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mercredi 20 mars 2013

128e jour - Fin du séminaire d'épidémiologie (19 mars)

Alors que le printemps semblait en voie de s'installer la semaine dernière dans la vallée du St-Laurent, une épaisse couche de neige fraîche est venue recouvrir les campagnes et les villes du Québec depuis le début de la semaine.

Le contraste météorologique est cependant moins remarquable que celui qui pouvait s'observer lorsqu'on assistait aux journées du lundi 18 mars et du mardi 19 au procès en responsabilité civile des cigarettiers canadiens au palais de justice de Montréal.

Autant la journée de lundi était du genre à décourager les gens de venir dire ou entendre toute la vérité et rien que la vérité dans un procès, autant la journée de mardi a offert l'image rassurante d'avocats de la défense de l'industrie qui arrivent à concilier la recherche des possibles failles ou faiblesses dans un rapport d'expertise de la partie demanderesse avec un procédé interrogatoire qui a aussi pour effet d'éclairer le juge, les parties et le public sur une matière compliquée. Les avocats de JTI-Macdonald Guy Pratte et Kevin Laroche étaient remarquablement préparés.

La 128e journée (mardi 20 mars) a donc été la digne et agréable suite de la 118e journée et des autres journées de comparution du professeur Jack Semiatycki de l'Université de Montréal devant le juge Brian Riordan.

Au terme de tout ce long exercice, l'épidémiologue québécois n'a cependant pas admis qu'il fallait réviser les conclusions de son rapport d'expertise (voir notre édition relative aux 115e et 116e journées).

Il concède que ses estimations d'un nombre de cigarettes fumées au-delà duquel un fumeur a plus de 50 % de probabilité que le tabagisme soit la cause de sa maladie (une des quatre maladies nommées dans le jugement autorisant les recours collectifs) pourraient être légèrement relevée en fonction de quelques paramètres changés.

(Les quatre maladies sont, souvenons-nous : le cancer du poumon, le cancer du larynx, l'emphysème et le cancer de la gorge, défini parcimonieusement comme l'oropharynx et l'hypopharynx seulement.)

Cependant, étant donné l'exposition totale à la fumée de tabac observée dans les réponses données par les patients aux questions posées par les cliniciens qui ont établi le diagnostic, très peu de ces fumeurs victimes d'une de ces maladies ont consommé une quantité cumulative de fumée de tabac (mesurée en paquets-années) assez basse pour que le léger relèvement du seuil de consommation minimal estimé disqualifie un grand nombre d'entre eux pour d'éventuelles indemnités. Plus de 90 % de ces fumeurs malades (ou leurs héritiers) recevraient un dédommagement compensatoire si les cigarettiers sont jugées coupables.


Pour le professeur Siemiatycki, le tabagisme augmente tellement plus le risque d'être touché par une des quatre maladies que d'autres facteurs de risque comme la consommation d'alcool ou l'exposition à l'amiante, par exemple, que c'est comme de comparer la hauteur du mont Everest à celle du mont Royal, en se demandant « lequel ferait le plus d'ombre à l'autre ». Il n'est pas nécessaire d'utiliser un instrument de mesure finement gradué pour tirer une conclusion pratique, selon l'expert.

*
Aujourd'hui, mercredi, le tribunal a commencé d'entendre le témoignage du Dr Juan Carlos Negrete, un psychiatre expert du domaine de la dépendance, qui a enseigné à l'Université McGill durant plus de 40 ans et fait de la clinique à l'Hôpital général de Montréal, pas loin de là sur les flancs du mont ...

Royal. Bonne réponse.

Notre prochaine édition racontera les faits saillants de cette 129e journée.




vendredi 22 février 2013

118e jour - 21 février - Au revoir, professeur Siemiatycki.

L'épidémiologue Jack Siemiatycki n'a pas comparu bien longtemps jeudi devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. Les avocats Guy Pratte, Simon Potter et Allan Coleman ont posé leurs questions à l'expert des recours collectifs, et tout fut conclu en moins d'une heure.

Hélas pour le chercheur et professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, il devra cependant revenir en mars, après avoir fait quelques relectures et vérifications qui lui permettront de répondre de manière utile à certaines questions des défenseurs des cigarettiers, de même qu'à des questions additionnelles que le procureur des demandeurs André Lespérance veut désormais lui poser.



