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mardi 5 novembre 2013

179e jour - Un chimiste de Macdonald Tobacco soumis à un barrage de questions

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

(SGa)
Lundi, au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers, le témoin Raymond Howie n'a pas chômé. Il a dû répondre à des centaines de questions provenant autant de la défense que de la poursuite.

Rappelons que Raymond Howie, qui est chimiste de formation, a commencé à travailler dans l'industrie du tabac en 1967, au Royaume-Uni. Il est entré en 1974 chez le cigarettier RJR-Macdonald, à Montréal, comme gérant des services d'analyse (chimique). En 1989, M. Howie est devenu chef du département de la recherche et du développement chez RJR-Macdonald. Neuf ans plus tard, en 1998, il est promu chef de la recherche à la maison-mère de RJR-Macdonald, RJR Tobacco International, à Genève. Il a pris sa retraite en 2001, à 54 ans.

Il s'agissait de sa cinquième comparution devant le tribunal. Il avait déjà été appelé à témoigner lors de la 59e journée, 60e, 61e et 62e. Lors de ses audiences, M. Howie avait beaucoup été questionné sur les recherches qu'ils faisaient ou dirigeaient dans les labos du cigarettier. On lui avait aussi demandé de commenter les résultats de certaines études.

M. Howie a été invité à nouveau à comparaître lors de cette 179e journée pour qu'il poursuive son témoignage et qu'il fasse part au tribunal de certains nouveaux faits. Parmi ces faits nouveaux, en voici un croustillant. Allons à la source.


L'impact des petits trous

En 1983, une étude réalisée à la maison-mère RJR de Caroline du Nord montrait que les petits trous que RJR-Macdonald fait dans certaines de ses cigarettes vendues au Canada étaient en bonne partie bouchés par les lèvres des fumeurs, ce qui diminuait alors la dilution de la fumée et augmentait l'inhalation de goudron et de nicotine au-delà de ce qui est indiqué sur les paquets. Cette étude mentionnait qu'environ 75% des perforations étaient obstruées par les lèvres des fumeurs. Chez RJR-Mac, on décida de ne rien faire, à moins que la question vienne un jour sur le tapis, auquel cas la compagnie canadienne plaiderait l'ignorance.

Or, lors de la 61e journée d'audience, M. Howie avait prétendu que cette étude souffrait de graves lacunes méthodologiques. Il concluait alors que c'était seulement entre 40 et 50 % des perforations qui étaient bouchées, pas 75 %. Hier, M. Howie a encore revu à la baisse le pourcentage des perforations bouchées par les lèvres des fumeurs. Il parle maintenant de 5 à 10% !


De la recherche, quelle recherche?

En matinée de cette journée d'audience, M. Howie a beaucoup été questionné par l'avocat de JTI-Macdonald, Me Kevin LaRoche, sur la recherche qui s'effectuait chez RJR-Macdonald. S'il faut en croire ses réponses, son employeur s'intéressait peu aux comportements des fumeurs et aux mécanismes qui permettent d'accroître leur dépendance à la cigarette.

Ainsi, son employeur n'aurait jamais fait de recherche pour savoir ce qui motive les gens à commencer à fumer. Pas de recherche non plus pour savoir quelles sont les motivations des fumeurs à vouloir à mettre fin à cette habitude.

Autre chose plutôt surprenante. À la question: Y a-t-il déjà eu des recherches visant à développer une cigarette permettant de délivrer une plus grande quantité de nicotine aux fumeurs, M. Howie a répondu non. Selon lui, son employeur n'a pas cherché non plus à savoir quelle quantité de nicotine était absorbée par les fumeurs. Pourtant, une étude, réalisée par Santé Canada, présentée hier, affirmait que le niveau de nicotine présent dans le tabac des cigarettes avait augmenté de 53% entre 1968 et 1995. Cette hausse importante serait-elle survenue par magie?

La même étude révélait également que la quantité de tabac servant à la fabrication des cigarettes avait diminué de 14 % durant la même période. Selon M. Howie, cela serait dû à une combinaison de facteurs: meilleure méthode de remplissage des cigarettes, réduction de leur circonférence et de leur longueur. Avec cette réduction de tabac dans chaque cigarette et l'augmentation en parallèle de la nicotine, il semble que RJR-Macdonald savait comment réduire ses coûts tout en accroissant la dépendance des fumeurs à ses produits.


Une dépendance? Quelle dépendance?

Cette question de la dépendance à la cigarette est d'ailleurs venue sur le tapis lors de l'audience. Bien que la dépendance à la cigarette soit établie scientifiquement depuis des années, M. Howie nie qu'il y en ait une! Selon le chimiste, les statistiques sont là pour le démontrer. Dans les années 1960, environ 60% de la population fumait. Trente plus tard, dans les années 1990, ce pourcentage avait chuté à 18%. Un grand nombre de ces gens ont cessé de fumer sans difficultés, affirme M. Howie qui s'inclut dans cette catégorie, lui qui a cessé de fumer il y a huit ans.


Un contre-interrogatoire serré

En après-midi, l'avocat de la poursuite, André Lespérance, a soumis M. Howie à un interrogatoire serré. Parmi ses questions, l'avocat a voulu savoir si le tabagisme représentait un risque de maladies. Dans sa réponse, M. Howie a fait preuve d'une grande prudence et d'un flou artistique. Il a mentionné que des études épidémiologiques faites à grande échelle montrent qu'il y a des probabilités que le tabagisme soit la cause de maladies mais il n'a pas voulu préciser si ce risque était faible, moyen ou élevé. « Cela dépend de ce qu'on entend par risques faibles, moyens ou élevés », a-t-il dit. M. Howie a aussi ajouté qu'à sa connaissance, RJR-Macdonald n'a jamais tenté de savoir combien de gens développaient des maladies associées à l'exposition de la fumée de tabac.

