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jeudi 7 mars 2019

Les fantômes et l'irréfragable devoir de bien informer l'utilisateur d'un produit dangereux


Dans leur arrêt unanime du vendredi 1er mars dernier, cinq juges de la Cour d’appel du Québec ont fait parler plusieurs morts, dont plus d’un que le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec n’avait pas cités dans son jugement de juin 2015, un jugement qui a condamné trois cigarettiers du marché canadien à verser des milliards de dollars de dommages compensatoires et punitifs à des collectifs de victimes québécoises de leurs cachotteries. (C’est rendu à 17 milliards avec quelques corrections dans les calculs et les intérêts depuis près de 4 ans.)

Dans leur arrêt de 422 pages, où presque la totalité du jugement de première instance est validé, dans sa sentence comme dans ses justifications, les juges Yves-Marie Morissette, Allan Hilton, Marie-France Bich, Nicholas Kasirer et Étienne Parent citent de nombreux documents enregistrés au dossier de la preuve lors du procès devant le juge Riordan entre mars 2012 et décembre 2014, et ils citent notamment des extraits des pièces 266 et 267 du dossier. Parce que ces écrits-là leur semblent illustrer éloquemment, évidemment en association avec une foule d’autres pièces, le peu de cas que l’industrie cigarettière a fait de ses obligations vis-à-vis d’autrui.

Ce n’est évidemment pas la seule émotion que le pavé de la Cour d’appel du Québec réserve à ses lecteurs et il convient de s’y attarder.

1             Un fantôme (parmi d’autres) appelé Robert Bexon

L’auteur des documents 266 et 267 s’appelle Robert Bexon. Au début des années 1980, il travaillait sous la direction de Wayne Knox au sein du département du marketing d’Imperial Tobacco Canada. Lors de sa comparution en 2013 devant le juge Riordan, Wayne Knox a salué l’esprit délié de Robert Bexon. Knox n’était pas le seul dans l’industrie (et ailleurs) à apprécier Bexon puisque ce dernier, après avoir d’abord poursuivi une carrière de cadre chez Brown & Williamson, la filiale américaine du groupe mondial British American Tobacco, auquel appartient aussi Imperial au Canada, est revenu à Montréal au tournant du 21e siècle, cette fois-là en qualité de président d’Imperial.

Bexon, un adepte du vélo, est décédé dans un accident de la route en juillet 2008, autrement dit dix ans après le lancement des poursuites de la Colombie-Britannique et de groupes de victimes de l’industrie contre Imperial et les autres cigarettiers du marché canadien, mais près de quatre ans avant le début des comparutions de témoins devant le juge Riordan.

Dans un mémorandum adressé en 1985 à Wilmat Tennyson, alors le président de la compagnie, Robert Bexon affirmait que (traduction de l’auteur du blogue) « si notre produit ne créait pas la dépendance, nous ne vendrions plus une seule cigarette la semaine prochaine, en dépit des attributs psychologiquement positifs du produit » (c’est-à-dire, selon Bexon, la réduction du stress, l’amélioration de la concentration et le soulagement de l’ennui). Voilà pour cette pièce 266 qui a attiré l’attention de la Cour d’appel.

Dans un mémorandum adressé en 1984 à Wayne Knox (pièce 267 au dossier), Bexon disait :
« Cependant, nous savons que renoncer [au tabac] n’est pas un processus facile. Sur 100 fumeurs qui essaient, seulement cinq tiennent le coup plus d’un an. Moins de deux réussissent définitivement. »  (traduction de l’auteur du blogue).

Les juges de la Cour d’appel soulignent un deuxième passage de la pièce 267 où Bexon recommande à son supérieur de « lancer des projets pour assurer la consommation continue de produits du tabac par les jeunes Canadiens » (traduction de l’auteur du blogue)

L’arrêt de la Cour d’appel, comme l’était le jugement Riordan, est émaillé de citations et d’analyses accablantes pour les cigarettiers.

