vendredi 7 septembre 2012

54e jour - 6 septembre - Comment les croyances se répandent dans l'industrie : un petit exemple

L'interrogatoire de Peter Gage, commencé mercredi par Me Doug Mitchell, défenseur de JTI-Macdonald, a été poursuivi hier par Me Bruce Johnston, pour le compte des victimes du tabac, et se termine aujourd'hui. Exceptionnellement, le tribunal présidé par le juge Brian Riordan siège un vendredi.

Avant de revenir de Colombie-Britannique, où a lieu l'interrogatoire, Me Johnston, et possiblement des avocats de certaines autres parties au procès, ont d'autres questions à poser à l'ancien cadre de Macdonald, puis d'Imperial, puis du jadis très actif Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC).

Nous reviendrons sur l'ensemble du témoignage de Peter Gage dans l'édition de lundi de ce blogue. D'ici là, cela vaut la peine de s'attarder à certains documents que les travaux des derniers jours ont permis de verser comme pièces au dossier de la preuve. Voici un exemple.

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En 1971, deux cadres de la multinationale British American Tobacco (BAT), G. F. Todd et sir Clifford Jarrett, ont effectué une tournée nord-américaine des hautes directions de compagnies de tabac et de quelques uns de leurs organismes satellites, afin de se renseigner sur la « Smoking and Health situation », c'est-à-dire sur les vues et les gestes de l'industrie concernant les problèmes de santé associés au tabagisme, ainsi que sur l'avis de certains scientifiques.

Les visiteurs Todd et Jarrett ont notamment eu une longue rencontre avec le conseil d'administration du CTMC, lequel conseil se composait des présidents des compagnies de tabac canadiennes, dont l'un ou l'autre était parfois remplacé par un autre délégué de haut rang.  Peter Gage a participé à la rencontre à titre de vice-président de Macdonald Tobacco, en remplacement de son patron David M. Stewart.

À défaut d'atteindre la profondeur de vue d'un Tocqueville tentant de comprendre l'Amérique après son voyage de 1831, l'espèce de reportage acritique de G. F. Todd du 2 décembre 1971 (pièce 543) fourmille d'observations révélatrices de certaines croyances et d'un certain état d'esprit. Le texte a circulé dans l'empire BAT et provient de la documentation livrée à la partie demanderesse par Imperial Tobacco Canada.

Du texte de M. Todd et Jarrett, dont la valeur probante reste évidemment à établir devant la Cour, comme l'ont reconnu les procureurs des recours collectifs, on peut nettement percevoir qu'à la fin de 1971, les patrons de l'industrie canadienne ...

- croient que celle-ci a « résisté à toutes les tentatives » des ministres fédéraux successifs de la Santé d'imposer des restrictions au tabagisme, restrictions qu'ils perçoivent comme une réponse politique aux opinions des médecins et du public.

- considèrent Judy LaMarsh et Allan McEachen comme des anciens ministres « raisonnables », comparés à John Munro, qui a accédé en 1968 au conseil des ministres fédéral à titre de ministre de la Santé et du Bien-être social (poste qu'il occupera jusqu'en 1972, quand le premier ministre Trudeau le nommera au Travail).

- disent à leurs visiteurs sympathiques que le premier ministre (Trudeau) a indiqué en privé que le projet de loi du ministre Munro pour restreindre la publicité, qui devait être étudié durant l'année 1972, ne se rendra pas jusqu'en deuxième lecture ( « Indeed, the Prime Minister has indicated very privately that the Bill will not get a second reading.» ). Les patrons de l'industrie croient que les élections seront déclenchées avant son adoption. (Le scrutin aura lieu en octobre 1972 sans que la Chambre des Communes ait épuisé son ordre du jour chargé. En jargon parlementaire, on dit : « mort au feuilleton ».)

- reconnaissent devant leurs visiteurs amicaux que leurs recherches scientifiques sont des gesticulations inutiles.

- racontent à leurs visiteurs amicaux que le ex-premier ministre W. A. C. Bennett de la Colombie-Britannique a fait voter en juin 1971 une loi provinciale qui interdit la publicité du tabac, et huit cigarettiers la contestent en justice.

Todd et Jarrett rapportent que selon le président du CTMC, Paul Paré, « il n'y a aucune preuve réelle de substances nocives dans la fumée ».

À la fin de la section de leur rapport consacrée au CTMC, les visiteurs britanniques concluent aussi que les fabricants canadiens ne sont pas vraiment intéressés à développer des cigarettes « plus sûres » (pour la santé).


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents