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lundi 18 février 2013

112e et 113e jours - 12 et 13 février - Quand les avocats parlent d'épidémiologie


Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


112e jour - La difficulté d'avoir toujours le dernier mot (épidémiologie)


La journée du mardi 12 février avait été libérée de son contenu prévu à l'origine, en conséquence de la brièveté exceptionnelle de la comparution du médecin Louis Guertin la veille.

Les avocats ont donc profité de l'occasion pour débattre du calendrier des prochaines semaines, et en particulier de celui de la semaine qui commence maintenant. Ensuite, des documents qui ont été récemment l'objet d'une décision du juge Brian Riordan ont reçu un numéro de pièce et ont été versés dans le dossier de la preuve.

Mardi, la grande pomme de discorde était la suivante : que faut-il faire avec le rapport d'expertise que les avocats des recours collectifs ont obtenu en 2009 de l'épidémiologue Jack Siemiatycki, professeur au département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Quand faire témoigner l'épidémiologue et avec quels documents ? (Car il a rédigé des annexes, en voulant répondre aux critiques des contre-experts mandatés par les cigarettiers.) (exemple d'une annexe de 97 pages pleines de tableaux) À quelles questions le professeur Siemiatycki sera-t-il autorisé à répondre en interrogatoire et de quelle façon ?

Le débat s'est interrompu sans qu'une solution émerge ce jour-là. (La solution a été arrêtée jeudi matin, 114e journée d'audition du procès.)


Facteurs de risque et causes des maladies

Le mot épidémiologie a la même racine grecque que le mot épidémie. C'est une science qui mesure l'occurrence de diverses maladies dans la population et qui tente de relier leur incidence à différentes variables, appelées facteurs de risque. Au 19e siècle, un médecin s'est demandé, par exemple, pourquoi le choléra frappe si fortement dans tel quartier de Londres et moins ailleurs ? (La réponse était : parce que tout le monde prend son eau à la même pompe sur la rue Broad et touche la même poignée contaminée.)

Avec le développement de la cybernétique dans les années 1950 et quelques inventions du troisième quart du 20e siècle (transistor, code ASCII, micro-processeur, mémoire sur disque magnétique, etc) qui allaient mettre les ordinateurs à la portée de davantage d'équipes de recherche scientifique, afin de traiter des masses de données quantitatives, la médecine, comme plusieurs autres sciences, a enfin pu profiter pleinement du développement théorique des mathématiques depuis la Renaissance (calcul des probabilités, calcul matriciel, etc).

Les chercheurs en médecine ne se sont plus contentés de déterminer les causes des maladies en faisant des observations dans un environnement contrôlé, en laboratoire. Des épidémiologues, qui ne sont pas toujours des médecins de formation, se sont installés dans toutes les facultés de médecine. Les cliniciens québécois aujourd'hui en exercice ont tous appris à lire des études épidémiologiques.

Cependant, toute cette révolution semble avoir échappé à l'attention des cadres de l'industrie du tabac, trop absorbés qu'ils étaient à administrer le boom parallèle des ventes de cigarettes, puis à prévenir le plafonnement du marché.

Des retraités de l'industrie canadienne du tabac qui ont témoigné au présent procès depuis le printemps dernier ont donné un écho à la réponse apprise par cœur par cette industrie dans les années 1950 et 1960 qui consiste à mettre en doute que le tabagisme CAUSE des maladies, et ont tenté de faire valoir que ce n'était qu'un facteur de risque, cela en faisant remarquer que les fumeurs ne deviennent pas tous affectés d'une maladie mortelle, et que certains cancers qui frappent les fumeurs frappent aussi d'autres personnes.

Cette semaine, un expert va raconter comment l'épidémiologie permet de relier des lésions ou des décès observés à leur cause, après que le Dr Desjardins et le Dr Guertin soient venus dire au tribunal de Brian Riordan que c'était en vertu d'études épidémiologiques connues des médecins qu'ils considèrent le tabagisme comme la cause de l'écrasante majorité des cas de graves dommages à l'appareil respiratoire qu'ils observent en clinique de pneunomologie ou d'oto-rhino-laryngologie.

