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jeudi 16 janvier 2014

199e jour - Un as du marketing sur la sellette

(SGa)

Mercredi, un ancien personnage important de l'industrie canadienne de la cigarette, Peter Hoult, en était à sa dernière journée de témoignage. Présent depuis le début de la semaine, M. Hoult s'était déjà présenté à la barre des témoins en 2012. L'homme a été responsable du marketing chez RJR-Macdonald (1979-1983) et puis chef de la direction de la compagnie (1987-1988). En contre-interrogatoire, il a surtout été questionné sur les décisions qu'il a prises (ou pas prises) lors de son passage comme responsable du marketing chez RJR-MI.


Les cigarettes légères

L'arrivée de M. Hoult au marketing chez RJR-Macdonald Inc en 1979 a correspondu avec une période où le tabagisme amorçait un déclin et plus spécialement les produits de ce cigarettier. Pour tenter de retrouver ses parts de marché, RJR-MI a misé sur la promotion des cigarettes légères et semi-légères et aussi sur les jeunes fumeurs (nous y reviendrons dans le paragraphe suivant). On sait maintenant que ces cigarettes dont les fabricants ont vanté les vertus dans leur stratégie de marketing (en laissant entendre entre autres qu'elles étaient moins nocives pour la santé) ne bénéficiaient d'aucun avantage pour la santé. Me André Lespérance, un des avocats du recours collectif, a posé quelques questions à ce sujet à M. Hoult. Il lui a demandé si l'un des problèmes de ces cigarettes étaient qu'elles encourageaient les fumeurs à fumer davantage pour compenser le faible taux en nicotine contenu dans chacune d'entre elles. M. Hoult a répondu qu'il n'y avait aucune évidence de cela. M. Hoult a affirmé ne pas croire pas non plus que la nicotine soit la raison d'être pour fumer. Selon lui, l'accoutumance au tabac est beaucoup plus complexe que cela.

À cette époque, une autre stratégie de marketing a été développé pour accroître les ventes de cigarettes. Elle consistait à intéresser les jeunes adultes au tabagisme, notamment par l'offre de cigarettes légères. RJR-Macdonald, comme les autres cigarettiers, s'est intéressé à cette clientèle, âgée de 18 à 30 ans. Peter Hoult l'a admis et a même reconnu que cette stratégie avait connu un certain succès. Mais cette stratégie visait-elle seulement les jeunes de 18 ans et plus? Les cigarettiers ne s'intéressaient-ils pas aussi aux jeunes en-deça de cette âge, comme plusieurs analystes l'ont soupçonné à l'époque?  Me André Lespérance a voulu le savoir en demandant à M. Hoult s'il y avait eu de la recherche faite sur les jeunes fumeurs âgés de moins de 18 ans. M. Hoult a répondu qu'il ne croyait pas que ce type recherche ait eu lieu.


Le blocage des perforations

Revenons sur les cigarettes légères. Ce type de cigarettes s'est avérée plus nocive que prévue pour une autre raison. Elles étaient dotées de filtres avec perforations. Ces trous auraient dû normalement réduire les doses de nicotine et de goudron inhalées par les fumeurs, par rapport à l'usage de cigarettes « régulières ». Or, lorsque bloqués par les lèvres ou les doigts des fumeurs, l'effet était inverse. Cela résultait en une hausse importante des taux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone (pour ne nommer que ces substances) ingérés par les fumeurs; taux jusqu'à huit fois supérieure aux taux inscrits sur les paquets. En septembre 1977, Alexander B. Morrison, un sous-ministre adjoint de Santé et Bien être social Canada, écrivait une lettre à Paul Paré, directeur du Conseil canadien des fabricants de produits de tabac (CTMC) pour demander aux fabricants de divulguer les véritables taux ingérés par les fumeurs lorsque ceux-ci obstruent les perforations. L'auteur de la lettre mentionnait que l'absence de cette information sur les paquets de cigarettes induisait les fumeurs en erreur et causait un préjudice à leur santé. M. Morrison ajoutait aussi qu'il était important que l'information indiquée soit la bonne puisque les cigarettiers l'utilisait pour faire la promotion des cigarettes légères.

Me Lespérance a demandé à M. Hoult s'il était au courant que le blocage des perforations accroissait la quantité de goudron et de nicotine ingérés par les fumeurs. La réponse de Peter Hoult a été plutôt surprenante. « J'ai été mis au courant de cela quelque part entre 1980 et 1983 lorsque l'information a commencé à circuler,» dit-il. (traduction libre) Pourtant, la lettre de M. Morrison, envoyée au CTMC, datait de 1977.

On peut douter de la mémoire de Peter Hoult dans ce dossier à la suite des révélations faites en audience, mercredi, basée sur une correspondance interne datant de juin 1988.

Dans cette lettre, le directeur de la recherche scientifique chez RJR-Macdonald, Derick A. Crawford, déplore le refus de la haute direction de l'entreprise (M. Hoult était alors le grand patron.) d'accepter la proposition de placer les trous plus haut sur le filtre afin qu'ils ne soient pas obstrués par les lèvres ou les mains des fumeurs.

À la question de Me Lespérance lui demandant pourquoi avoir refusé d'accepter cette modification, M. Hoult a répondu: « je ne souviens pas avoir pris cette position. »


Une publicité qui contrevenait au Code

En 1983, alors que M. Hoult était responsable du marketing chez RJR-Macdonald, une publicité a retenu l'attention de Me Philippe Trudel, un des avocats du recours collectif. Il s'agit de la publicité de la marque de cigarette Macdonald Select. On y voyait un couple, tous les deux cigarettes à la main, dans une situation romantique. Le titre était sans équivoque: The pleasure is all mild. Me Trudel a rappelé que cette publicité contrevenait à la règle 8 du Code de conduite du CTMC adopté en 1976. Cette règle mentionnait notamment qu'une publicité ne doit pas mettre de l'avant une situation de romance pour vendre un produit. M. Hoult a nié qu'il s'agissait d'une situation de romance.

D'autre part, fait intéressant, M. Hoult a expliqué l'importance des couleurs dans la stratégie de marketing des différents types de cigarettes. La couleur blanche est utilisée pour les cigarettes légères car elle représente la légèreté. Pour les couleurs foncées, c'est l'opposé. Le vert est traditionnellement associé aux cigarettes menthol (...en plus d'être associé historiquement à l'Export A régulière, dans le cas particulier du marché canadien).

