirigeant en exercice est de passage au palais de justice, comme pour Marie Polet d'Imperial Tobacco Canada en juin, on se demande si le pouvoir du grand capital a un parfum particulier, un parfum plus subtil que celui des détergents, mais peut-être plus enivrant.

Pour l'occasion, la grande presse s'était amenée, y compris avec ses appareils photographiques et une caméra, devant la porte de la salle d'audience 17.09. Il était aussi moins facile que d'habitude pour les blogueurs de se délasser les jambes dans les corridors lors des pauses, sans tomber sur des conciliabules d'avocats et de cadres ou sur des gardes du corps méfiants. D'ordinaire, le public est clairsemé dans la salle d'audience, au-delà des deux blogueurs du SIPT et de la toute menue et très discrète observatrice d'un cabinet juridique qui représente des compagnies d'assurance-vie.

Contrairement aux travaux de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction, présidée par la juge France Charbonneau, ceux du tribunal présidé par le juge Brian Riordan ne sont pas filmés. Le public peut cependant y assister sans invitation. Cette semaine, comme durant les deux prochaines semaines, le tribunal siègera chaque jour du lundi au jeudi, à partir de 9h30, dans la grande salle du 17e étage du palais de justice de Montréal.

Relève de la garde et interrogatoire

Au cours des prochaines semaines, les avocats des recours collectifs vont surtout faire comparaître des personnes qui vont témoigner des agissements de JTI-Macdonald, puis de Rothmans, Benson & Hedges.

Deux des avocats d'Imperial Tobacco Canada ont donc cédé leur siège près de la barre des témoins à une partie de l'équipe de défense de JTI-Macdonald, soient Me Guy Pratte et Me François Grondin.

Ce bref jeu de chaises musicales n'a pas empêché l'interrogatoire de Michel Poirier par Me Philippe Trudel et les interventions des défenseurs des compagnies, qui sont tous bilingues à l'exception de deux avocats d'Imperial Tobacco, de se dérouler en anglais, cette fois-ci à la demande du témoin.

On a vu Me Pratte demander lui-même l'exclusion du témoin de la salle durant quelques minutes, avant de justifier une de ses objections. Depuis mars, Me Deborah Glendinning n'a jamais fait aux procureurs des recours collectifs cette grâce, ce qui lui a valu de se faire parfois reprocher par Me Trudel ou Me Johnston de pratiquement souffler des réponses commodes au témoin.

Il est vrai que Michel Poirier n'a pas besoin d'aide. Il a répondu aux questions avec une remarquable apparence d'assurance et de modestie. Il a aussi donné l'impression d'être un fin lecteur des études de Santé Canada. Au surplus, il ne saurait pas vous définir ce qu'est la dépendance, mais il n'a pas manqué de rappeler que la définition a évolué au fil des décennies, et il s'abstient de recourir aux comparaisons fantaisistes d'un Jean-Louis Mercier ou d'un Michel Descôteaux.

Me Trudel a commencé par examiner avec le témoin les positions actuelles de sa compagnie sur différents sujets, notamment en vue de mesurer ultérieurement, surtout avec d'autres témoins, les changements survenus chez Macdonald Tobacco depuis 1950. Il a été notamment question du tabagisme et de la santé (pièce 564 et pièce 565), d'une réduction des méfaits (pièce 560), du code d'honneur de la compagnie et de son personnel (pièce 561 et pièce 566), des indications de la teneur en goudron et en nicotine sur les paquets (pièce 562), et de la dépendance (pièce 567 et pièce 568). Il a été aussi question du phénomène de la compensation avec les cigarettes « légères » et des campagnes de marketing visant les jeunes.

M. Poirier a expliqué que dans l'empire de Japan Tobacco, les recherches sur le développement de nouveaux produits relèvent de JTI, dont le siège social est à Genève, alors que la recherche sur les effets sanitaires du tabac se fait surtout au Japon. Le but de la recherche est de pouvoir un jour offrir aux consommateurs un produit « plus sûr » qu'ils vont accepter et même demander. Le témoin a parlé de « saint graal », que d'autres appelleraient la quadrature du cercle.

Nous reviendrons dans notre prochaine édition sur d'autres aspects du témoignage de Michel Poirier, dont la comparution continue aujourd'hui.

