Aucun message portant le libellé Mercier. Afficher tous les messages
Aucun message portant le libellé Mercier. Afficher tous les messages

mercredi 9 mai 2012

25e jour - 8 mai - Le mystérieux docteur d'Ottawa : la fin d'un mythe

Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve, lisez les instructions à la fin du message d'aujourd'hui.

Mardi, après l'interrogatoire de Jean-Louis Mercier par Me Philippe Trudel puis Me Maurice Régnier, suivi de l'interrogatoire d'Anthony Kalhok par Me Bruce Johnston et Me Régnier, il ne restait que des cendres froides du mythe dans lequel des cadres d'Imperial Tobacco (Mercier, Descôteaux et Kalhok, à tout le moins) ont pu se complaire trop longuement : celui que leur compagnie avait agi en conformité de demandes du ministère fédéral de la Santé, et plus précisément de demandes d'un ancien haut fonctionnaire, le pharmacologue Alexander B. Morrison, en ce qui concerne le marketing des cigarettes dites douces ou dites légères.

Me Maurice Régnier, qui représente le gouvernement fédéral, à qui les trois grands cigarettiers tentent de faire porter le blâme judiciaire pour leurs agissements, souhaitait depuis des semaines d'avoir l'occasion de rafraîchir la mémoire assoupie ou trop anecdotique des cadres d'ITCL.  C'était la première fois hier que l'un des avocats du gouvernement du Canada posait des questions à des témoins à ce procès.

Le procureur Régnier a fait lire à l'ancien chef de la direction d'Imperial une lettre du ministre fédéral Marc Lalonde datée du 16 mars 1976 et adressée à Paul Paré, alors président du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) et grand patron d'Imperial.  Jean-Louis Mercier a reconnu qu'Ottawa avait effectivement demandé une réduction de la teneur en nicotine des cigarettes, et pas seulement de la teneur en goudron. pièce 50001

Puisque M. Mercier ne paraissait pas encore convaincu de ce qu'était aussi l'opinion du fameux « docteur Morrison », Me Régnier lui a servi deux lettres du haut fonctionnaire qui enfonçaient les clous, datées de 1977 et 1978.  (pièces 50002 et 50003)

La lettre du sous-ministre adjoint Morrison d'avril 1977 demandait notamment si l'industrie canadienne ne pourrait pas envisager d'apposer un jour de claires mises en garde sanitaires sur les emballages de cigarettes, comme l'industrie suédoise le faisait alors (déjà).

La contrainte que l'industrie cigarettière canadienne se serait prétendument senti imposée à l'époque de son code d'autoréglementation n'a nullement empêché le président du CTMC de remettre fermement les fonctionnaires à leur place, comme dans ce passage d'une lettre-réponse de septembre 1977:  « Nous sommes en désaccord avec ce type d'activité (apposer des mises à garde claires comme en Suède). Les compagnies membres devraient continuer de communiquer de l'information aux fumeurs à propos de leurs propres marques, mais ne peuvent raisonnablement pas être censées d'annoncer ou de promouvoir la notion que les gens ne devraient pas fumer, ou que fumer est mauvais pour vous.»  pièce 50004

(M. Paré se trouvait ainsi à dire que les messages ambigus que l'industrie apposait à l'époque sur les annonces étaient loin d'être des mises en garde sanitaires significatives.)

Me Régnier a demandé à Jean-Louis Mercier, chef de la direction d'Imperial de 1979 à 1993, si sa compagnie avait par la suite changé sa politique consistant à ne pas prévenir les fumeurs que fumer était dommageable pour leur santé.

Pas vraiment, a avoué M. Mercier.

Avant d'être achevé par le procureur du gouvernement canadien, le témoin Mercier avait été forcé de faire quelques admissions supplémentaires à l'avocat Philippe Trudel des recours collectifs et à l'avocate Suzanne Côté d'Imperial Tobacco.

C'est ainsi que contrairement à ce que l'ancien chef de la direction d'Imperial proclamait lors de son premier jour de témoignage, des additifs étaient utilisés par sa compagnie au début de son règne (pièce 286).

À l'examen d'une autre pièce (pièce 284), M. Mercier a reconnu que sa compagnie s'intéressait aux « starters » (les fumeurs débutants), et pas seulement aux « switchers » (les fumeurs qui pourraient changer de marque), pour savoir non seulement leur nombre et prédire la taille future du marché (visée admise depuis longtemps), mais pour savoir quel genre de publicité fonctionnait avec eux.

L'interrogatoire de Me Côté a semblé surtout viser à faire admettre par le témoin Mercier que son témoignage valait moins que celui de diverses autres personnes, lesquelles sont comparues devant le tribunal depuis mars, ou seront possiblement appelées à témoigner.  Les juristes et le public raréfié de la salle d'audience ont pu avoir l'impression d'assister à la « tactique de la terre brûlée », mais appliquée sans profit une fois la récolte engrangée.

Le juge Riordan a remercié M. Mercier de son témoignage et lui a donné son congé.

Douceur et légèreté

L'ancien spécialiste du marketing chez Imperial de 1975 à 1985, Anthony Kalhok, est revenu devant le tribunal pour répondre à des questions du procureur du gouvernement du Canada, et à questions des autres parties qui leur ont été inspirées par l'examen de pièces versés au dossier de la preuve depuis son témoignage d'avril.

Interrogé  dans un premier temps par le procureur Bruce Johnston des recours collectifs, le témoin Kalhok a indiqué que l'utilisation de la référence à la légèreté dans le marketing du tabac remontait aux années 1930 et avait été remis en vogue avec la mise en marché de cigarettes à basse teneur en nicotine et en goudron dans les années 1970.

M. Kalhok a expliqué que l'utilisation du terme « léger » à la suite du nom d'une marque déjà lancée servait à la démarquer des autres variétés de la même marque, et n'était pas une référence à un niveau absolu de goudron ou de nicotine, et même pas une référence à un niveau de goudron et de nicotine comparé au niveau d'une autre marque.

En revanche, comme le témoin devait l'expliquer plus tard au procureur Maurice Régnier, le terme « doux » ne se voulait pas un comparatif, mais une qualification qui était largement utilisée aussi couramment avant qu'après la venue des cigarettes à basse teneur en nicotine ou en goudron.

Quant à l'association mentale entre léger ou doux, d'une part, et basse teneur en goudron ou en nicotine, d'autre part, elle était le fait des fumeurs eux-mêmes.  Les cigarettiers aurait simplement profité de cette confusion.

Une chose était cependant restée en travers de la gorge du procureur Maurice Régnier : l'approbation qu'aurait livrée verbalement le sous-ministre adjoint Morrison au marketeur Kalhok, lors d'une rencontre sans autre témoin, à propos de l'usage du mot « léger » envisagé par ITCL avec le lancement de la Player's Light en 1976. (M. Kalhok a évoqué cette rencontre le 18 avril dernier, lors d'un interrogatoire par Me Craig Lockwood d'Imperial Tobacco.)

Me Régnier a mis sous les yeux du témoin la correspondance du sous-ministre Morrison avec le CTMC et la haute direction d'Imperial, une correspondance de 1977 et 1978 qui ramène le souvenir doré de M. Kalhok au niveau de l'anecdote sans grande signification, comme un souriant oasis dans une relation industrie-gouvernement plutôt sèche.

De l'examen des pièces 5005A, 50006, 50009, 50009A, 50009B, 50010 et 50011 ressort que le gouvernement du Canada n'était pas satisfait du flou où l'industrie se complaisait et a demandé, notamment à Imperial Tobacco, de changer son usage du mot « léger ».  ITCL a défendu ses positions, y compris sur les conseils du spécialiste du marketing Kalhok, et n'a pas changé sa pratique.

Le juge Riordan a remercié Anthony Kalhok de sa collaboration et lui a donné son congé.

***
Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve et autres documents relatifs au procès des cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec, il vous faut

1- d'abord aller sur le site des avocats des recours collectifs à https://tobacco.asp.visard.ca ;
2- cliquer alors sur la barre bleue intitulée « Accès direct à l'information »;
3- retourner lire le blogue et cliquer sur les liens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche pour accéder à toutes les autres pièces.

mardi 8 mai 2012

24e jour - 7 mai - Une décision, un mort et la crème glacée

Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve, lisez les instructions à la fin du message d'aujourd'hui.

Hier, un fantôme est venu hanter l'une des compagnies intimées dans le méga-procès en Cour supérieure du Québec, en l'occurrence Imperial Tobacco Canada.

Cela est une conséquence d'un jugement de Brian Riordan rendu la semaine dernière qui a autorisé la production en preuve de certaines pièces au procès en recours collectifs des trois grands cigarettiers canadiens.

Le fantôme s'appelle Robert Bexon.  M. Bexon fut le directeur de la stratégie marketing et de son développement chez ITCL durant une partie des années 1980, avant de continuer sa carrière chez Brown & Williamson, une autre filiale de la multinationale British American Tobacco (BAT) de Londres, filiale basée au Kentucky.

Après que BAT ait liquidé tous les actifs du holding Imasco en dehors de la fabrication de produits du tabac, et pris le contrôle total et direct d'ITCL, Bexon est revenu à Montréal présider la compagnie canadienne, de 1999 à 2004.  M. Bexon est décédé dans un accident de la route au Québec en 2008.

*
Dans une lettre manuscrite qu'il adressait à ses supérieurs Wilmat Tennyson et Bill Sanders vers 1985 (la date reste à préciser mais la période ne fait pas l'objet d'un désaccord entre les parties), Bob Bexon écrivait que « comme c'est parti aujourd'hui, et sans mesure corrective, notre industrie disparaîtra dans un futur à moyen terme.» (traduction de l'auteur du blogue) (pièce 266)

Bexon écrivait cela après avoir étudié les premiers résultats d'une grande recherche d'Imperial Tobacco sur les consommateurs intitulée Project Viking. 

L'expert en marketing et futur grand patron constatait que les fumeurs ne tirent plus de plaisir de fumer et ne le font que parce qu'ils sont dépendants.  « Les bénéfices (du tabagisme) sont ceux que les fumeurs associent directement aux effets addictifs de la nicotine.  En conséquence, dans le contexte moderne, ils ne sont pas même vus comme des bénéfices.  Parce que ces bénéfices sont l'effet chimique de la nicotine, les fumeurs les voient comme le reflet de leur propre faiblesse personnelle.  Ils recherchent ces résultats mais n'en sont pas heureux.  Si notre produit ne créait pas la dépendance, nous ne vendrions plus une cigarette dans une semaine en dépit de ses propriétés psychologiques positives.»

Bexon notait aussi que les sensations éprouvées ne transparaissaient même pas dans les descriptions que les fumeurs faisaient de leur expérience.