Un peu plus tard, maître Lespérance a posé plusieurs questions sur les additifs ajoutés au tabac lors du processus de fabrication des cigarettes. Entre autres choses, il a voulu savoir, document à l'appui, pourquoi RJR avait caché au public la présence de fréon dans le tabac. Dans ce document il est dit: « si on accepte la position selon laquelle le fréon n'est pas un additif mais plutôt un résidu présent à un niveau extrêmement faible, je crois qu'il est préférable de ne pas en parler du tout » (traduction libre).

M. Howie a minimisé cet apparent camouflage. Sa réponse semble démontrer cependant que le fréon était bel et bien un additif. Selon lui, on l'utilisait pour accroître la densité du tabac dans les cigarettes. « Le produit est toutefois sans aucun danger puisqu'il est très volatil et n'apparaît même pas dans la fumée de cigarette », a-t-il dit (traduction libre).

Les questions de maître Lespérance ont porté aussi sur d'autres additifs. Par exemple, le sorbitol et la glycérine. Selon une étude, ces produits étaient suspectés de dégager des agents toxiques lors de la combustion du tabac. M. Howie a réfuté cette affirmation. « Ces deux agents chimiques étaient inoffensifs puisqu'ils était ajoutés à de très faibles quantités dans le tabac », a-t-il dit (traduction libre).

La formation de benzopyrène, un produit cancérigène, lors de la combustion du sorbitol, n'inquiète pas non plus outre mesure M. Howie. « Le toxicologue Suber a déjà mentionné que l'usage de sorbitol n'entraînait aucun effet indésirable sur la santé des fumeurs », dit-il (traduction libre).

Quand on sait que 4 000 sous-produits identifiés résultent de la combustion du tabac, il doit bien y en avoir quelques uns qui sont toxiques.

*

Lors de la comparution du témoin Steve Chapman en octobre, il avait été question du séchage des feuilles de tabac directement avec les gaz d'échappement de moteurs à combustion.

Mais combustion de quoi ? Réponse : combustion de gaz propane. Ce petit complément d'information provient de ce que le sujet a de nouveau été abordé, vers la fin du contre-interrogatoire de Raymond Howie par les recours collectifs.

M. Howie devait comparaître devant le tribunal durant deux jours. Tout a été bouclé en une journée.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

dimanche 30 septembre 2012

62e jour (bis) - Le naturel d'une industrie

Jeudi matin, le tribunal présidé par l'honorable Brian Riordan a commencé d'entendre le témoignage de Peter Hoult, un ancien cadre du marketing puis chef de la direction de RJR-Macdonald. L'interrogatoire a duré toute la journée et continuera lundi.  Une prochaine édition en parlera.

Mais il faut d'abord revenir sur des éléments qui ressortent de la comparution de quatre jours de Ray Howie, un ancien chercheur puis directeur de la recherche et du développement chez RJR-Macdonald, de 1974 à 1998.

Comme le témoin Michel Poirier avant lui, M. Howie se souvenait plus spontanément de ce que le gouvernement fédéral canadien pensait ou voulait que des positions déclarés et pratiques de sa propre entreprise, entre autres au sujet des méfaits sanitaires de ses produits, mais même en matière de procédés de fabrication.


Le naturel d'une industrie

Mercredi, les avocats des recours collectifs Lespérance, Gagné et Boivin ont fait examiner au témoin Ray Howie un communiqué du CTMC dont nous parlions dans notre édition de jeudi matin. Il y était notamment question du tabac qui aboutit dans les cigarettes prêtes-à-fumer et du tabac haché fin qui est utilisé par le consommateur pour se rouler des cigarettes maison ou bourrer sa pipe.

Avertissement 1 : S'il ne le savait pas avant le procès, le juge Riordan sait maintenant, grâce à divers témoignages et documents, que le tabac reconstitué est fabriqué notamment à partir de poussières et de brins de tabac qui se dispersent dans les entrepôts et les usines au fil de la production, et qu'on récupère. Ce dont il n'a pas encore été question devant le tribunal, ce sont les étapes suivantes de la production du « recon ».  En attendant, si vous êtes curieux, voyez cet extrait d'environ 3 minutes d'un documentaire diffusé en 2007 sur la chaîne américaine de télévision par câble History.

Avertissement 2 : Dans le dialogue qui suit, l'usage du présent du conditionnel dans le dialogue n'est pas une erreur de traduction de l'auteur du blogue.

Me Lespérance a demandé au témoin Howie de regarder au haut de la page 2 (page 3 du fichier PDF) (pièce 40001), puis il a lu un extrait à haute voix (pour la sténographe): « Deux manufacturiers, RJR-Macdonald et Imperial Tobacco, utilisent de petites quantités de tabac reconstitué, une méthode de récupération et de réutilisation de petits brins de tabac provenant des étapes initiales d'usinage et de fabrique des cigarettes et du tabac haché fin ».
Me Lespérance : De la manière dont je comprends le processus, il s'agit de poussière (résultant de la production) des cigarettes et du tabac haché fin, et cela constitue une partie du tabac reconstitué, c'est ça ? La poussière et tout ce qui est éjecté (des machines ou des contenants) ?
Ray Howie : Vous voulez dire autant la poussière du tabac haché fin que...
Me Lespérance : Ce serait les deux ...
Ray Howie : Oh non. ... Ils étaient totalement séparés.
Me Lespérance : Oui, mais ils iraient au tabac reconstitué, les deux ?
Ray Howie: Non, non, non.  Nous utiliserions (la poussière des) cigarettes pour les cigarettes et celle du tabac haché fin pour le tabac haché fin.
Me Lespérance: D'accord.  Et il y aurait donc deux tabacs réconstitués, un destiné aux cigarettes et un destiné au tabac haché fin ?
Ray Howie : Oui.
Me Lespérance : D'accord. Et (L'avocat lit un extrait) : « Cela constitue 8 % ou moins du poids du tabac dans les cigarettes usinées ou le tabac haché fin. La production de tabac reconstitué implique l'usage d'agents liants d'origine naturelle et d'humectants. » (naturally occured binding agents and humectants) Qu'est-ce qu'ils voulaient dire par "naturally occured" ?
Ray Howie : Si je peux revenir en arrière, désolé.  Je ne pense même pas que nous utilisions du recon dans le tabac haché fin. Je tente d'y repenser maintenant. Je ne pense pas que nous le faisions.
Me Lespérance : Alors c'est exactement ce que je pensais.  N'importe quelle poussière ou rejection (du processus de production) de tabac haché irait au tabac reconstitué qui irait dans les cigarettes.  Il ne retournerait pas au tabac haché fin ?
Ray Howie: Non, je ne pense pas que cela arrivait.
Me Lespérance : Alors vous n'utilisiez aucun rejet de tabac haché fin ? Que faisiez-vous avec cette poussière et ces rejets ?  Que faisiez-vous avec cela ?
Ray Howie : Je ne me souviens plus. (...) Je ne me souviens plus que ce que nous faisions de celle-ci par rapport à celle (issue de la fabrication) des cigarettes. »

Quelques minutes plus tard, le procureur Lespérance est revenu à la phrase : La production de tabac reconstitué implique l'usage d'agents liants d'origine naturelle et d'humectants. (naturally occured binding agents and humectants)
Me Lespérance : « "Naturally", à quoi cela réfère ?
Ray Howie : "Naturally occurring," hum, la glycérine est d'origine naturelle, de même que la gomme de guar.
Me Lespérance : La cellulose de carboxyméthyle de sodium, est-ce que ...
Ray Howie : ...De la fibre ? Tout cela est d'origine naturelle.
Me Lespérance : Oh.
Ray Howie: Je ne suis pas en train de dire que nous utilisions des produits d'origine naturelle, mais cela (ce groupe de substances) est d'origine naturelle.  Ils étaient probablement produits dans une usine, mais le composé chimique en tant que tel provient de la nature, comme le glycérol est naturellement présent dans le tabac.

Me Lespérance : D'accord.  Maintenant, si vous regardez à la page 22 (page pdf) de la pièce 582Je vais juste le lire : « Quand Imperial a constaté que les autres trois compagnies étaient intéressées par le tabac reconstitué Schweitzer, la compagnie a commencé un programme pour mettre à l'essai et améliorer les caractéristiques physiques de son propre tabac reconstitué.  Cela a mené à utiliser la cellulose de carboxyméthyle de sodium (SMSC) comme agent liant, ce qui s'est avéré franchement efficace pour réduire la fragilité (des « feuilles » de tabac reconstitué), mais avait peu d'effet remplissant (des cigarettes??).  Il fut convenu au début de 1976 que toutes les compagnies opteraient  pour cet additif dans le tabac reconstitué, et c'est ce que nous sommes en train de faire.»
Ray Howie : Right.
Brève interruption par le juge, mais elle a semblé permettre au témoin de compléter sa réflexion.
Ray Howie: Okay. Vous avez absolument raison...
Me Lespérance : D'accord. C'est "naturel" ? ....
Ray Howie: À ma connaissance, cela ne provient pas naturellement (that does not naturally occur), cela doit être extrait de la cellulose et fabriqué. »

Finalement, « naturally occured binding agents », c'est de l'anglais, mais une expression inusité qui semble vouloir suggérer quelque chose de rassurant, ...peut-être pour faire oublier quelque chose de déplaisant.

**
Le jeu sur les mots et les restrictions mentales dans les relations publiques ne s'arrêtent cependant pas là.

On ne sait pas si c'est pour ne pas avoir à reconnaître clairement qu'ils mettent des additifs dans le papier de leurs cigarettes, -- une opération qui pourrait bien être souvent anodine quand on sait tout ce qui distingue déjà la pulpe des arbres du papier blanc neige fourni par l'industrie papetière--, que les cigarettiers écrivaient, dans le même communiqué de presse : « Aucun des fabricants n'ajoute d'aromates dans les filtres à cigarette ou le papier. »  C'est tout de même intriguant.

Me Lespérance : Que comprenez-vous du mot aromates (flavourants), monsieur Howie ?
Ray Howie : Un aromate ? Ce serait un additif.
Me Lespérance: Un additif.  Et le MAP que nous avons vu dans la pièce 641, c'était une substance ajoutée au filtre et au papier ?
Ray Howie : Oui, ça l'était.
Me Lespérance : ... Et le DAP, pareillement, était ajouté au tabac reconstitué ?
Ray Howie : D'accord. Si vous commencez à parler de cela, ce ne sont pas des aromates.  Les aromates sont des choses différentes.
Me Lespérance : C'est ce que je pensais. ... Alors, vous n'utilisez pas d'aromates, ce qui est vrai, ...mais cela ne dit pas que vous utilisez des additifs comme le MAP, n'est-ce pas ?
Ray Howie : Bien, nous n'utilisons certainement pas d'aromates, et si vous n'utilisez pas de MAP, vous n'avez pas de papier.
Me Lespérance : D'accord, mais n'est-ce pas induire (les lecteurs du communiqué de presse) en erreur ?
Ray Howie : C'est ainsi que le papier est fait.

À ce moment, Me Kevin LaRoche, un défenseur de JTI-Macdonald, a interrompu Me Lespérance, puis s'est objecté à sa question en suggérant de demander plutôt au témoin s'il y avait un mensonge dans l'affirmation des compagnies de tabac. Habitué à décoder la langue de bois et les non-dits du discours corporatif, Me Lespérance a comparé cela à une naïve vérification de l'affirmation classique « il n'y a pas de cocaïne dans le Coca-Cola ». Quand le procureur des recours collectifs a pu reprendre l'interrogatoire, cela a donné
Me Lespérance : ...Les additifs sont différents des aromates, n'est-ce pas ?
Ray Howie : Oui.
Me Lespérance : Quand vous dites (le communiqué dit) "Aucun des fabricants n'ajoute d'aromates au papier, nous devrions lire "Les fabricants ajoutent des additifs au papier" ?
Ray Howie : Nous ajoutons des additifs au papier, oui.

Me Lespérance a voulu savoir si une telle façon de s'exprimer n'était pas trompeuse. M. Howie a dit qu'il ne le pensait pas.

(Les interrogatoires et textes cités ont été traduits de l'anglais par l'auteur du blogue.) 