*

La semaine prochaine, les auditions se poursuivent avec la comparution de deux témoins-experts: l'économiste Kip Viscusi qui viendra parler de l'effet informatif des mises en garde sanitaires,  et la psychiatre Dominique Bourget, au sujet de la dépendance.

mercredi 15 janvier 2014

198e jour - Insatisfactions au pays de la satisfaction

(PCr)

Comme le chanteur Mick Jagger et l'ancien  premier ministre du Québec Jacques Parizeau, Peter J. Hoult a jadis fréquenté la London School of Economics. Le premier, qui n'a jamais fini ses études, a hurlé sa difficulté de trouver la « satisfaction » dans une célébrissime chanson des Rolling Stones et a fait fortune dans l'industrie culturelle. Le second, devenu économiste, voit le Québec rester une province du royaume canadien, quand il rêvait d'en faire une république souveraine au nord du 45e parallèle en Amérique du Nord. Le troisième s'est intéressé à la satisfaction du consommateur au point de devenir un dirigeant de compagnie de tabac et de connaître certains succès ...et certaines frustrations.

annonce de 1981
Au terme de ses quatre années comme vice-président au marketing de RJR-Macdonald, en 1983, M. Hoult croyait avoir mis en place des mesures propices à une stabilisation de la part de l'entreprise sur le marché canadien de la cigarette. Quand il est revenu diriger la compagnie à l'hiver 1987, la part de marché de RJR-Mac était plus petite que jamais, et le volume des ventes au Canada de toute l'industrie n'augmentait plus que par la croissance de la population totale, car la prévalence avait entamé un déclin qui allait s'avérer irrémédiable (bien qu'en dents de scie).

Pourtant, d'après ce que Peter Hoult a raconté mardi lors de son interrogatoire par Me Doug Mitchell, défenseur de ce qui s'appelle maintenant JTI-Macdonald, toute son énergie a bientôt dû être canalisée vers un autre champ de bataille, car un nouvel ennemi s'était réveillé: le gouvernement d'Ottawa.

Il est heureux que feu Bill Neville, le lobbyiste en chef du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac à l'époque, toujours si bien informé des intentions gouvernementales, et qui a témoigné devant le juge Brian Riordan en juin 2012, n'ait pas entendu Peter Hoult raconter à quel point il avait été surpris, choqué, quand le ministre fédéral de la Santé Jake Epp (1984-1988) a mis fin à la tradition de dialogue avec les cigarettiers inaugurée par son prédécesseur Marc Lalonde (1972-1977) et décidé de contrôler l'industrie du tabac par voie législative. À l'époque, le chef de la direction de RJR-Macdonald a compris que le gouvernement conservateur agissait pour ne pas laisser l'initiative législatrice à une députée du deuxième parti de l'Opposition.

Avec les autres dirigeants de compagnie de tabac et conseillé par la maison-mère R. J. Reynolds, Peter Hoult est monté aux barricades. La bataille devant l'opinion publique et les députés pour faire modifier ou rejeter le projet de loi C-51 du ministre Epp a échoué. La Loi réglementant les produits du tabac, adoptée en 1988 par des députés de tous les partis, a interdit toute publicité de ces produits. C'est alors que l'industrie a entamé une bataille judiciaire, au motif que cette interdiction brimait la liberté d'expression reconnue comme une liberté fondamentale dans la constitution canadienne.


Complaisantes croyances

La publicité, le témoin Peter Hoult lui prête une influence à la fois forte et curieusement limitée.

Pour M. Hoult, la publicité est la clef du repartage du marché et c'était une occasion pour RJR-Macdonald de reprendre du terrain pris par Imperial Tobacco. (C'était aussi une occasion pour ce concurrent d'en gagner encore, mais le témoin ne l'a pas dit.)

Les plafonds de dépenses publicitaires que s'imposaient les grands cigarettiers canadiens en vertu de leur code d'autoréglementation embarrassaient déjà Peter Hoult. Ce qu'il a perçu comme un manque de combativité d'Imperial Tobacco contre les projets de loi anti-publicitaires de 1987, le chef de RJR-Mac est allé jusqu'à l'attribuer à la position dominante de ce concurrent sur le marché. (Hélas, M. Hoult est parti en 1988 continuer sa carrière aux États-Unis avant d'avoir constaté à quel point Imperial tenait à continuer de faire de la publicité.)

Mais quant à la possibilité d'au moins freiner le déclin tendanciel du tabagisme grâce à l'effet banalisant du tabac par l'ensemble de la publicité, Peter Hoult a donné l'impression de ne pas y croire.

annonce de 1985
Lors d'un contre-interrogatoire de l'ancien marketeur, le procureur des recours collectifs André Lespérance a montré qu'on pouvait transmettre un message publicitaire à une très forte proportion d'une population donnée, par exemple les adolescents, même avec un média dont l'auditoire ne compte qu'une minorité de personnes de cette catégorie.

Dans le monde enchanté du témoin Hoult, tel qu'il est apparu au fil de ses réponses aux avocats, les images de réussite sociale, de satisfaction personnelle ou de bonne forme physique que les annonces de cigarettes donnaient à voir, même quand elles étaient vues par tout le monde sur des panneaux-réclames, n'auraient eu d'effet que sur les fumeurs, et même plus précisément sur les fumeurs adultes seulement, et n'ont eu aucun effet sur le reste de la population.

Exposez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens...

Alors que toutes les études de marché de RJR-Macdonald sont censées ne s'être intéressées qu'aux fumeurs, selon le témoin, ce dernier ne semble pas douter de sa foi en l'absence d'effet des annonces sur l'imaginaire des jeunes non-fumeurs.

mardi 14 janvier 2014

197e jour - L'homme qui devait « résoudre le problème » d'Export A

(PCr)

Ce n'était pas la première fois lundi que Peter J. Hoult se pointait à la barre des témoins devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. M. Hoult était comparu en septembre et octobre 2012, sur demande des procureurs des recours collectifs, et à titre d'ancien grand responsable du marketing chez RJR-Macdonald (1979-1983), puis chef de la direction de la compagnie (1987-1988). L'interrogatoire de 2012 avait notamment permis de mettre en lumière son rôle dans les préparatifs par l'industrie de la contestation de la Loi réglementant les produits du tabac adoptée en 1988 par le Parlement fédéral canadien. On avait également découvert le rôle du témoin Hoult dans la relance de la marque Camel, quand il était cadre supérieur de R. J . Reynolds Tobacco International (RJRTI), au milieu des années 1980 et en 1988-1989.

