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vendredi 8 juin 2012

39e jour - 7 juin - Un vieux de la vieille


Lors de sa deuxième journée de comparution au procès des compagnies canadiennes de tabac à Montréal, William Henry Neville a poursuivi la réminiscence de son travail en tant que lobbyiste principal pour celles-ci.

Les compétences qui avaient maintenu M. Neville au sommet d'un peloton compétitif d'apologistes professionnels se sont manifestées tout au long de la journée. Même les avocats les plus chevronnés (de même que le juge) n'ont pas été à l'abri de ses charmes. (À la fin de la journée, le juge Riordan a mentionné que Joe Clark avait été chanceux d'avoir pu compter sur M. Neville en tant que secrétaire principal!)

Il n'y a probablement pas d'endroit plus antagoniste qu'une salle d'audience où des parties s'affrontent pour l'honneur et de grands sommes d'argent. Debout face au juge, M. Neville s'est retrouvé au centre d'une telle mise en scène et a pourtant eu l'air de trouver le moyen de plaire à tout le monde.

Il est impossible de savoir ce qui se tramait réellement dans la tête des personnes togées mais de l'arrière de la salle, il semblait qu'une part de tension s'était dissipée. Les questions s'enchainaient plus rapidement, les objections et interventions ont été faites sur un ton plus posé et des plaisanteries furent échangées entre les parties.

Était-ce là l'effet magique d'un facilitateur professionnel : que chacun se sente à l'aise?

Le vieux destrier

M. Neville a été interrogé sur son travail au cours de la décennie suivant 1985, une période d'intense activité au Canada quant au développement de politiques publiques de contrôle du tabac et de démarches d'égale envergure de l'industrie afin de les contrer. Dans cette guerre canadienne du tabac, Bill Neville était littéralement le général de compagnies de tabac alliées. Il était de son ressort de peaufiner la stratégie, de gérer ses effectifs et de diriger les opérations.

Aujourd'hui, il avait tous les airs d'un vétéran de longue date qui ne s'était jamais fait à l'idée de sa démobilisation. Ce n'était pas seulement son allure frêle et sa voix rauque qui le faisait paraître en soldat vieillissant : ses perspectives demeurent enracinées au contexte de cette bataille, tel un ancien G.I. refusant toujours d'acheter une voiture japonaise ou de boire une bière allemande. M. Neville n'a pas forcément mal paru pour autant.

Ainsi, lorsqu'interrogé par Bruce Johnston pour confirmer si le CCFPT avait embauché des chercheurs scientifiques chargés de produire des études appuyant des conclusions prédéterminées (sur la dépendance et l'impact de la publicité), M. Neville a reconnu que c'était le cas en faisant allusion aux propres normes de ceux qu'il désigne encore comme ses adversaires. Je suis sûr que M. Mahood, s'il est toujours présent aux audiences, aurait fait de même. Au lieu de réfléchir sur l'usage justifié ou non de « recherches dirigées », comme M. Neville les a appelées, la salle s'est esclaffée.

M. Neville a cité une étude de l'OMS qui s'est penchée sur les habitudes tabagiques chez les jeunes dans quatre pays et qui a démontré que ceux où l'interdiction de la publicité était en vigueur ne fument pas à des taux inférieurs que ceux où elle ne l'est pas. Bien que ces mêmes scientifiques aient également abordé la nécessité d'examiner l'évolution des tendances au fil du temps dans les pays où les interdictions de publicité ont été mises en place, et non d'effectuer uniquement des comparaisons brutes entre pays, M. Neville n'en a touché mot.

Même aujourd'hui, lorsqu'on lui démontre que ces scientifiques avaient réfuté son interprétation de leurs résultats, M. Neville a refusé d'en tenir compte. Il s'est moqué du fait que les scientifiques avaient probablement subi des pressions et que leur réfutation de la position de l'industrie était "une explication à la va-vite, à mon humble avis." Au lieu de prendre le temps d'investiguer le refus de M. Neville de reconnaître la différence entre la mesure de différences dans le temps et de celles purement internationales, le sujet a été abandonné.

Le temps n'a pas adouci ses égards envers les "extrémistes" chez Santé Canada qui ont promu des réformes antitabac, ni diminué sa haute estime pour ceux qui les ont retardées. M. Neville a dit aujourd'hui du Dr. Bert Liston de Santé Canada, qui s'est opposé à la politique de mise en garde des Canadiens de la nature toxicomanogène du tabac et ce, même si un consensus scientifique avait été bien établi: Il a représenté le gouvernement du Canada avec habileté et de caractère raisonnable. Il était prêt à négocier des solutions basées sur le gros bon sens.

Si le monde a évolué jusqu'à nos jours où les lois contre la fumée secondaire, l'interdiction de publicité pour le tabac et les mises en garde pro-santé ne sont plus perçues comme controversées, M. Neville n'a pas bougé d'un poil dans cette direction.

Le procureur a terminé son interrogatoire de M. Neville en milieu d'après-midi. Chacun des avocats de l'industrie a posé quelques questions l'invitant à émettre des commentaires polis mais peu flatteurs à l'égard de fonctionnaires ayant promu la lutte antitabac (l'ancien Médecin-chef Koop a particulièrement été ciblé, comme étant motivé par des opinions religieuses plutôt que par la santé publique). Même si la majeure partie des deux jours de témoignage ont porté sur les relations entre l'industrie et le gouvernement du Canada, les avocats représentant ce dernier n'ont posé aucune question.

Comme à l'habitude, le tribunal ne siège pas le vendredi. Lundi prochain, une audience aura lieu afin de traiter d'un certain nombre de documents pour lesquels l'industrie a invoqué le privilège parlementaire. La convocation prévue des témoins a pris un air confus et presque comique mais je crois que la semaine prochaine, un autre employé du CCFPT, Jacques Larivière, devra témoigner.


Texte original: Cynthia Callard

jeudi 7 juin 2012

38e jour - 6 juin - Le mercenaire

Bill Neville fut l'un des premiers lobbyistes professionnels au Canada et pendant de nombreuses années, il était aussi considéré comme l'un des plus compétents.

Aujourd'hui, il a été le 12e témoin à se présenter à la barre dans le cadre du procès contre les trois grandes compagnies de tabac actives au Canada, qui se déroule à Montréal. Il y a été convoqué afin de discuter de son mandat de consultant et de président du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, de 1985 à 1997.

Dans un costume sombre ne cachant guère ses épaules tombantes mais aussi une cravate d'un vert éclatant ainsi qu'un mouchoir assorti, le Bill Neville à qui la cour a eu droit ce matin ressemblait davantage à un membre de club de bridge pour aînés qu'à un mandarin chevronné. Mais le charme et l'intelligence qui l'ont maintenu au Rolodex de gens importants a très bien été mise en évidence. Ses réponses aux questions du procureur Bruce Johnston étaient directes, apparemment franches et souvent drôles. L'atmosphère dans la salle d'audience au cours de son témoignage était anormalement détendue et attentive.

Le CCFPT et le rôle du fédéral

Bill Neville a offert ses talents stratégiques aux compagnies de tabac à une époque où elles en avaient bien besoin – la période précédant, en 1988, l'adoption des premières lois canadiennes régissant le marketing du tabac, son étiquetage ainsi que les pratiques tabagiques dans les lieux sous réglementation fédérale. Bien que ces événements datent d'il y a belle lurette, ils constituent un enjeu central au cours de la période couverte par ce procès (1998).

Chaque compagnie impliquée dans ce procès a adopté comme position que le gouvernement fédéral devrait assumer une partie ou la totalité des responsabilités en cause du fait de son rôle dans l'établissement des politiques de santé. Des témoins d'Imperial Tobacco ont également déclaré qu'une entente avec Santé Canada leur a interdit de mettre en garde leurs clients quant aux conséquences des cigarettes sur la santé.