Le professeur Siemiatycki en a lourd sur les épaules.

Pour les épidémiologues comme Jack Siemiatycki, l'observation d'une simple corrélation statistique ne suffit pas à conclure à une relation de cause à effet.

Depuis le milieu des années 1960, on utilise comme filtre méthodologique une série de critères qui ont été, triste ironie pour les cigarettiers, explicités par l'un des deux auteurs du premier article scientifique à démontrer que le tabagisme causait le cancer du poumon, le statisticien anglais Austin Bradford Hill (1897-1991). L'autre auteur était le Dr Richard Doll.

Entre autres critères, il faut que le lien mathématique soit fort, impossible à attribuer au hasard et se répète dans les études. Si le risque d'une maladie chez les personnes exposées à une substance est plus de deux fois celui des personnes non-exposées, et s'il est calculé sur un échantillon suffisamment grand et représentatif de l'ensemble de la population étudiée, c'est un indice.

D'autre part, s'il y a une relation entre la quantité totale de poison à laquelle a été exposée une personne et la fréquence des symptômes, et si les symptômes suivent et non pas précèdent l'empoisonnement, c'est un autre indice.

La vraisemblance de la relation de cause à effet d'un point de vue biologique a aussi son importance. Dans le cas d'un empoisonnement, il faut que la toxine incriminée puisse rejoindre l'organe affecté d'une maladie. En ce sens, si l'application d'une solution de fumée du tabac sur le dos de souris leur cause un cancer du poumon, c'est un indice de ce qui pourrait se passer si on pouvait refaire l'expérience sur des sujets humains.

Avec toutes ces précautions, l'épidémiologue Siemiatycki a estimé qu'entre 1995 et 2006, il y a 110 282 Québécois dont le cancer du poumon, le cancer du larynx, le cancer de la gorge ou l'emphysème a plus d'une chance sur deux d'avoir été causé par le tabagisme actif. (Siemiatycki a compté comme cancers de la gorge uniquement ceux frappant l'hypopharynx ou l'oropharynx.)

tableau des conclusions du professeur Siemiatycki
Les défenseurs des cigarettiers ont mobilisé plusieurs contre-experts étrangers, qui ont pondu des rapports critiquant celui du professeur Siemiatycki :  Kenneth Mundt , Laurentius Marais et Bertram Price.  Dans leur critique des rapports respectifs du Dr Alain Desjardins et du Dr Louis Guertin, les médecins Sanford Barsky et Dale Rice ont aussi émis des réserves face à l'approche de l'épidémiologue québécois.


113e jour - 13 février - Au procès que l'homme fait aux souris, les souris accusent le chat

Mercredi, Me Suzanne Côté, pour ITCL, puis Me Doug Mitchell, pour JTI-Macdonald, ont contre-interrogé le chimiste André Castonguay toute la journée et terminé l'opération commencée le 11 février (voir notre édition du 110e jour).

La partie défenderesse a cette fois fait verser du dossier de la preuve des documents émanant du gouvernement fédéral canadien qui l'incrimine. Le gouvernement n'est plus là pour se défendre, depuis novembre.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

lundi 11 février 2013

110e jour - 7 février - Bienvenue au procès du gouvernement du Canada, professeur Castonguay.

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Les trois principaux cigarettiers du marché canadien continuent de vouloir faire reporter sur le gouvernement fédéral canadien les blâmes que les collectifs de victimes alléguées des pratiques de l'industrie du tabac adressent à cette dernière.

Le contre-interrogatoire de jeudi du chimiste André Castonguay de l'Université Laval par Me Suzanne Côté d'Imperial Tobacco Canada (ITCL) semblait principalement motivé par cet objectif.

Ce contre-interrogatoire a duré toute la journée de jeudi et n'est pas terminé, de sorte que le professeur Castonguay, heureusement à la retraite, bien qu'on pourrait lui imaginer des occupations plus agréables, devra revenir devant le juge Brian Riordan mercredi prochain.

Les avocats de Rothmans, Benson & Hedges et de JTI-Macdonald auront également quelques questions additionnelles à poser à l'expert de la partie demanderesse. Cette dernière voudra sans doute aussi donner à son expert des occasions d'éclaircir certains points devenus obscurs.