Bref, Peter Hoult, un petit homme mince de 70 ans, est un poids lourd du marketing. Il parle distinctement comme le professeur d'université qu'il a parfois été ces deux dernières décennies, d'une voix de contrebasse, avec un restant d'accent britannique, malgré une carrière surtout menée en Amérique du Nord depuis une quarantaine d'années.

Cette fois-ci, Peter Hoult est revenu à l'appel des procureurs de JTI-Macdonald. Me Doug Mitchell a semblé tenter de l'utiliser comme témoin-expert pour contrer le témoignage du professeur de marketing Richard Pollay.

Ce n'était pas la première fois que la défense des compagnies de tabac transforme un témoin de faits en témoin-expert. On a plus ou moins vu le même procédé avec Jeff Gentry, interrogé par Me Guy Pratte de JTI-Macdonald, avec Steve Chapman, interrogé par Me Simon Potter de Rothmans, Benson & Hedges, et avec Graham Read, interrogé par Me Deborah Glendinning d'Imperial Tobacco Canada.

Cette fois-ci encore, le juge Riordan a rejeté les objections des avocats des recours collectifs et a permis à la défense de procéder. Mais parce qu'il arrive le quatrième, ou pour une autre raison, Me Mitchell n'a pas eu droit à un Brian Riordan disposé à faire semblant que le procédé lui plaisait. Plusieurs fois durant la journée, le juge se tenait la mâchoire d'un air ennuyé.  Malgré sa grande expérience du dossier du tabac, Me Mitchell n'a pu cacher sa déception, mais il a procédé, méthodiquement, fidèle à ses habitudes. L'avocat pourra se consoler en se disant que le juge n'a pas porté de masque avec lui. « My lord » Riordan est peut-être un roi qui sourit à Potter et Pratte comme à des courtisans, et traite Mitchell en homme du peuple. Il n'est pas dit qu'il « achète » davantage la vision de l'histoire des premiers que celle du second.

Aux dires de Me Mitchell, le professeur Pollay aurait présenté le marketing des compagnies de tabac comme particulièrement perfide alors que c'est du marketing comme celui de n'importe quel fabricant de savon, comme Unilever chez qui le témoin Hoult a déjà oeuvré.

(Peu importe ce qu'on veut retenir du témoignage de Pollay, on peut se demander si un juge dans le monde a déjà entendu une compagnie de savon déclarer qu'elle s'abstenait scrupuleusement de recruter des clients ailleurs que chez les concurrents et dans la population d'âge mineur...)

Lundi, Peter Hoult a raconté comme trop d'autres anciens cadres du tabac cette incroyable légende du marketing qui ne viserait qu'à prendre des clients aux concurrents, dans un marché du tabac en déclin. Un marché où, selon l'expert Pollay, la fidélité à une marque est plus forte que pour n'importe quel produit.

Ce qui ressort d'un peu nouveau de l'interrogatoire de lundi de M. Hoult, c'est à quel point c'est l'imagerie publicitaire qui crée la demande pour une marque, et non les caractéristiques physiques du produit.

L'ancien haut dirigeant de RJR-Macdonald a dit clairement que le blanc sur un paquet communique au consommateur l' « information » que le produit est « léger » (en goudron), alors que le rouge indique un produit « pleine saveur », c'est-à-dire plus fort en goudron.
annonces avant le passage de Peter Hoult

Une annonce montrant un homme tout seul en train de fumer une Export A communiquerait au consommateur l'idée que le fumeur de cette marque est prêt à se contenter de peu. Pas fameux pour recruter de nouveaux clients. Avec un camion à l'arrière-plan du camionneur souriant au lecteur du magazine, les hommes épris d'indépendance et de liberté pouvaient peut-être identifier leur destin à celui d'un fumeur d'Export A, espéraient les marketeurs de Macdonald.

Et pour les hommes qui aimaient plutôt à s'imaginer en tenue de soirée à distance intime d'une femme portant des bijoux, RJR-Macdonald proposait à la même époque la marque Select.

Pub après Hoult
Sous le court règne de Peter Hoult, Macdonald Tobacco a progressé sur le chemin qui sépare une compagnie gérée de façon artisanale et rentière par la famille Stewart au début des années 1970 et une compagnie orientée sur la satisfaction du marché (market driven) comme Imperial Tobacco.

Reste qu'encore en 1992, quand le témoin Lance Newman est entré comme marketeur chez RJR-Macdonald, beaucoup restait à faire, selon lui.  En 1994, lorsque Connie Ellis du marketing de Rothmans, Benson & Hedges passait un savon aux dirigeants de sa compagnie, elle ne considérait pas encore RJR-Macdonald comme « market driven », mais plutôt une compagnie soucieuse du coût de production autant que de la demande. L'épisode tapageur des commandites Sport Extrême ne battait pas encore son plein, une époque de la publicité où les camions stationnés dans des paysages aérés ont cédé la place aux motocyclettes en train de rouler dans la boue, aux vélos de montagne ou aux planches à voile.

dimanche 7 octobre 2012

67e jour - 4 octobre - Révélations additionnelles et nouvelle source occasionnelle de documents fiables

 
Pour savoir comment activer les hyperliens, voyez les instructions à la fin du présent message.


Au procès en responsabilité civile des trois grands cigarettiers canadiens, les avocats ont fini jeudi d'interroger Peter J. Hoult.

(Rappel : De 1979 à 1983, le témoin a dirigé le marketing, puis le marketing, la recherche et développement, et les ventes, chez RJR-Macdonald, avant d'être le président et chef de la direction de cette compagnie canadienne à partir de l'hiver 1987 et durant toute l'année 1988. Entre ces deux passages au Canada, il faisait carrière dans la maison-mère RJR Tobacco International, depuis le siège social alors en Caroline du Nord.)

Durant quatre jours, M. Hoult n'a pas eu plus de trous de mémoire que la moyenne des témoins à ce procès, mais les documents déposés en preuve, comme c'est souvent le cas, fournissent amplement de matière à réflexion et à plaidoiries futures.

En voici trois exemples.

Suivent une nouvelle relative à la journée de jeudi.