Limiter les pertes

Me Guy Pratte a notamment demandé à l'expert Siemiatycki si son estimation du nombre de Québécois à indemniser éventuellement pour une maladie causée par le tabagisme tenait compte de fumeurs qui se sont intoxiqués à fumer une bonne partie de leur vie à l'extérieur du Québec et ont reçu leur diagnostic alors qu'ils résidaient au Québec. (L'avocat de JTI-Macdonald n'a pas dit « intoxiqués », mais on parle bien de ces fumeurs-là, et des indemnités que leur exclusion permettrait vraisemblablement d'économiser, si l'industrie écope d'un jugement final défavorable.)

Comme à plusieurs autres questions de Me Pratte, le professeur Siemiatycki a répondu non, sans avoir l'outrecuidance d'ajouter dans ce cas qu'il y a peut-être aussi des fumeurs qui ont enrichi le commerce de la cigarette au Québec mais dont une autre province canadienne avait hérité quand ils ont reçu un diagnostic de maladie due au tabagisme, quelque part entre 1996 et 2005.

Un ex-fumeur canadien
rescapé du cancer du larynx
(image de Santé Canada)
Le modèle prédictif de l'épidémiologue québécois ne prévoit pas non plus l'exclusion des fumeurs qui étaient au courant des risques du tabagisme.

À la vue de tout le terrain couvert par Me Pratte en plus d'une journée de contre-interrogatoire, Me Potter a eu une intervention très brève qui a consisté à vérifier que l'épidémiologue n'avait pas eu accès à la banque des renseignements nominatifs sur les membres des recours collectifs. Le témoin ne savait même pas que cette banque existait, et n'a pas vu de raison qu'on lui donne un accès.

L'avocat de Rothmans, Benson & Hedges est retourné à son pupitre et Me Allan Coleman s'est levé. L'avocat d'Imperial Tobacco est revenu sur la question de la linéarité de la relation entre le niveau de consommation cumulative de tabac et le risque d'être atteint par une des quatre maladies objets du litige. Me Coleman a fait verser au dossier de la preuve un article scientifique signé par ...l'épidémiologue Siemiatycki, dont ce dernier n'avait pas gardé un souvenir très vif. C'est en partie pour répondre que Jack Siemiatycki a proposé lui-même de revenir devant le juge.

Me Coleman a aussi voulu savoir si les paquets-années étaient la meilleure mesure de la consommation. Il y en a d'autres. Le professeur de l'Université de Montréal a répondu que le choix d'une mesure plutôt que d'une autre dépend de l'usage que le chercheur veut faire de ses calculs. 


Le fiel, le miel et maintenant l'académique

À des degrés divers, de cent façons, les avocats dans ce procès, tout en restant polis avec les témoins dont les déclarations sont globalement défavorables à leur partie, savent à l'occasion, lors des interrogatoires, adopter un ton insinuant, se donner un air glacial et même un peu fâché.

(Ce n'était surtout pas le cas cette fois-ci.)

Si ce n'est pas à l'occasion d'un interrogatoire, c'est lors d'objections et de plaidoiries: tant Pratte que Potter, Mitchell, Côté, Glendinning et Lehoux, aussi bien que Johnston, Trudel, Lespérance, Kugler et Boivin, ont eu, à un moment ou à un autre depuis mars 2012, des épisodes, généralement très courts, où ils prenaient le ton de l'indignation, sentiment tout à fait compréhensible, mais peut-être parfois un peu forcé. 

*

Avec les témoins inoffensifs, à l'inverse, le ton affable ou même mielleux a parfois été au menu.

À d'autres moments, Guy Pratte, Simon Potter, Suzanne Côté et François Grondin ont pu donner l'impression qu'on était à la Cour. Pas la Cour supérieure du Québec, mais la cour des Bourbon, des Stuart ou des Romanov. Le gros du miel, on le sert au juge, qui le retourne habilement, surtout pour soutenir le moral des deux camps.

* *

Il restait à se trouver dans un troisième type d'atmosphère, celui d'une sorte de séminaire universitaire, voire de soutenance de thèse sans animosité ni complaisance.

Lors du contre-interrogatoire de l'épidémiologue Jack Siemiatycki, tant Me Pratte et Me Potter que Me Coleman, un nouveau venu dans le procès, se sont prêtés à ce jeu durant plus d'une journée. Il n'est pas dit que l'universitaire de 66 ans ait trouvé reposantes ses nombreuses heures à la barre des témoins, mais d'autres experts comparus jusqu'ici devant le juge Riordan pourraient presque l'envier.