2             Le témoignage des archives

Il n’y a a priori  rien d’original à ce qu’un tribunal fasse parler un mort. Des juges dans le monde entier font cela quotidiennement en décrivant dans leurs jugements l’intention de constituants ou de législateurs décédés depuis des décennies, sinon des siècles, ou quand ils citent de la jurisprudence ou un auteur de doctrine, toujours sans se soucier de savoir ce que penserait de leurs inférences la personne citée, si on avait l’occasion et le goût de l’interroger sur le sujet. Les juges sont sûrs de savoir lire comme il faut « les autorités », et c’est bien pourquoi on compte sur eux. Quand une formation de trois ou de cinq ou de neuf magistrats n’est pas unanime, la décision qui a force de loi est alors celle de la majorité des juges. D’où la tournure politique extrêmement dramatique que prend parfois la nomination d’un juge au tribunal suprême dans un pays de citoyens dégourdis.

Si Robert Bexon était en vie, il aurait cependant été convoqué à la barre en tant que témoin de fait lors du procès présidé par le juge Riordan. Au procès, la défense des compagnies de tabac s’est battu bec et ongles pour que des « témoignages » posthumes aboutissent le moins souvent possible dans le dossier de la preuve sans l’interrogatoire et le contre-interrogatoire d’un contemporain approprié pour l’authentifier puis l’interpréter au besoin. Plusieurs éditions des blogues Eye on the trials et Lumière sur les procès du tabac ont rapporté la préoccupation à ce sujet des avocats de Rothmans, Benson & Hedges (RBH), d’Imperial Tobacco Canada (ITCL) et de JTI-Macdonald (JTM).

On comprend facilement qu’il faille s’assurer de l’authencité d’un document avant de l’admettre en tant que pièce au dossier de la preuve dans un procès. Un faux ne doit pas aboutir en preuve. Dans le cas des écrits de Bob Bexon, ils proviennent des archives d’ITCL. Un esprit très méfiant pourrait imaginer qu’une telle provenance n’exclut pas qu’un document soit une forgerie de la part de la compagnie, si ce n’était de sa teneur, qui dans les cas en question semble incriminante pour Imperial. Les écrits de Robert Bexon sont sans doute à ranger avec plusieurs autres parmi ce que les avocats des victimes de l’industrie du tabac ont qualifié partout de « smoking guns », parce que ces pièces tendent à incriminer un suspect comme le ferait la découverte d’un pistolet encore fumant dans les mains d’une personne soupçonnée d’avoir tué quelqu’un avec un pistolet.

Dans la présente affaire, au-delà de la métaphore de l’arme à feu, les choses sont évidemment plus compliquées parce que c’est un trio de compagnies qui était sommé de réparer ses torts, parce que la peine d’emprisonnement à vie n’existe pas contre les compagnies, et parce qu’on ne peut pas dire d’un employé ou d’un cadre d’une compagnie qu’il a de ses propres mains empoisonné un seul fumeur.

C’est pourquoi le juge Riordan a pendant plus de 250 jours entendu les interrogatoires et contre-interrogatoires d’une cinquantaine de témoins de faits et de deux douzaines d’experts, ainsi qu’écouté des avocats qui plaidaient, puis il a continué de compulser des tonnes de documents enregistrés en preuve, et fait des recoupements, avant de livrer ses conclusions au bout de six mois. La Cour d’appel a fait plus et mieux que de créditer le juge de première instance pour sa diligence en endossant toutes ses conclusions, elle a établi que justice avait été rendue. (Et elle fournit des réponses à toutes les objections présentées par les cigarettiers, généralement des réponses qui vont leur déplaire.)

3             Similitudes et complémentarité de deux jugements

Plusieurs dizaines de milliers de pièces figurent au dossier de la preuve dans l’affaire judiciaire que ce blogue a couvert. Au sortir du procès en décembre 2014, le « magasin » regorgeait de suffisamment de documents éclairants pour que la démonstration d’une faute des cigarettiers par le juge Riordan ne dépende pas de la mention dans le jugement d’un document en particulier. Dans son jugement de juin 2015, le magistrat s’est d’ailleurs plu à parfois utiliser des pièces à l’appui de ses conclusions d’une manière fort éloignée des espérances de la partie qui avait fait enregistrer cette pièce en preuve

C’est ainsi que, par exemple, le rapport d’expertise de l’historien Robert J. Perrins, commandé par la défense de JTI-Macdonald pour incriminer le gouvernement du Canada, a servi au juge pour justifier la faible valeur probante qu’il accordait à certains témoignages que la défense de l’industrie souhaitait utiles à sa cause.