Contre-interrogatoires terminaux

L'intensité des échanges en fin d'après-midi mercredi n'est pas seulement à mettre au crédit de l'avocat Lespérance et de son témoin coriace. Trois autres avocats, pour le compte de trois clients différents, sont entrés dans le bal avant que le témoin puisse s'en aller.

Depuis quatre jours, Ray Howie avait expliqué que les cigarettiers réduisaient le niveau de goudron à l'appel du gouvernement d'Ottawa, sans préciser aussi que celui-ci, vers la fin des années 1980, avait aussi requis des fabricants la réduction de la teneur en nicotine.  Le défenseur du gouvernement du Canada, Maurice Régnier, a demandé à Ray Howie de confirmer ce fait complémentaire, et le témoin s'est exécuté.

M. Howie avait aussi souvent mentionné, ou peut-être faut-il dire « ploguer », le ferme expérimentale de Delhi, en Ontario, opérée par Agriculture Canada, où furent développées dans les années 1960 des souches de tabac qui ont fini par être adoptées par la plupart des cultivateurs canadiens fournisseurs de l'industrie.

(« Delhi », c'était un mantra de l'industrie devant la Cour suprême du Canada en janvier 2011 au sujet de la poursuite par la Colombie-Britannique. Cela n'a pas empêché la Cour suprême de rendre contre l'industrie une décision unanime en juillet 2001 : le gouvernement fédéral n'était pas votre partenaire et ne peut pas être tenu responsable de ce dont la Colombie-Britannique vous accuse.)

Me Régnier a voulu s'assurer que les points étaient mis sur les i.  À partir d'un document montrant des teneurs en goudron et en nicotine pour différentes marques disponibles au Canada, document que Me Régnier a fait verser comme pièce au dossier de la preuve (pièce 50017), l'avocat avait calculé le ratio goudron-nicotine et a fait examiner sa méthode (archi-simple) et ses résultats à Ray Howie.
Me Régnier : « Si la plupart des cigarettes étaient fabriquées à partir du même tabac (développé à Delhi), comment peut-on observer de telles différences dans le ratio goudron nicotine ?
Ray Howie : Les différences entre ces marques étaient générées par les techniques de développement des produits, pas par le tabac.
Et vlan. Si on veut laisser entendre que la teneur en nicotine de certaines marques a pu augmenter à cause du gouvernement du Canada, c'est préférable de ne pas dire cela devant un juge quand Me Régnier est présent.

Me Kevin LaRoche, défenseur de JTI-Macdonald, est ensuite revenu sur l'interrogatoire de mardi, quand il était question des résultats affichés sur les paquets de cigarettes des tests effectués sur des machines à fumer, et quand le tribunal a pu constater que le chimiste Ray Howie avait fait remplacer, dans un cas, un 13 par un 12 (mg de goudron), sous le prétexte d'un arrondissement (pièce 629). Me LaRoche a habilement fait préciser au témoin Howie que les résultats mentionnés dans l'interrogatoire avaient des marges d'erreur de « plus ou moins 1 mg », et que 12 était donc dans la marge de 13. (Personne n'a eu l'occasion ou trouvé utile de faire dire au témoin devant le juge que 14 mg aussi, aurait été dans la marge d'erreur.)

Me Régnier et Me LaRoche mijotaient leur coup depuis au moins 24 heures. Me Simon Potter, défenseur de Rothmans, Benson and Hedges dans le présent procès, mais vétéran des batailles judiciaires de l'industrie dans son ensemble, a voulu se servir de la pièce enregistrée par Me Régnier pour improviser son bout de contre-interrogatoire de Ray Howie. Très peu d'avocats ont cette audace. Il semble que Me Potter a lu un « 21 mg » (de nicotine) sur une ligne qui concernait une marque de tabac à rouler plutôt qu'une marque de cigarette, et il a fait chou blanc en voulant se servir de cela pour interroger le témoin. Ce contre-interrogatoire a peut-être permis de faire valoir les progrès réalisés par l'industrie du côté de la teneur en goudron, ce qui devait être le but de l'exercice. 


Quand les papiers parlent

Les documents versés en preuve mercredi révèlent des choses intéressantes. Quelques exemples.

Alors qu'elle subissait des pressions de Santé Canada, la compagnie RJR-Macdonald a travaillé à l'émergence d'un consensus de l'industrie de n'utiliser que des additifs approuvés par les industries allemande et britannique du tabac. Ce consensus daté de juillet 1983 contenait deux échappatoires : les additifs au papier n'avaient pas besoin d'être sur la liste, pas plus que les « extraits naturels ». (pièce 642)

Les laboratoires de la maison-mère RJR à Winston-Salem en Caroline du Nord, qui menaient des expériences pour relever le ratio de nicotine par rapport au goudron, ont indiqué dès 1977 à leur filiale canadienne trois voies fructueuses vers ce but, incluant l'usage d'additifs (pièce 645)

Le directeur de la recherche de RJR-Macdonal écrivait en 1978 que trois des marques de la compagnie étaient conçues pour procurer un plus haut ratio de nicotine par rapport au goudron (Vantage, Export A légères, et Cavalier). Il était au courant que le cigarettier Philip Morris pratiquait l'ajout de sels d'ammonium pour diminuer l'acidité de la fumée et favoriser l'inhalation de la nicotine, et se plaignait que le traitement soit plus difficile à pratiquer sur les cigarettes canadiennes. (pièce 647)

Entre 1979 et 1984, RJR-Macdonald a fait à répétions l'expérience d'ajouter aux mélanges de tabac des sels d'ammonium dans le but de diminuer l'acidité de la fumée et notamment d'augmenter sa teneur en « nicotine libre », une forme de nicotine encore mieux captée par les poumons. (pièces 648, 648A, 648B et 648C) (voir aussi la pièce 650)

Un document de1980 montre que les papiers utilisés pour les cigarettes de RJR-Macdonald avaient été traités avec du phosphate d'ammonium (pièce 641 ).


*** 

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.





jeudi 27 septembre 2012

62e jour - 26 septembre - Sorbitol, M-7, GRAS list, ... : vous avez-dit additifs ?