Presque, parce que le professeur Siemiatycki avait tout de même une grosse commande à livrer : livrer une estimation du nombre de personnes à indemniser, dans une action judiciaire où plusieurs milliards de dollars sont en jeu, et se taper la lecture de critiques nullement constructives du travail de sa petite équipe par un escadron de mercenaires judiciaires à temps plein affublés de doctorats en science.

Le professeur d'épidémiologie a déjà rédigé lui-même des rapports d'expertise et il ne fait pas cela bénévolement, heureusement, mais il y a des jours où il a dû se demander lesquels de ses anciens élèves talentueux aboutiront un jour à temps plein, aux États-Unis si ce n'est au Canada, dans l'orbite de compagnies de tabac régulièrement impliquées dans des litiges.

* * *

Outre l'épidémiologue Siemiatycki et l'expert en sondages de population Christian Bourque, qui doivent revenir terminer leurs témoignages respectifs, il reste désormais un seul expert que les avocats des recours collectifs veulent faire comparaître : le psychiatre Juan Negrete de l'Université McGill.


Champ de mars

Au vu des discussions de jeudi matin, le mois de mars s'annonce chargé, et même chargé comme un ciel d'orage, alors que février a été un mois de besogne tranquille.

Sont au programme, deux nouveaux témoins, soient le toxicologue Bilimoria et le chimiste Farone; trois « revenants »: Wayne Knox, Jacques LaRivière et Jeffrey Wigand; le versement au dossier de la preuve de documents de Statistique Canada; l'enregistrement de documents relatifs au témoignage du professeur André Castonguay, de même que le versement d'une collection de photos d'annonces de cigarettes ou d'événements commandités parues dans des publications québécoises à grand tirage ou placardées un temps sur les panneaux-réclames de diverses dimensions. Entre autres documents. Voilà pour la partie « facile ».

Par dessus cela, plusieurs débats doivent être tenus, par exemple sur le calcul des parts de marché des trois cigarettiers, et surtout des débats sur des requêtes formelles, dont une de la part de la partie demanderesse pour que la réclamation concerne désormais les victimes de la maladie pulmonaire obstructive chronique, plutôt que de l'emphysème, et pour que la notion de cancer de la gorge, qui figure dans le jugement de 2005 qui a autorisé les recours collectifs, ait une traduction médicale précise et plus fonctionnelle.

Il y a aussi trois requêtes d'autant de compagnies de tabac qui visent à faire radier des allégations fondamentales de la partie demanderesse, et qui auraient pour effet d'arrêter pratiquement le procès.

Oui, vous avez bien lu, tout cela  presque un an après les plaidoiries inaugurales.

Le juge Riordan, qui s'est révélé depuis plusieurs semaines agacé de la menace de l'industrie de faire dérailler le procès, avoue maintenant qu'il est très curieux d'entendre les motifs des défendeurs.

À force d'insistance, le magistrat semble avoir convaincu les cigarettiers de commencer  leur preuve en défense en avril, peu importe le sort qu'il réservera à leurs requêtes en non-lieu.

Me Bruce Johnston estime que les défendeurs abusent des procédures, et les contraintes d'horaire de Me Suzanne Côté en mars ne font pas brailler Me André Lespérance, qui a fait remarquer l'abondance des ressources chez la partie adverse. Le juge lui-même a suggéré aux cigarettiers d'appeler des renforts au besoin.  La situation ne manquait pas de sel. 


Avril au tribunal

À six semaines du commencement encore hypothétique de la preuve en défense, le public sait moins de choses sur le déroulement de celle-ci qu'on en savait le printemps dernier sur le déroulement de la preuve des recours collectifs durant le reste de l'année 2012.

Il y a une liste de témoins de la défense que Me Glendinning a encore décrit jeudi comme temporaire et non contraignante.

Malgré tout cela, le miracle s'est renouvelé comme toutes les semaines. Le parterre de juristes s'est dispersé dans une relative bonne humeur, comme si tout le monde comprenait que ce procès n'est pas ordinaire. C'est une exploration, dans un sous-marin (métaphore que le juge a formulée le printemps dernier).