Indications sur les paquets : encore moins fiables que ce qu'on pensait

Depuis bien avant le début du présent procès, les spécialistes de la lutte contre le tabagisme estimaient que les indications de la teneur en goudron et en nicotine jadis imprimées sur les paquets de cigarettes, teneur mesurée à l'aide de machines à fumer, ne donnaient pas une idée toujours juste de la dose de poisons et de drogue que le fumeur inhalait, notamment à cause du phénomène de la compensation.

L'interrogatoire de Peter Hoult de mercredi a permis au tribunal de découvrir que les compagnies canadiennes s'accordaient une marge de « tolérance » avec les nombres fournis par les machines à fumer. Ainsi, vers 1979, une compagnie qui vendait une marque de cigarette pour laquelle la lecture sur les machines donnait 10 milligrammes pouvait inscrire 9 mg.

M. Hoult a confirmé au procureur Philippe Trudel que les cigarettiers inscrivaient le nombre le plus bas de la marge d'erreur autour de la mesure, en particulier pour le goudron, « où les fumeurs voulaient clairement un nombre plus bas ».

Dans un mémorandum de 1980 signée par M. Hoult, ce dernier donne instruction à ses subordonnés de « ... rester à l'intérieur des limites (...) bien qu'à la limite des limites pour certaines marques » (pièce 700).

L'ancien vice-président au marketing de RJR-Mac a affirmé que son entreprise ne dénonçait pas ses compétiteurs qui faisaient la même chose (voir notamment les pièces 697, 698A et 699), par crainte de se faire demander par les concurrents des changements de comportement dans plusieurs domaines. (pièce 697)

En 1982, les spécialistes des quatre compagnies membres du CTMC ont convenu de ...réduire de moitié le niveau de tolérance. (pièce 714B)


Taxation influente.  Contrebande, connais pas.

Comme pour confirmer l'impression que vous avez pu avoir en lisant l'édition de ce blogue consacrée au 66e jour, on peut voir dans un document de 83 pages pondu à la toute fin de 1988 que RJR-Macdonald était loin de voir avec détachement la taxation des cigarettes (pièce 722). Les stratèges de l'entreprise considéraient que les hausses de taxes sur les cigarettes font décliner la consommation.


Plus originale et pas nécessairement notée par tous les avocats et par le juge, est l'absence totale dans ce même document de toute référence à la contrebande, comme s'il s'agissait d'un phénomène inconnu ou négligeable avant que les trois cigarettiers se mêlent de l'organiser dans les années 1989 à 1994.

Cette absence de la contrebande des écrans-radar s'observe aussi dans un plan d'opération de 57 pages daté d'août 1988 qui analyse l'influence de l'environnement réglementaire, de la taxation, et du prix, entre autres variables. (pièce 720)

Comme patron de RJR-Mac, Peter Hoult a aussi collaboré à la préparation des argumentaires de son entreprise et du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), lequel se voyait alors chargé de prêcher la modération dans les hausses de taxes (sur le tabac).  Le témoin a reconnu ses annotations manuscrites sur un brouillon (pièce 724) (la pièce 724A a servi à dater la 724).


Des additifs approuvés par le gouvernement : l'industrie intoxiquée par ses propres menteries

Dans l'après-midi de jeudi, les procureurs des collectifs de victimes du tabac en avaient fini avec le témoin.

L'avocat qui représente le Procureur général du Canada (PGC) s'est alors avancé à la barre.

Me Maurice Régnier est un homme mince, au pas sportif, qui porte les cheveux longs. L'avocat, comme c'est son droit, pousse même le non-conformisme jusqu'à être celui qui s'adresse le plus systématiquement en français au juge, même s'il mène en anglais l'interrogatoire d'un témoin qui veut être interrogé dans cette langue.

Mais il ne faut pas se fier à l'air débonnaire que Maurice Régnier arbore habituellement. L'avocat est l'un des vétérans des procès du tabac dans la salle, et en quelques questions, armé de quelques documents, il est très capable de réduire en cendres la crédibilité d'un témoin sous serment qui s'est laissé aller à incriminer son client, le gouvernement du Canada.

(Faut-il rappeler que la Couronne fédérale n'est pas partie au procès parce que les collectifs de victimes du tabac et leurs avocats l'ont voulu, mais parce que les compagnies de tabac en défense ont manoeuvré en ce sens, avec succès, et comptent refiler un jour la facture aux contribuables, si elles perdent leur cause. Le PGC est « défenseur en garantie ».  Jusqu'à présent, ce n'est pas contre les plaignants mais contre des témoins favorables aux compagnies et les défenseurs de ces compagnies que Me Régnier et son équipe ont dû défendre leur client. En août, les représentants du PGC ont contesté en Cour d'appel du Québec la décision interlocutoire du juge Brian Riordan de maintenir la Couronne comme partie défenderesse en garantie dans ce procès. Pour une fois, les cigarettiers ont soutenu une position du juge Riordan devant la Cour d'appel, qui n'a pas encore rendu son jugement. Si la Cour d'appel donne raison au fédéral et le met hors de cause, les compagnies auront au moins la consolation d'être débarrassées de Me Régnier et de son équipe.)

Comme d'autres hommes du tabac avant lui, Peter Hoult a, par exemple en parlant des ajustements aux machines à fumer, laissé entendre que cette fantomatique et commode entité qu'est « the government » était d'accord avec ceci ou cela que faisait l'industrie. Le contre-interrogatoire a montré que M. Hoult, comme d'autres témoins, n'avait lu cela nulle part et n'avait jamais entendu un fonctionnaire dire cela, et que dans le fond, il accordait foi à des ouïs-dire. 

Concernant la sûreté des additifs de la fameuse liste du comité Hunter, utilisée par l'industrie britannique du tabac, ainsi que la sûreté des additifs utilisés par l'industrie cigarettière allemande, les deux listes citées dans plus d'un document du CTMC, Me Régnier a poussé Peter Hoult à révéler la source de sa connaissance ou de ses impressions concernant la réglementation canadienne. En substance, l'ancien patron de RJR-Mac a répondu que « la liste Hunter et la liste allemande étaient acceptées par plusieurs gouvernements » et qu'il n'avait « aucune indication que (le gouvernement canadien) la rejetait » et qu'il y avait une « présomption qu'il était d'accord ».

