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mercredi 6 mars 2013

120e jour - 5 mars - La science courte de monsieur Bilimoria


Mardi, le contre-interrogatoire par l'avocat d'Imperial Tobacco, Nancy Roberts, de l'ancien microbiologiste de son client fut un processus beaucoup plus long que prévu.

Bien qu'ayant signifié hier que « Je vais probablement avoir besoin d'environ une heure et demie », les heures passèrent pendant qu'elle déposait lentement au dossier de la cour ce qui semblait être l'historique de publication entier de M. Bilimoria. J'imagine que nous devrions être reconnaissants que le témoin n'ait pas été plus productif au cours de sa carrière de 25 ans dans l'entreprise, sans quoi nous pourrions encore être au palais de justice pour la voir encore demander les mêmes questions pour chaque document.

S'agissait-il d'une autre démarche pour développer un test à court terme d'activité biologique?
A-t-elle été réalisée dans le cadre de votre travail chez Imperial Tobacco?
Quelqu'un d'Imperial Tobacco a-t-il tenté de modifier ce rapport?
Quelqu'un d'Imperial Tobacco a-t-il tenté de vous empêcher de publier cette recherche?

Ces publications seront bientôt sur la base de données du demandeur en tant que pièces 20024.1, 20024.2, etc, au dossier de la preuve. Si vous avez déjà voulu savoir quelque chose sur la façon dont des enzymes tissulaires répondent à la fumée de cigarette, vous allez être servis.

Contrairement aux questions trop longues de maître Roberts, les réponses de M. Bilimoria étaient brèves. Il a parfois précisé la façon dont ses travaux de recherche s'inscrivaient dans la recherche de l'entreprise pour un moyen rapide d'évaluer si des changements à la conception des cigarettes avaient une incidence sur l'impact sanitaire de la fumée de cigarette. Il a continué à éluder les questions sur la politique de l'entreprise, affirmant qu'il n'évoluait pas à un tel niveau. Il a au moins confirmé les suggestions de Roberts comme quoi la direction d'Imperial Tobacco n'a pas nui à ses efforts de publication. La plupart du temps, il répondait simplement par « oui » ou « non ».

Public jusqu'à quel point?

L'un des thèmes des questions de maître Robert était l'ouverture d'Imperial Tobacco à voir sa science publiée et rendue publique. Peut-être confond-elle publication scientifique et connaissance du public, ou bien espère-t-elle que ce soit le cas pour le juge Riordan.

Lors les réunions où M. Bilimoria avait présenté un document, l'avocate s'est efforcée de laisser entendre qu'elles avaient été ouvertes au public (elle n'a pas posé de questions sur les frais d'inscription encourus). Elle n'a pas demandé non plus à M. Bilimoria de questions sur le lectorat canadien quel tirage canadien pouvait sur la circulation canadienne du Beiträge zur Tabakforschung International ou d'autres revues où ses articles ont été publiés.

Le gouvernement est-il responsable?

Comme d'autres avocats d'Imperial Tobacco l'avaient fait auparavant, maître Roberts a souligné le lien entre les scientifiques d'Imperial Tobacco et des fonctionnaires d'Agriculture Canada. Elle a déposé un rapport préparé par ce ministère sur la mutagénicité des cigarettes expérimentales, et de nouveau attiré l'attention sur la participation des fonctionnaires d'Agriculture Canada à des réunions organisées par et pour les chimistes du tabac (pièce 20024.3). M. Bilimoria a témoigné qu'il avait partagé les méthodes d'une nouvelle mesure de toxicité (le NMFI, ou indice de fraction du nitrométhane) avec le gouvernement fédéral. Je pense qu'il s'agit de la première fois que le NMFI a été abordé au cours du présent procès.

La réfutation

Pour la deuxième fois en quelques semaines, Imperial Tobacco a multiplié les documents de référence au cours d'un contre-interrogatoire. Pour la deuxième fois, les demandeurs ont ignoré la plupart du matériel, et usé plutôt de cette possibilité pour poser plus de questions afin de clarifier quelques points.

Maître Trudel a invité M. Bilimoria à confirmer sa découverte que BAT avait fait une erreur de calcul, et que les cigarettes Players Light ont été mises en marché avec des niveaux plus élevés de mutagénicité que les marques concurrentes. Un point mineur mais divertissement dans le contexte de cette journée.