En contrepartie de ses propos généralement sombres, Bexon affirmait que « la bonne nouvelle est que d'arrêter de fumer est un processus difficile », puis plus loin, que « comme les alcooliques, les fumeurs se rendent compte qu'ils seront toujours des fumeurs et peuvent toujours rechuter».

Le spécialiste du marketing écrivait aussi que « faire quelque chose concernant l'initiation (au tabagisme) est notre plus importante priorité à long terme ».

* *
Dans une lettre du 20 novembre 1984 à son collègue du marketing Wayne Knox, Bob Bexon estimait que le futur de l'industrie du tabac dépendait de sa capacité à maintenir sa clientèle actuelle et à créer de nouveaux clients.  (pièce 267)

Le spécialiste du marketing croyait que l'action valait mieux que l'inaction et recommandait trois orientations à prendre : infléchir les vues du public sur le tabagisme, introduire sur le marché des produits qui soient une alternative acceptable aux cigarettes de l'époque et à l'abandon du tabac, et « lancer des projets  pour s'assurer de la consommation des produits du tabac par les jeunes ».  Le long rapport de Bexon contenait une analyse approfondie et diverses pistes de solution.

(Il semble que Bob Bexon avait de la suite dans les idées en matière d'innovation commerciale puisque c'est sous sa présidence qu'Imperial a lancé le snus Du Maurier, un produit qui consiste en sachets de tabac.  Le consommateur ne fume pas le sachet mais le glisse quelque part entre ses joues et ses gencives, et le suçote tranquillement.)

La concurrence et la contrebande

Jean-Louis Mercier, l'ancien chef de la direction d'Imperial de 1979 à 1993, a eu du mal à faire croire que sa compagnie vendait toujours ses cigarettes en paquets d'au moins vingt unités.

Quand le procureur des recours collectifs Philippe Trudel a montré certaines analyses internes d'Imperial faisant état du lancement de paquets de 15 cigarettes en juin 1986 et de leur utilité pour favoriser l'expérimentation du tabac par les jeunes, le témoin Mercier a justifié sa compagnie en disant que c'est la concurrence qui avait commencé.  (pièces 266 et 63)

Quand Me Trudel a alors demandé si une telle attitude était morale, l'ancien chef de la direction d'ITCL a alors fait état de la fréquence des ventes à l'unité dans les commerces, pratique qui faisait en sorte que la taille des paquets importait peu.  M. Mercier savait cela par les représentants de sa compagnie auprès des détaillants.

Quand Me Trudel a voulu savoir s'il n'aurait pas été opportun pour l'industrie de cesser de payer les détaillants pour aménager des « power walls » (des étalages criards) de produits du tabac autour de la caisse, Jean-Louis Mercier s'est soudain montré peu familier avec le sujet.  Me Trudel lui a alors demandé s'il n'aurait pas été opportun d'au moins modérer les paiements aux commerces situés près d'écoles, M. Mercier a dit que les détaillants trouvaient déjà les compagnies trop modérées...

**
Jean-Louis Mercier a aussi fait valoir que les paquets de 15 cigarettes, malgré leurs prix inférieurs aux paquets de plus gros volumes, ont été concurrencés au début des années 1990 par les paquets vendus sur le marché noir.  (L'ancien patron d'Imperial, qui a pris sa retraite en 1993, donne l'impression de ne pas savoir que sa compagnie a reconnu en juillet 2008 sa culpabilité dans l'alimentation de ce marché noir du début des années 1990.)

Dans le jargon corporatif d'Imperial, comme l'a découvert le juge Riordan hier, la contrebande s'appellait « cross border business », le commerce transfrontalier.  Vers la fin du règne de Mercier, les exportations vers les États-Unis de produits canadiens explosaient mystérieusement.  Le témoin a dit que sa compagnie avait durant quelques mois suspendu ces exportations mais les avait reprises en voyant que les concurrents canadiens profitaient sans vergogne de la situation.

** **
À deux reprises dans l'après-midi de lundi, en examinant avec le procureur des documents internes de sa compagnie, et en tentant de répondre ou de ne pas répondre aux questions, Jean-Louis Mercier a parlé de dépendance et de crème glacée.

La première fois, il a tenté de faire valoir une différence entre être la dépendance à une drogue dont on ne peut pas se sevrer, et la dépendance à la « crème à glace » qu'il est facile de surmonter.  Selon toute vraisemblance, la dépendance au tabac serait de la seconde catégorie aux yeux du témoin Mercier.

Plus tard, le vétéran de l'industrie du tabac a comparé les cigarettes des années 1950, dont il dit qu'elles contenaient plus de goudron et qui n'étaient pas munis de filtres, avec de la dynamite, parce qu'une bouffée peut vous étourdir.  (M. Mercier a fumé ses premières cigarettes vers la fin des années 1940.)

Les cigarettes actuelles se compareraient plutôt à « de la crème glacée »...??!!

Il faisait soleil et doux à Montréal hier.  Il n'est pas impossible que les pauses aient servi au témoin, comme aux juristes, à rêver de l'été.