Les auditions s'arrêtent la semaine prochaine, comme à toutes les trois semaines, et reprennent le 4 mars.

Les avocats ont des tonnes de documents à s'échanger par courriel et par disque, entre autres les archives du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac.

Pour pratiquer le droit, il faut aimer la lecture.

jeudi 21 février 2013

117e jour - 20 février - Peut-on déterminer la cause du cancer d'un fumeur en particulier ?


Mercredi, au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers du marché canadien au palais de justice de Montréal, Me Guy Pratte a contre-interrogé toute la journée le professeur d'épidémiologie Jack Siemiatycki, auteur d'un rapport d'expertise rédigé à la demande des avocats des fumeurs victimes de cancers du poumon, de cancers du larynx, de cancers de la gorge ou d'emphysème.

Me Pratte représente le cigarettier JTI-Macdonald (JTI-Mac), mais le public de la salle d'audience pouvait avoir l'impression que son contre-interrogatoire sert et vise à servir la défense commune des trois cigarettiers, un peu à la manière des contre-interrogatoires en février des médecins Alain Desjardins et Louis Guertin par Me Jean-François Lehoux, qui défend Rothmans, Benson & Hedges (RBH), ou du contre-interrogatoire du chimiste André Castonguay par Me Suzanne Côté, qui défend Imperial Tobacco Canada (ITCL).

Me Pratte était très bien préparé. Autant lui et son coéquipier Me Kevin LaRoche avaient laissé entendre, ces dernières semaines, que la technicité du sujet (l'épidémiologie) les faisaient hésiter à se lancer dans le contre-interrogatoire du professeur Siemiatycki sitôt l'interrogatoire principal terminé, autant Pratte a finalement eu l'air d'un poisson nageant dans l'eau, un poisson de bonne humeur.

Le contre-interrogatoire a pourtant abordé des matières comme la marge d'erreur des intervalles de confiance des estimations de l'expert, la linéarité ou non de la relation entre le niveau de consommation cumulative de tabac d'un sujet et le risque d'être atteint par une maladie comparé à ce risque chez les non-fumeurs, l'effet de l'étalement de cette consommation cumulative sur un grand nombre d'années, l'hétérogénéité des données des études épidémiologiques sélectionnées, ainsi que les hypothèses et postulats que l'expert Siemiatycki a dû faire, comme n'importe quel chercheur, pour aboutir à certaines conclusions.

Mis devant certains textes qu'il a lui-même signés ou révisés au fil d'une carrière prolifique, l'épidémiologue de l'Université de Montréal a eu l'intelligence de ne pas offrir de réponses immédiates et définitives à toutes les questions, ce qui a pour conséquence qu'il devra revenir brièvement devant le tribunal en mars, en plus de revenir aujourd'hui.

Le témoin-expert avait parfois laissé échapper une pointe d'agacement lors des contre-interrogatoires qui ont précédé l'admission de son rapport lundi. Mercredi, il a eu avec l'avocat de l'industrie la patience de l'enseignant pour l'étudiant qui a bien étudié mais semble rêver que le prof lui confesse le peu de valeur des connaissances scientifiques ... à la veille d'un examen.

Celui qui fait passer l'examen final, le juge Brian Riordan, écoutait tout cela avec impassibilité.

Où cela va-t-il nous mener ?

Peut-être à une minimisation de l'admissibilité des fumeurs à des dédommagements pour leur maladie. S'il y a moins de victimes, il y a moins à payer.

Mais la défense de l'industrie a peut-être aussi une ambition plus grande.

En novembre, l'interrogatoire du chef de la direction de RBH, John Barnett, avait pris une tournure inusité lorsque les avocats des recours collectifs lui avaient mis sous les yeux la page consacrée à RBH sur le site internautique de Philip Morris International. Se trouvait là un aveu de la multinationale que les produits du cancer CAUSENT le cancer du poumon et d'autres maladies. Le patron de la filiale canadienne n'avait pas contesté ce que la maison-mère dit, et cela avait raccourci de beaucoup son interrogatoire.

Sur une page en ligne depuis le 26 mars, Japan Tobacco International, qui possède JTI-Mac au Canada, reconnaît aussi que le tabagisme cause des maladies chez les fumeurs.

Le texte de JTI donne cependant une indication de la position de défense ravitaillée par les contre-experts américains de l'industrie canadienne que sont Sanford Barsky, Laurentius Marais, Kenneth Mundt, Bertram Price et Dale Rice.