Théoriquement, les choses pourraient être très simples : on cueille une feuille de tabac, on la fait sécher, puis on la hache finement, on met du tabac haché dans une feuille de papier à cigarette qu'on roule, puis on allume et on sait ce qu'on fume : du tabac et du papier à cigarette.

Le papier ne pousse pas dans les champs, et on fabrique du papier ayant différentes propriétés en suivant différentes recettes, alors parler des « additifs » dans le papier est une façon arbitraire de s'exprimer qui dépend tellement de la position occupée dans la chaîne de production de la cigarette allant jusqu'au consommateur, que c'est presque un jeu sur les mots.

Par contre, une question du genre « Y a-t-il des additifs dans le tabac des cigarettes vendues au fumeur ? » devrait pouvoir recevoir une réponse simple et univoque, peu importe qui y répond : oui, non ou je ne sais pas.

La question semble cependant embarrasser les cadres de l'industrie cigarettière interrogés lors du présent procès d'Imperial Tobacco, de JTI-Macdonald et de Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Heureusement que des documents écrits existent pour sauver un peu de temps.

À l'occasion du témoignage en mars dernier d'un ancien directeur des affaires publiques d'Imperial Tobacco, Michel Descôteaux, les avocats des recours collectifs avaient fait ajouter à la preuve un document daté du 1er mai 1985 qui était une déclaration solennelle du Conseil des fabricants de produits du tabac (CTMC) concernant les additifs contenus dans ses produits. (pièce 47)

On y apprenait que l'industrie utilise notamment des humectants, des agents de préservation et des aromates dans la fabrication des produits du tabac. Il était aussi mentionné que plusieurs additifs sont gardés secrets par chaque fabricant, le but étant de ne pas aider la concurrence à imiter ses trouvailles. À chaque fois qu'un des additifs nommés dans le document était aussi utilisé dans l'industrie agro-alimentaire, le texte ne manquait pas de le souligner et de banaliser ce fait, comme si on ingérait normalement les aliments après les avoir fait brûler.

Jeudi dernier, l'affaire partait mal.  Les mêmes cassettes allaient tourner.


Encore la liste du comité Hunter

Le jeudi 20 septembre, Ray Howie, un ancien directeur de la recherche et du développement des produits chez RJR-Macdonald (devenue JTI-Macdonald en 1999), avait déclaré au procureur des recours collectifs : (...) Vous savez, il y avait au Royaume-Uni un comité appelé le Comité Hunter, lequel a dressé une liste d'additifs qu'il était parfaitement approprié du point de vue de la "sécurité" (safety), comme vous appelleriez cela, d'ajouter aux cigarettes.  Alors nous utilisions avec rigueur cette liste du Comité Hunter, et si ce n'était pas sur la liste du Comité Hunter, nous ne l'utilisions pas.

D'autres témoins au procès qui nous occupe ont évoqué l'existence de la liste du comité Hunter.

Mardi dernier, Me André Lespérance, Me Pierre Boivin et Me Gabrielle Gagné ont fait examiner au témoin Howie plusieurs autres documents, avec des listes d'additifs. Il y avait la liste de Hunter, et d'autres.

Ray Howie : Le sorbitol ? Encore un additif traditionnel, cela a un goût sucré.  C'est un autre humectant, et vous en trouvez dans le dentifrice et divers aliments.  En fait, la plupart des humectants, vous les trouvez dans à peu près tous les aliments préparés que vous pouvez prendre des tablettes.  Le sorbitol était utilisé jadis, et je ne sais pas la date de ce document...
Me Lespérance : C'est 1978.
Ray Howie : 1978, d'accord.  Alors c'était encore en usage, certainement, à cette époque, et jusqu'au ...
Me Lespérance : 1985 ?
Ray Howie : ... milieu des années 1980, je présume, à moins que cela ait été retiré avant cela, je ne sais pas.
Me Lespérance : D'accord, cela aurait été... Était-ce au moment dont vous avez parlé où M. Lang (le patron de RJR-Macdonald) a décidé, en 1985, que les additifs cesseraient d'être utilisés.
Ray Howie : C'est exact.  C'est quand la décision fut prise.  Et alors, nous les avons graduellement retirés jusqu'à la fin, vers 1989.  Je pense que le dernier (additif), le DM, dont vous parliez tout à l'heure comme d'un aromate, a été retiré en 1989.
Me Lespérance : D'accord.  Maintenant, voyez-vous le M-7 ?  Savez-vous à quoi cet additif sert ?
Me Gagné : (C'est écrit) juste après le vinaigre.
Ray Howie : Oui.  Je vois cela.  Je n'ai aucune idée de ce qu'est le M-7.
Me Lespérance :  C'est mis en relation (dans une colonne sur la page du document examiné) avec ...
Ray Howie : C'est une...
Me Lespérance : ...la G.R.A.S. list.  Qu'est-ce que la GRAS list ?
Ray Howie : C'est une liste américaine, généralement vu comme une liste fiable aux États-Unis; c'est ce que les États-Unis utilisent comme directive pour les additifs au tabac.
Me Lespérance : Mais c'est pour les aliments ?
Ray Howie : Et pour les aliments, oui.
Me Lespérance : N'est-ce pas principalement pour les aliments ?
Ray Howie : Cela dépend ce que vous fabriquez.  Nous fabriquions du tabac.
Me Lespérance : Oui, mais vous ne mangez pas le tabac, vous le brûlez et vous le fumez.
Ray Howie : Non, je sais cela.
Juge Brian Riordan : La question est : est-ce que la list GRAS était typiquement utilisée pour la nourriture, aux États-Unis, savez-vous ?
Ray Howie : Oui, elle l'est.
Me Lespérance : En quoi est-ce pertinent pour le tabac que vous fumez ?
Ray Howie : Bien, nous n'avions aucune directive du gouvernement fédéral (canadien) à ce sujet, alors nous avions à établir nos propres directives.
Me Lespérance : Alors ...
Ray Howie : Alors c'est ce que nous avons fait.
(...)
Me Lespérance : Donc si un ingrédient n'était pas sur la liste Hunter, s'il était sur la liste GRAS, c'était correct.  C'était votre position ?
Ray Howie : J'aimerais savoir ce qu'est le mélange C (sur la page du document alors à l'examen)...