** ** **
Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve et autres documents relatifs au procès des cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec, il vous faut

1- d'abord aller sur le site des avocats des recours collectifs à https://tobacco.asp.visard.ca ;
2- cliquer alors sur la barre bleue intitulée « Accès direct à l'information »;
3- retourner lire le blogue et cliquer sur les liens à volonté.
Il y a aussi un moteur de recherche pour accéder à toutes les autres pièces.

vendredi 4 mai 2012

23e jour - 3 mai - Mercier met quelques rondelles dans son propre but

Malgré ses 78 ans, Jean-Louis Mercier, qui fut président et chef de la direction d’Imperial Tobacco de 1979 à 1993, s’est montré, comme les autres hommes de la compagnie lors d’interrogatoires en mars et en avril, très capable d’esquiver les questions embarrassantes des procureurs des recours collectifs, par des réponses évasives et parfois assez distrayantes.

(Cette semaine, comme lors de sa comparution en avril, l’ancien président semblait avoir envie de parler des « taxes qui augmentaient de façon vertigineuse » (à une époque non précisée), mais aucun avocat n’avait de questions à lui poser à ce sujet.) 

N’empêche que le vétéran du tabac a fini par mettre quelques rondelles dans son propre but, durant son interrogatoire d’hier (jeudi) par Me Philippe Trudel. 

Sur la ligne

Dans la matinée, M. Mercier a examiné avec le procureur un procès-verbal daté du 28 septembre 1989 d’une réunion de délégués de filiales de British American Tobacco (BAT) qui avait eu lieu lors d’un rassemblement, du 18 au 22 septembre de la même année, dans un hôtel de Vancouver. 

Depuis le début du procès des cigarettiers, l’examen de ce genre de documents commence souvent par une identification des participants.  Dans ce cas, la colonne des noms était flanquée d’une colonne où figure le nom de l’entreprise d’origine du participant. 

Le témoin Mercier a établi spontanément qu’il ne s’agissait pas d’une réunion de présidents de filiales (comme celles que lui avait durant ces mêmes journées à Vancouver), mais d’une réunion de « scientifiques », étant donné que la plupart des noms étaient précédés des lettres « Dr ».

(Depuis le début du procès, il appert que l’industrie semble employer le mot docteur indistinctement pour les médecins et les docteurs en chimie ou dans une autre discipline). 

Les noms apparaissant dans la liste n’ont éveillé aucun souvenir ferme chez M. Mercier sauf ceux du Dr S.R. Massey et du Dr P. J. Dunn, deux hommes qui travaillaient pour Imperial à Montréal. 

Me Trudel a attiré l’attention sur un nom : Dr J. S. Wigand.  Puis il a demandé si le témoin sait qui c’était. 

L’ancien président d’Imperial Tobacco a dit que le nom de Jeffrey Wigand ne lui disait rien… (mais il a prononcé son prénom, alors qu’il n’apparaît nulle part dans le document). 

« De Brown and Williamson ?, a ajouté Me Trudel en attirant alors l’attention sur la colonne des noms d’entreprise.

Ah c’est lui, ça !», s’est exclamé M. Mercier, non sans faire pouffer de rire quelques juristes dans la salle d’audiences.  Oui, il en a entendu parler.  (Sur Wigand, lire notre blogue du 7e jour, le 21 mars).


Me Trudel a tenté de savoir pourquoi la version finale du procès-verbal de ladite réunion à Vancouver, finalement arrivée chez Imperial six semaines après la réunion, comptait 3 pages au lieu de 14, comme dans la version de septembre.

M. Mercier a patiné et n’a fourni aucune explication.

Dans le filet

Dans l’après-midi, en étudiant un document avec le témoin, le procureur Trudel a demandé à ce dernier d’expliquer le sens de l’expression « nicotine acceptability ».
 
Mercier : « J’essaie de deviner la phrase… (Elle doit signifier: ) Ne pas jouer avec le niveau de nicotine dans les produits ?...

Me Trudel : Avoir un niveau minimum ?

Mercier, rétif puis catégorique : Il ne fallait pas le changer (le niveau). 

Me Trudel : Même si cela réduit les nitrosamines du même coup ?


Mercier : Il n’y a pas de preuve que la nicotine cause des maladies.

Me Trudel : Ce n’est pas un cofacteur dans le développement des cancers ?


Mercier : Dans la mesure où cela fait fumer les gens…»

Un premier ange est passé dans la salle d’audiences.

*
Un peu plus tard, Jean-Louis Mercier a entonné le refrain des cadres d’Imperial sur la valeur scientifique de l’épidémiologie. 

Me Trudel : « En contestiez-vous les conclusions ? 

Mercier : Aucune raison de contester ni de croire. 

Mercier : Une preuve épidémiologique n’est pas une preuve scientifique

Me Trudel a évoqué les notions de corrélation et de causalité.

Mercier : « On peut presque parler de causalité dans le cas du cancer du poumon.»

Comme s’il sentait qu’il s’est « aventuré » trop loin, Jean-Louis Mercier a retraité aussitôt en demandant pourquoi 85 % des fumeurs n’ont pas le cancer du poumon.  Il a déploré que l’épidémiologie ne dise pas pourquoi.

Me Trudel a demandé si les clients d’Imperial étaient bien informés des risques de cancer.  L’ancien président de la compagnie a répondu qu’ils l’étaient grâce aux avertissements de santé.

Le procureur Trudel a voulu parler de ces 15 % de fumeurs que le cancer frappe.

Mercier : « C’est pas beaucoup.

Me Trudel : Pas beaucoup ?!

Mercier : On spécule, là.
 
Le ton soudain rogue du témoin invitait à changer de sujet et le procureur avait quantité d’autres rondelles à lancer.

Un code volontaire qui n’empêchait rien

Trois des anciens cadres d’Imperial qui ont comparu jusqu’à présent devant le tribunal ont parlé du code volontaire de l’industrie en matière de marketing.

