37 documents ont été ajoutés comme pièces au dossier de la preuve, pièces dont le nombre total, après soixante jours de procès, dépassait déjà le millier. Il s'agit de pièces en preuve accessibles au public internaute par le truchement de la banque de données des avocats des recours collectifs.
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Financer la recherche sympathique
Le Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) avait un « comité technique », où ont notamment siégé le patron et prédécesseur de Ray Howie, feu Derek Crawford, puis Howie lui-même, pour le compte de RJR-Mac. L'un des rôles du comité était de faire des recommandations aux patrons des compagnies membres du CTMC quant au financement de la recherche « indépendante » ...et sympathique.
La correspondance entre les spécialistes de la recherche et du développement reflétait généralement une communauté implicite de vues dans les compagnies, au nombre de quatre, jusqu'à la fusion de Rothmans et de Benson & Hedges en 1986. Mais il y a eu parfois des désaccords.
Ce fut le cas, par exemple, lorsque fut examiné en 1985 la possibilité de financer les recherches du professeur de psychiatrie Verner Knott, de l'Université d'Ottawa. Knott avait déjà reçu beaucoup d'argent de l'industrie, et les cigarettiers contrôlés par des intérêts britanniques ou sud-africains (Imperial et Rothmans) n'avait pas d'objection à ce que le chercheur étudie les électro-encéphalogrammes d'enfants canadiens, pour savoir si certains d'entre eux avaient une prédisposition à devenir fumeurs un jour. Dans les compagnies contrôlées depuis les États-Unis (RJR-Macdonald et Benson & Hedges), les avocats s'inquiétaient des conséquences « traumatiques » d'une découverte par le public que l'industrie du tabac finançait une telle recherche. (pièce 618). Derek Crawford, le directeur de la R & D chez RJR-Mac, se démenait pour rapprocher les différentes parties. (pièces 615 et 616).
Ray Howie a affirmé qu'à la fin des années 1980, la totalité des fonds de recherche distribués par le CTMC l'étaient à des recherches servant à prouver que la réglementation sur la protection contre le tabagisme passif était inutile ou indésirable.
En 1987, quand il est devenu apparent que le Parlement fédéral canadien allait se voir proposer une législation pour (entre autres choses) protéger les travailleurs de la fumée de tabac dans l'environnement, les « docteurs » (en chimie) ou scientifiques des compagnies ont jonglé avec l'idée de mettre sur pied, à l'Université Concordia de Montréal, quelque chose ressemblant au Center for Indoor Air Research (CIAR) que l'industrie avait mis sur pied aux États-Unis. (pièce 612B) (Le CIAR a été démantelé en même temps que divers organismes de façade de l'industrie du tabac, après la célèbre Master Settlement Agreement survenue en 1998 entre les cigarettiers américains et les États américains qui les poursuivaient en justice.)
Depuis le début du présent procès contre les cigarettiers canadiens, les avocats de ces derniers n'ont pas manqué de souligner de temps à autre la concurrence entre leurs clients, parfois pour justifier le huis clos. Avec un peu de recul, ce qui ressort de la correspondance examinée au procès, au-delà du thème particulier d'un document ou d'un autre, c'est la régularité de la collaboration des scientifiques de l'industrie canadienne et leur relative absence de cachotterie entre eux. (voir notamment les pièces 611 à 621).
Vérités contrariantes et « ajustements »
Un échange de mémos daté de 1978 entre un marketeur de RJR-Mac, Alan Mew, et le directeur de la recherche Derek Crawford, montre bien tout ce à quoi l'équipe de ce dernier s'intéresse en vue d'accroître la quantité de nicotine par rapport à la quantité de goudron dans les cigarettes de la compagnie. M. Crawford mentionne « le mélange sélectionné, le design du filtre, le papier spécial, la dilution (de la fumée), le potentiel de certains additifs, etc. » (pièces 622 et 622A)
Les efforts ne sont cependant pas toujours ou tout de suite couronnés de succès. En 1983, une étude réalisée par un chercheur de la maison-mère RJR de Caroline du Nord montrait que les petits trous que RJR-Mac fait dans certaines de ses cigarettes vendues au Canada étaient en bonne partie bouchés par les lèvres des fumeurs, ce qui diminue alors la dilution de la fumée et augmente l'inhalation de goudron et de nicotine au-delà de ce qui est indiqué sur les paquets. Chez RJR-Macdonald, on décida de ne rien faire, à moins que la question vienne un jour sur le tapis, auquel cas la compagnie canadienne plaiderait l'ignorance. (pièces 623, 623B, 624 et 624A).
Hier, Ray Howie a témoigné que l'étude de RJR accusait de graves faiblesses méthodologiques. Durant l'été dernier (Oui, oui, l'été 2012 !), le retraité de JTI-Macdonald et témoin attendu cet automne dans le procès qui nous occupe a réanalysé les données de 1983 et il conclut maintenant que c'était seulement entre 40 et 50 % des perforations qui étaient bouchées, pas 75 %.
Quant à la pertinence de faire des perforations de ventilation assez loin du bout de la cigarette qui va à la bouche du fumeur, Derek Crawford n'avait pas encore réussi à persuader la direction de l'entreprise canadienne de procéder aux adaptations nécessaires, quand il lui a fait ses adieux en 1989. (pièce 627)
Dans un document daté de 1989 (pièce 629), Ray Howie admet que les cigarettes Export A light « ont des trous de ventilation situés à 8 mm du bout de la cigarette qui va dans la bouche. Quand le consommateur fume cette cigarette, il couvre les trous (avec ses lèvres), ce dont résulte une inhalation plus puissante ». Le chimiste observait que la nouvelle méthode alors prescrite par le gouvernement fédéral canadien allait nécessiter que les trous soient percés un peu plus loin du bout buccal de la cigarette. Bien que les tests de M. Howie à l'époque montraient que la teneur en goudron serait de 13 mg avec le nouveau design, il recommandait d'indiquer un résultat de 12 mg sur les paquets. Hier, le témoin Howie a qualifié ce geste d' « arrondissement ».
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Devant cet « arrondissement », le patient procureur André Lespérance s'est contenté d'afficher un visage étonné, sans rien dire. Cela permet d'illustrer une manière de l'avocat différente (mais qui s'est souvent avérée complémentaire) de celle de son coéquipier Bruce Johnston.
Me Johnston arrache parfois des aveux en posant ses questions assez vite pour que les témoins répondent sans embellir leurs réponses. Pour cela, Me Johnston passe souvent le dernier, après ses coéquipiers Lespérance ou Trudel ou Kugler ou Boivin, alors que la conviction du juge est peut-être parfois déjà acquise, même s'il ne le dira pas, et sa patience, surtout en matière de chimie, presque épuisée.
Me Lespérance laisse les témoins s'enfoncer dans leurs propres contradictions, rationalisations ou digressions. Tout cela à quelques mètres des oreilles et des yeux du juge Brian Riordan, impénétrable.
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Le témoignage de Ray Howie se poursuit aujourd'hui (mercredi). La question des additifs, abordée hier, sera retournée sous différentes coutures.
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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
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3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.
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