La preuve d'aujourd'hui mine cette suggestion de responsabilité du gouvernement fédéral. Elle indique jusqu'où l'industrie était prête à aller pour éviter, retarder et contourner les directives du gouvernement – et jusqu'à quel point elle pouvait influencer ces décisions.

Qu'en est-il de cette entente avec Santé Canada de ne pas permettre de mises en garde ? En réponse à la question directe de Bruce Johnston à savoir s'il existait des restrictions ou des entraves à la capacité de vos clients de communiquer avec les consommateurs ? M. Neville a répondu Pas selon la loi dont j'avais connaissance.

Un sincère représentant

En tant que président du CCFPT, M. Neville était imputable envers les chefs des trois grandes compagnies de tabac actuellement en procès (Imperial Tobacco / BAT, Rothmans, Benson & Hedges / PMI et JTI-Macdonald) et son travail impliquait davantage que le simple lobby de représentants du gouvernement: il a œuvré à influencer les syndicats et d'autres intervenants au sujet de la fumée secondaire, à élaborer des stratégies de recherche et à améliorer l'acceptabilité sociale du tabagisme (pièce 421).

Bien qu'il se décrive lui-même comme un « mercenaire » à la solde de l'industrie, M. Neville a tenu à préciser qu'il n'était pas un vendu et que la vision de l'industrie "concordait avec mes opinions." En réfléchissant aujourd'hui sur cette période, il a encore utilisé le terme « extrémiste » pour décrire ceux qui ont promu l'interdiction de la publicité au sein de Santé et Bien-être Canada. Il n'a pas eu de paroles tendres envers le Médecin-chef américain C. Everett Koop et a utilisé le terme « fanatique » pour décrire Gar Mahood dont l'organisation, l'Association pour les droits des non-fumeurs, a mené la campagne publique pour les lois sur le tabac au cours des années 1980.

(Gar Mahood, qui était dans l'assistance écoutant le témoignage de M. Neville, n'a pu s'empêcher de sourire suite à cette description, sachant que l'histoire ainsi que les 175 pays qui ont adhéré à des règles tout aussi « extrêmes » enchâssées dans la Convention-cadre pour la lutte antitabac sont de son côté).

Même après toutes ces années, M. Neville n'a toujours aucune sympathie pour des mesures banales de lutte contre le tabagisme telles que les mises en garde de santé. J'ai travaillé pour les industries de la bière et des spiritueux. Les gens savent que si vous buvez trop, vous pouvez avoir un accident de voiture. Mais vous n'allez pas trouver de bouteille de gin où il est inscrit "Ne buvez pas trop ou vous aurez un accident". Pourquoi l'industrie du tabac devrait-elle l'accepter ?

Une histoire perdue à jamais ?

Les documents du CCFPT déposés jusqu'à maintenant en cour apportent des précisions et des détails sur les activités de l'industrie visant à modifier les politiques en vigueur ainsi que les attitudes du public, mais il est impossible de savoir si toute la lumière sera un jour faite à ce sujet. Bruce Johnston a demandé à M. Neville si le CCFPT existait encore. Il n'y a personne à mon poste. Il peut exister légalement, mais il n'a pas de bureau, a-t-il dit. Et que s'est-il passé avec ses documents? Je ne le sais pas.

Franchement…

Juste avant le week-end de la fête des Patriotes, une audience eut lieu afin de déterminer si certains documents spécifiques d'Imperial Tobacco doivent demeurer confidentiels. Il était si important pour Imperial Tobacco de garder ces documents secrets qu'elle a demandé que cette audience se tienne à huis clos.

Hier, le juge Riordan a rendu sa décision et a convenu que la plupart des documents ne sont pas admissibles au statut de confidentialité (bien qu'il demeure possible qu'une information contenue dans l'un des documents puisse ne pas être rendue totalement publique). Imperial Tobacco a indiqué qu'elle allait demander de faire appel de cette décision, et a demandé que les documents ne soient pas mis à la disposition du public jusqu'à ce qu'ils sachent si un appel leur sera accordé.

Le témoignage de M. Neville se poursuit demain.

Texte original: Cynthia Callard



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Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse : https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.