vendredi 4 mai 2012

23e jour - 3 mai - Mercier met quelques rondelles dans son propre but

Malgré ses 78 ans, Jean-Louis Mercier, qui fut président et chef de la direction d’Imperial Tobacco de 1979 à 1993, s’est montré, comme les autres hommes de la compagnie lors d’interrogatoires en mars et en avril, très capable d’esquiver les questions embarrassantes des procureurs des recours collectifs, par des réponses évasives et parfois assez distrayantes.

(Cette semaine, comme lors de sa comparution en avril, l’ancien président semblait avoir envie de parler des « taxes qui augmentaient de façon vertigineuse » (à une époque non précisée), mais aucun avocat n’avait de questions à lui poser à ce sujet.) 

N’empêche que le vétéran du tabac a fini par mettre quelques rondelles dans son propre but, durant son interrogatoire d’hier (jeudi) par Me Philippe Trudel. 

Sur la ligne

Dans la matinée, M. Mercier a examiné avec le procureur un procès-verbal daté du 28 septembre 1989 d’une réunion de délégués de filiales de British American Tobacco (BAT) qui avait eu lieu lors d’un rassemblement, du 18 au 22 septembre de la même année, dans un hôtel de Vancouver. 

Depuis le début du procès des cigarettiers, l’examen de ce genre de documents commence souvent par une identification des participants.  Dans ce cas, la colonne des noms était flanquée d’une colonne où figure le nom de l’entreprise d’origine du participant. 

Le témoin Mercier a établi spontanément qu’il ne s’agissait pas d’une réunion de présidents de filiales (comme celles que lui avait durant ces mêmes journées à Vancouver), mais d’une réunion de « scientifiques », étant donné que la plupart des noms étaient précédés des lettres « Dr ».

(Depuis le début du procès, il appert que l’industrie semble employer le mot docteur indistinctement pour les médecins et les docteurs en chimie ou dans une autre discipline). 

Les noms apparaissant dans la liste n’ont éveillé aucun souvenir ferme chez M. Mercier sauf ceux du Dr S.R. Massey et du Dr P. J. Dunn, deux hommes qui travaillaient pour Imperial à Montréal. 

Me Trudel a attiré l’attention sur un nom : Dr J. S. Wigand.  Puis il a demandé si le témoin sait qui c’était. 

L’ancien président d’Imperial Tobacco a dit que le nom de Jeffrey Wigand ne lui disait rien… (mais il a prononcé son prénom, alors qu’il n’apparaît nulle part dans le document). 

« De Brown and Williamson ?, a ajouté Me Trudel en attirant alors l’attention sur la colonne des noms d’entreprise.

Ah c’est lui, ça !», s’est exclamé M. Mercier, non sans faire pouffer de rire quelques juristes dans la salle d’audiences.  Oui, il en a entendu parler.  (Sur Wigand, lire notre blogue du 7e jour, le 21 mars).


Me Trudel a tenté de savoir pourquoi la version finale du procès-verbal de ladite réunion à Vancouver, finalement arrivée chez Imperial six semaines après la réunion, comptait 3 pages au lieu de 14, comme dans la version de septembre.

M. Mercier a patiné et n’a fourni aucune explication.

Dans le filet

Dans l’après-midi, en étudiant un document avec le témoin, le procureur Trudel a demandé à ce dernier d’expliquer le sens de l’expression « nicotine acceptability ».
 
Mercier : « J’essaie de deviner la phrase… (Elle doit signifier: ) Ne pas jouer avec le niveau de nicotine dans les produits ?...

Me Trudel : Avoir un niveau minimum ?

Mercier, rétif puis catégorique : Il ne fallait pas le changer (le niveau). 

Me Trudel : Même si cela réduit les nitrosamines du même coup ?


Mercier : Il n’y a pas de preuve que la nicotine cause des maladies.

Me Trudel : Ce n’est pas un cofacteur dans le développement des cancers ?


Mercier : Dans la mesure où cela fait fumer les gens…»

Un premier ange est passé dans la salle d’audiences.

*
Un peu plus tard, Jean-Louis Mercier a entonné le refrain des cadres d’Imperial sur la valeur scientifique de l’épidémiologie. 

Me Trudel : « En contestiez-vous les conclusions ? 