*
La journée d'hier (mercredi) a permis le versement comme pièce au dossier de la preuve d'un communiqué de presse émis par le CTMC le 21 avril 1994 (pièce 40017), un communiqué dont une copie avait été expédiée à Ray Howie, alors directeur de la recherche chez RJR-Macdonald. Ce document a un contenu très semblable à celui de 1985 déposé lors de l'interrogatoire de Michel Descôteaux, comme si très peu de changements étaient effectivement survenus dans les pratiques de l'industrie entre 1985 et 1994. Mais peut-être était-ce la faute d'Imperial et de RBH...

D'autres documents ont été versés en preuve.

Vers la fin de la journée, le procureur Lespérance des recours collectifs a montré qu'il ne se refusait pas d'être pressant dans ses questions au témoin Howie, quand les circonstances y invitent.

L'après-midi de mercredi s'est terminé sur une succession de contre-interrogatoires, par Me Kevin LaRoche de JTI-Mac, par Me Maurice Régnier pour le gouvernement fédéral canadien, par Me André Lespérance à nouveau.  C'était très intense, un grand moment du sport. Une consultation des 300 pages de la transcription officielle, laquelle sera vraisemblablement disponible cet après-midi, permettra de rendre compte du moment à la hauteur de son mérite, mais ce ne sera pas dans la présente édition.

Ce matin (jeudi), le tribunal entend le témoignage de Peter Hoult, un ancien grand patron de RJR-Macdonald.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.





mercredi 26 septembre 2012

61e jour - 25 septembre - Un peu de science du camouflage et du déni

L'interrogatoire de l'ancien directeur de la recherche de RJR-Macdonald Ray Howie par Me André Lespérance s'est poursuivi toute la journée d'hier (mardi). Rien de dramatique ne s'est produit dans le déroulement de l'audition, comme lundi, mais la documentation versée en preuve s'épaissit et devient chaque jour plus éloquente, malgré le laborieux patinage de l'ancien cadre et chimiste.

37 documents ont été ajoutés comme pièces au dossier de la preuve, pièces dont le nombre total, après soixante jours de procès, dépassait déjà le millier.  Il s'agit de pièces en preuve accessibles au public internaute par le truchement de la banque de données des avocats des recours collectifs.

(Pour y accéder, cliquez sur l'hypertexte permanent juste à droite de notre édition du jour.  Rendu là, cliquez sur la barre bleue Accès direct à l'information, sans vous occuper du reste. Pour avoir accès à une série de documents très liés, écrivez seulement les chiffres du numéro de pièce, sans la lettre, et le moteur de recherche vous donnera la série complète.)


Financer la recherche sympathique

Le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) avait un « comité technique », où ont notamment siégé le patron et prédécesseur de Ray Howie, feu Derek Crawford, puis Howie lui-même, pour le compte de RJR-Mac. L'un des rôles du comité était de faire des recommandations aux patrons des compagnies membres du CTMC quant au financement de la recherche « indépendante » ...et sympathique.

La correspondance entre les spécialistes de la recherche et du développement reflétait généralement une communauté implicite de vues dans les compagnies, au nombre de quatre, jusqu'à la fusion de Rothmans et de Benson & Hedges en 1986. Mais il y a eu parfois des désaccords.

Ce fut le cas, par exemple, lorsque fut examiné en 1985 la possibilité de financer les recherches du professeur de psychiatrie Verner Knott, de l'Université d'Ottawa. Knott avait déjà reçu beaucoup d'argent de l'industrie, et les cigarettiers contrôlés par des intérêts britanniques ou sud-africains (Imperial et Rothmans) n'avait pas d'objection à ce que le chercheur étudie les électro-encéphalogrammes d'enfants canadiens, pour savoir si certains d'entre eux avaient une prédisposition à devenir fumeurs un jour. Dans les compagnies contrôlées depuis les États-Unis (RJR-Macdonald et Benson & Hedges), les avocats s'inquiétaient des conséquences « traumatiques » d'une découverte par le public que l'industrie du tabac finançait une telle recherche. (pièce 618). Derek Crawford, le directeur de la R & D chez RJR-Mac, se démenait pour rapprocher les différentes parties. (pièces 615 et 616).

Ray Howie a affirmé qu'à la fin des années 1980, la totalité des fonds de recherche distribués par le CTMC l'étaient à des recherches servant à prouver que la réglementation sur la protection contre le tabagisme passif était inutile ou indésirable.

En 1987, quand il est devenu apparent que le Parlement fédéral canadien allait se voir proposer une législation pour (entre autres choses) protéger les travailleurs de la fumée de tabac dans l'environnement, les « docteurs » (en chimie) ou scientifiques des compagnies ont jonglé avec l'idée de mettre sur pied, à l'Université Concordia de Montréal, quelque chose ressemblant au Center for Indoor Air Research (CIAR) que l'industrie avait mis sur pied aux États-Unis. (pièce 612B)  (Le CIAR a été démantelé en même temps que divers organismes de façade de l'industrie du tabac, après la célèbre Master Settlement Agreement survenue en 1998 entre les cigarettiers américains et les États américains qui les poursuivaient en justice.)

Depuis le début du présent procès contre les cigarettiers canadiens, les avocats de ces derniers n'ont pas manqué de souligner de temps à autre la concurrence entre leurs clients, parfois pour justifier le huis clos.  Avec un peu de recul, ce qui ressort de la correspondance examinée au procès, au-delà du thème particulier d'un document ou d'un autre, c'est la régularité de la collaboration des scientifiques de l'industrie canadienne et leur relative absence de cachotterie entre eux. (voir notamment les pièces 611 à 621).