Et paf. Me Régnier a déposé en preuve le compte-rendu d'une réunion de représentants du ministère fédéral de la Santé avec des délégués de compagnies de tabac durant laquelle l'usage des additifs a été discuté (pièce 50018R au dossier - qui sera disponible quand son authenticité aura été établie, bien qu'elle provienne de la collection d'une compagnie de tabac).

L'éditrice du blogue Eye on the Trials, Cynthia Callard, qui sait mieux que quiconque profiter de ce qui est affiché brièvement sur les écrans de la salle d'audience, et dont la rapidité dactylographique est admirable, a pu lire et transcrire ceci : « Le Dr Bray a exprimé un souci au sujet de la toxicité des additifs et demandé s'il y a de l'information disponible chez l'une des compagnies ou une compagnie parente à propos de la toxicité de ces additifs. Les fabricants ont demandé si la liste Hunter ou une autre liste pourrait être utilisée comme indication canadienne des additifs approuvés ou non.  Le Dr Bray a répondu que ce n'était pas le cas. » (traduction du blogueur)

(Le généticien David F. Bray était à l'emploi de Santé et Bien-être social Canada entre 1965 et 1985.)

Vers la même époque, en septembre 1981, les spécialistes en recherche et développement du « comité technique » du CTMC pensaient, selon le rapporteur du CTMC, Lester W. Pullen, que Santé et Bien-être social Canada n'avait pas le choix de refuser l'utilisation par l'industrie canadienne des listes en question. (pièces 717 et 717A). 





Immunité parlementaire : l'approche Riordan du cas par cas

Durant le dernier demi-siècle, les Parlements du Québec et du Canada n'ont pas lésiné sur la dépense pour que soit couché sur le papier, puis désormais mis en mémoire sur des supports électroniques, le moindre des mots prononcés dans leur enceinte par les parlementaires ou leurs invités.

Personne ne s'attend à ce que la presse assiste à tous les travaux parlementaires pour donner un écho, et encore moins le grand public. N'importe qui a le droit de lire le journal des débats, incluant la transcription des échanges dans des commissions parlementaires. Tout le monde y compris un juge.

Nul besoin d'être un désabusé de la politique pour comprendre qu'une transcription témoigne qu'une chose a été dite, et non pas que celui qui la disait énonçait nécessairement une vérité.

Les procureurs des recours collectifs voulaient faire verser dans le dossier de la preuve au procès, c'est-à-dire offrir comme lecture supplémentaire au juge Riordan, la transcription d'une séance de commission parlementaire tenue au Parlement d'Ottawa le 24 novembre 1987.

Ce jour-là, un groupe de députés avaient invité les patrons des grands cigarettiers canadiens, dont Peter Hoult à l'époque, pour parler de certaines questions utiles à l'adoption, l'amendement ou l'abandon de deux projets de loi touchant notamment la promotion des produits du tabac.

Le juge Brian Riordan a autorisé le dépôt parmi les pièces au dossier de ladite transcription (pièce 729).

Si vous pensez que le tribunal est arrivé comme si de rien n'était à ce geste apparemment banal, détrompez-vous et relisez l'édition de ce blogue relative au 40e jour du procès.

Un débat devant le tribunal a eu lieu le 11 juin et il a été question de l'immunité parlementaire, telle que la conçoivent les avocats des différentes parties. À la suite du débat, le juge Riordan n'a jamais écrit de jugement interlocutoire, mais laissé entendre qu'il jugerait au cas par cas des procès-verbaux parlementaires qu'un avocat pourrait se proposer de faire verser en preuve.

C'est seulement jeudi qu'un premier cas s'est présenté. Ce ne sera cependant pas le dernier et il y aura un certain suspense à chaque fois.

(En pratique, les lecteurs de ce blogue pourront très égoïstement mais très légitimement apprécier une qualité que ne possède pas la presque totalité de la correspondance interne et externe des compagnies canadiennes de tabac examinée jusqu'à présent au procès : les transcriptions des échanges dans les commissions parlementaires à Ottawa ou Québec existent aussi en français.)

Débat parlementaire du 21 janvier 1793 à Québec
sur l'anglais et le français dans les procès-verbaux  ;-)

* *
La semaine prochaine, les avocats et le juge sont à leurs lectures et à diverses affaires, et le tribunal ne siégera que mercredi matin, pour entendre le témoignage de Ron Bulmer, un ancien cadre de Rothmans, Benson & Hedges.

*** 

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information, puis
2) revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens,

ou utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

jeudi 4 octobre 2012

66e jour - 3 octobre - Absence d'unanimité de l'industrie sur l'effet de la taxation du tabac

Peter Hoult est un spécialiste du marketing ainsi qu'un ancien président et chef de la direction de RJR-Macdonald (aujourd'hui Japan Tobacco International - Macdonald). Avant de devenir homme d'affaires, il a étudié en psychologie et en économique. Quand on l'écoute dans une cour de justice, il donne l'impression d'être un homme intelligent et savant.

Lors de sa troisième journée de témoignage au procès en responsabilité civile des grands cigarettiers canadiens, M. Hoult, interrogé par Me Philippe Trudel, a admis facilement qu'une hausse de la taxation des cigarettes a une influence négative sur le volume des ventes de ce produit à l'échelle d'un pays.

Cela vous paraît évident ?

Cela l'est pour Japan Tobacco Inc de Tokyo, une entreprise fort prospère qui possède 100 % de JTI-Macdonald, et dont le rapport annuel du printemps 2012, au dernier paragraphe de la page 51, dit ceci : sur les marchés mûrs (par opposition aux marchés émergents), le volume des ventes de l'industrie décline principalement à cause des changements démographiques, des hausses de taxes, des interdictions de fumer et de la réglementation de plus en plus contraignante sur la promotion et la publicité. (Ce rapport annuel est la pièce 577 au dossier.) (Le Canada est un marché mûr, l'Asie du sud est un marché émergent.)

Ce qui peut-être vous paraît évident ne l'était cependant pas pour l'actuel patron de JTI-Macdonald, Michel Poirier, lors de son témoignage en septembre, ni pour un spécialiste en marketing et ancien cadre d'Imperial Tobacco, Ed Ricard, lors de son témoignage en août. Les deux hommes ont dit qu'au Canada, la taxation n'avait pas d'influence sur le volume, en l'absence d'un substitut.

Il appert que sur ce sujet, l'unanimité ne règne pas ou ne règne plus chez les hommes du tabac.


