vendredi 23 mars 2012

8e jour – 22 mars – Destruction de documents, dites-vous ?


Dans la requête introductive d’instance déposée en septembre 2005, les demandeurs des recours collectifs en Cour supérieure du Québec contre les cigarettiers canadiens ont annoncé qu’ils ne leur reprochaient pas seulement d’avoir vendu des produits nocifs pour la santé et qui engendrent (chez des préadolescents) une dépendance de souvent plusieurs décennies. 
Les requérants ont aussi annoncé leur intention de montrer que les grandes compagnies de tabac savaient tout cela depuis longtemps et ont fait défaut de prévenir adéquatement le public, ont fait disparaître des preuves qu’elles possédaient (souvent avant tout le monde) des propriétés et des méfaits de leurs produits, ont alimenté de fausses controverses et ont répandu des mythes, par exemple autour de l’utilité sanitaire de cigarettes à faible teneur en goudron ou en nicotine. 

De tout cela découle une réclamation de dédommagements non seulement compensatoires, mais punitifs.  Selon les requérants, les compagnies n’ont pas seulement été maladroites ou négligentes, comme bien d’autres personnes physiques et morales l’ont été ou le sont parfois.
Les défenseurs de l’industrie ne peuvent donc pas s’étonner et doivent évidemment s’être préparés à un procès où les demandeurs allaient vouloir parler des connaissances scientifiques que les opérateurs de l’industrie avaient, et des rapports d’études scientifiques détruits.

L’instruction sur la destruction de documents a commencé mercredi après-midi et occupé l’essentiel du temps du tribunal hier.
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Dans le présent procès, l’avocat québécois Simon Potter défend les intérêts de Rothmans, Benson and Hedges (RBH). 

En septembre 1998, l’Association pour les droits des non-fumeurs (ADNF) a révélé à la presse canadienne qu’en 1992, Me Potter, qui conseillait et représentait alors Imperial Tobacco, avait télécopié à la maison-mère British American Tobacco (BAT) et à un cabinet juridique à Londres, ainsi qu’à Brown and Williamson à Louisville au Kentucky, un avis de la destruction à Montréal d’une soixantaine de documents, conformément à la politique de la compagnie canadienne.
Des journalistes du Globe and Mail, du Toronto Star et de l’agence Presse Canadienne rapportèrent la nouvelle dans leur quotidien respectif et dans Le Devoir.  Garfield Mahood et Eric Le Gresley, respectivement directeur exécutif et avocat  conseil de l’ADNF, y prétendaient que certaines études détruites montraient un lien entre l’inhalation de fumée de tabac par des souris et l’apparition chez elles de lésions cancéreuses.  Autrement dit, c’était exactement le genre d’études de laboratoire qu’Imperial Tobacco préféraient aux études épidémiologiques,  selon le témoignage répété et appuyé du directeur des relations publiques Michel Descôteaux, au fil des deux dernières semaines.

Dans l’édition du 10 novembre 2009 du Canadian Medical Association Journal , le public intéressé a déjà pu lire un article où David Hammond, Michael Chaiton, Alex Lee et Neil Collishaw lèvent le voile sur le contenu scientifique d’une partie des documents dont Imperial Tobacco a souhaité ne plus conserver la moindre copie au Canada.  (article dans le CMAJ)
Tout l’enjeu fondamental demeure toutefois de pouvoir produire ces documents devant la Cour supérieure du Québec afin de faire une preuve judiciaire.

Devant le tribunal hier, l’avocat Bruce Johnston a produit les télécopies de Me Potter datées de juin et de juillet 1992 (pconvic58), après les avoir fait authentifier par leur auteur.  Le passage de Me Potter à la barre des témoins s’est cependant arrêté là.  Le texte des deux télécopies tient en un paragraphe suivi d’une liste de codes alphanumériques associés à autant de documents détruits.
Les télécopies de Me Potter semblent indiquer que la compagnie canadienne voulait en 1992 garder ouverte la possibilité de demander en cas de besoin, à la maison-mère de Londres ou à la compagnie-sœur de Louisville, des copies des documents détruits.

Pourtant, au 22e jour de mars 2012, non seulement la partie défenderesse n’a pas encore livré ces documents utiles à la preuve, mais elle a transmis aux demandeurs plusieurs listes différentes, contenant parfois jusqu’à 100 documents, de sorte que c’est un problème de préciser les demandes.
Hier, la tension était forte dans la salle 17.09 du palais de justice de Montréal, et le patient sourire du juge Riordan ou une humoristique remarque de Me Potter adressée à ses confrères de la défense n’ont pas suffi à détendre l’atmosphère.

À la reprise des débats devant la Cour le 2 avril, Me Deborah Glendinning devra avoir trouvé comment expliquer au juge Riordan que la défense d’Imperial Tobacco est allée jusqu’à ne pas fournir à la partie demanderesse le communiqué de presse du 18 septembre 1998 où le responsable des relations publiques d’ITCL, Michel Descôteaux répliquait aux allégations de l’ADNF.  Michel Descôteaux a tout de même pu témoigner hier qu’il n’avait jamais eu vent d’une destruction de documents avant que l’ADNF fasse une sortie publique sur l’affaire.
Me Bruce Johnston et Me André Lespérance ont exprimé leur regret que la stratégie de défense des compagnies de tabac force la partie demanderesse à utiliser de plus en plus des procédés qui consomment inutilement beaucoup de temps, ce dont les procureurs d’ITCL, de JTI-Mac et de RBH se plaignent déjà régulièrement.

En fin de journée, le juge a fait une allusion à l’enfermement dans un sous-marin et à la nécessité d’une atmosphère plus sereine.