Vérités contrariantes et « ajustements »

Un échange de mémos daté de 1978 entre un marketeur de RJR-Mac, Alan Mew, et le directeur de la recherche Derek Crawford, montre bien tout ce à quoi l'équipe de ce dernier s'intéresse en vue d'accroître la quantité de nicotine par rapport à la quantité de goudron dans les cigarettes de la compagnie.  M. Crawford mentionne « le mélange sélectionné, le design du filtre, le papier spécial, la dilution (de la fumée), le potentiel de certains additifs, etc. » (pièces 622 et 622A)

Les efforts ne sont cependant pas toujours ou tout de suite couronnés de succès. En 1983, une étude réalisée par un chercheur de la maison-mère RJR de Caroline du Nord montrait que les petits trous que RJR-Mac fait dans certaines de ses cigarettes vendues au Canada étaient en bonne partie bouchés par les lèvres des fumeurs, ce qui diminue alors la dilution de la fumée et augmente l'inhalation de goudron et de nicotine au-delà de ce qui est indiqué sur les paquets. Chez RJR-Macdonald, on décida de ne rien faire, à moins que la question vienne un jour sur le tapis, auquel cas la compagnie canadienne plaiderait l'ignorance. (pièces 623, 623B, 624 et 624A).

Hier, Ray Howie a témoigné que l'étude de RJR accusait de graves faiblesses méthodologiques.  Durant l'été dernier (Oui, oui, l'été 2012 !), le retraité de JTI-Macdonald et témoin attendu cet automne dans le procès qui nous occupe a réanalysé les données de 1983 et il conclut maintenant que c'était seulement entre 40 et 50 % des perforations qui étaient bouchées, pas 75 %.

Quant à la pertinence de faire des perforations de ventilation assez loin du bout de la cigarette qui va à la bouche du fumeur, Derek Crawford n'avait pas encore réussi à persuader la direction de l'entreprise canadienne de procéder aux adaptations nécessaires, quand il lui a fait ses adieux en 1989. (pièce 627)

Dans un document daté de 1989 (pièce 629), Ray Howie admet que les cigarettes Export A light « ont des trous de ventilation situés à 8 mm du bout de la cigarette qui va dans la bouche.  Quand le consommateur fume cette cigarette, il couvre les trous (avec ses lèvres), ce dont résulte une inhalation plus puissante ». Le chimiste observait que la nouvelle méthode alors prescrite par le gouvernement fédéral canadien allait nécessiter que les trous soient percés un peu plus loin du bout buccal de la cigarette. Bien que les tests de M. Howie à l'époque montraient que la teneur en goudron serait de 13 mg avec le nouveau design, il recommandait d'indiquer un résultat de 12 mg sur les paquets. Hier, le témoin Howie a qualifié ce geste d' « arrondissement ».

*
Devant cet « arrondissement », le patient procureur André Lespérance s'est contenté d'afficher un visage étonné, sans rien dire. Cela permet d'illustrer une manière de l'avocat différente (mais qui s'est souvent avérée complémentaire) de celle de son coéquipier Bruce Johnston.

Me Johnston arrache parfois des aveux en posant ses questions assez vite pour que les témoins répondent sans embellir leurs réponses. Pour cela, Me Johnston passe souvent le dernier, après ses coéquipiers Lespérance ou Trudel ou Kugler ou Boivin, alors que la conviction du juge est peut-être parfois déjà acquise, même s'il ne le dira pas, et sa patience, surtout en matière de chimie, presque épuisée.

Me Lespérance laisse les témoins s'enfoncer dans leurs propres contradictions, rationalisations ou digressions. Tout cela à quelques mètres des oreilles et des yeux du juge Brian Riordan, impénétrable.

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Le témoignage de Ray Howie se poursuit aujourd'hui (mercredi).  La question des additifs, abordée hier, sera retournée sous différentes coutures.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
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lundi 24 septembre 2012

59e jour - jeudi 20 septembre - Je portais mon sarrau et j'étais dans le laboratoire...

Pour voir les pièces au dossier de la preuve, suivez les instructions à la fin du message du jour.


Si on compte l'avocat John Meltzer et l'ancien cadre de l'industrie Peter Gage, qui ont témoigné sans venir au palais de justice de Montréal, Ray Howie est le 21e témoin depuis le 12 mars à être entendu par le juge Brian Riordan dans le procès en responsabilité civile contre les trois grands cigarettiers canadiens.

Raymond Howie, qui est chimiste de formation, a commencé à travailler dans l'industrie du tabac en 1967, au Royaume-Uni, et est entré en 1974  chez le cigarettier RJR-Macdonald, à Montréal, comme gérant des services d'analyse (chimique).

La compagnie était alors en pleine constitution d'un département de recherche et de développement de produits (pièce 581 et 582). Le chef du département, Derek Crawford, venait lui-même d'être engagé. Quand M. Howie est devenu directeur du département en 1989 (pièce 589), 30 techniciens et chercheurs y travaillaient (pièces 584 et 584A). Par la suite, le personnel a été réduit.  En 1995, l'effectif n'était plus que de 18 (pièce 591).

En 1998, Ray Howie a été promu à la maison-mère de RJR-Macdonald, RJR International, dont les bureaux et laboratoires sont à Genève (où se trouve encore Japan Tobacco International (JTI)).  M. Howie y a fait le même travail de directeur de la recherche, mais pour plusieurs des pays où R. J. Reynolds possédait des filiales.  Il a pris sa retraite en 2001, à 54 ans.

(Entre temps, après que R. J. Reynolds ait vendu ses filiales étrangères à Japan Tobacco, en 1999, RJR-Mac est devenue JTI-Mac.)

Le témoin Howie a admis qu'il avait passé vingt jours avec les défenseurs de JTI-Mac à préparer son témoignage au présent procès.

Cette admission autorise les procureurs des recours collectifs à procéder avec lui selon les règles du contre-interrogatoire, plutôt que selon les règles de l'interrogatoire, ce qui leur permet d'être plus suggestifs dans les questions, à la limite de mettre le témoin sur la défensive, par exemple quand ce dernier semble changer sa version des faits, ce qui n'est pas arrivé jeudi avec M. Howie.