À entendre les Descôteaux, Kalhok et Mercier, la liberté que l’État a longtemps laissé à l’industrie de s’auto-réglementer équivalait non seulement à une « entente avec le gouvernement », mais à une entente qui contraignait leur entreprise et ses concurrentes à ne pas adresser aux consommateurs de claires mises en garde en matière de santé.

Mercredi après-midi, Me Philippe Trudel, était parvenu à faire ressortir le flou artistique et l’absence de dents du fameux code de l’industrie, en examinant avec Jean-Louis Mercier une version discutée au tribunal dans la matinée, lors de l’interrogatoire de Michel Descôteaux par l’avocate d’Imperial Tobacco Deborah Glendinning.

Hier, le procureur Trudel est revenu à la charge.

Une de ses questions, qu’il a dû répéter quatre fois avant d’obtenir une réponse cohérente, était la suivante : Dans le code volontaire de l’industrie, est-ce qu’il y avait un empêchement pour ITCL d’aviser (ses clients) de tous les risques et de leur étendue ?

L’ancien président d’Imperial a commencé par dire que « c’est pas nous qui avons décidé du code volontaire au complet ».
  
Le procureur des recours collectifs a reposé sa question.  Jean-Louis Mercier a encore tourné en rond.

Me Trudel : « Est-ce que le gouvernement était signataire ?

Mercier : J’ai pas vu la signature.»


Après s’être fait répéter que « l’entente » était cruciale pour les quatre compagnies en concurrence, et à défaut que le témoin dise pourquoi l’industrie n’avait pas jugé important que quelqu’un au gouvernement signe la soi-disant entente, le procureur a demandé à M. Mercier de se remettre le code volontaire de l’industrie sous les yeux.


Me Trudel : « Est-ce qu’il y avait un empêchement pour ITCL d’aviser de tous les risques et de leur étendue ?»

 
Le témoin a regardé le texte et n’est pas arrivé à montrer une clause du code à cet effet.

 
M. Mercier a ensuite posé une question-commentaire que le juge Riordan a gentiment suggéré aux avocats de noter.


Me Trudel est alors revenu une quatrième fois avec sa question: « Est-ce qu’il y avait un empêchement pour ITCL d’aviser de tous les risques et de leur étendue ?


Jean-Louis Mercier : Techniquement, rien ne nous empêchait.»


Tout le monde a regardé passer un deuxième ange dans la salle d’audiences.


Abus de procédures par Imperial


Mercredi soir, Brian Riordan a rendu un jugement favorable à une requête des avocats des recours collectifs pour que la partie défenderesse, en particulier Imperial Tobacco, cesse de s’objecter à la production de plusieurs documents devant le tribunal, en particulier certains documents-orphelins.


Le juge Riordan déclare, entre autres, qu’ « ITL n’avait pas le droit de se lancer dans une guerre d’usure afin de rendre difficile au maximum la production de milliers de documents que les demandeurs voudront déposer en preuve dans ces dossiers. »

vendredi 20 avril 2012

18e et 19e jours - 18-19 avril - Oublis et dérapages

Avec un ancien vice-président au marketing comme Anthony Kalhok, les avocats ont notamment cherché des lumières sur les perceptions des fumeurs.  Avec un conseiller juridique en chef comme Roger Ackman, le sujet de la rétention/élimination de documents était un incontournable.

En Jean-Louis Mercier, qui fut pendant environ 14 ans le président de la plus grande entreprise de cigarettes au Canada, le tribunal et le public s’attendaient peut-être à entendre les réponses d’un homme animé d’un minimum de curiosité intellectuelle, ou qui le fut au plus fort de sa carrière.

Par moment, comme jeudi après-midi, quand il a commencé à parler de cigarette par exemple, Jean-Louis Mercier a donné l’impression de s’être intéressé au sujet.  Mercier n’en a oublié ni la confection, ni le goût.  (Mercredi, il s’est vanté de fumer encore, à bientôt 78 ans.)

L'ancien président d’Imperial Tobacco a nommé les grandes familles de cigarettes : la turque, l’américaine et la virginienne.  Il a parlé du tabac séché à l’air très chaud dans des hauts séchoirs, méthode utilisée pour le tabac qui aboutit dans toutes les cigarettes vendues au Canada.  Un tabac sans additif, a glissé M. Mercier au passage.

Parlant de la ventilation d’une cigarette, le témoin a expliqué qu’elle se fait par le papier et par des petits trous dans le filtre.  Il a dit que la nicotine est gazeuse quand elle est chauffée et que c’est l’air aspiré qui la dilue, alors que l’apport en goudron et en particules fines est diminué par le filtre, mais pas trop, « sinon vous tirez de l’air ».

Comme la veille, toute la salle écoutait avec attention, y compris le procureur des recours collectifs Philippe Trudel.

Mais quand ce dernier a demandé au témoin, entre autres, si on peut augmenter l’impact de la nicotine avec des additifs, l’ancien président a dit qu’il ne sait pas.

Au fil des journées de mercredi et de jeudi, Me Trudel a montré plusieurs documents que l’ancien président a reçus, ce que M. Mercier ne met pas en doute, mais le témoin ne se souvient pas de leur contenu.   (pièces 191, 192, 193, 194, 195 au dossier de la preuve)

Les documents de British American Tobacco parlaient, entre autres, de nouvelles cigarettes avec des perforations dans le filtre, des trous que 40 % des fumeurs bouchaient, plus ou moins consciemment.  Il était amplement question du phénomène de la compensation, objet de plusieurs questions hier. 