Rôle du CTMC et désinvolture

Le témoignage de Michel Descôteaux s’est tout de même poursuivi et terminé, et fait ressortir des points intéressants sur d’autres sujets que la destruction de rapports de recherche scientifique.

Plusieurs pièces ont tout de même été versées dans le dossier de la preuve, dont une lettre de janvier 1989 au patron du Conseil canadien des manufacturiers de produits du tabac (CTMC) dans laquelle un haut cadre de RBH se plaint de la place prise par l’organisme commun aux trois grands cigarettiers canadiens, notamment au sujet de la taxation.  Michel Descôteaux a aussi écrit sur le même sujet, pour préconiser au contraire un renforcement des missions du CTMC.
Me Johnston a aussi obligé Michel Descôteaux à se pencher sur un rapport confidentiel fraîchement sorti du département du marketing d’ITCL qui lui a été envoyé en février 1992.  On y trouve des statistiques montrant la baisse, inquiétante pour l’industrie, de l’« incidence» (sic) du tabagisme dans la population.  Le procureur des plaignants a voulu savoir si les raisons d’une telle tendance avaient été discutées dans l’entreprise.  Le directeur des relations publiques ne s’en souvient pas.  D’ailleurs, il a prétendu que cela ne l’intéressait pas vraiment.

À la fin du témoignage de Michel Descôteaux, qui aura duré sept jours au lieu de trois, le juge Riordan a présenté des sortes d’excuses au témoin pour le temps qu’il avait dû passer au tribunal.  Mais par souci de ne pas faire porter le blâme uniquement par les avocats des deux parties, les uns avec leurs questions, les autres avec leurs objections, le juge a enveloppé dans une taquinerie sur le métier de relationniste un blâme très net à Michel Descôteaux pour sa façon de répondre.
L'ancien grand manitou des affaires publiques chez Imperial peut retourner à sa retraite floridienne, mais ne devra pas s’étonner si le tribunal lui demande de revenir.

« Pas nécessaire de m'envoyer un subpoena, commente le grand amateur d'échecs qu'est Michel Descôteaux.  Un coup de fil suffira

jeudi 22 mars 2012

7e jour - 21 mars - Du contenu des cigarettes (un avant-goût)


Même si l’industrie du tabac au Canada s’est très souvent plainte d’être très réglementée, les fumeurs les plus curieux sont loin de savoir ce qu’ils fument avec une précision égale à ce que les consommateurs canadiens de beurre d’arachide peuvent savoir en lisant l’étiquette du pot.  (L’auteur de ce blogue emprunte la comparaison avec le beurre d’arachide au témoin entendu au procès de Montréal depuis le 13 mars, Michel Descôteaux.  La comparaison a été reprise hier par le procureur Bruce Johnston.)
Il y a belle lurette que les feuilles de tabac séchées et hachées fin ont cessé d’aboutir aux lèvres des fumeurs, ou dans leur bouche ou leur nez, sans que certaines substances soient ajoutées pour garder au « mélange » un certain degré d’humidité, pour le préserver contre un pourrissement ou une fermentation précoce, et pour l’aromatiser, subtilement ou ostensiblement.  Tout cela sans parler du papier des cigarettes et des filtres.

Au Canada, en 1985, les cigarettiers ont été obligés par la loi de reconnaître que des humectants, des préservatifs, des aromates et d’autres additifs sont utilisés à plus ou moins fortes doses dans la fabrication des produits qu’ils offrent.  Ils considèrent toutefois comme un secret commercial la composition précise des cigarettes.

Lorsque le chimiste américain Jeffrey Wigand a voulu, au milieu des années 1990, pouvoir dire en public, et a dit, que des cigarettiers ajoutent des petites quantités de coumarin à certains mélanges, son employeur, Brown and Williamson de Louisville au Kentucky, une filiale de British American Tobacco (BAT), ne l’a pas accusé de proférer un mensonge, même si le coumarin est surtout connu du public en tant qu’ingrédient du poison à rat.  Ce que les avocats du tabac ont reproché à Wigand, c’est de violer son engagement de garder secret la composition précise des cigarettes.

Le coumarin et les cigarettiers canadiens
La 7e journée du procès de Montréal s’est ouverte par un débat entre avocats pendant que le témoin poireautait dans le corridor.  Finalement, Michel Descôteaux a été rappelé à la barre des témoins.

Le 2 mai 1985, Michel Descôteaux, le responsable des relations publiques d’Imperial Tobacco au Canada, transmettait à Jean-Louis Mercier, le président du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), une note accompagnée de la version datée du 1er mai d’une série de questions possibles et de réponses suggérées concernant les additifs contenus dans les produits du tabac vendus au Canada.
L’avocat des recours collectifs Bruce Johnston s’est efforcé mercredi de faire parler l’ancien relationniste des questions et réponses dans ce document, et surtout de celles contenues dans une version préliminaire du document, datée du 29 avril, une version marquée par de multiples annotations manuscrites, dont Michel Descôteaux a reconnu être l’auteur.

En plusieurs endroits de la version du 29 avril, le chef des relations publiques se proposait de remplacer les mots Imperial Tobacco par Your company, et il a fini par admettre devant le tribunal que cette modification et d’autres visaient à rendre les questions-réponses utilisables par l’ensemble des cigarettiers.  La version du 1er mai montre que les révisions envisagées par Descôteaux y ont été incorporées.
Le brouillon du 29 avril prévoyait aussi d’aborder la question de la présence de certains additifs particuliers dans les produits du tabac au Canada, dont par exemple la gomme laque, le macis, la térébenthine et le coumarin.  Une brève description rassurante des additifs donnés en exemple devait suivre. 