L'accès aux archives du gouvernement fédéral canadien

Symboliquement, la journée de jeudi a commencé par l'apparition devant le tribunal de Me Nathalie Drouin, qui représente la Couronne fédérale canadienne dans d'autres affaires, et l'a représentée dans le présent procès jusqu'au jugement de la Cour d'appel du Québec qui a sorti le gouvernement d'Ottawa de son inconfortable position de défenseur en garantie.

Me Drouin venait déposer un disque compact fourmillant de renseignements, et cette livraison se voulait pour la Couronne une manière diligente de se conformer à une assignation à produire un lot d'archives gouvernementales que les procureurs des recours collectifs, grâce à l'autorité du tribunal de Brian Riordan, veulent pouvoir consulter, voire utiliser comme mine de nouvelles pièces à verser en preuve. On parle d'environ 650 000 documents et d'un total d'environ 3,4 millions de pages.

La défense des compagnies de tabac avaient déjà depuis des mois ou des années accès à cette même montagne d'archives, réalité qu'avait notamment révélée la transmission aux parties cet hiver d'un deuxième supplément très documenté au rapport d'expertise de l'historien Robert Perrins, et ce qu'a révélé encore plus éloquemment jeudi le contre-interrogatoire lui aussi très documenté du témoin-expert Castonguay par Me Suzanne Côté.

Me Nathalie Drouin est repartie vers le ministère fédéral de la Justice avec une ordonnance du juge Riordan au gouvernement du Canada de donner aux procureurs des recours collectifs un accès égal et aux mêmes conditions que l'autre partie aux archives gouvernementales en question. L'avocate de la Couronne avait trouvé toute naturelle la démarche des recours collectifs.  L'ordonnance fait en sorte que certains documents sont tout de même confidentiels, et aussi que les copies de tous les documents qui n'auront pas encore été transformées en pièces au dossier de la preuve à la fin du procès seront détruites.

Le procureur des recours collectifs André Lespérance a profité de l'occasion pour signaler que sa partie envisageait de récupérer à son compte des rapports d'expertise que le gouvernement fédéral canadien avait fait préparer pour sa défense, et dont la Couronne n'a plus besoin depuis l'arrêt de la Cour d'appel du Québec, un arrêt que l'industrie a renoncé à contester devant la Cour suprême du Canada. Les rapports d'expertise en question sont ceux du biochimiste et toxicologue Leonard Ritter, du chimiste William Farone et du pneumologue et épidémiologue David Burns. (Ces rapports d'expertise sont déjà dans la banque de données accessibles en ligne, mais ils n'ont pas encore été enregistrés au dossier de la preuve au procès.)

 
Depuis quand, depuis quand

Lors du contre-interrogatoire de jeudi, Me Suzanne Côté a plusieurs fois demandé au professeur Castonguay s'il serait abouti à telle ou telle conclusion dans son rapport (qui date de juin 2006), s'il avait eu connaissance de tel ou tel document qu'elle lui montrait, lesquels documents apparaissaient brièvement sur les écrans de la salle d'audiences.

L'expert interrogé pouvait aussi lire les documents imprimés et insérés pour lui dans de gros cahiers-anneaux posés près de la barre des témoins. À vue de nez, il y avait au moins une centaine de documents.

Puisqu'il faut, en vertu du Code de procédure civile, donner un préavis de dix jours à la partie adverse avant d'enregistrer un document au dossier de la preuve, et que la plupart desdits documents venaient juste d'entrer aussi en possession des recours collectifs, qui ne les avaient donc pas encore lu, ces documents que l'avocate d'ITCL a fait pleuvoir devant le tribunal figurent pas encore dans le dossier de la preuve.

Dans l'immédiat, leur brève exhibition sans suite a suffi pour permettre à Me Côté de poser certaines questions au témoin-expert, et d'en obtenir des réponses parfois embarrassées et souvent courtes, et d'autant plus courtes que l'avocate se disait trop pressée pour entendre des développements de la part du témoin.