*
Hier matin, l’ancien président d’Imperial Tobacco ne pouvait pas non plus se souvenir que ses avocats considéraient comme une « victoire majeure » qu’un juge ait décidé en 1989 que l’industrie du tabac n’avait pas d’obligation de partager avec le gouvernement ses documents scientifiques.pièce 70

C’est à peine s’il se souvenait qu’Imperial Tobacco était allé devant les tribunaux pour contester l’interdiction de la publicité du tabac prévu par la Loi réglementant les produits du tabac de 1988.  Une affaire qui n’était pas finie quand Jean-Louis Mercier a pris sa retraite en 1993.
Dans l’après-midi, Me Trudel a examiné avec Jean-Louis Mercier le compte-rendu d’une rencontre, à Rio en 1983, des présidents des filiales du groupe British American Tobacco.  Le témoin se souvenait d’avoir été à Rio, comme il se souvenait mercredi d’avoir aimé séjourner en Autriche pour une autre réunion de ce genre.

Citant un bout du compte-rendu, Me Trudel a demandé en quoi les mises en garde sanitaires peuvent être perçues comme une menace par les présidents des compagnies.  L’ancien président d’Imperial Tobacco s’est mis à parler du coût de la réimpression des paquets, à distinguer du coût minime d’avertissements sur les annonces.

Quand Mercier réfléchissait à l'avenir

En matinée, le procureur des recours collectifs a introduit en preuve un long document de réflexion produit en 1987 par le président de l’entreprise, Jean-Louis Mercier, et son « président du marketing», Wilmot Tennyson :  Some thoughts on Smoking and Health, Social Acceptance, Social Cost and Environmental Tobacco Smoke.  (pièce 187)

Le texte se voulait une analyse des perspectives de l’industrie du tabac en face du changement des mentalités concernant les méfaits sanitaires du tabagisme et l’acceptabilité sociale du produit.

Parmi les perles, on peut noter celle-ci (traduction de l’auteur du blogue) : « Le tabagisme est un sérieux risque pour la santé; c’est un fait accepté et il n’y a plus de possibilité de réfutation.  Les gouvernements en sont convaincus, les fumeurs le concèdent, les non-fumeurs sont indignés, les actionnaires et le personnel sont confondus ».

Le texte marqué comme « strictement personnel et confidentiel », n’était destiné qu’à deux autres lecteurs, soit Paul Paré et Purdy Crawford, alors les deux plus hauts dirigeants du holding Imasco, qui possédait 100 % d’Imperial Tobacco (et était contrôlé par British American Tobacco).

Lorsque le procureur Philippe Trudel a cherché à savoir si Imperial avait à l’époque le moindre doute que le tabagisme tuait à l’époque 32 000 Canadiens par année, Jean-Louis Mercier a répondu que si le gouvernement pouvait prouver scientifiquement que le produit tuait, cela aurait été une bonne raison de l’interdire.

**
Les audiences du procès en recours collectifs des cigarettiers canadiens reprendront le lundi 30 avril devant la Cour supérieure du Québec.

Entre temps, ce blogue s’intéressera à ce qui se passe concernant ce procès, mais du côté de la Cour d’appel du Québec.

jeudi 19 avril 2012

18e jour - 18 avril - 4 témoins, 3 parties, 2 langues, 1 rêve

La journée de mercredi a vu l’entrée en scène d’un quatrième témoin, Jean-Louis Mercier, dans l’après-midi, alors que le témoin du matin, Anthony Kalhok, devra revenir d’ici la fin du mois pour répondre aux questions de la troisième partie, le gouvernement du Canada, dans la poursuite en recours collectif contre les grands cigarettiers du marché canadien.

Pour la première fois depuis le 12 mars dans cette cause au palais de justice de Montréal, un interrogatoire, celui de M. Mercier, a eu lieu en français. (Michel Descôteaux avait demandé d’être interrogé en anglais, langue utilisée ensuite pour les témoins Ackman et Kahlok.)

Tout le monde caresse le rêve d’un procès dont le calendrier chargé des témoignages ne nécessiterait pas des rajustements au moins une fois par mois, mais vit dans un monde où la route vers la justice est parsemée de nids de poule, pour reprendre une métaphore qu’affectionne le juge Brian Riordan.

*

En début de matinée, l’ancien vice-président au marketing d’Imperial Tobacco, Anthony Kalhok a prêté son concours aux procureurs des recours collectifs Bruce Johnston et André Lespérance afin de mieux comprendre les liens entre différents documents examinés devant le tribunal, cela avant de les verser comme pièces au volumineux dossier de la preuve avec une numérotation aussi éclairante que possible.

Parfois, un document n’est qu’un court mémorandum auquel était originalement annexé un long rapport, d’autres fois un document est une lettre qui répond à une autre : les liens ne sautent pas toujours aux yeux.

La défense interroge Anthony Kalhok

Pour le compte d’Imperial Tobacco, Me Craig Lockwood a interrogé le témoin Kalhok, notamment pour savoir comment il qualifiait les relations que sa compagnie avait avec le gouvernement fédéral canadien.

« Très coopératives », a répondu le spécialiste du marketing.

Quand Me Lockwood a demandé un exemple, M. Kalhok a parlé de l’usage du mot « léger » sur les paquets d’une sous-marque précise de Player’s avec une teneur en goudron plus basse que les Matinée, une autre marque d’Imperial.