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mardi 18 septembre 2012

56e jour - 17 septembre - Roger Ackman s'intéressait de près aux rapports scientifiques avant qu'ils soient détruits

À la mi-mai, lors de la comparution de Carol Bizzarro, une cadre intermédiaire d'Imperial Tobacco (ITCL) , le procureur des recours collectifs André Lespérance avait examiné avec elle plusieurs listes de numéros de référence de documents dont la bibliothèque de l'entreprise se défaisait au début des années 1990, et qui devaient être expédiés au cabinet juridique Ogilvy Renault de Montréal, où ils allaient être détruits (ce qu'ont confirmé les pièces 58, 59, 59A et 99 au dossier), ou expédiés à la maison-mère d'ITCL, British American Tobacco, en Angleterre.

(Il s'agissait notamment, comme le tribunal le sait depuis le début d'avril, d'une centaine de rapports de recherche scientifique qui montrent l'étendue des connaissances que la compagnie avait sur les méfaits des produits du tabac.)

Sur ces long bordereaux de numéros de référence se trouvaient, à plusieurs endroits, dans une colonne faisant état de l'avancement du tri et de l'expédition, la mention « R. A. has » ou les initiales « R. A. ».

En mai, Me Lespérance avait soumis à Mme Bizzarro l'hypothèse que ces initiales signifie « Roger Ackman », lequel était à ce moment membre du comité de direction d'ITCL et son conseiller juridique interne en chef.  En mai, la témoin Bizzarro avait refusé de confirmer et émis l'hypothèse alternative que cela puisse signifier « Rita Ayoun », une de ses subordonnées qui était alors la bibliothécaire principale de l'entreprise.

Aujourd'hui, Rita Ayoung (Elle a épelé son nom lors de son assermentation.) était à la barre des témoins.

Me Lespérance a recommencé avec cette dernière le fastidieux mais éclairant exercice de recoupement des bordereaux de documents expurgés de la bibliothèque (voir les pièces 319 A B C D E F G H I J K).

Mme Ayoung a dit clairement plusieurs fois que « R. A. » signifiait Roger Ackman. « R. A. has » signifie : Roger Ackman a en sa possession.

Le 2 avril dernier, le procureur des recours collectifs Gordon Kugler avait interrogé Roger Ackman.

Cela avait donné cet échange (traduction de l'auteur du présent blogue, à partir de la retranscription officielle du 2 avril) :

Me Kugler- En tant que membre du comité de direction, vous aviez un accès libre à tous les documents de recherche sélectionnés pour être détruits, n'est-ce pas ?
Roger Ackman- Je ne crois pas, monsieur, que j'aie jamais lu un document de recherche.
Q- Je suis pas mal certain que vous ne l'avez pas fait, mais ma question est : aviez-vous le droit de regarder ces documents, en tant que membre du comité de direction d'Imperial Tobacco?
R- Je devine que j'avais le droit, oui.
Q- Vous étiez au courant qu'ils étaient des documents de recherche sensibles, n'est-ce pas ?
R- C'était des papiers de recherche. Je ne participais pas à l'étude des questions abordées.
Q- Étiez-vous au courant que c'était des documents de recherche qui concernaient les risques sanitaires du tabagisme ?
R- Je ne peux pas être si précis, monsieur.  Je ne sais pas cela.
Q- Alors si un de ces documents sélectionnés pour être détruits était une recherche sur les souris montrant que fumer cause le cancer, êtes-vous en train de dire à la Cour que vous n'auriez pas su que c'était un document de recherche voué à la destruction ?
R- Je...
Interruption. Objection de l'avocate d'Imperial sur le caractère hypothétique de la question.  Objection rejetée par le juge Riordan.
Me Kugler - Allez-y.
Roger Ackman - Je n'ai jamais lu les documents, monsieur.

Résultat de l'interrogatoire d'hier : on sait maintenant que pendant un bout de temps, Ackman a eu en sa possession, par exemple, un rapport sur la présence de coumarin dans le tabac à pipe. Me Suzanne Côté, avocate d'Imperial, a tenu à le souligner à la Cour : coumarin dans le tabac à pipe, pas dans les cigarettes.

N'empêche que ce rapport est passé à la déchiqueteuse après avoir été en possession de M. Ackman.

