Ce n’est probablement pas dans de grandes organisations hiérarchisées, en particulier des compagnies de tabac, qu’on doit s’attendre à découvrir le milieu de travail le plus favorable à l’expression d’un esprit critique ou d’une curiosité intellectuelle, en particulier chez quelqu’un qui a gravi les échelons ou simplement cherché à se creuser une niche confortable.
Dans un procès au civil contre des compagnies «vendant un produit légal » (comme on l’entend souvent dire par l'industrie), les témoins Michel Descôteaux, Roger Ackman, Jean-Louis Mercier ou Ed Ricard, savaient que s’il leur arrivait d'avouer une faute d'Imperial Tobacco en disant « toute la vérité » sur les pratiques de leur entreprise, ils ne risquaient nullement la prison ou même une amende.
S’ils n'ont pas dit toute la vérité devant le tribunal de Brian Riordan, il resterait à envisager plusieurs explications. L'une de ces explications, c'est que ces témoins soient parvenus à se dissimuler la vérité durant toute leur carrière et soient réellement devenus incapables d’en parler, comme si on les avait reformatés.
Mme Carol Bizzarro, le témoin d’hier, était un témoin comme plusieurs autres entendus dans ce procès, sinon qu'elle était, au moment de sa retraite, restée trop bas dans la hiérarchie d'Imperial Tobacco pour avoir été impliquée dans la décision stratégique d'expédier une masse de documents vers la déchiqueteuse ou vers British American Tobacco, et qu'elle était montée trop haut pour savoir ce que ses subordonnées, en particulier la bibliothécaire et son équipe, faisaient à l'époque.
En conséquence, Mme Bizzarro ne savait pas grand chose, en plus de ne pas se souvenir.
À un moment donné durant l’interrogatoire, alors que le procureur des recours collectifs André Lespérance avait commencé avec le témoin l’examen d’une série de documents où il était question de « research report » et de « visit report », le juge Riordan a innocemment demandé ce qu’était un « visit report », et il s’est entendu répondre « Je ne sais pas si la bibliothèque en avait. »
Avec pour une rare fois un soupçon d’impatience, qui a été remarqué, le juge a souligné à Mme Bizzarro que ce n’était pas ce qui lui était demandé, et il a reposé sa question. La réponse à cette question, comme à celles de l'avocat Lespérance, a finalement laissé tout le monde sur sa faim.
En ce sens, si Imperial Tobacco avait voulu un témoin inoffensif pour l'entreprise, il aurait choisi Carol Bizzarro. Une fois qu’il se fut aperçu que son témoin n’allait pas pouvoir répondre aux questions qu’il avait préparées, le procureur André Lespérance a mis fin à l’interrogatoire plus vite que prévu.
Ce n'est pas encore cette fois-ci qu'on en saura davantage sur les coutumes et les silences qui avaient cours dans la compagnie de cigarettes de la rue St-Antoine à Montréal.
Avec ses cheveux blond platine, ses grands cils noirs et brillants, et surtout son ton presque implorant de victime, Mme Bizzarro paraissait sortir d'une époque où les hommes parlaient volontiers du « sexe faible » et le regardait avec une condescendance amusée, pendant que des femmes aimaient laisser les hommes croire à leur faiblesse congénitale. Dans les palais de justice, où les avocates battantes et les magistrates sont loin d'être une denrée rare, cette époque semble révolue. Mais chez Imperial Tobacco ? Qui sait ?
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Grâce à une entente (petit moment de grâce) avec les défenseurs, les procureurs des recours collectifs Philippe Trudel et André Lespérance ont profité du temps laissé libre hier après-midi pour déposer en preuve une flopée de documents. Ils sont enregistrés comme pièces au dossier de la preuve sous les numéros 329 à 426.
Me Suzanne Côté pour Imperial, Me Jean-François Lehoux pour Rothmans Benson & Hedges, et Me Catherine McKenzie pour JTI-Macdonald ont soulevé des objections, mais sans ralentir la procédure.
Certains des documents sont des rapports de recherches scientifiques identifiés dans le répertoire de fiches de la bibliothèque d'Imperial Tobacco (pièce 319D); d'autres documents concernent des réunions de conseillers scientifiques du groupe BAT ou des réunions et décisions du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC).
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Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut
1) aller sur le site de la partie demanderesse https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.