D'une certaine manière, le décapant contre-interrogatoire de qualification du professeur Castonguay par Me Jean-François Lehoux mercredi avait préparé le terrain en obligeant l'expert à s'en tenir très strictement à son domaine d'expertise. Son domaine est la toxicité du tabac et non pas l'épidémiologie, une science qui permet d'évaluer le risque de maladie.

Le contexte du contre-interrogatoire de jeudi par Me Côté (préparation par Me Lehoux et pluie de nouveaux documents) permettait donc de produire une impression.

L'impression sommaire serait la suivante : l'expert aurait tourné certains coins ronds dans son rapport. Par exemple, il a qualifié de cancérigènes pour l'être humain des substances qui le sont effectivement, mais qui n'avaient pas encore été officiellement catégorisées ainsi à l'époque des faits reprochés aux cigarettiers (période de 1950 à 1998).  (rapport d'André Castonguay, pièce 1385)

Toutefois, lorsque la partie demanderesse puis le public pourront examiner tous les documents qui ont plu sur la tête de l'expert jeudi, il n'est pas exclu que ceux-ci puissent être retournés en partie contre les deux autres compagnies de tabac, voire même contre Imperial.

*

Les nitrosamines spécifiques au tabac, surnommés NNN et NNK, sont des substances dérivées de la nicotine contenue dans le tabac qui apparaissent lors de la fermentation de celui-ci. Dans le cas du tabac séché rapidement à l'air chaud (plutôt qu'à l'air libre), c'est la présence d'oxydes d'azote dans l'air réchauffé par les séchoirs qui favorisait l'apparition des deux nitrosamines.

À propos de la NNN et de la NNK, voici des bouts d'histoire qu'a attrapés au vol votre serviteur lors du contre-interrogatoire. Les voici sommairement remis en ordre chronologique.

1962 : les chimistes Druckrey et Preussmann de l'industrie publient un article scientifique où ils suggèrent la présence dans le tabac de nitrosamines spécifiques (par rapport à des nitrosamines qu'on retrouve ailleurs);
1967 : un rapport du Surgeon General suggère leur présence dans le tabac;
1975 : le biochimiste Dietrich Hoffmann de l'American Health Foundation confirme que la NNN est présente dans les cigarettes de marques américaines;
1978 : le chimiste Rickert, qui a travaillé tant pour le gouvernement du Canada que pour l'industrie, confirme la présence de la NNN dans les marques canadiennes;
1981: malgré la « controverse », ITCL parle, dans un document interne que ne connaissait pas l'expert Castonguay, de réduire la présence des nitrosamines (La controverse semble venir de ce que le tabac contient tellement de substances cancérigènes qu'on n'était pas certain que les nitrosamines qu'on ne retrouve que dans le tabac sont cancérigènes aussi.)
1999 : un projet circule à Santé Canada d'imposer une mise en garde sanitaire au sujet de la NNN et de la NNK (André Castonguay n'avait jamais vu ce document non plus.);
2001 : ITCL passe à l'action et impose un changement dans la méthode de séchage du tabac de ses fournisseurs de tabac de Virginie afin de réduire la teneur en NNN et NNK de ses mélanges; le gouvernement canadien refuse de confirmer que cette diminution de la toxicité est une diminution du risque (Encore un autre nouveau document.);
2007 : l'Agence internationale de recherche sur le cancer, qui relève de l'Organisation mondiale de la santé, conclut à la cancérogénécité (qu'elle soupçonnait depuis 1985) de la NNN et de la NNK.

Me Suzanne Côté a aussi contre-interogé le professeur André Castonguay au sujet du benzo(a)pyrène. Le procédé était le même. Il a également été question du concept de pro-cancérogénécité.

Le public de la salle d'audience a aussi pu voir des documents datés de 1964 où il est question de la teneur en goudron et en nicotine. Il s'agit d'articles de journaux où l'ancien président d'ITCL, John Keith se plaint de ce que les résultats provenant des machines à fumer ne reflètent pas la consommation réelle des fumeurs. Or, les déclarations de M. Keith faisaient suite à l'initiative qu'avait prise un concurrent de publiciser les teneurs en goudron et en nicotine.  (À cette date, est-ce que le gouvernement canadien prescrivait la moindre chose au sujet de ces teneurs ?  Ça, ce n'est pas clair du tout.)