La bibliothécaire Rita Ayoung

Rita Ayoung, qui est maintenant à la retraite, est diplômée en chimie et en mathématiques.  Elle est entrée chez Imperial en 1973 et y est restée jusqu'en 2000, date où le poste qu'elle occupait a été coupé.  (L'année 2000 en fut une de restructuration dans les filiales de BAT.)  Durant sa carrière chez Imperial, Mme Ayoung a complété sa formation du côté de la bibliotechnique.

Entre décembre 1989 et décembre 1993, alors que Mme Ayoung était la bibliothécaire principale durant tout ce temps, la bibliothèque d'Imperial a été purgée de milliers de copies de divers documents.

Quand Me Lespérance a voulu savoir si de tels événements sont normaux dans la vie d'une bibliothécaire, la témoin Ayoung a professé son ignorance ou eu des réponses évasives.

Mme Ayoung a déclaré que la (désormais célèbre) politique de rétention/destruction de documents appliquée chez ITCL à partir de 1989 a rendu « extatique » (sic) le personnel de la bibliothèque. Cette politique préconisait de détruire la plupart des rapports de recherche de plus de 5 ans d'âge.

Me Bruce Johnston des recours collectifs lui a demandé comment concilier cette vue avec l'objectif de bien servir les usagers réguliers qu'étaient les chercheurs de la compagnie. Il appert que le vice-président à la recherche et au développement, le patron des chercheurs, Patrick Dunn, n'aimait pas devoir demander constamment des télécopies à BAT en Angleterre (pièce 102). Mme Ayoung a même dû s'informer auprès de BAT à Londres sur la façon de satisfaire M. Dunn à Montréal. (pièce 559).

De cela, Mme Ayoung n'a plus de souvenir.

En revanche, la mémoire visuelle de Mme Ayoung est sûre. Au premier coup d’œil sur des documents, elle a  reconnu ses annotations manuscrites et a pu distinguer celles de ses collaboratrices.

Avant l'application de la
politique de rétention/destruction,
75 % des rapports de recherche
empruntés à la bibliothèque étaient
âgés de plus de 5 ans.
À l'encontre de la déclaration de Rita Ayoung à l'effet les « vieux » documents élagués n'avaient pas beaucoup de valeur, Me Lespérance a fait verser au dossier de la preuve deux calculs effectués par Mme Ayoung elle-même qui montrent que les vieux rapports de recherche étaient très souvent empruntés par les chercheurs d'Imperial Tobacco (pièce 556) et constituait le gros de la collection de rapports de la bibliothèque (pièce 556A).

Une demi-journée d'interrogatoire n'a pas suffi à Me Lespérance puis à Me Johnston.  Mme Ayoung a gagné une invitation à revenir devant le tribunal à une date à déterminer.

Aujourd'hui (mardi), la Cour entend le début du témoignage d'un ancien président de JTI-Macdonald, Michel Poirier.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

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lundi 10 septembre 2012

55e jour - vendredi 7 septembre - Quand l'industrie discutait de science

Cette semaine, le tribunal ne siège pas.  Tout le monde au procès des cigarettiers canadiens sera de retour au 17e étage du palais de justice de Montréal le lundi 17 septembre prochain. On fera alors enfin comparaître Rita Ayoun, qui travaillait à la bibliothèque d'Imperial à Montréal quand plusieurs documents en furent extraits pour être expédiés en Angleterre ou détruits, au début des années 1990.

Puis, durant le reste de la semaine, comparaîtront messieurs Poirier et Howie, dont le témoignage concerne le comportement de JTI-Macdonald ou de RJR-Macdonald.

Adieu monsieur Gage

Vendredi dernier, le témoignage de Peter Gage a pris fin.  L'ancien cadre de Macdonald, puis d'Imperial, puis du CTMC, était interrogé à Victoria, en Colombie-Britannique, et l'interrogatoire était retransmis en direct au palais de justice de Montréal. Jeudi, il avait comparu vêtu d'un veston bleu marine arborant les armoiries du corps des sous-mariniers de la Royal Navy.  Vendredi, il était de retour avec un veston civil et les bretelles jaunes citron de mardi, qui ont cette fois inspiré une remarque taquine de la part du juge Riordan.

D'ordinaire, les témoins font face au juge et le public de la salle d'audition ne voit guère leur expression faciale.  Avec le visage et le tronc du témoin sur des grands écrans, le public voit ce que le juge voit.

Encore plus, si c'est possible, que lors des deux journées précédentes, M. Gage a témoigné d'un certain état d'esprit dans l'industrie : l'ignorance volontaire. Plusieurs fois, Peter Gage a répété qu'il s'occupait de la production des cigarettes et que cela l'avait maintenu très occupé.