En gros, l'idée serait la suivante : oui, l'épidémiologie prouve que le tabagisme cause des cancers chez LES fumeurs, malgré leur diversité de modes de vie et d'habitudes, mais elle ne peut pas prouver qu'il le cause chez UN fumeur en particulier, à cause de la diversité des modes de vie et des habitudes.

Fondamentalement absurde, peut-être, mais tout de même astucieux.

Qu'ont dit les médecins appelés jusqu'ici comme experts dans le procès actuel, et qui connaissent leurs patients imparfaitement mais mieux que quiconque (y compris les patients eux-mêmes, parfois)? Le pneumologue Desjardins et l'oto-rhino-laryngologue Guertin ont témoigné que c'est sur la base d'études épidémiologiques qu'ils concluent au tabagisme comme cause des cancers ou de l'emphysème.

Il y a donc lieu de craindre qu'en dehors d'une maladie infligée à un fumeur dans les conditions de contrôle d'un laboratoire avec des rongeurs en cage, l'industrie canadienne ne soit pas plus disposée que jadis à accepter que ses produits aient été la cause d'un seul cancer.  Des cancers oui, un cancer non, à moins que vous soyez une machine à fumer.

Est-ce à dire que si des avocats réclamaient un montant global pour l'ensemble des victimes sans avoir pour objectif de le redistribuer à des victimes en particulier, l'industrie plaiderait coupable ? C'est assez peu vraisemblable, tant qu'il restera des avocats sur Terre, mais il est à souhaiter que les procureurs du gouvernement du Québec, qui réclame des dédommagements à l'industrie pour le coût des soins de santé prodigués aux fumeurs malades, tendent l'oreille.

Une seule victime, jamais. Mais un paquet de victimes, peut-être.


* * *

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.

mercredi 20 février 2013

115e et 116e jours - 18 et 19 février - En douze ans, au moins 110 000 Québécois malades à cause du tabagisme

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Parmi les Québécois qui ont reçu entre 1995 et 2006 un diagnostic de cancer du poumon, de cancer du larynx, de cancer de la gorge ou d'emphysème, il y en a au moins 110 282 au total dont on peut dire qu'ils ont plus de 50 % de chances d'avoir été dans ce triste état en conséquence directe de leur consommation passée de cigarettes.

Rien d'étonnant pour les spécialistes qui connaissent les probabilités d'être atteint.

Ainsi par exemple, par rapport aux non-fumeurs de sexe masculin, les fumeurs masculins en général ont un risque décuplé d'être atteints par un cancer du poumon. Les fumeuses comparées aux non-fumeuses voient leur risque multiplié par sept.

Jack Siemiatycki
Ces renseignements figurent parmi une masse d'autres semblables qui proviennent d'une méta-analyse de plusieurs études épidémiologiques livrée en 2009 par le professeur Jack Siemiatycki du département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Selon l'expérience de l'épidémiologue Siemiatycki (son curriculum vitae : pièce 1426), les études épidémiologiques rapportent un risque relatif de maladie chez des personnes exposées à une substance toxique qui varie habituellement entre 1,2 et 2,5 fois le risque de développer la même maladie chez les personnes non-exposées.

10 ou même 7, c'est un ratio très impressionnant à ses yeux, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil pour les scientifiques. Dès 1964, le Surgeon General des États-Unis publiait un rapport où il était question de « fumeurs moyens » qui avaient entre 9 et 10 fois plus de risque que les non-fumeurs d'être atteints de cancer du poumon, et de « gros fumeurs » pour qui c'était 20 fois plus. Quand M. Siemiatycki faisait sa maîtrise en statistiques médicales à l'Université McGill à la fin des années 1960, les études concernant les risques du tabagisme étaient déjà citées en exemple dans l'enseignement.

Les calculs de probabilité ci-dessus sont contenus dans le rapport d'expertise de Jack Siemiatyckì versé lundi au dossier de la preuve.  (Le rapport principal est la pièce 1426.1 et les pièce 1426.2 et pièce 1426.4 sont des annexes également datées de 2009.)