* *

De façon générale, lors de l'ensemble du contre-interrogatoire de jeudi, le chimiste André Castonguay a systématiquement refusé de conclure qu'une réduction de la toxicité par le retrait de certaines substances toxiques du tabac, retrait qu'il considère comme justifiée dès qu'il est possible, correspond nécessairement à une réduction du risque de cancer. Essentiellement pour trois raisons. Primo, parce que la réduction de la teneur en nicotine d'un mélange, par exemple, ne se traduit pas nécessairement par la réduction de la quantité de nicotine que le fumeur cherchera et réussira effectivement à inhaler, car il y a le phénomène de la compensation. Avec la nicotine viennent les nitrosamines. Secundo, parce qu'il n'y a pas de seuil au-dessous duquel les substances cancérigènes cessent de l'être. Tertio, parce que l'épidémiologie est hors du domaine d'expertise du témoin-expert, face à Me Côté aussi bien que face à Me Lehoux.

Contrairement à l'historien Robert Proctor, le chimiste André Castonguay reconnaît aux filtres des cigarettes une capacité de filtrer une partie des matières toxiques. Par contre, il a refusé de dire si cela réduit significativement le risque d'être atteint par des maladies.

N'empêche que ce que le public raréfié de la salle d'audiences a pu sentir mercredi et jeudi, c'est la complémentarité du travail de Me Côté d'ITCL et de Me Lehoux de RBH.  Le jeu était du genre : pile, l'expert perd; face, les compagnies gagnent. À ce stade du procès, il devient difficile d'imaginer que les compagnies n'ont pas commencé à travailler en équipe. La chose n'a pas toujours paru évidente depuis mars dernier.

Jeudi, certains avocats des recours collectifs semblaient avoir hâte que leur témoin-expert soit de retour de Québec mercredi. Il est à douter que le professeur André Castonguay ait dit son dernier mot.


Cette semaine

Lundi et mardi prochains, un deuxième médecin témoignera en tant qu'expert au procès. Il s'agit du Dr Louis Guertin, qui est oto-rhino-laryngologiste. Rappelons que le recours collectif concerne aussi des victimes de cancer de la gorge et de cancer du larynx.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


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jeudi 7 février 2013

109e jour - 6 février - Enfin un chimiste qui n'est pas de l'industrie

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Les grosses molécules de la chimie organique, et en particulier celles du tabac et de la fumée du tabac qui causent des cancers, André Castonguay les connaît bien. Et mercredi, l'homme de 66 ans a admis candidement être un partisan du contrôle du tabac, presque littéralement sous le nez des avocats des fabricants, qui ont vainement cherché à convaincre le juge Brian Riordan de ne pas l'admettre comme expert dans le procès.

André Castonguay au palais de
justice de Montréal (6 février)
Dans l'action en recours collectif intentée contre les trois principaux cigarettiers canadiens devant la Cour supérieure du Québec, André Castonguay est devenu mercredi le 38e témoin et le cinquième témoin-expert, mais le premier chimiste à comparaître devant le juge qui ne soit pas issu de l'industrie du tabac, une industrie où les chimistes semblent avoir trouvé un intéressant débouché professionnel, du moins dans le dernier demi-siècle.

(6 des 34 témoins de 2012 ont déclaré avoir fait des études en chimie, sans compter un autre qui était diplômé en génie chimique. Rappelons cependant que ces témoins, y compris Jeffrey Wigand, n'étaient pas appelés à la barre comme experts mais pour communiquer leur connaissance de faits survenus lors de leur passage dans l'industrie. C'est lors de la preuve en défense, après mars 2013, que la défense des cigarettiers aura l'occasion de convoquer ses experts.)

À l'Université Laval, au sein de ce qui s'appelle maintenant la Faculté de pharmacie, André Castonguay a enseigné à partir de 1985 et a pris sa retraite à l'été 2010.