Le mystérieux projet Four Seasons

En mars dernier, lors de l'interrogatoire du relationniste Michel Descôteaux, les procureurs des recours collectifs avaient fait verser en preuve une lettre du 12 janvier 1989 que P. J. Fennell , alors le président et chef de la direction de Rothmans, Benson & Hedges, adressait à ses homologues d'Imperial Tobacco et de RJR-Macdonald, ainsi qu'au président du CTMC. (pièce 60A).

Dans cette lettre, M. Fennell parlait d'un projet Four Seasons, sans élaborer, mais en distinguant bien ce projet d'une préparation de la contestation judiciaire de la Loi réglementant les produits du tabac, alors surnommée « Bill C-51 », bien qu'elle venait d'entrer en vigueur le 1er janvier 1989.


Il y a aussi été question du projet Four Seasons à la mi-mai, à l'occasion de la brève comparution de l'historien David H. Flaherty qui, selon un document accessible sur le site de l'American Legacy Foundation mais pas encore versé dans le dossier de la preuve en demande (malgré une décision favorable de Brian Riordan), travaillait à l'été 1988 à mesurer l'état des connaissances des Canadiens en matière de santé et de tabagisme, au fil du 20e siècle.

Lors de l'interrogatoire en juin de l'avocat Lyndon Barnes, celui-ci a reconnu que le projet Four Seasons avait rapport avec du contentieux et a situé les débuts du projet à 1985 ou 1986. Par ailleurs, si ce projet était discuté au sommet par les trois compagnies de tabac en même temps qu'Imperial Tobacco adoptait une politique de « retention » de documents qui allait entraîner la destruction d'au moins une soixantaine de rapports de recherche scientifique portant sur les méfaits du tabac, c'était une coïncidence.

Il n'est pas dit que le juge Brian Riordan a été dupe de cette soi-disant coincidence, mais son tribunal ne sait pas encore tout à fait ce qu'était le Four Seasons project, même si les procureurs des recours collectifs s'efforcent d'entretenir la curiosité.

Lors de l'interrogatoire d'hier, à la question de savoir si ce projet concernait les effets sanitaires du tabagisme (was related to Smoking and Health), le témoin Peter Hoult a spontanément répondu oui.

Puis, avant que le procureur Philippe Trudel ait le temps d'achever de formuler la question suivante, M. Hoult a ajouté qu'il croyait que c'était relié à du contentieux (related to litigation).

Les deux affirmations ne sont pas contradictoires, si on envisage que le litige pouvait concerner les méfaits du tabagisme, autrement dit un litige comme celui dont vous suivez présentement les péripéties sur ce blogue.

* *
Aujourd'hui (jeudi), les procureurs des recours collectifs espèrent terminer l'interrogatoire de Peter Hoult.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
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https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
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mardi 2 octobre 2012

64e jour - 1er octobre - Le dromadaire qui ne pouvait pas se passer de nicotine

À l'aube des années 1950, Camel caracolait au sommet de la popularité parmi les marques de cigarettes vendues aux États-Unis. Les annonces de Camel, comme moult annonces à l'époque, étaient affirmatives et verbeuses. (Sur le site de la bibliothèque Lane de l'École de médecine de l'Université Stanford, vous pouvez voir cet exemple daté de 1951).

Au début des années 1980, la marque, que RJR Tobacco avait lancée en 1913, avait perdu beaucoup de son prestige et de son poids sur le marché, notamment au profit de la célébrissime Marlboro du cigarettier Philip Morris. Chez RJR, il fut décidé de redonner de la vigueur à la Camel.

C'est ici qu'entra en scène, dans des annonces suggestives qui pouvaient rejoindre même un public analphabète, Joe Camel, un personnage dessiné avec une tête de camélidé, le plus souvent avec une cigarette à la gueule. (En anglais, le mot camel désigne autant un chameau qu'un dromadaire, comme celui représenté avec réalisme sur les paquets.)
Annonce de 1989 visible sur le
site de l'École de médecine
de l'Université Stanford
Les placements publicitaires de RJR rendirent Joe Camel si omniprésent qu'au début des années 1990, comme l'ont constaté des médecins chercheurs en santé publique dans un article publié en décembre 1991 dans le Journal of the American Medical Association, Joe Camel était devenu aussi connu des enfants de six ans aux États-Unis que Mickey Mouse, l'emblème des productions culturelles destinées aux jeunes enfants.


Le monde comme banc d'essai du marketing aux États-Unis

Ce que le procès des trois grands cigarettiers canadiens en Cour supérieure du Québec a permis de comprendre hier (lundi), c'est qu'avant de résusciter Camel sur le marché américain, les spécialistes du marketing ont commencé par faire un gros succès de la marque sur les marchés étrangers.

Le stratège du marketing qui, durant son séjour chez RJR Tobacco International de 1983 à 1987, avait orchestré la croissance des ventes de Camel hors des États-Unis (pièce 661) fut engagé en 1988 par la filiale américaine de l'empire RJR, vraisemblablement pour répéter ses formules à succès sur le marché intérieur. Dans l'intervalle, de 1987 à 1988, cet homme, qui s'appelle Peter Hoult, fut le président et chef de la direction de la compagnie canadienne RJR-Macdonald. En fin de compte, le brillant parcours de Hoult dans l'univers de la cigarette a pris fin abruptement peu de temps après son engagement par la filiale américaine, dans des circonstances qu'il a évoquées lors de sa première journée de témoignage devant le tribunal du juge Brian Riordan.  Joe Camel, par contre, a connu la notoriété que l'on sait.

En 1984, comme le montre la pièce 661 au dossier, les stratèges de RJRTI planifiaient d'associer Camel au football, le vrai, celui que les Nord-Américains appellent le soccer, un sport populaire auprès de masses de gens sur Terre. Or un document de janvier 1982 versé en preuve hier (pièce 659) montre qu'au Canada, RJR-Macdonald a acheté de la publicité pour sa marque fétiche Export A dans le magazine Junior Hockey.  Et qui était alors le vice-président exécutif au marketing, à la recherche et au développement, et aux ventes de RJR-Mac?   Vous avez deviné.  Lors de son interrogatoire d'hier par Me Philippe Trudel des recours collectifs, qui voulait savoir si Peter Hoult savait quels âges ont les joueurs du hockey junior, le témoin a déclaré qu'il ne connaît rien au hockey (I don't know anything about hockey.)