« J’ai invité le Dr Morrison [de Santé et Bien-être social Canada] à descendre à Montréal [d’Ottawa], et c’est ce qu’il a fait », relate Anthony Kalhok, qui affirme qu’après avoir écouté  des explications sur la démarche d’Imperial, le sous-ministre fédéral a dit d’aller de l’avant, qu’il ne voyait pas de problème.

Le sous-ministre Morrison est aujourd’hui décédé.  Malgré une objection de Me Maurice Régnier, qui défend l’intérêt du gouvernement du Canada, le juge a passé l’éponge sur cette petite portion de témoignage impossible à corroborer. 

Me Régnier s’est de nouveau objecté quand Me Lockwood a voulu que le témoin Kalhok compare les relations d’Imperial Tobacco et du gouvernement d’Ottawa avec les relations que d’autres filiales du groupe British American Tobacco avaient avec leur gouvernement national respectif.  (Le vice-président au marketing d’ITCL avait déjà fait la tournée mondiale des satellites de BAT au milieu des années 1970.)

Cette fois-là, le juge Riordan a lui-même demandé à Anthony Kalhok s’il avait déjà rencontré des fonctionnaires de ces gouvernements, et puisque la réponse était non (le témoin n’avait rencontré que des employés de compagnies de tabac), le juge a coupé court à l’interrogatoire sur ce thème.

Me Lockwood  a demandé à l’ancien spécialiste du marketing d’Imperial si sa compagnie avait déjà affirmé au public que les cigarettes «légeres» ou «douces» étaient plus saines.

« Non, pas en ces termes, a déclaré M. Kalhok.

Et le gouvernement ?, a dit l’avocat.

Kalhok : « Certainement dans la brochure produite par la division de la protection de la santé sous la direction du Dr Morrison.  Cette brochure  était très claire quant aux objectifs [pour les fumeurs] : si vous ne fumez pas, ne commencez pas; si vous êtes fumeur, arrêtez-vous; si vous ne pouvez pas arrêter, fumez moins; si ne pouvez pas fumer moins, fumez des cigarettes légères. »

De l’interrogatoire d’Anthony Kalhok est aussi ressorti que l’affichage des teneurs précises en goudron et en nicotine sur les paquets de cigarettes, imposé par le gouvernement, avait fini par faire le jeu des planificateurs du marketing en renforçant le positionnement des marques offertes comme légères ou douces aux fumeurs inquiets.

Étant donné cette histoire de brochure gouvernementale et la mise en cause du rôle de son client, Me Régnier a finalement affirmé à la Cour qu’il voulait poser des questions au témoin Kalhok, durant moins d’une demi-journée.

Plus tard dans la journée d’hier, le juge Riordan, qui a déclaré avoir apprécié l’attitude coopérative du témoin, s’en est remis à celui-ci, qui en était à sa deuxième journée supplémentaire de comparution, pour déterminer la journée précise de son retour devant le tribunal.

*

Me Simon Potter, pour le compte de Rothmans Benson and Hedges, a pris le relais de Me Lockwood pour interroger Anthony Kalhok. 

Bien que Me Potter ait déjà représenté Imperial, lui et M.Kalhok, qui a quitté l’univers Imperial-Imasco en 1985 pour la brasserie Labatt et le lancement du Réseau des sports, ne s’était jamais rencontré avant ces derniers jours dans la salle d’audiences.

Par une série de questions bien tournées et amenées en rafale, Me Potter a obtenu des affirmations précises qu’il cherchait de la part du témoin : le but du marketing chez ITCL était de voler des parts de marché à la concurrence; ITCL ne concevait pas sa publicité pour s’adresser aux jeunes; la compagnie ne cherchait pas à dissuader les fumeurs d’arrêter de fumer; le vice-président du marketing n’a jamais pensé que la publicité transformait les non-fumeurs en fumeurs; l’écrasante majorité des études de marché utilisées au département de marketing n’influence pas la publicité.

Le défenseur de RBH a aussi demandé au témoin s’il avait eu connaissance que le code volontaire de conduite de l’industrie en matière de publicité avait été l’objet d’une plainte, et M. Kalhok a répondu que non.  Mais l’interrogateur n’a pas précisé si d’autres personnes que les compagnies de tabac pouvaient se plaindre d’une violation du code, à l’époque où M. Kalhok œuvrait dans l’industrie.

Comparution de Jean-Louis Mercier

Après la pause du midi, le procureur des recours collectifs Philippe H. Trudel a commencé l’interrogatoire de Jean-Louis Mercier, qui fut président et chef de la direction d’Imperial Tobacco de 1979 à 1993, après avoir commencé dans la compagnie comme commis-comptable en 1961 et avoir gravi les échelons, surtout du côté du contrôle des coûts de production. 

S’il y a très peu de poussière de tabac qui se perd dans les usines, c’est un peu le fait d’homme comme lui, a appris le tribunal.  Et si une usine ferme alors que la compagnie fait plus de profit que jamais, c’est parce le président trouve que c’est le moment opportun, a fait comprendre l’homme d’affaires à la retraite.  M. Mercier célébrera très bientôt ses 78 ans.

Mercier a dit que sous sa direction, la compagnie a accru son profit, et aussi sa part du marché.

En substance, Me Trudel lui a demandé pourquoi la compagnie ne recrutait pas de clients chez les non-fumeurs ?

Mercier : « Nous n’avons pas d’influence sur eux.