Améliorer le produit ne signifie pas le rendre plus sain

Interrogé par Me André Lespérane des recours collectifs, le chimiste a précisé la nature des recherches auxquelles il a participé ou qu'il a dirigées : il s'agissait de recherche pour fabriquer un produit plaisant au consommateur et au meilleur coût possible, aucunement de recherches médicales sur les effets du tabac. Le témoin Howie a déclaré que le quartier-général de R. J. Reynolds, à Winston-Salem en Caroline du Nord, avait 400 à 500 personnes qualifiées pour faire cela. (Mais il n'a pas affirmé qu'elles l'ont vraiment fait.)

Ray Howie a raconté qu'à l'époque de son arrivée au Canada, les procédés de fabrication et les produits de RJR-Mac avaient besoin d'être améliorés parce que l'usine perdait trop de matériau brut inutilement, fabriquait des cigarettes inutilement denses, avec des filtres trop courts, ces derniers imposant aux fumeurs de gaspiller du tabac pour ne pas se brûler les lèvres.

Une autre des missions du département de recherche et de développement de RJR-Mac était de trouver des moyens de réduire la teneur en goudron des cigarettes, ce qui semblait la meilleure façon de réduire l'ingestion par le fumeur de substances cancérogènes. Le chimiste Howie s'est montré fier d'avoir avec son équipe contribué, en une quinzaine d'années, à réduire de moitié la teneur en goudron (telle que mesurée par les machines à fumer) des cigarettes de sa compagnie, laquelle compagnie accusait en cette matière un retard sur la concurrence. Au-delà, les chercheurs savaient qu'il était possible d'éliminer de la fumée plusieurs substances très nocives, mais il fut décidé de ne pas passer aux actes par crainte d'aboutir sur le marché avec une cigarette insipide et invendable. (Voir les pièces 585586587588).

Réduire le goudron en autant que cela n'enlève pas trop de saveur, et accroître l' « impact » en nicotine de chaque cigarette : tel était l'un des objectifs clairs des recherches menées chez RJR-Macdonald.

Ray Howie a raconté que l'un des collègues, John Hood, a fait l'expérience d'ajouter de l'ammoniac au mélange de tabac afin de relever l'alcalinité (synonyme : relever le pH) de la fumée. M. Howie a souligné que la combustion du tabac séché selon la méthode virginienne produit une fumée très acide (pH très bas).  Avec une fumée moins acide, une plus grande part de la nicotine présente se présentait sous la forme de « nicotine libre », laquelle est plus facilement absorbée par l'organisme. (pièce 585) (John Hood est attendu comme témoin en octobre.)

Rendre la fumée des cigarettes plus facile à inhaler était un objectif parallèle.  Avec moins de substances irritantes dans la fumée, les produits seraient plus acceptables pour les fumeurs, qui en redemanderaient.


Mettre en garde contre les méfaits sanitaires : pas de mes affaires


M. Howie a reconnu sans détour que la fumée de tabac contient environ 4000 composés chimiques dont plusieurs toxiques et entre 30 et 50 qui sont cancérogènes.

Me Lespérance : Vous souvenez-vous de ce que la compagnie avait comme position relative aux méfaits sanitaires du tabac ?
Raymond Howie : Je ne me souviens pas.
Me Lespérance : Est-ce que la compagnie reconnaissait que le tabac cause des maladies ?
Ray Howie : Je ne sais pas.
Me Lespérance : Vous étiez le chef du département de la recherche à partir de 1989 ?
Ray Howie: Oui.
Me Lespérance : À ce titre, vous ne pouvez pas renseigner la Cour sur ce qu'était la position de RJR-Macdonald sur la question de savoir si le tabac causait la maladie ?
Ray Howie : Je peux vous donner ma position mais je ne peux pas vous donner celle de la compagnie.
Juge Brian Riordan : Vous ne savez même pas si la compagnie avait une position ?
Ray Howie : C'est exact.

Plusieurs documents examinés lors de l'interrogatoire de jeudi ont montré que le prédécesseur du témoin comme chef de la recherche, feu Derek Crawford, était impliqué dans des discussions sur les méfaits du tabagisme (pièces 212A, 212B593, 594, 595, 596, 597)

Quant Ray Howie, il n'a pas participé à ces discussions et travaux. « Je portais mon sarrau et j'étais dans le laboratoire », a-t-il répété à Me Lespérance.


Quand le chimiste devenait soudain chatouilleux

L'interrogatoire a permis de constater que le chef de la recherche a parfois été appelé à sortir de sa réserve.  En 1998, le gouvernement de la Colombie-Britannique a distribué l'affiche ci-dessous au sujet des toxines contenues dans la fumée.

Affiche d'une campagne du gouvernement de la Colombie-Britannique en 1998

Ray Howie a travaillé sur une réponse de l'industrie à la campagne du gouvernement de Victoria (pièce 599)

Me Lespérance : Pourquoi aviez-vous besoin de fournir une réponse ?
Ray Howie : Elles (les autorités sanitaires provinciales) avaient des panneaux d'affichage dispersés en Colombie-Britannique qui montraient par exemple la (présence de) formaldéhyde, etc. (...) À mes yeux, c'était biaisé. Le niveau réel de benzopyrène ou de formaldéhyde et des autres substances souvent mentionnées comme causes de maladies ...est si minime (dans la fumée de tabac) que cela ne nuit à personne.
Me Lespérance : Avez-vous nié que la fumée de tabac était nocive?
Ray Howie : Ce n'était pas l'enjeu. Elles concentraient ces annonces sur des substances particulières contenues dans la fumée de tabac et nous traitions de leurs commentaires, nous les rectifiions.

Le témoignage de M. Howie avait auparavant montré qu'il comprenait très bien la différence entre la chimie analytique et la toxicologie (qui est une spécialité médicale).  Au point de refuser, comme d'autres témoins avant lui, de conclure à une relation de causalité entre le tabagisme et la maladie, même quand cette causalité est proclamée par les autorités médicales de plusieurs pays.

Le témoignage de Ray Howie se poursuit aujourd'hui et demain (mardi).


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