Avant de revenir à Québec, où il avait réussi un baccalauréat en chimie en 1971 et un doctorat en chimie organique en 1975, M. Castonguay a fait des recherches post-doctorales à l'Université du Michigan puis à l'Université Brandeis au Massachusetts, puis a oeuvré durant environ six ans comme chercheur et directeur de recherches à l'American Health Foundation (AHF) à Valhalla dans l'État de New York. (curriculum vitae d'André Castonguay)

À l'AHF, le chimiste québécois travaillait alors aux côtés notamment du médecin et épidémiologue Ernst Wynder (1922-1999) et du biochimiste Dietrich Hoffmann (1924-2011). Ces deux hommes furent à l'avant-garde de la recherche scientifique sur les méfaits sanitaires du tabagisme. L'AHF, devenu plus tard l'Institute for Cancer Prevention, était un organisme sans but lucratif dont les recherches firent souvent autorité dans le monde.

Parmi les articles publiés par l'expert Castonguay dans des revues scientifiques avec révision par des pairs, une centaine sont reliées à l'étude de la toxicité du tabac ou de la fumée du tabac. Plusieurs de ces articles scientifiques concernent le caractère cancérogène de nitrosamines spécifiques au tabac surnommées NNN et NNK.

À une question du procureur des recours collectifs Pierre Boivin, le professeur Castonguay a expliqué que NNN et NNK apparaissent lors de la fermentation du tabac qui accompagne le séchage de la feuille. Les deux nitrosamines se retrouvent aussi dans la fumée des cigarettes, notamment dans celle des marques de cigarettes canadiennes, qu'André Castonguay a été le premier à analyser sous cet angle, suivant des tests menés à son laboratoire de l'Université Laval, grâce à des machines à fumer. (Le chimiste n'a jamais mené d'expériences avec des humains.)

Le professeur Castonguay a été appelé deux fois à témoigner comme expert en défense du gouvernement fédéral canadien dans des actions judiciaires intentées par les cigarettiers pour contester la validité constitutionnelle des lois fédérales sur le tabac de 1988 puis de 1997. Ce cycle de procès a pris fin avec le jugement unanime de juin 2007 de la Cour suprême du Canada, qui a été une cuisante défaite des cigarettiers.

Mercredi, Me Jean-François Lehoux (Rothmans, Benson & Hedges), Me Doug Mitchell (JTI-Macdonald) et Me Suzanne Côté (Imperial Tobacco Canada) ont fait de leur mieux pour obtenir la disqualification de l'expert, puis le dépeçage de son rapport d'expertise. Peine perdue. Le juge n'a imposé aucun retranchement au rapport Castonguay, mais seulement mentionné que la partie demanderesse conservait son fardeau de montrer la valeur probante de ce qui s'y trouvait.

Me Pierre Boivin a fait verser le rapport dans le dossier de la preuve sous le numéro de pièce 1385 puis a commencé l'interrogatoire principal.

Le clou de l'interrogatoire, moment peut-être magnifié par la brièveté de cet interrogatoire, a été la mise en évidence d'un désaccord entre le chimiste Ray Howie de RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald) et l'expert universitaire au sujet du risque associé à la présence de substances cancérigènes dans la fumée du tabac. Lors de sa comparution devant le juge Riordan en septembre, M. Howie avait affirmé que la présence de benzo-a-pyrène à des doses de quelques nanogrammes ou même picogrammes dans la fumée de cigarette, était sans effet. (Le benzo-a-pyrène est une substance cancérigène chez l'être humain.)

Quand Me Boivin a demandé au professeur Castonguay combien il y avait de molécules de benzo-a-pyrène dans un nanogramme, le chimiste a répondu : « des trillions ».  Or, lorsqu'on parle de cancérogénécité, et non pas de toxicité en général, il n'y a pas d'effet de seuil, a souligné le témoin-expert.

Et pour bien montrer que ce fait est connu des chimistes au moins depuis 1981, le professeur Castonguay a cité le rapport de cette année-là du directeur national de la santé publique des États-Unis (U. S. Surgeon General) qui dit qu'il n'y a pas de niveau de consommation du tabac qui mette le fumeur a l'abri du risque de cancer.

Le contre-interrogatoire du professeur Castonguay par les avocats des cigarettiers devrait prendre toute la journée de jeudi.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

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