Me Trudel : Sur quoi vous vous basez ?

Mercier : On n’a pas de témoignage de gens qui ont commencé à cause de la publicité. »

Le témoin a parlé du rôle du comité de direction, et reconnu que ce comité approuvait le plan de marketing dans ses grandes lignes.  M. Mercier a aussi admis que le vice-président à la recherche et au développement, comme le v-p au marketing, se rapportait au président et au comité de direction.

L’ancien président d’Imperial a affirmé que la qualité des produits et des matières brutes faisait partie des sujets de préoccupations ou mandats des « R & D », mais pas des projets de recherche sur les effets des produits sur la santé.

Quand Me Trudel a voulu savoir pourquoi, Jean-Louis Mercier a dit, grosso modo, que c’était à cause de la peur instillée par les avocats de la compagnie qu’elle se fasse reprocher de faire de la recherche de mauvaise qualité, et par manque de ressources à l’époque.

M. Mercier a raconté qu’en 1972, « le Surgeon General  nous  avait donné des indications, une liste  d’éléments particulièrement indésirables ».  Nous.
Mercier a alors proposé à BAT de rechercher comment éliminer ces substances des produits de sa compagnie mais s’est heurté aux avocats, lesquels soutenaient qu’avec une pareille démarche, il y avait un risque de se faire dire que c’était une admission du caractère nocif de ces substances. 

Plus tard dans l’interrogatoire, Mercier a ajouté qu’il trouvait que la catégorisation en tant que substances nocives était celle des autorités, et a dit que la compagnie n’était pas dotée des ressources pour soutenir cette thèse ou la contredire.

À l’écoute du témoignage de l’ancien président d’Imperial Tobacco, il semble que le projet avec BAT soit tombé à l’eau mais que la compagnie canadienne ait acheté de l’équipement pour détecter les substances dans la fumée de tabac, et ait réalisé durant un bout de temps des recherches pour réduire la présence des « polluants ».

« L’argent n’était pas un obstacle », souligne M. Mercier, qui a vu dans les avis des autorités sanitaires une opportunité : si on peut réduire le taux de goudron et les autres éléments identifiés par le Surgeon General, faisons-le.

Jean-Louis Mercier a dit qu’ «avec le changement de pouvoir de 1984 » (à Ottawa), cela est tombé à l’eau.

Plus tard, et sans que le procureur des recours collectifs le questionne de près ou de loin sur la taxation du tabac, l’ancien président d’Imperial a accusé les taxes de l’ère Mulroney (1984-93)d’avoir fait baisser les ventes de cigarettes.

Le procureur Trudel a plusieurs fois interrogé M. Mercier sur les relations d’ITCL avec British American Tobacco (BAT), durant sa présidence, avant d’aboutir à la politique en matière de communication des conséquences sanitaires de l’usage du tabac.

L’ancien président a répondu qu’il n’avait pas de politique commune à ITCL, seulement des positions individuelles.

Me Trudel lui a alors demandé qu’elle était sa position personnelle.

« Ma position était que pour certains groupes de personnes, il y a un risque à consommer qui n’existe pas pour d’autres ».  Le « dilemme » consiste à les départager, selon M. Mercier.

Comme Roger Ackman, Jean-Louis Mercier ne se rappelle plus si une position sur la divulgation des risques de méfaits sanitaires avait été adoptée avant  que l’industrie décide d’apposer sur les paquets ses mises en garde « Éviter d’inhaler » et « Le danger croît avec l’usage », des mises en garde que M. Mercier a ridiculisée hier.

Comme Michel Descôteaux, Jean-Louis Mercier a attribué à quelqu’un du laboratoire d’Imperial son opinion (hypercritique) sur l’épidémiologie, qui était pourtant aussi celle de son prédécesseur Paul Paré dans une entrevue radiophonique en 1970.

Comme Ackman, Mercier se souvient d’un article du Reader’s Digest des années 1950 sur les méfaits du tabagisme.

Et pourtant, comme les témoins Descôteaux et Ackman, Mercier a dit que les méfaits sanitaires n’étaient pas un sujet de discussion ou un sujet de discussion fréquent dans l’entreprise.

C’est une chance que le procureur Trudel se soit intéressé aux vues de Jean-Louis Mercier en matière de santé à l’époque où il était président d’Imperial Tobacco, puisque ces vues paraissent singulièrement figées.

Mercier a fini par admettre que l’emphysème pouvait être causé par le tabac, mais pas au point de prévenir les consommateurs, « sinon on doit aussi le faire pour les ongles incarnés»…

Quand Me Trudel a voulu parler de maladies cardio-vasculaires, Mercier a commencé par parler de la masse corporelle d’un collègue et de son goût pour le steak, et ce n’était pas sur le ton de la plaisanterie.

Plus tard, plus prudemment, l’ancien président a dit que « notre position était que les consommateurs étaient prévenus par les avertissements sur les paquets et sur les annonces …»

Le procureur des recours collectifs a demandé si BAT faisait de la recherche sur les méfaits sanitaires du tabac, à défaut qu’ITCL en fasse. 

Jean-Louis Mercier a dit qu’il n’était pas au courant.

Avant de reposer sa question, Me Trudel a rappelé à l’ancien président que sa compagnie contribuait à financer le programme de recherche de BAT.

M. Mercier a tourné autour du pot pour dire qu’il ne s’en souvenait pas bien.

L’interrogatoire de Jean-Louis Mercier se poursuit ce jeudi.