Mercier : Aucune raison de contester ni de croire. 

Mercier : Une preuve épidémiologique n’est pas une preuve scientifique

Me Trudel a évoqué les notions de corrélation et de causalité.

Mercier : « On peut presque parler de causalité dans le cas du cancer du poumon.»

Comme s’il sentait qu’il s’est « aventuré » trop loin, Jean-Louis Mercier a retraité aussitôt en demandant pourquoi 85 % des fumeurs n’ont pas le cancer du poumon.  Il a déploré que l’épidémiologie ne dise pas pourquoi.

Me Trudel a demandé si les clients d’Imperial étaient bien informés des risques de cancer.  L’ancien président de la compagnie a répondu qu’ils l’étaient grâce aux avertissements de santé.

Le procureur Trudel a voulu parler de ces 15 % de fumeurs que le cancer frappe.

Mercier : « C’est pas beaucoup.

Me Trudel : Pas beaucoup ?!

Mercier : On spécule, là.
 
Le ton soudain rogue du témoin invitait à changer de sujet et le procureur avait quantité d’autres rondelles à lancer.

Un code volontaire qui n’empêchait rien

Trois des anciens cadres d’Imperial qui ont comparu jusqu’à présent devant le tribunal ont parlé du code volontaire de l’industrie en matière de marketing.

À entendre les Descôteaux, Kalhok et Mercier, la liberté que l’État a longtemps laissé à l’industrie de s’auto-réglementer équivalait non seulement à une « entente avec le gouvernement », mais à une entente qui contraignait leur entreprise et ses concurrentes à ne pas adresser aux consommateurs de claires mises en garde en matière de santé.

Mercredi après-midi, Me Philippe Trudel, était parvenu à faire ressortir le flou artistique et l’absence de dents du fameux code de l’industrie, en examinant avec Jean-Louis Mercier une version discutée au tribunal dans la matinée, lors de l’interrogatoire de Michel Descôteaux par l’avocate d’Imperial Tobacco Deborah Glendinning.

Hier, le procureur Trudel est revenu à la charge.

Une de ses questions, qu’il a dû répéter quatre fois avant d’obtenir une réponse cohérente, était la suivante : Dans le code volontaire de l’industrie, est-ce qu’il y avait un empêchement pour ITCL d’aviser (ses clients) de tous les risques et de leur étendue ?

L’ancien président d’Imperial a commencé par dire que « c’est pas nous qui avons décidé du code volontaire au complet ».
  
Le procureur des recours collectifs a reposé sa question.  Jean-Louis Mercier a encore tourné en rond.

Me Trudel : « Est-ce que le gouvernement était signataire ?

Mercier : J’ai pas vu la signature.»


Après s’être fait répéter que « l’entente » était cruciale pour les quatre compagnies en concurrence, et à défaut que le témoin dise pourquoi l’industrie n’avait pas jugé important que quelqu’un au gouvernement signe la soi-disant entente, le procureur a demandé à M. Mercier de se remettre le code volontaire de l’industrie sous les yeux.


Me Trudel : « Est-ce qu’il y avait un empêchement pour ITCL d’aviser de tous les risques et de leur étendue ?»

 
Le témoin a regardé le texte et n’est pas arrivé à montrer une clause du code à cet effet.

 
M. Mercier a ensuite posé une question-commentaire que le juge Riordan a gentiment suggéré aux avocats de noter.


Me Trudel est alors revenu une quatrième fois avec sa question: « Est-ce qu’il y avait un empêchement pour ITCL d’aviser de tous les risques et de leur étendue ?


Jean-Louis Mercier : Techniquement, rien ne nous empêchait.»


Tout le monde a regardé passer un deuxième ange dans la salle d’audiences.


Abus de procédures par Imperial


Mercredi soir, Brian Riordan a rendu un jugement favorable à une requête des avocats des recours collectifs pour que la partie défenderesse, en particulier Imperial Tobacco, cesse de s’objecter à la production de plusieurs documents devant le tribunal, en particulier certains documents-orphelins.


Le juge Riordan déclare, entre autres, qu’ « ITL n’avait pas le droit de se lancer dans une guerre d’usure afin de rendre difficile au maximum la production de milliers de documents que les demandeurs voudront déposer en preuve dans ces dossiers. »