Lors de sa deuxième journée de comparution au procès
des compagnies canadiennes de tabac à Montréal, William Henry Neville a
poursuivi la réminiscence de son travail en tant que lobbyiste principal pour
celles-ci.
Les compétences qui avaient maintenu M. Neville au sommet
d'un peloton compétitif d'apologistes professionnels se sont manifestées tout
au long de la journée. Même les avocats les plus chevronnés (de même que le
juge) n'ont pas été à l'abri de ses charmes. (À la fin de la journée, le juge
Riordan a mentionné que Joe Clark avait été chanceux d'avoir pu compter sur M.
Neville en tant que secrétaire principal!)
Il n'y a probablement pas d'endroit plus antagoniste
qu'une salle d'audience où des parties s'affrontent pour l'honneur et de grands
sommes d'argent. Debout face au juge, M. Neville s'est retrouvé au centre d'une
telle mise en scène et a pourtant eu l'air de trouver le moyen de plaire à tout
le monde.
Il est impossible de savoir ce qui se tramait réellement
dans la tête des personnes togées mais de l'arrière de la salle, il semblait qu'une
part de tension s'était dissipée. Les questions s'enchainaient plus rapidement,
les objections et interventions ont été faites sur un ton plus posé et des plaisanteries
furent échangées entre les parties.
Était-ce là l'effet magique d'un facilitateur professionnel
: que chacun se sente à l'aise?
Le vieux
destrier
M. Neville a été interrogé sur son travail au cours de
la décennie suivant 1985, une période d'intense activité au Canada quant au
développement de politiques publiques de contrôle du tabac et de démarches
d'égale envergure de l'industrie afin de les contrer. Dans cette guerre canadienne du tabac, Bill Neville était littéralement le général de compagnies de tabac
alliées. Il était de son ressort de peaufiner la stratégie, de gérer ses
effectifs et de diriger les opérations.
Aujourd'hui, il avait tous les airs d'un vétéran de longue
date qui ne s'était jamais fait à l'idée de sa démobilisation. Ce n'était pas
seulement son allure frêle et sa voix rauque qui le faisait paraître en soldat
vieillissant : ses perspectives demeurent enracinées au contexte de cette
bataille, tel un ancien G.I. refusant toujours d'acheter une voiture japonaise
ou de boire une bière allemande. M. Neville n'a pas forcément mal paru pour
autant.
Ainsi, lorsqu'interrogé par Bruce Johnston pour
confirmer si le CCFPT avait embauché des chercheurs scientifiques chargés de
produire des études appuyant des conclusions prédéterminées (sur la dépendance
et l'impact de la publicité), M. Neville a reconnu que c'était le cas en faisant
allusion aux propres normes de ceux qu'il désigne encore comme ses adversaires.
Je suis sûr que M. Mahood, s'il est
toujours présent aux audiences, aurait fait de même. Au lieu de réfléchir
sur l'usage justifié ou non de « recherches dirigées », comme M.
Neville les a appelées, la salle s'est esclaffée.
M. Neville a cité une étude de l'OMS qui s'est penchée
sur les habitudes tabagiques chez les jeunes dans quatre pays et qui a démontré
que ceux où l'interdiction de la publicité était en vigueur ne fument pas à des
taux inférieurs que ceux où elle ne l'est pas. Bien que ces mêmes scientifiques
aient également abordé la nécessité d'examiner l'évolution des tendances au fil
du temps dans les pays où les interdictions de publicité ont été mises en place,
et non d'effectuer uniquement des comparaisons brutes entre pays, M. Neville n'en
a touché mot.
Même aujourd'hui, lorsqu'on lui démontre que ces scientifiques
avaient réfuté son interprétation de leurs résultats, M. Neville a refusé d'en
tenir compte. Il s'est moqué du fait que les scientifiques avaient probablement
subi des pressions et que leur réfutation de la position de l'industrie était
"une explication à la va-vite, à mon
humble avis." Au lieu de prendre le temps d'investiguer le refus de M.
Neville de reconnaître la différence entre la mesure de différences dans le
temps et de celles purement internationales, le sujet a été abandonné.
Le temps n'a pas adouci ses égards envers les "extrémistes"
chez Santé Canada qui ont promu des réformes antitabac, ni diminué sa haute
estime pour ceux qui les ont retardées. M. Neville a dit aujourd'hui du Dr.
Bert Liston de Santé Canada, qui s'est opposé à la politique de mise en garde des
Canadiens de la nature toxicomanogène du tabac et ce, même si un consensus
scientifique avait été bien établi: Il a
représenté le gouvernement du Canada avec habileté et de caractère raisonnable.
Il était prêt à négocier des solutions basées sur le gros bon sens.
Si le monde a évolué jusqu'à nos jours où les lois
contre la fumée secondaire, l'interdiction de publicité pour le tabac et les mises
en garde pro-santé ne sont plus perçues comme controversées, M. Neville n'a pas
bougé d'un poil dans cette direction.
Le procureur a terminé son interrogatoire de M.
Neville en milieu d'après-midi. Chacun des avocats de l'industrie a posé
quelques questions l'invitant à émettre des commentaires polis mais peu
flatteurs à l'égard de fonctionnaires ayant promu la lutte antitabac (l'ancien Médecin-chef
Koop a particulièrement été ciblé, comme étant motivé par des opinions religieuses
plutôt que par la santé publique). Même si la majeure partie des deux jours de
témoignage ont porté sur les relations entre l'industrie et le gouvernement du
Canada, les avocats représentant ce dernier n'ont posé aucune question.
Comme à l'habitude,
le tribunal ne siège pas le vendredi. Lundi prochain, une audience aura lieu afin
de traiter d'un certain nombre de documents pour lesquels l'industrie a invoqué
le privilège parlementaire. La convocation prévue des témoins a pris un air confus
et presque comique mais je crois que la semaine prochaine, un autre employé du
CCFPT, Jacques Larivière, devra témoigner.
Texte original: Cynthia Callard
Texte original: Cynthia Callard