Alors que Peter Hoult y était en charge du marketing, en 1979-83, RJR-Macdonald, observée avec attention et conseillée par la maison-mère RJRTI en Caroline du Nord (pièce 668), a fondé de grands espoirs sur l'insertion sur le marché canadien de la marque Tempo. Lors de l'interrogatoire de M. Hoult, Me Trudel a cherché à savoir quelle était la clientèle vraiment visée par la compagnie canadienne dans ses annonces de Tempo. (pièce 670)

Ébauches d'annonces de Tempo pour des magazines  (pièce 670)

Des annonces de cette marque placardées en divers endroits publics à Ottawa en 1985 avaient suscité une vive réaction des organismes de lutte contre le tabagisme ainsi que des échos dans la presse, tel ce reportage de la télévision anglaise de Radio-Canada.  C'est peut-être ce qui a valu à la masse des jeunes Québécois d'être épargnée par cette offensive publicitaire, un fait qui a inspiré à Me Doug Mitchell, défenseur de JTI-Macdonald (le nom de RJR-Macdonald depuis 1999), de s'objecter au versement de la pièce 670 au dossier de la preuve. Le juge Riordan a rejeté l'objection.


Offrir une « alternative » aux fumeurs qui songent à arrêter de fumer

La comparution d'un acteur-clef du marketing du tabac comme Peter Hoult a aussi permis aux procureurs des recours collectifs de mettre en lumière les efforts de RJR-Macdonald pour « offrir au fumeur un moyen de sortir de son dilemme quand il veut fumer des cigarettes à basse teneur en goudron et nicotine mais a connu une expérience insatisfaisante avec ces cigarettes »

Quand Me Trudel a montré à M. Hoult l'annonce ci-contre (pièce 572) et lui a demandé si le dilemme (auquel faisait face le fumeur ciblé par la pub) n'était pas celui de fumer ou de cesser de fumer, le témoin n'a pas tenté de patiner et a admis que dans ce cas, c'était le dilemme.  Huit autres annonces de Vantage ont été versées comme pièces au dossier de la preuve (pièces 572 A à G). Hélas, aucune n'est en français (ce qui ne veut pas dire que RJR-Mac s'est abstenu de faire campagne auprès des francophones). 

Toute une série de pièces au dossier passées en revue lundi (pièces 662 à 672) montre que les spécialistes du marketing de RJR-Macdonald et de la maison-mère savaient très bien ce qu'ils faisaient.


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Des nouvelles de la Cour d'appel du Québec

À force de « frapper toutes les balles possibles vers le champ » (la métaphore vient d'un des avocats dans le procès), autrement dit à force de faire appel devant la Cour d'appel du Québec de jugements interlocutoires de l'honorable Brian Riordan, les avocats d'Imperial Tobacco Canada (ITCL), de Rothmans, Benson and Hedges (RBH) et de JTI-Macdonald (JTI-Mac) finiront peut-être par réaliser un coup de circuit.

Pour le moment, Me Marc Beauchemin, pour le compte des recours collectifs, attrape toutes les balles, c'est-à-dire qu'il réussit à convaincre les juges de la Cour d'appel de rejeter les appels des cigarettiers, voire de refuser d'entendre les appels.

Vendredi dernier, quelques minutes seulement après avoir entendu les plaidoiries des avocats Suzanne Côté (ITCL), Simon Potter (RBH), Guy Pratte (JTI-Mac) et Marc Beauchemin, les juges Jacques Dufresne, François Pelletier et Louis Rochette, ont rendu une décision unanime, celle de ne pas entendre d'appel sur la décision du juge Riordan d'autoriser les procureurs des recours collectifs à poser des questions et à amener en preuve des documents au sujet de la contrebande de cigarettes. Le jugement écrit de la Cour d'appel n'est pas encore disponible.

Rappelons que les trois compagnies intimées dans le présent procès en responsabilité civile se sont reconnues coupables en 2008 et 2010 d'avoir alimenté de leurs produits le marché noir des cigarettes au début des années 1990. Les avocats des recours collectifs veulent aborder le sujet parce que le phénomène de la contrebande a été un puissant argument utilisé par l'industrie pour obtenir une réduction de la taxation dissuasive du tabac. Des économistes ont estimé que la baisse radicale de taxe consentie par Ottawa et Québec en février 1994 avait, par son effet sur les prix de vente, momentanément arrêté la baisse de la prévalence du tabagisme dans la population québécoise. Les méfaits sanitaires du tabac ont ainsi fait davantage de victimes, et certaines de ces victimes sont maintenant à l'origine des réclamations de 27 milliards $ aujourd'hui adressées à JTI-Mac, RBH et ITCL.

Ironiquement, deux témoins de l'industrie ont affirmé récemment devant le juge Riordan (Ricard en août et Poirier en septembre) que la taxation n'avait pas d'influence sur le volume de tabac consommé au pays.

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lundi 1 octobre 2012

63e jour - jeudi 27 septembre - Début du témoignage de Peter Hoult

Le 22e témoin au procès en responsabilité civile des trois grands cigarettiers canadiens s'appelle Peter Hoult.

À la fin des années 1960, à Londres, Peter Hoult, qui avait étudié en psychologie et en science économique, faisait déjà de la recherche en marketing, parfois pour les compagnies de tabac. En 1972, il fut recruté pour diriger les recherches en marketing chez RJR Tobacco International (RJRTI), entreprise alors basée à Genève et filiale du holding R. J. Reynolds Industries de Winston-Salem en Caroline du Nord. (RJR Tobacco US était aussi une filiale, LA principale filiale, de ce holding, et elle aussi située à Winston-Salem.)  Au bout de trois années et demie, RJRTI l'a envoyé à Hong Kong en 1976 pour s'occuper du marketing et plus tard prendre les rênes d'une filiale présente sur le marché du Pacifique.

M. Hoult est arrivé au Canada chez RJR-Macdonald, filiale de RJRTI, en qualité de vice-président au marketing, en décembre 1979, puis il est devenu en 1982, le vice-président exécutif du marketing, de la recherche et du développement, et des ventes.

En 1983, notre bonhomme a été promu vice-président au marketing international de l'ensemble du groupe RJRTI, et il a quitté Montréal pour Winston-Salem (où certaines fonctions centrales de RJRTI avaient été déplacées avant d'être relocalisées à Londres quelques années plus tard, puis ramenées à Genève)  M. Hoult est cependant revenu au Canada en 1987 comme président et chef de la direction de RJR-Macdonald, et est resté jusque vers la fin de 1988, quand il a accepté un poste chez R. J. Reynolds Tobacco des États-Unis, la grande compagnie-soeur de RJRTI.

(Cette dernière promotion ne devait pas bien le servir puisque c'est en 1989 que le groupe R. J. Reynolds Industries, qui était devenu RJR-Nabisco en 1985, fut l'objet d'une prise de contrôle hostile par des requins de la finance, prise de contrôle qui s'est soldée entre autres par des congédiements dans la haute direction ainsi que par la restructuration de plusieurs entreprises du groupe, ou leur vente à d'autres intérêts. M. Hoult, qui est maintenant âgé de 68 ans, a dit que sa carrière dans le monde du tabac s'est arrêté à ce moment, en 1989. Cela n'est pas dire que le marketeur Peter Hoult n'a pas été un acteur influent dans cette industrie.)

La rédactrice-éditrice du blogue Eye on the trial, Cynthia Callard, s'est souvenu que ce n'est pas la première fois que Peter Hoult comparaît devant un tribunal au Canada. M. Hoult avait témoigné devant la Cour supérieure du Québec en septembre 1989 quand les grands cigarettiers contestait en justice la constitutionnalité de la Loi réglementant les produits du tabac adoptée à Ottawa en 1988, une affaire qui s'est ramassée en Cour suprême en 1995.

* *

Parmi les choses qu'a racontées Peter Hoult à l'interrogateur Philippe Trudel, il y a celle de la forte centralisation de la recherche et du développement à Winston-Salem, en Caroline du Nord, pour l'ensemble de l'empire R. J. Reynolds, même si certaines recherches étaient menées dans des filiales, comme Macdonald à Montréal.

Pour les marques « internationales » du groupe RJR (Camel, Winston, Vantage, etc), même la production était également concentrée aux États-Unis.

Sans le savoir, l'ancien cadre de haut niveau a cependant contredit sur (au moins) un point le témoin qui l'a précédé, Raymond Howie.  Le chimiste et cadre de Montréal avait parlé du nombre et des qualifications des chercheurs chez R. J. Reynolds à Winston-Salem, sous entendant qu'ils pouvaient étudier les aspects sanitaires de l'usage du tabac. Le témoin Hoult a reconnu d'emblée qu'il ne se faisait pas de recherches médicales là-bas.  (Là non plus.)

Quant aux sommes versées par RJR-Macdonald à la recherche médicale externe, par le truchement du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC), Peter Hoult a affirmé qu'elles étaient dérisoires.  Il a suggéré de lui-même que ces efforts de recherche étaient bien utiles d'un point de vue de relations publiques.

M. Hoult fait partie de ces témoins qui ont beaucoup à dire, et pas nécessairement pour éviter de répondre à une question embêtante. N'étant pas au courant de ce que d'autres témoins ont déjà expliqué au tribunal, plusieurs témoins arrivent au palais de justice avec un désir d'expliquer qui se heurte parfois au désir tout aussi légitime des procureurs d'arriver plus vite aux choses nouvelles. Le juge Riordan est intervenu en matinée pour demander à Me Trudel d'attendre la toute fin des réponses de M. Hoult.  Me Trudel a compris et ajuster son tempo. M. Hoult ?  On verra.

Quant aux positions de RJR-Macdonald concernant les méfaits sanitaires du tabac, Peter Hoult n'a aucun souvenir qu'elles aient divergé de celles de RJRTI. M. Hoult a aussi évoqué le leadership de Tylee Wilson, le grand patron du holding américain qui chapeautait  RJR Tobacco aux États-Unis et RJRTI dans le reste du monde, et il a souligné que la position en matière de santé était commune à tout l'empire RJR.

En ce sens, le témoignage de Peter Hoult vient soutenir une impression qu'avait déjà laissée un document versé en preuve lors de la comparution de Michel Poirier, actuel chef de la direction de JTI-Macdonald (RJR-Mac est devenu JTI-Mac en 1999).


Le tabou des recherches de marketing sur les mineurs

En après-midi, Me Trudel a fait examiner à M. Hoult des documents datant de l'époque où il est arrivé à Montréal pour travailler chez RJR-Macdonald.

Dans un mémo lu par Peter Hoult à l'époque, il est question d'« expurger les dossiers (de marketing) des références aux âges inférieurs à 18 ans », afin de se conformer à la directive reçue du président de RJRTI (pièces 656A et 656 au dossier).  Sam Witt III, avocat interne chez RJRTI à Winston-Salem, et Guy-Paul Massicotte, son homologue dans la filiale Macdonald à Montréal, étaient les promoteurs de cette politique (pièce 656B).

Cela n'a pas empêché RJR-Mac de continuer de s'intéresser aux adolescents (pièce 657).  La compagnie a même acheté d'une firme externe, Creative Research, une analyse provenant d'une étude de marketing concernant le ciblage des jeunes (Youth Target 1987). Le même texte, avec ses nombreux diagrammes et son amusante catégorisation des jeunes (pièce 520-CRY27), a été déjà examiné au 50e jour du procès, à l'occasion de l'interrogatoire d'Ed Ricard en août dernier. L'exemplaire acheté par RJR-Macdonald et celui acheté par Imperial Tobacco concernent toutes les deux les attitudes, les habitudes de vie et le comportement tabagique des jeunes Canadiens de 15 à 24 ans.

L'étude achetée par RJR-Mac (pièce 658Aet celle achetée par 
Imperial Tobacco (CRY-527) ont des couvertures différentes.
Il y a eu toute une histoire en août à propos du maquillage que la compagnie Imperial Tobacco avait fait faire à cette étude qu'elle-même et la brasserie Labatt avaient payée. (Et RJR-Mac en plus, on le voit maintenant.)

Sans le savoir, Peter Hoult a marqué un but contre Imperial en admettant d'emblée qu'il aurait été illogique qu'une entreprise comme RJR-Macdonald paie pour avoir les résultats d'une étude omnibus et demande du même coup d'en retrancher des renseignements.  RJR-Mac s'est contenté de changer la page de garde du document qui a circulé à l'interne (pièce 658C)

Le témoignage de M. Hoult se poursuit aujourd'hui (lundi).

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