Michel Descôteaux se proposait de biffer la mention du coumarin et de fournir la description de seulement trois substances.  La description rassurante de la gomme laque, du macis et de la térébenthine se retrouve effectivement dans la version du 2 mai, et pas celle du coumarin.  Sauf que le nom de la chose maudite est resté mentionné dans la question, avec les trois autres substances.
L’ancien chef des relations publiques d’Imperial a reconnu qu’il n’était pas logique de nommer quatre substances et d’en décrire trois.   « Si vous aviez révisé le texte final, vous auriez retiré la mention du coumarin ? », a demandé Me Johnston à Michel Descôteaux.  Le témoin a fini par dire qu’il n’avait pas d’explication à donner, ce qui a été souvent sa façon des derniers jours de ne répondre ni oui ni non.

Concernant le coumarin, la version du 29 avril lue et annotée par Descôteaux contenait une question-réponse renvoyant les curieux à un Institut du tabac (Tobacco Institute, dans le texte).  Ce paragraphe était disparu de la version du 1er mai.  Pourtant, le responsable des relations publiques d’ITCL a déclaré la semaine dernière de ne pas connaître l’existence du Tobacco Institute.
Ce n’était pas la dernière fois que le chef des relations publiques d’ITCL se montrait précautionneux à propos des additifs et en matière de divulgation de renseignement par les filiales de l’empire BAT.

Le 22 novembre 1995, Michel Descôteaux a signé un communiqué de presse d’Imperial Tobacco à propos d’une émission de télévision de la chaîne américaine CBS où le chimiste Jeffrey Wigand est interviewé par le journaliste Mike Wallace.  À ce moment, l’émission n’avait pas encore été diffusée, parce que CBS avait peur d’être poursuivi par Brown and Williamson,  mais son contenu a filtré dans des journaux américains.  Le communiqué dit qu’Imperial n’utilise le coumarin que dans les cigares, en petites quantités.
Le 5 février 1996, le lendemain de la diffusion de l’interview de l’ancien vice-président à la recherche de Brown and Williamson, Jeffrey Wigand, à l’antenne de CBS, le chef des relations publiques d’Imperial Tobacco à Montréal a livré à la haute direction un bref argumentaire questions-réponses à propos du coumarin au Canada et de la sécurité personnelle de Wigand.

Souci des échos

Quand le procureur des requérants a voulu interroger Michel Descôteaux concernant les propos qu’il a tenus à un journaliste et qui furent rapportés dans Le Devoir du 16 septembre 1998, le témoin a dit qu’il ne se rappelait plus de l’interview et les procureurs des cigarettiers se sont opposés à l'interrogatoire. 

Théoriquement, les parties n’ont qu’une seule personne à convaincre de la justesse de leurs vues : le juge.  Pourtant, comme l’a souligné Me Johnston plus tôt cette semaine, les procès au Canada ne se tiennent pas à huis clos, et les deux parties sont évidemment soucieuses de ce que pourrait penser le grand public.  Le problème fondamental est que les procureurs des compagnies de tabac semblent vouloir filtrer au maximum ce qui sortira du procès, alors que la partie demanderesse est heureuse de faire sortir autant de renseignements que possible.  Tout cela en respectant les lois.
L’interrogatoire de Michel Descôteaux se termine aujourd’hui.

mercredi 21 mars 2012

6e jour - mardi 20 mars - De neige et de contrebande

Il n’est pas toujours facile au quidam de distinguer ce qui est un comportement tactique des avocats et ce qui vient d’une indignation peut-être théâtrale mais fondée devant la possibilité que des jours de studieuse préparation puissent être ruinés par le versement ou non d’un document dans le dossier de la preuve.  Depuis le début du procès des cigarettiers, le juge Riordan a établi quelques règles à ce sujet, mais elles ne sont pas claires du premier coup pour tous les juristes, et il n’a peut-être pas fini d’en clarifier certaines.

Par ailleurs, plusieurs documents amenés devant la Cour par les procureurs des requérants, documents qui proviennent du stock fourni par les défenderesses, sont l’objet d’une réserve, à la suite d’objections des procureurs de la défense.  Au fil des prochains jours, semaines ou mois, selon la pertinence de chaque document dans le débat, le juge décidera s’il autorise leur inclusion comme pièces dans le dossier de la preuve. 

À la toute fin de la journée, et en guise de conclusion provisoire du match, mais avec le sourire, le juge a parlé de « la neige qu’on va pelleter devant nous ».  De la neige que ne feront pas fondre les températures estivales qui frappent le Québec ces jours-ci.
Veiller sur la taxation

Parmi les documents versés au dossier et désormais publics, il s’en trouve tout de même certains révélateurs d’un état d’esprit, que Me Johnston a examinés avec le témoin Michel Descôteaux ancien directeur des relations publiques d’Imperial Tobacco Canada Limited (ITCL). 

Ainsi, dans un document d’une dizaine de pages daté du 7 août 1995, adressé à un nouveau cadre, Mike Courtney, et préparé avec la collaboration de deux collègues, M. Descôteaux a écrit que la mission qu’ITCL se donne consiste à accroître sa part de marché, sans exclure de se mêler de ce qui pourrait faire s’accroître le marché dans son ensemble.  Descôteaux donnait comme exemples la politique de taxation du gouvernement, qui peut avoir ou non une influence sur la taille du marché, et les interdictions de fumer (en certains lieux), qui peuvent affecter le nombre de cigarettes fumées quotidiennement par un fumeur. 
L’ancien chef des relations publiques d’ITCL a aussi écrit à M. Courtney que « notre meilleure recherche montre que l’incidence de la taxation est marginale, au mieux » (traduction libre), sans préciser si cette démonstration est valide en général ou seulement dans la période qui a suivi immédiatement la baisse radicale de taxe survenue au Canada en février 1994.