Il a demandé à nouveau à Bilimoria d'expliquer pourquoi il avait caché son statut d'emploi chez Imperial Tobacco lorsqu'il publiait en tant que chercheur à McGill. Il a fallu plusieurs questions pour obtenir une réponse : « Je n'en voyais pas la pertinence. »

Il pressa M. Bilimoria de témoigner au sujet de sa liberté de publication.
« Hier, vous avez dit qu'il n'y avait aucune restriction sur ce que vous pouviez publier en ce qui concerne le travail que vous faisiez à l'interne chez Imperial Tobacco. »
« Oui. »


Mais lorsqu'on lui montra des exemples de publications « restreintes », Bilimoria a admis qu'il n'allait pas publier de recherches commercialement sensibles, par exemple en ce qui a trait à « la réduction d'activité. » Il semblerait que si vous en savez assez pour ne pas demander certaines choses, alors vous pouvez effectivement considérer qu'on ne vous les a jamais refusées.

Parmi les dernières questions de maître Trudel en figuraient certaines remettant en question la crédibilité même du témoignage de M. Bilimoria - le fait que son travail n'était pas scientifiquement crédible, même aux yeux de ses supérieurs scientifiques.

Fut montré au témoin un rapport rédigé par le scientifique en chef de BAT, Alan Heard, après sa visite à leurs laboratoires de Montréal: « le travail sur l'activité biologique, actuellement limité au test d'Ames, est sans fondement (autre que comme simple écran). Ainsi l'accent doit attendre l'identification d'une batterie de tests biologiques significatifs (en cours de développement) avant qu'une utilité quelconque puisse être servie par ce projet. »

(Le docteur Heard était plus charitable que son équivalent chez RJ Reynolds, M. Colby, qui considérait M. Bilimoria comme un « chercheur sans imagination et très médiocre. ») En ce sens, toute la carrière de M. Bilimoria à Imperial Tobacco pourrait être considérée comme un « passe-temps ».

L'homme dont la carrière était axée sur la mesure de la nocivité de la fumée de cigarette a terminé son témoignage aujourd'hui en prenant des distances de toute conclusion sur le caractère cancérigène du tabagisme. Un peu exaspéré, Philippe Trudel lui a demandé :
« En date d'aujourd'hui, vous n'êtes pas d'accord qu'il est prouvé que la cigarette cause le cancer? »

« Directement, non » furent les dernières paroles de M. Bilimoria avant d'être remercié par le juge Riordan et invité à rentrer à la maison.

Au menu demain: l'ancien chef du marketing chez Imperial Tobacco, Tony Kalhok, sera de retour pour témoigner en après-midi. Seront également abordés le mémo "Wells-Pritchard" et l'admission en preuve de documents utilisés dans le contre-interrogatoire d'André Castonguay.


Texte original: Cynthia Callard

mardi 5 mars 2013

119e jour - 4 mars - La science évasive de monsieur Bilimoria


Après une semaine de pause au procès, la première séance de mars fut dédiée au témoignage de Minoo H. Bilimoria, Ph.D, microbiologiste d'Imperial Tobacco désormais à la retraite.

Âgé de 82 ans, monsieur Bilimoria sera le plus vieux témoin à comparaître à Montréal durant le procès. (Le témoignage de M. Peter Gage, de dix ans son aîné, s'est déroulé via téléconférence.)

La posture debout que monsieur Bilimoria a tenue tout au long de la journée ne laissait transparaître rien de frêle, alors qu'il avait été invité à s'asseoir s'il le souhaitait. Aucun signe de fragilité mentale non plus, comme l'a démontré son aisance à naviguer sans difficulté apparente d'une question à l'autre, malgré une syntaxe et ou une prononciation parfois difficiles.

Lorsque monsieur Bilimoria donnait des réponses qui semblaient n'avoir rien à voir avec la question posée - comme ce fut souvent le cas - cela paraissait plutôt refléter une certaine dextérité à contourner délibérément un problème plutôt qu'une incapacité à le comprendre.

On eut affaire à plusieurs épisodes de contorsion de ce genre aujourd'hui, avec une agilité et une éloquence posée qui firent paraître certaines réponses comme étrangement préparées à l'avance. « Je n'ai pas l'expertise », « Ce n'est pas mon champ d'étude. » « Vous demandez cela à la mauvaise personne. » « Je n'ai aucune information à ce sujet. » « Je n'étais qu'un scientifique qui faisait le travail. Je n'étais pas des décisions de gestion. »

La double vie de monsieur Bilimoria

Minoo H. Bilimoria s'est joint à Imperial Tobacco en 1969 et a été rémunéré par l'entreprise durant le quart de siècle suivant. Or, durant la majeure partie de cette période (de 1975 à 1991), il ne se trouvait pas dans les laboratoires d'Imperial Tobacco à Saint-Henri, mais au département de pathologie de l'Université McGill. C'est là qu'il a « aidé » les chercheurs qui avaient reçu des subventions du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac, James Hogg et Donald Ecobichon.