À un moment donné, le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a mis sous les yeux du témoin le procès-verbal d'une réunion en 1975 à Imperial Tobacco, qui portait spécifiquement sur les questions de santé relatives à l'usage du tabac, et à laquelle M. Gage participait.

Il y avait régulièrement des réunions sur ce sujet et Me Johnston a demandé si le témoin Gage s'en souvenait.

Il ne s'en souvenait pas. Mais pas parce que cela fait 37 ans.  Après tout, le témoin avait des souvenirs très clairs d'événements survenus dans les années 1950.  Voici plutôt la raison: « Ce n'était pas ma responsabilité.  Je coupais le contact » (It was not my responsability.  I put the switch off.), dans ce genre de réunions.  Le tout a été dit d'un ton neutre qui n'avait l'air ni d'une justification, ni d'un regret.

Il serait exagéré de dire que le témoin a trahi à un moment ou à un autre une émotion qu'on pourrait croire inspirée par un remords, mais il y a eu quelques moments, comme celui-là, où le nonagénaire Gage, autrement presque aussi à l'aise et gaillard avec Me Johnston qu'avec Me Mitchell, se tenait le front sur le bras droit.

Les avocats Johnston, pour les recours collectifs, et Mitchell, pour la défense de JTI-Macdonald, ont profité de la comparution de M. Gage pour faire verser comme pièces au dossier de la preuve quelques documents, non sans que cela donne parfois lieu à des objections de la partie adverse quant à la pertinence de tel ou tel document. Mais on a déjà vu plus orageux. Le juge Riordan a affublé certains documents d'un R, ce qui veut dire qu'il réserve son jugement et qu'ils ne seront peut-être jamais admis en preuve, donc rendus publics. 

Le représentant du gouvernement fédéral canadien, Me Maurice Régnier, n'a pas contre-interrogé le témoin, même si la relecture du témoignage de mardi laisse l'impression générale que la défense faisait comparaître Peter Gage moins pour contrer la preuve des recours collectifs que pour incriminer le gouvernement d'Ottawa, par des allusions à des missions à l'étranger de promotion des exportations canadiennes de cigarettes.

Toutefois, quand Me Simon Potter a témoigné de ce que son père recevait des cigarettes gratuites du gouvernement canadien durant son passage dans la marine lors de la guerre de 1939-45 et a voulu faire témoigner l'ancien combattant Gage de l'existence d'avantages similaires du côté de la Grande-Bretagne, Me Régnier est intervenu pour signaler que tout cela était hors de la période couverte par la réclamation des victimes du tabac aux cigarettiers, laquelle s'étend de 1950 à 1998. 

Au secours de la recherche

Dans la matinée de vendredi, comme dans celle de jeudi, Me Gabrielle Gagné, pour le compte des recours collectifs, a fait verser dans le dossier de la preuve au procès une série de documents qui présentent de l'intérêt mais dont le tribunal ne pourra jamais entendre l'auteur, le destinataire, ou une personne dont les propos ou les actes seraient rapportés dans le document.

Dans le lot, il y avait une déclaration faite à la Conférence canadienne sur le tabac et la santé de novembre 1963 par John Keith, président d'Imperial Tobacco Company of Canada Limited (ITCL) et par Léo Laporte, vice-président chargé de la recherche et de la mise au point chez ITCL. (pièce 551 C) À la trentaine de pages de texte de ces deux allocutions à la conférence (organisée par le ministère fédéral de la Santé) était annexée une soixantaine de pages de « points de vue scientifiques » allant dans le même sens, soit d'attribuer la hausse de la prévalence du cancer à un meilleur dépistage, de montrer que la relation de causalité entre l'usage du tabac et le cancer du poumon ou les maladies cardio-vasculaires était incertaine, et de faire douter de tout.

Tout cela dit et écrit au nom d'un comité spécial des quatre grand cigarettiers canadiens, en anglais et en français.

Dans un mémoire d'une quarantaine de pages présenté en mai 1963 à l'Association médicale canadienne (pièce 549), Imperial, toujours au nom des quatre grands cigarettiers, s'inquiétait des conséquences pour la recherche médicale sur le cancer du poumon d'une future possible conviction du public que la cause de ce cancer est toute trouvée.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
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3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

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