Dans un mémorandum adressé au patron du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), Jean-Louis Mercier, le 22 octobre 1987, M. Descôteaux avait cependant une tout autre appréciation des choses, s’inquiétant d’un projet d’argumentaire du CTMC où se trouverait contredit « notre argument bien connu et souvent répété que la taxation est le plus important facteur pris isolément à influencer la consommation » (traduction libre).

Dans un autre mémoire à Mercier, expédié le 17 mai 1991, Michel Descôteaux lui soumettait une ébauche de communiqué et un argumentaire questions-réponses en vue du lancement prochain d’un mouvement de protestation des fumeurs contre les taxes sur le tabac. 
Dans les papiers d’ITCL, il est question du « Boston Tea Party II », une allusion à ce moment symbolique de la Révolution américaine, en 1773, où des colons américains ont détruit des cargaisons de thé dans le port de Boston assujetties à une taxe que le Parlement de Londres avait imposée. 

L’opération de 1991 de l’industrie cigarettière qu’évoquait Michel Descôteaux a consisté à imprimer sur les paquets de cigarettes une sorte de formulaire de protestation de fumeurs contre les taxes sur le tabac.   Comme le carton était adressé au premier ministre fédéral, il a été expédié gratuitement par la Société canadienne des postes.  Lors de son interrogatoire par Me Johnston, l’ancien directeur des relations publiques d’ITCL a eu, pendant une seconde, du mal à dissimuler sa fierté devant la réussite de l’opération, affirmant que le premier ministre Chrétien avait reçu des millions (« zillions !» ) de cartons.
À chaque fois que le procureur des recours collectifs a mentionné le mot contrebande ou a paru s’approcher du sujet dans l’interrogatoire, les avocats des cigarettiers ont protesté avec vigueur, comme si leurs clients n’avaient pas déjà reconnu, lors d’ententes à l’amiable avec les pouvoirs publics en 2008 et 2011, leur coupable implication dans l’alimentation de la contrebande au début des années 1990.

Me Johnston a insisté pour dire qu’il est important de montrer que la contrebande a été utilisée comme argument anti-taxe dans le cadre d’une stratégie concertée des trois compagnies.
Prévenir les accusations

L’interrogatoire de Michel Descôteaux par Me Johnston a aussi porté sur le brouillon d’un Plan de relations publiques relatif aux litiges en responsabilité civile, daté de décembre 1988  et dont M. Descôteaux n’est pas l’auteur mais qu’il avait agrémenté de ses notes manuscrites. 

L’ancien directeur des relations publiques d’ITCL a déclaré ne pas se souvenir dudit plan, qu’il croit avoir été possiblement rédigé par un consultant.  Cependant, dans des documents internes postérieurs, en 1994 et 1995, Michel Descôteaux lui-même mentionne que les procès de fabricants en responsabilité civile sont un défi de premier ordre pour les relationnistes de la compagnie.

mardi 20 mars 2012

5e jour - 19 mars - Contradictions et incohérences émergentes


Au printemps dernier, Me Michel Bélanger, de l’un des cabinets juridiques (Lauzon Bélanger Lespérance) qui pilotent depuis 1998 les recours collectifs des victimes des pratiques de l’industrie du tabac, racontait à l’auteur de ce blogue qu’en demandant des documents internes aux cigarettiers, il fallait tenter d’être précis et rester prudent, de peur d’en recevoir trop et d’être noyé.  La tactique du raz de marée a souvent été utilisée par l’industrie du tabac aux États-Unis.

Le vendredi 9 mars, soit moins trois jours avant le début du procès, les procureurs des requérants au procès des cigarettiers ont reçu 2800 documents en provenance de la défense, une masse de documents dont il a fallu faire l’analyse depuis lors, afin d’y trouver les éléments de preuve que les demandeurs espéraient originalement y trouver, … ou d’autres perles. 

Hier, en ouverture de la deuxième semaine, Me Bruce Johnston (du cabinet Trudel et Johnston, cabinet également associé à la cause depuis 1998) a déclaré que plusieurs de ces documents allaient nécessiter le prolongement de l’interrogatoire de Michel Descôteaux.  Le rôle-clef de M. Descôteaux dans les relations publiques et affaire publiques d’ITCL s’étire sur une trentaine d’années (grosso modo de 1972 à 2002).

Le poids de l'avis des médecins

La semaine dernière, Michel Descôteaux avait dit que sa compagnie ne donnait pas d’avis médical au grand public, faute de crédibilité auprès des masses selon lui, mais qu’à une personne en particulier qui était troublée par le conseil de son médecin d’arrêter de fumer et qui demandait à Imperial Tobacco un avis, la compagnie suggérait d’écouter le conseil du médecin.

Me Bruce Johnston a voulu savoir pourquoi la compagnie n’avait pas donné un avis similaire dans le cas d’Alcan en 1980, soulevé la semaine dernière.  (Imperial Tobacco a pris la peine d’aller contrecarrer l’initiative antitabagique du service médical et du service des ressources humaines de la compagnie d’aluminium au Lac St-Jean.)  L’ancien patron des relations publiques d’ITCL a dit qu’il ne savait pas ce qu’il pouvait répondre à cela.

Me Johnston a voulu savoir de Michel Descôteaux qui, aux yeux d’Imperial, jouissait de crédibilité en matière de santé.

La Société canadienne du cancer ?  Réponse : oui.  Le Surgeon General des États-Unis ?  Oui.  L’Organisation mondiale de la santé ?  Oui.  Le gouvernement, du moins Santé Canada ?  Oui.

Or, la position commune de ces organismes, c’est que le tabac cause des maladies, position endossée par l’unanimité des juges de la Cour suprême dans un arrêt du 21 septembre 1995 (voir l'article 31 du jugement).

Aux yeux de l’ancien chef des relations publiques d’ITCL, ces organismes sont crédibles lorsqu’ils parlent des effets du tabagisme mais pas quand ils préconisent, par exemple, de bannir la publicité des produits du tabac ou d’utiliser les taxes comme dissuasif.

Tactiques

L’interrogatoire de Michel Descôteaux par Me Johnston a été fréquemment interrompu par les procureurs des cigarettiers.  Me Johnston s’est demandé si ce n’était pas une manière de transmettre des directives au témoin sur sa façon de répondre.  Pour sa part, Me Deborah Glendinning, avocate d’ITCL, trouve que Me Johnston déforme les faits lors de ses questions.

Il y a eu à la Cour des discussions sur l’inclusion ou non parmi les pièces en preuve de documents sur lesquels le procureur des demandeurs n’a posé au témoin que des questions d’authentification, comme par exemple cet enregistrement d’une entrevue radiophonique d’un ancien président d’Imperial, Paul Paré.

Décision d'adulte ?

En octobre 1987,  Descôteaux a écrit à Bill Neville, alors le spécialiste des relations d’ITCL avec le gouvernement, concernant la préparation d’auditions sur le projet de loi C-204.  Descôteaux suggérait des questions que les porte-parole de la compagnie pourraient se faire poser, notamment une qui pourrait se référer à Eagle Star, une compagnie d’assurance-vie possédée par BAT qui offre des rabais sur les primes aux non fumeurs.  M. Descôteaux a dit à Me Johnston qu’il ne savait pas lui-même quelle réponse il fallait apporter à ces possibles questions.

Il n’a pas souvenance du nombre d’années d’espérance de vie que le tabagisme soustrait à une personne.

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Me Johnston, parmi les nombreuses questions qu’il a posées à l’ancien directeur des relations publiques d’ITCL, a demandé si l’opération Carte d’identité visait à encourager la consommation des jeunes.  Pas à ma connaissance, a répondu Michel Descôteaux.

M. Descôteaux a aussi mentionné une position classique de l’industrie, qui prétend que la décision de fumer est une décision d’adulte.  Plus tard, il a dit que pour sa compagnie, adulte signifiait 16 ans et plus.

Si c’est une décision d’adulte, pourquoi était-ce contre la politique d’ITCL en 1988 de ne pas encourager les adultes à fumer ?, a demandé Me Johnston.  Michel Descôteaux a répondu qu’il ne le sait pas.  Il suppose que c’est à cause des risques pour la santé. 

L'interrogatoire de Michel Descôteaux se poursuit aujourd'hui.

vendredi 16 mars 2012

4e jour - 15 mars - Quand les relations publiques se mêlent de science

Dans son jugement du 21 février 2005 autorisant les recours collectifs contre les cigarettiers et prévoyant la tenue d’un seul procès, le juge Pierre Jasmin avait identifié huit questions auxquelles le procès qui s’est ouvert lundi dernier devrait permettre de répondre. 

L’une des questions se lit comme suit : les défenderesses ont-elles banalisé ou nié ces risques et ces dangers [les risques et dangers associés à la consommation de leurs produits] ?

Au terme d’une première semaine de travail à la Cour supérieure, dont un troisième jour d’interrogatoire, il est sûrement encore trop tôt pour juger définitivement et sans nuance de la conduite de chacune des trois défenderesses. 

En novembre 1980, après avoir appris qu’Alcan, fabricant mondial d’aluminium et employeur prestigieux, venait de lancer dans certains de ses établissements un programme conçu par son service médical au Lac St-Jean pour favoriser le renoncement au tabac chez les travailleurs, Michel Descôteaux a rencontré le responsable des relations publiques d’Alcan, Jacques Gagnon.

Dans un aide-mémoire destiné à des cadres d'ITC, Descôteaux décrit ainsi sa démarche :


En décembre, Descôteaux écrit à des cadres de Benson and Hedges, de Rothmans, de Macdonald et du Conseil des manufacturiers de tabac du Canada, pour leur rendre compte de l'ensemble des démarches d'ITCL auprès d'Alcan. (Le président d'ITCL a aussi écrit au président d'Alcan sur le même sujet.)

Tel que promis, le directeur des relations publiques d'ITCL envoie aussi au chef des relations publiques d'Alcan « la documentation établissant les bases scientifiques sur lesquelles se fondent les différents points de [son] argumentation

Or, Michel Descôteaux a plusieurs fois déclaré durant les derniers jours au procès se fier en matière scientifique à l'avis de Robert Gibb, le vice-président à la recherche et au développement d'ITC et un scientifique de formation.  M. Gibb, comme en témoigne un autre document interne d'ITC, estime que la crédibilité des scientifiques qui mettent en doute la validité de l'épidémiologie n'est pas élevée.  Pourtant, la documentation que Descôteaux d'ITC envoie à Gagnon d'Alcan repose essentiellement sur ce genre d'argumentation.

Alors que les dirigeants des compagnies de cigarettes prétendent qu'ils manquaient encore de preuve du caractère nocif de leurs produits en 1980, le public était censé, selon eux, déjà savoir.  La connaissance des méfaits du tabac était généralisée dans le public, a d'ailleurs prétendu Michel Descôteaux.

Les procureurs des recours collectifs ont aussi produit au tribunal un document qui montre que cette connaissance n'était pas si répandue, et que les cigarettiers le savaient très bien, grâce à un sondage qu'ils avaient fait réaliser.

En 1980, selon ce sondage, il n'y avait que 73% des fumeurs qui pensaient que la cigarette est dangereuse pour tout le monde.  6 % des fumeurs la croyaient même sans danger pour la santé. 