Les observateurs et les collègues peuvent être pardonnés de ne pas avoir compris que le travail de monsieur Bilimoria à l'Université McGill n'était pas de la recherche scientifique indépendante, faisant plutôt partie d'une stratégie de l'industrie. Ce lien avec l'industrie n'avait pas été divulgué, et Bilimoria a publié ses conclusions scientifiques comme s'il n'était qu'un scientifique invité ordinaire, et non pas un employé de l'industrie du tabac.
Interrogé par maître Trudel à cet effet aujourd'hui, monsieur Bilimoria s'en est dégagé de toute responsabilité.

« Quand vous avez publié à McGill, aviez-vous mentionné que vous étiez employé par Imperial? »
« La publication était rédigée par le professeur - s'il avait envie d'écrire McGill, il écrivait McGill, s'il avait envie d'écrire Imperial Tobacco, il écrivait Imperial Tobacco. Pour moi, cela n'avait aucune importance. »
« Vous ne trouviez pas important le fait que vous travailliez alors pour Imperial Tobacco? »
« Je n'y avais même pas pensé. »

Même lorsque Bilimoria était l'auteur principal (exemples 1, 2, 3) d'une recherche, il ne divulguait pas son appartenance à l'industrie.

Le test d'Ames

Tout au long de sa carrière chez Imperial Tobacco, le travail de monsieur Bilimoria consistait à « examiner les effets du tabac sur les cellules et les systèmes cellulaires. » Il a expliqué que cela impliquait de la recherche sur les effets cancérigènes, tumorigènes ou mutagènes de la fumée de cigarette sur les cellules de microbes ou de petits mammifères (non humains).

Le test d'Ames a été développé environ à l'époque où Bilimoria s'est associé à l'Université McGill, et ce test allait devenir le pilier de ses recherches dans les décennies subséquentes. Beaucoup d'autres scientifiques - y compris des collègues de l'industrie du tabac – étaient sceptiques de la valeur du test d'Ames pour comparer des types de tabac. Le scientifique en chef de Philip Morris, dans une note franche rédigée pour son collègue canadien, affirmait que cette recherche ne valait rien.

Monsieur Bilimoria a toujours une bonne opinion de ces tests. La peinture sur peau de souris, a-t-il expliqué aujourd'hui, « est un test très compliqué, un test très coûteux, un test de très longue durée » pour lequel Imperial Tobacco ne disposait pas d'installations. Par ailleurs, il a dit « pourquoi devrais-je faire un test de deux ans si je pouvais en faire un autre en deux jours? »

Un des derniers documents présentés à Bilimoria aujourd'hui était un résumé de recherche trouvé au dépôt documentaire de BAT à Guildford, en Angleterre, par l'avocat rattaché au gouvernement fédéral qui était autrefois une présence familière dans cette salle d'audience, M. Maurice Regnier. (pièce 1436)

Peu importe ce qu'il avait pu dire plus tôt dans la journée, monsieur Bilimoria a reconnu qu'il avait rédigé le contenu de ce rapport, qui documente que Imperial Tobacco avait mesuré si:

  • Certains additifs produiraient de la fumée plus - ou moins - mutagène. (L'ajout de phosphate de diammonium augmente la mutagénicité des feuilles de tabac, alors que des arômes de fruits tropicaux ne semblaient pas occasionner trop de différence.)
  • La fumée secondaire était plus ou moins mutagène que la fumée principale
  • Ses marques étaient plus ou moins mutagènes que celles d'autres compagnies
  • Changer la circonférence des cigarettes ou la longueur de leur mégot affectait la capacité de la fumée à endommager les cellules.

Pièce 58-27

On montra alors à Bilimoria le rapport d'une réunion à laquelle il a assisté en 1981 et durant laquelle les scientifiques de BAT de plusieurs pays ont décidé que la fumée de cigarette devrait être testée en fonction de certaines des maladies qui font l'objet du présent procès. « Des efforts seront déployés pour développer des tests à court terme en lien avec l'athérosclérose, la bronchite et l'emphysème », d'indiquer ces notes de réunion.

« Savez-vous si les produits du tabac fabriqués par Imperial Tobacco ont déjà été testés pour ces maladies? » demanda Philippe Trudel.
« Je ne sais pas », répondit monsieur Bilimoria.

« Ces tests ont-ils été développés ? »
« Non »

« Savez-vous pourquoi ils ne l'ont jamais été? »
« Non »

Peu avant 16 heures, maître Trudel posa sa dernière question au témoin. Le contre-interrogatoire, qui ne devrait durer que quelques heures, est prévu pour mardi matin.


Texte original: Cynthia Callard