La méta-analyse en question permet aussi savoir à quel point une consommation plus grande de tabac accroît le risque par comparaison à une faible consommation. Pour les deux sexes confondus, et parfois pour les deux sexes séparément. Pour les quatre maladies qui sont l'objet de réclamations aux cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec. Les propres recherches du professeur Siemiatycki à partir de données des hôpitaux universitaires de Montréal lui donnent des estimations de risques relatifs comparables à ce qu'on retrouve dans la méta-analyse.(pièce 1428)

Concernant le « cancer de la gorge », dont il existe pas de définition consensuelle dans le monde médical, l'expert en épidémiologie mandaté par les avocats des recours collectifs s'en est prudemment tenu au plus petit commun dénominateur des diverses définitions utilisées, n'incluant que les victimes de tumeurs à l'hypo-pharynx et à l'oro-pharynx.


Un rapport qui dérange les cigarettiers

Lundi, les avocats de JTI-Macdonald, de Rothmans, Benson & Hedges et d'Imperial Tobacco Canada ont tenté de convaincre le juge Brian Riordan de rejeter le rapport d'expertise de Jack Siemiatycki sans s'en prendre directement à la qualité d'expert du professeur de 66 ans, comme s'ils pouvaient en avoir besoin un jour pour défendre d'autres clients que des compagnies de tabac. Ce n'est pas la première fois que l'épidémiologue québécois joue un rôle de témoin-expert dans un procès au Canada, et probablement pas la dernière.

Peu de temps après le retour de la pause du midi, le juge Riordan a admis Jack Siemiatycki comme témoin-expert et a accepté son rapport de 2009 et les annexes sans demander de modifications. Il faut dire qu'aucun des contre-experts mandatés par l'industrie du tabac n'a osé proposer une méthode de calcul alternative.

Le procureur André Lespérance des recours collectifs a alors commencé l'interrogatoire.

griffonnage de diagramme en direct
L'avocat avait ces dernières semaines évoqué la possibilité que son expert en épidémiologie utilise un moyen électronique moderne pour expliquer certains concepts au juge et au parterre de juristes. Vous pensez à des planches fignolées avec le logiciel Power Point ?  Trop lent, inutilisable dans une réponse improvisée, et les avocats des compagnies ont grogné quand Me Lespérance a envisagé cette option au début de l'année. Vous pensez à un acétate électronique branché sur un canon de projection ?  Vous brûlez. Mais pourquoi s'encombrer d'un clavier ou d'une souris à la barre des témoins ?  Vive le tableau noir et les craies de couleur, mais sans craie et sans ardoise !

L'épidémiologue Siemiatycki, flanqué de Me Michel Bélanger comme appariteur, a utilisé une tablette iPod et l'application Paper, et a griffonné en direct un diagramme, lequel est d'abord apparu sur le circuit d'écrans de la salle d'audiences, avant d'être transmis aux avocats et au juge, de la même façon qu'un autre de ses nombreux fichiers Microsoft ou Adobe qu'ils se transmettent chaque jour (et parfois la nuit).

Lundi, l'expert en épidémiologie a exposé la pertinence de cette science dans le monde moderne. Un raisonnement épidémiologique, c'est ce qui empêche de conclure hâtivement que la qualité de vie est meilleure à Shawinigan au Québec qu'à Victoria en Colombie-Britannique, sous prétexte que le taux de mortalité est nettement plus élevée à Victoria qu'à Shawinigan. Dans ce cas, il faut tenir compte de l'âge de la population. Quand il compare l'incidence d'une maladie dans un groupe avec l'incidence de la même maladie dans un autre groupe, le chercheur n'oublie pas de regarder les facteurs parasites (confounding factors).

Le professeur de l'Université de Montréal a aussi introduit le concept-clef de son rapport qu'est le risque relatif.

Ce n'était qu'un avant-goût de la journée de mardi.


De la vue globale à la démarcation des personnes à indemniser

De la notion de risque relatif (RR), où la probabilité d'incidence d'une maladie dans un groupe exposé à un facteur de risque est comparée à la probabilité dans un groupe de personnes non exposées, Siemiatycki est passé mardi à la fraction de cas (d'une maladie en particulier) dus à un facteur de risque (AF).

pièce 1427.1
Sur le premier diagramme (pièce 1427.1) légèrement incomplet (Le témoin-expert rodait alors le procédé explicatif.), la zone hachurée en noir correspond aux cas d'une maladie qui sont diagnostiqués chez des fumeurs et anciens fumeurs et sont attribuables à leur tabagisme. La ligne noire horizontale qui traverse l'ensemble des boîtes non-fumeurs (NS) et fumeurs (Smokers), correspond à la fréquence des cas de cette maladie chez les non-fumeurs, et à une fréquence égale chez les fumeurs qu'on ne doit pas attribuer à leur tabagisme.

