Pour le moment, il nous faut examiner quelques éléments additionnels du témoignage de Michel Poirier, grand patron de JTI-Macdonald depuis 2000, qui est comparu au palais de justice mardi et mercredi.
RJR-Macdonald n'a jamais admis que la nicotine rend dépendant
En mars 1998, quand M. Poirier est entré, à titre de vice-président aux ventes, au service de l'entreprise qu'il dirige maintenant, celle-ci s'appelait RJR-Macdonald.
(RJR ou R. J. Reynolds est l'entreprise de Caroline du Nord, et numéro 2 du marché américain, qui a pris le contrôle de Macdonald Tobacco au Canada de 1974 et l'a conservé jusqu'en 1999.)
Mardi, Michel Poirier a déclaré qu'à son arrivée chez RJR-Macdonald, l'entreprise reconnaissait déjà la propriété toxicomanogène du tabac. (Toxicomanogène est la traduction suggérée pour « addictive » par le Grand dictionnaire terminologique de l'Office de la langue française.)
Le procureur des recours collectifs Philippe H. Trudel venait de mettre sous les yeux du témoin un document de l'industrie, qui n'a finalement pas été versé comme pièce au dossier de la preuve mais a servi à rafraîchir la mémoire du témoin.
Dans ce document, M. Poirier a pu lire ce passage: « Il n'y a pas plus de consensus scientifique sur la définition (de la dépendance) que sur le degré d'utilisation qui constitue une dépendance, ni sur ce qu'est la dépendance » (traduction de l'auteur du présent blogue, à partir de la transcription officielle).
Me Trudel : « En 2001, est-ce que c'était la position de RJR-Macdonald ?
Me Pratte : De JTI-Macdonald !
Me Trudel : JTI-Macdonald, pardon.
Michel Poirier : Non. Certainement qu'autour de 2001, c'était convenu... Tout le monde comprenait quelle définition était utilisée et nous étions d'accord que le tabac crée une dépendance.
Me Trudel : Quand votre compagnie a-t-elle pour la première fois reconnu que ses produits créaient une dépendance ?
Michel Poirier: C'aurait été avant mon temps. Je penserais que c'est quelque part au milieu des années 1990, peut-être vers la fin des années 1990, mais certainement avant mon temps.
Mercredi, l'associé de Me Trudel, Me Bruce W. Johnston est revenu à la charge.
Me Johnston : « Quand vous avez commencé (chez RJR-Macdonald) en 1998, vous acceptiez que la nicotine créait la dépendance ?
Michel Poirier : En 1998, oui.»
Me Johnston a fait verser comme pièce au dossier de la preuve un recueil de positions (Public Affairs Manual, pièce 569) préparé en 1996 pour les filiales de R. J. Reynolds à l'extérieur des États-Unis (RJR International).
M. Poirier a admis que ce document de 118 pages, qu'il avait reçu en octobre 1998 en même temps que d'autres cadres de RJR-Macdonald, contenait les positions de la compagnie, comme le laissait d'ailleurs entendre le mémorandum d'accompagnement. (pièce 569 A)
La position de RJR-Macdonald en octobre 1998 semble être celle de RJR en avril 1994. |
Ils affirmaient cela six ans après que le directeur national de la santé publique (Surgeon General) du pays, le Dr C. Everett Koop, ait affirmé, dans son célèbre rapport de mai 1988, que « les cigarettes sont des dispositifs hautement efficaces d'administration de nicotine et sont aussi addictives que des drogues telles que l'héroïne ou la cocaïne. »
En plusieurs occasions, Michel Poirier a fait état d'une façon différente de définir la dépendance aux États-Unis et au Canada. Or, une quinzaine de mois séparent la parution du rapport de 1988 du Surgeon General (fichier long à télécharger) et celle du rapport de la Société royale du Canada (pièce 212) en août 1989.
Pertinence des mises en garde sanitaires
En matinée de jeudi, Me Trudel a utilisé une déclaration sous serment faite en 2000 (pièce 575) par Michel Poirier pour savoir si la compagnie de ce dernier jugeait que la mise en garde Santé Canada considère que le danger pour la santé croît avec l'usage, que l'industrie a apposé volontairement sur les paquets à partir de 1972, « était un geste suffisant pour informer les fumeurs des dangers du tabagisme ».
Michel Poirier a répondu qu'il fallait se mettre dans le contexte de l'époque et que « le sous-ministre de la Santé, qui était en discussion avec l'industrie à ce sujet, pensait que ce serait idiot de mettre des mises en garde sanitaires sur les paquets, parce que tout le monde savait...»
Me Maurice Régnier, qui représente le gouvernement fédéral canadien dans le procès des cigarettiers, qui tentent de lui faire porter le blâme pour leurs agissements, a dénoncé « le ouï-dire de la part du témoin ». Le juge Riordan a suggéré à M. Poirier de répondre au nom de sa compagnie plutôt qu'au nom du gouvernement. Le témoin a alors fini par dire qu'il ne savait pas.
Les mots lourds de sens du marketing
M. Poirier a affirmé, plus d'une fois, qu'aux yeux des fumeurs, selon les études de l'industrie, les mots léger (light), doux (mild) et velouté (smooth) avaient pratiquement la même signification. Ils indiquent une saveur moins forte.
(En novembre 2006, le Bureau de la politique de concurrence, qui relève du gouvernement d'Ottawa, a annoncé qu'il était parvenu à une entente avec les cigarettiers pour qu'ils cessent, comme leur avait demandé le ministre fédéral de la Santé Allan Rock plusieurs années plus tôt, d'utiliser les descripteurs « léger » et « doux » pour parler de produits du tabac. À l'époque, les groupes de lutte contre le tabagisme ont vite perçu que l'abandon des deux descripteurs était une manœuvre.)
Parlant des termes « léger » et « doux ».
Me Trudel : Avez-vous cessé d'utiliser ces descripteurs parce qu'ils pouvaient désinformer le public ?
Michel Poirier : Nous avons retiré les descripteurs parce qu'il y avait beaucoup de pression sur nous, et potentiellement une poursuite judiciaire là-dessus par le Bureau de la politique de concurrence.
Un peu plus tard.
Me Trudel : Pourquoi n'avez-vous pas cessé d'utiliser le descriptif velouté (smooth) ?
Michel Poirier : ...parce que nous avions besoin de nous assurer que les consommateurs reconnaissaient le produit autant que possible, celui auquel il avait été habitué (...)
Vers la fin de l'après-midi, face à Me Johnston, Michel Poirier a affirmé que l'entente avec le Bureau de la politique de concurrence (pièce 40016) (le retrait des mots « léger » et « doux »), n'était aucunement une admission d'un tort.
Michel Poirier : Donc, me demandez-vous si léger, doux et velouté sont la même chose ? Oui. Parce qu'il y avait aucun mauvaise action au départ.
M. Poirier a aussi prétendu que l'industrie n'avait pas de preuve que des consommateurs associaient « léger » et « doux » avec « plus sûr pour la santé ». Me Régnier, l'avocat du gouvernement, lui en a montré une que Santé Canada a déjà envoyé à l'industrie.
* *
Non entendu devant le tribunal de Brian Riordan, mais resté en mémoire de notre camarade blogueuse Cynthia Callard : depuis septembre 2011, la réglementation fédérale canadienne bannit les mots « léger » et « doux ».
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Pour
accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents
relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands
cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
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2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.
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