Lorsque le procureur Johnston a voulu savoir comment l'expert des relations publiques d'ITC conciliait les dires de l'industrie, sur le fait que tout le monde était au courant des méfaits du tabac, et les données de l'industrie sur les croyances des consommateurs, Michel Descôteaux a dit qu'il faudrait demandé aux experts en sondages du département de marketing, puis dit qu'il ne pouvait donner aucune réponse.












jeudi 15 mars 2012

3e jour - 14 mars - La liberté des fumeurs comme souci de l'industrie


Mercredi 14 mars, lors du troisième jour du procès en recours collectif des cigarettiers canadiens, Me Bruce Johnston a continué l’interrogatoire d'un ancien directeur des relations publiques d’Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, afin de connaître certains faits entourant le projet en 1981 de publication par la maison-mère d’ITCL, la multinationale British American Tobacco (BAT), d’une brochure destinée au personnel des compagnies du groupe intitulée « Smoking and Health » (le tabagisme et la santé).
Michel Descôteaux s’est révélé du genre d’homme à écrire que 99 % des fumeurs ne sont pas touchés par le cancer du poumon plutôt qu’à dire que 1 % le sont.  Ses commentaires de l’époque allaient cependant bien au-delà de la reformulation cosmétique.

Alors que la brochure envisagée par BAT envisageait de préparer le personnel des compagnies du groupe à prétendre que la généralisation des bouts-filtres au début des années 1960 et le perçage de trous de ventilation au milieu des années 1970 étaient à l’origine d’une baisse de l’incidence de certaines maladies associées au tabagisme qui aurait été observée à partir de 1968, le relationniste d’Imperial n’a pu s’empêcher de voir dans cet argument un aveu incompatible (inconsistent) avec le déni des méfaits qui était encore le discours officiel de base du groupe BAT.

Comme la veille, les procureurs des recours collectifs ont déposé plusieurs autres documents comme autant de pièces au dossier de la preuve.  Chacun de ces documents a paru en format PDF sur les huit écrans électroniques de la grande salle d’audience du 17e étage du palais de justice de Montréal.  Quelques minutes après avoir été produits en Cour, on peut les consulter sur un site en ligne ( https://tobacco.asp.visard.ca ) (Une fois sur le site, il faut cliquer sur le bouton Guest en tant qu'invité.)

Ces pièces au dossier proviennent de la masse de documents que la partie défenderesse a fourni à la partie demanderesse avant le procès.  Les documents en question viendront enrichir la masse encore plus considérable de documents internes que les multinationales du tabac ont dû rendre publics depuis 1998 à la suite de décisions judiciaires aux États-Unis ou d’ententes à l’amiable.

Une façade commode

On y trouve notamment une note interne de M. Descôteaux, datée d’avril 1988, où celui-ci fait valoir tout l’intérêt qu’il y a pour ITC d’augmenter l’aide financière à la (maintenant défunte) Smokers’ Freedom Society (SFS), un organisme soi-disant intéressé par la « liberté » des fumeurs.  Dans une lettre adressée par le président du Conseil canadien des manufacturiers de produits du tabac à des cadres des compagnies membres, et notamment à M. Descôteaux, on trouve le même genre de plaidoyer assorti d’une estimation du coût (900 000 $) pour l’année 1991 (environ 1,3 million de dollars de 2012).

Sans les ressources de l’industrie, la SFS n’aurait pas survécu, par son incapacité de recruter assez de membres, a reconnu Michel Descôteaux.  Une lettre de décembre 1989 de la SFS au ministre fédéral de la Santé de l’époque, Perrin Beatty, montre bien comment un groupe de ce genre, apparemment indépendant de l’industrie, peut servir à financer l’éclosion de controverses mal inspirées, concernant par exemple le caractère toxicomanogène du tabac, en lieu et place de cigarettiers qui n’ont, selon M. Descôteaux, aucune crédibilité scientifique aux yeux du public.

Bien que l’ancien relationniste principal d’ITC ait répété qu’il ne lit pas d’études scientifiques parce qu’il croit ne pas pouvoir les comprendre, ses écrits passés trahissent la claire perception qu’il a eu des défis lancés à l’industrie par la science, et sa propension à contester le discours scientifique, particulièrement quand il ne vient pas de bienveillants collègues dans l’industrie.

Aux questions de Me Johnston devant le tribunal, le témoin Descôteaux fait des réponses qui tournent parfois en confessions divertissantes, sur son intérêt pour les courses de chevaux ou le golf, son passage du cigare à la pipe au milieu des années 1960, son renoncement ultérieur au tabac parce qu’il «fumait trop », sa tendance aux excès, etc.

Dépendance, liberté et métaphores

Encore en 2012, Michel Descôteaux ne croit pas que l’usage du tabac crée une dépendance puisque plusieurs personnes réussissent à arrêter de fumer et qu’il en est un exemple.  La définition d’addiction a souvent changé, fait-il aussi remarquer, reprenant un refrain de l’industrie.  La dépendance est dans l’individu, s’entête à dire l’ancien relationniste d’ITC.  D’ailleurs, la dépendance pathologique au jeu n’est pas dans un produit comme la dépendance à l’alcool, et c’est pareil pour le tabac.

Mais ne peut-on pas guérir d’une dépendance au jeu, a demandé Me Johnston ?  Après plusieurs secondes de réflexion, le témoin a fini par laisser piteusement tomber le sujet.

Lors de l’interrogatoire d’hier, l’ancien relationniste d’ITC a recouru à des métaphores hardies, comme lorsqu’il a comparé la demande pour des cigarettes soi-disant légères à la demande pour une sorte particulière de beurre de pinottes, ou comme quand il a affirmé que l’obligation pour les fumeurs d’aller fumer dehors même quand il fait froid était « comme un pistolet braqué sur la tempe ».

Mais le pistolet n’est-il pas « l’envie de fumer », a enchaîné Me Johnston ?  Oups.  Le témoin est resté silencieux durant plusieurs interminables secondes, visiblement embêté, de nouveau.

Les procureurs des compagnies de tabac supportent avec de plus en plus difficulté l’interrogatoire.  Ils multiplient les objections.

Après deux jours de témoignage, Michel Descôteaux n’a peut-être plus aucune amitié ou estime à se ménager chez les actuels ou anciens cadres de l’industrie ou chez leurs défenseurs.  Pourtant, au lieu de se « mettre à table » et de vider son sac comme de nombreux repentis dans l’Histoire, qui étaient soucieux de ce qu’ils allaient laisser comme souvenir, cet homme intelligent semble s’acharner à jouer avec le procureur des victimes du tabac des petites parties d’échecs où il ne peut pas faire mieux qu’un match nul.

En conséquence, l'interrogatoire ne se terminera pas aujourd'hui, comme l'espérait les avocats des recours collecifs.

mercredi 14 mars 2012

2e jour - 13 mars - Premier interrogatoire et changement d'atmosphère


Me Bruce Johnston, pour le compte des recours collectifs, a commencé hier l’interrogatoire de M. Michel Descôteaux, qui fut à l’emploi d’Imperial Tobacco Canada Limitée de 1965 à 2002, et notamment directeur des relations publiques de la compagnie, de 1972 à 2000.  Pendant son passage aux affaires publiques d’ITC, M. Descôteaux était aussi actif pour le compte de la compagnie au sein de l’Association canadienne des fabricants de produits du tabac, la voix par excellence de l’industrie cigarettière au pays.

L’interrogatoire d’hier s’est déroulé en anglais, à la demande du témoin.

Les questions de l’avocat visaient notamment à savoir ce qu’un porte-parole corporatif de haut niveau comme M. Descôteaux savait à l’époque des maladies causées par l’usage de la cigarette.  L’interrogatoire visait aussi à connaître ce que percevait M. Descôteaux du degré d’indépendance d’ITCL vis-à-vis de la multinationale qui contrôle la compagnie canadienne depuis 1970, British American Tobacco (BAT). 

Par ses réponses, M. Descôteaux a donné de lui-même l’image d’un relationniste très courtois mais extrêmement dépourvu de curiosité et capable d’oublier les affaires les plus controversées.

Les méfaits du tabac

En 1969, devant une commission parlementaire à Ottawa, la commission Isabelle, ITCL avait prétendu qu’il n’y avait pas de preuve que le tabagisme causait des maladies chez les humains.  En 2000, lors d’une autre commission parlementaire à Ottawa, plus précisément devant le Sénat, la  compagnie reconnaissait que le tabac pouvait rendre malade certaines personnes.  M. Descôteaux a déclaré hier qu’il était d’accord et à l’aise avec la position qu’avait la compagnie à son arrivée et qu’il l’était encore avec la position de 2000, mais ne se souvenait pas du moment où il a pu commencer à changer d’idée, ni d’aucun événement au sein de l’entreprise qui aurait fait « évoluer » le point de vue officiel, ni d’avoir lu de recherches scientifiques sur les méfaits du tabac.

À plus d’une reprise, M. Descôteaux a déclaré qu’il n’était pas scientifique et qu’il ne lisait pas d’études scientifiques parce que présumant ne rien pouvoir y comprendre.  Il a aussi déclaré qu’il valait mieux se fier aux avis des médecins qu’aux siens, lorsqu’il s’agit, par exemple, de la conduite à adopter par les fumeuses enceintes.

Néanmoins, dans une note adressée en février 1981 à M. Robert Gibb, le responsable de la recherche et du développement chez ITCL à l’époque et un scientifique de formation, M. Descôteaux a écrit, en anglais, qu’il serait étonné (amazed) que BAT soit d’accord avec l’avis des docteurs (doctors) concernant les femmes enceintes, et « que [les docteurs] devraient formuler leur paragraphe différemment, suivant les lignes suivantes : “Néanmoins, en l’absence de réponses définitives à la question, plusieurs médecins recommandent à leurs patientes enceintes de modifier leurs habitudes tabagiques ….“  (l’auteur du blogue souligne)

Dans une note adressée à son supérieur Jean-Louis Mercier en juillet 1979, M. Descôteaux a préconisé une campagne proactive à propos du tabagisme et des questions de santé à mener avec les employés de la compagnie, en usine et dans l’équipe de vente.  Le relationniste soulignait aussi que l’accord de BAT devrait cependant précéder l’impression des dépliants envisagés pour cette campagne.

L’interrogatoire de M. Descôteaux se poursuit aujourd’hui et jeudi.

Mais déjà, l’atmosphère a changé entre lundi et mardi.  Lundi, ni le juge ni aucun juriste ne portait de toge dans la salle d’audience.  Avec l’arrivée d’un premier témoin, le juge a requis le port de la toge.  Et un lent tournoi de joueurs d’échecs a commencé entre le procureur et le témoin, ce qui n’est pas de nature à attirer autant de monde.  Et de fait, toutes les personnes présentes ont pu trouver une place assise.






mardi 13 mars 2012

1er jour - 12 mars - Les parties affichent leurs couleurs

En guise d’entrée en matière, évoquant ces guerres dont on sait quand elles commencent mais dont on ignore quand et comment elles finiront, le juge Brian Riordan s’est, avec une bienveillante ironie, montré hier heureux que commence enfin un procès dont on allait bientôt finir par croire ne jamais voir le début, et qu’il souhaite d’évidence présider jusqu’au bout.

Il faut dire que le procès qui a commencé hier en Cour supérieure du Québec oppose deux collectifs de présumées victimes des pratiques de l’industrie du tabac aux trois gros cigarettiers canadiens que sont Imperial Tobacco Canada (ITCL), Rothmans Benson and Hedges (RBH) et JTI-Macdonald (JTI-Mac), filiales respectives des géants British American Tobacco, Philip Morris International et Japan Tobacco International.

Il faut dire que la requête introductive d’instance pour le procès des deux recours collectifs jumelés, celui du Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) et de M. Jean-Yves Blais, et celui de Mme Cécilia Létourneau, avait été déposée en septembre 2005.

Par-dessus le marché, le procès met aussi en cause le gouvernement fédéral canadien, que certaines compagnies tiennent encore responsable des agissements qui leur sont reprochés par les deux collectifs de victimes, et qu’elles ont « appelé en garantie » … pour payer les pots cassés si elles perdent.

Cela fait du monde à la messe.  Et des milliards de dollars sont en cause.

*
Le premier jour d’un procès devant un tribunal canadien présente certains points de ressemblance avec le début d’une session parlementaire. 

Dans nos parlements, à l’occasion d’un discours inaugural ou discours du Trône, le gouvernement annonce ses intentions de politiques et son programme législatif, ce que commentent les partis d’opposition.  La presse réserve ses grands titres à l’événement.

Hier, dans le corridor du 17e étage du palais de justice de Montréal, la presse a braqué ses microphones et ses caméras sur le directeur général du CQTS, ainsi que sur les membres des recours collectifs et sur des analystes qu’elle pouvait attraper, de même que sur les procureurs des cigarettiers poursuivis en justice. 

Tout de suite après et pendant ce temps, six avocats ont successivement pris la parole devant le tribunal et indiqué la direction générale qu’ils entendent suivre au cours des prochains mois.

La salle d’audience, où peuvent s’assoir une centaine de personnes était pleine.  Il y avait des experts d’organismes voués à la santé publique, des victimes du tabac, des cadres de l’industrie, des stagiaires en droit, des journalistes, et de simples curieux.

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Les deux avocats des recours collectifs, Bruce Johnston, du cabinet Trudel et Johnston, et André Lespérance, du cabinet Lauzon Bélanger Lespérance, ont réclamé que soit punie une industrie « qui estime qu’elle est au-dessus des lois ».  La partie demanderesse prétend avoir dans ses cartons 296 documents accablants qui prouvent le cynisme constant de l’industrie du tabac, laquelle n’a jamais admis volontairement que ses produits comportaient un risque pour la santé et pratique systématiquement un double discours.

Les avocats de la partie défenderesse, Suzanne Côté pour ITCL, Guy Pratte pour JTI-Mac et Simon Potter pour RBH, ont de leur côté prétendu que pour condamner leurs clientes, le tribunal ne pourra pas se contenter de répondre aux questions qu’a envisagées le juge Pierre Jasmin dans son jugement de février 2005 qui a autorisé les recours collectifs.   Dans la logique de la défense, les compagnies de tabac ne peuvent pas être tenues responsables de ce que des gens se mettent encore à fumer de nos jours puisque l’industrie se conforme à la réglementation qu’on lui impose et que les gens sont libres de leurs choix.  Par ailleurs, la prévalence du tabagisme continue de baisser.

Maurice Régnier, le procureur du gouvernement fédéral, a expliqué que ce dernier ne peut pas être tenu responsable des agissements passés ou présents des compagnies de tabac.  La Cour suprême du Canada a d’ailleurs mis le gouvernement fédéral hors de cause en juillet dernier.  Le gouvernement d’Ottawa ne conçoit pas, ne fabrique pas et ne vend pas de feuilles de tabac ou de produits du tabac.  Il n’a jamais donné de consigne aux cigarettiers sur la composition du mélange contenu dans les cigarettes, composition qui est au contraire un secret bien gardé par chacun des fabricants, a fait valoir Me Regnier.

Les paragraphes précédents ne donnent qu'un médiocre aperçu des savantes et par moment brillantes plaidoiries livrées à la Cour par les six avocats, mais nous aurons l'occasion de revenir sur plusieurs détails au cours des prochaines semaines.
Chose certaine, le juge Riordan ne risque pas de manquer de lectures et de stimulations intellectuelles.

jeudi 8 mars 2012

Un premier procès des pratiques de l'industrie cigarettière au Canada

L'année 2012 sera une grosse année judiciaire au Québec.

Le lundi 12 mars prochain, au palais de justice de Montréal, commence un procès qui va durer plusieurs mois. Des victimes au Québec des pratiques de l'industrie du tabac se sont organisées en recours collectifs pour réclamer aux trois grands cigarettiers du marché canadien un dédommagement compensatoire et dissuasif.

Dans le courant de l'année 2012, si on se fie aux déclarations à la presse du ministre de la Santé et des Services sociaux cet hiver, le gouvernement du Québec va lancer à son tour une poursuite en dommages et intérêts contre la totalité de l'industrie des produits du tabac pour le coût des soins de santé attribuables aux maladies causées par le tabagisme au cours des dernières décennies.

Le présent blogue se fixe comme objectif de tenir informés les journalistes, les juristes et les citoyens en général qui n'ont pas la chance de suivre les procès au jour le jour.

Pour une première vue d'ensemble du procès qui commence lundi, on peut lire le reportage que l'auteur du blogue a publié dans le magazine Info-tabac (page 6 à 8) le printemps dernier. À l'été 2011, le début du procès a été repoussé d'octobre à mars, mais le reste des renseignements est valable.