Il fallait ensuite passer du groupe à l'individu et savoir quelle est la probabilité pour un fumeur ou ancien fumeur pris au hasard parmi ses semblables victimes de la maladie d'avoir cette maladie à cause de son tabagisme (probabilité de causalité)(PC).

On prend alors la même fraction de l'ensemble des cas de la maladie qui sont dus au tabagisme (zone hachurée en noir du premier diagramme) et on le divise par l'ensemble des cas de maladie diagnostiquées chez les fumeurs (grand rectangle gris sur le deuxième diagramme).

pièce 1427.2
Algébriquement, PC = (RR-1)/RR, où RR est le risque des fumeurs d'être atteints par la maladie par rapport au risque des non-fumeurs, lesquels ont un risque de base 1 par définition, et PC est la probabilité d'une relation de cause à effet entre le tabagisme et le diagnostic de maladie.

Le professeur Siemiatycki a ensuite introduit des différences entre les malades basées sur leur consommation cumulative de tabac en terme de paquets-années.

(Un paquet-année, c'est 7300 cigarettes, qui sont fumées au rythme d'un paquet de vingt par jour durant un an, d'où le nom. Deux paquets-années, par exemple, correspondent à une consommation deux fois plus intense durant la même période ou à une consommation aussi intense sur une période deux fois plus longue. Le concept de paquet-année, d'usage courant dans les études cliniques, a été originalement introduit devant le tribunal au début du mois par le Dr Alain Desjardins. Les deux experts qui ont suivi étaient également familiers avec le concept.)

La probabilité d'une relation de cause à effet entre le tabagisme et la maladie croît avec le nombre de paquets-années auquel le fumeur a été exposé, d'où un concept que l'épidémiologue Siemiatycki  a appelé la fraction légalement attribuable (LAF), qui est la fraction des fumeurs atteints d'une maladie dont on puisse dire qu'ils ont, du fait de leur consommation cumulative, plus de 50 % de probabilité d'avoir été atteints à cause de leur tabagisme.

Sur le diagramme suivant, la LAF correspond à la zone bariolée de lignes orangées. La zone hachurée en gris correspond aux malades dont la maladie a autant sinon plus de chances d'avoir été causée par un autre facteur que par le tabagisme. C'est évidemment dans cette catégorie que se retrouvent les malades qui n'ont jamais été fumeurs.

pièce 1427.3
Puisque les données de base sur la consommation cumulative de tabac sont disponibles dans le dossier médical des personnes qui ont reçu un diagnostic de cancer ou d'emphysème, les épidémiologues peuvent établir une relation en continu entre la consommation en terme de paquets-années et la probabilité pour un malade que sa maladie ait été causée par son tabagisme.

Au lieu d'avoir la forme d'un escalier, le diagramme se présente alors comme une pente.

La méta-analyse du professeur Siemiatycki et de son équipe montre notamment que chez les hommes, chaque paquet-année additionnel de consommation cumulative accroît de 0,34 le ratio du risque relatif de cancer du poumon.


À partir d'un certain seuil de consommation qui varie selon la maladie et le sexe, et que la grande majorité des fumeurs, selon les dossiers médicaux et selon les enquêtes de Statistique Canada sur les habitudes tabagiques, dépassent hélas facilement, les chances que le tabagisme soit la cause de la maladie dépasse une sur deux.

Ce seuil de la causalité est atteint pour le cancer du poumon avec 4 paquets-années chez les hommes et 3 chez les femmes. Pour les trois autres maladies, le calcul a été fait pour les deux sexes confondus et le seuil de la causalité est atteint aux environs de 5 paquets-années.


*

Me André Lespérance a terminé son interrogatoire du professeur Siemiatycki en le faisant parler de la solidité des estimations qui découlent de la méta-analyse.

* *

Toute la semaine a été prévue pour l'interrogatoire et les contre-interrogatoires de l'épidémiologue québécois. Parmi les spectateurs des deux derniers jours, certains des contre-experts de la défense prenaient place.

* * *

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
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