mardi 24 février 2015

Il y a désormais dix gouvernements provinciaux canadiens qui poursuivent l'industrie du tabac pour recouvrer le coût des soins de santé liés au tabac

(édition révisée)

Les compagnies inscrites à la Bourse de New York sont tenues de rendre publics des états financiers trimestriels et un rapport annuel d'activités. Dans son rapport annuel de 2014 rendu public vendredi dernier, Philip Morris International (PMI), de Genève en Suisse, fait état, en page 21, d'une poursuite lancée contre elle et le reste de l'industrie le 2 janvier dernier par le gouvernement de la province de Nouvelle-Écosse, afin de recouvrer le coût des soins de santé dus au tabagisme.

(PMI est active au Canada à travers sa filiale à parts entières Rothmans, Benson & Hedges, qui vend notamment les marques Craven A, Mark TenBelvedereQuébec Classique, Canadian Classics et Benson & Hedges.)

C'est ainsi que désormais dix des dix provinces canadiennes sont entrées dans une guerre judiciaire contre l'industrie du tabac, une guerre qu'il est facile d'imaginer longue.


Poursuites gouvernementales au Canada
contre l'industrie du tabac
(compilation de Médecins pour un Canada sans fumée)

Juridiction
Législation pour autoriser la poursuite
    loi votée (amendée) 
en
requête en justice déposée en

Colombie-Britannique
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act

1997 (1998, 2000)
1998, 2001
Nouveau-Brunswick
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act

2006
2008
Ontario
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act
2009
2009
Terre-Neuve et Labrador
Act to Provide for the Recovery of Tobacco Related Health Care Costs
2001
2011
Alberta 
Right of Recovery Act

2009
2012
Manitoba
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act
2006
2012
Île-du-Prince-Édouard
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act
2009
2012
Québec
Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac
2009
2012
Saskatchewan
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act
2007
2012
Nouvelle-Écosse
Tobacco Damages and Health Care Costs Recovery Act
2005
2015


On ne sait pas ce qui a motivé la discrétion du gouvernement McNeil, qui avait émis un communiqué en septembre pour annoncer son intention de lancer une poursuite avant la fin de 2014, mais qui n'a pas donné le moindre signe de son entrée dans l'arène judiciaire depuis le dépôt de la requête le 2 janvier dernier.

Il est cependant facile de deviner ce qui pourrait motiver sa décision fondamentale de joindre les rangs des autres provinces canadiennes, dans une aventure devant les tribunaux inaugurée par la Colombie-Britannique en 1998.

(Votre serviteur a évoqué dans au moins cinq éditions de ce blogue la poursuite du gouvernement du Québec contre l'industrie. Pour autoriser et faciliter l'action en justice, une loi avait été votée par l'Assemblée nationale en 2009, à l'unanimité.)

Comme le Québec et la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse gère un régime d'assurance-maladie publique sur le modèle de celui créé dans la province de Saskatchewan en 1961. En pratique, cela signifie que tous les fumeurs sont assurés inconditionnellement et que le coût des soins de santé qu'ils reçoivent est couvert par le régime.

Or, comme le révélait en 2010 une étude menée par des économistes québécois pour le compte de la Coalition québécoise pour le contrôle du tabac, les dépenses faites en 2008 par le gouvernement du Québec pour les soins de courte durée aux fumeurs ou anciens fumeurs atteints de maladies causées par le tabagisme dépassaient les 928,7 millions $ annuellement. À cela s'ajoutent des dépenses publiques pour les soins de longue durée et en consultation externe, et d'autres dépenses pour tenter d'aider les fumeurs à rompre avec leur dépendance. Il faut encore considérer le coût économique que constituent les pertes de revenus des fumeurs, parce qu'ils sont plus souvent malades et absents du travail que les non-fumeurs, perte de revenus qui ont leur écho dans les revenus fiscaux des gouvernements. Autrement dit, il n'y a pas d'argent à faire là-dedans, même en imaginant cyniquement le gouvernement du Québec indifférent aux souffrances humaines et excité par les 850 millions $ de recette fiscale de 2013 provenant de la taxe spécifique sur les produits du tabac, recette qui a atteint ce sommet du fait du recul de la contrebande à partir de 2009 et de son maintien sous les 20 % depuis 2011. Devant une commission parlementaire à Québec en octobre 2011, le Dr Alain Poirier, alors directeur national de la santé publique, estimait que chaque chute d'un point de pourcentage du taux de tabagisme dans la population québécoise faisait économiser 41 millions en coûts directs au ministère de la Santé et des Services sociaux, en plus de rapporter des impôts parce que les travailleurs gagnent plus d'argent en étant moins souvent malades.

On ne sait pas quand les communiqués de presse des cigarettiers canadiens cesseront de qualifier les gouvernements de « partenaires ». Chose certaine, cette propagande serait moins convaincante si les gouvernements canadiens publicisaient davantage le travail de leurs procureurs.

*

La consultation du rapport annuel de PMI, un exercice que ne manquent pas de faire Cynthia Callard et Neil Collishaw de Médecins pour un Canada sans fumée et un exercice auquel les journalistes devraient plus souvent s'adonner, révèle que les Canadiens sont à l'avant-garde des poursuites judiciaires contre l'industrie du tabac en dehors des États-Unis d'Amérique (voir la liste).