Rien n’imposait davantage à la Cour d’appel de mentionner dans son arrêt le contenu des communications de Robert Bexon avec ses supérieurs de l’époque, ou d'autres pièces, mais le juge Riordan avait déjà cité Patrick O’Neil-Dunne, Paul Paré, Sidney Green, et d’autres gênantes sources d’outre-tombe. La Cour d’appel a plus ou moins répété le procédé. Bexon était un fantôme manquant dans le jugement Riordan (parmi d’autres sources écrites accueillies en preuve et non mentionnées dans les deux jugements, telles que Derick Crawford, Claude Teague, David Schechter, etc). En mentionnant les écrits de Bexon, la Cour d’appel a ajouté une petite touche de noir à un réquisitoire déjà sombre. Et c'est une retouche parmi plusieurs autres.

On trouve même deux fois dans l'arrêt des cinq juges, aux paragraphes 130 et 803, une citation de sir Charles Ellis, qui était le directeur de la recherche chez British American Tobacco en 1961.

La Cour d’appel a aussi rappelé l’implication reconnue de RBH, JTM et ITCL dans la contrebande des cigarettes du début des années 1990.  Le mot contrebande n’apparaît pas dans le jugement de l’honorable Brian Riordan, sauf dans la dixième annexe (annexe J), laquelle reproduit un extrait d’un mémoire des avocats des recours collectifs où ceux-ci s’efforcent de montrer que JTI-Macdonald a les moyens de payer aux victimes du tabac les dédommagements réclamés. Dans cette annexe de son jugement, le juge Riordan a laissé parler les demandeurs à la manière dont les compagnies se sont efforcées de n’être pas associées aux mises en garde sanitaires apposées sur les paquets de cigarettes dans les années 1990, en les formulant ainsi : « Santé Canada considère que … » Ici, on croit presque entendre « La partie demanderesse au procès, pas moi!! hein, je ne me prononce pas!!, allègue que l’industrie du tabac a pratiqué la contrebande ….»

Évidemment, il n’a pas été difficile pour les juges de la Cour d’appel de vérifier qu’effectivement, ITCL, RBH et JTM ont reconnu avoir été complices de ventes massives de cigarettes à bas prix sur lesquelles les taxes n’avaient pas été perçues. L'infraction datait des années 1990, les aveux sont arrivés en 2008 (ITCL et RBH) et en 2010 (JTM).

Grâce aux retouches que les juges de la Cour d’appel apporte en 2019 au tableau peint par le juge Riordan en 2015, le public et éventuellement les juges de la Cour suprême du Canada vont tout de suite mieux comprendre à quel point l’industrie du tabac se croit habituellement au-dessus des lois.

Aux paragraphes 140 et 141 de l’arrêt de la Cour d’appel, les juges Morissette, Bich et compagnie s’étonnent du contraste entre l’indulgence occasionnelle du juge Riordan pour le comportement de Rothmans, Benson & Hedges, Imperial Tobacco et Macdonald Tobacco, et sa sévérité réprobatrice dans d’autres passages du jugement.

Sur le fond, les juges de la Cour d’appel affirment que l’obligation de bien informer le consommateur doit être proportionnée au danger couru par ce dernier quand il fait usage du produit (paragraphe 282 de l’arrêt), et ils écrivent plusieurs pages pour donner raison au juge de première instance d’avoir considéré que les cigarettiers avaient une obligation de bien renseigner le consommateur (voire le public et le gouvernement), même en l’absence de contrats ou d’une loi explicitant cette obligation, et même en considérant une part de responsabilité de fumeurs dans leur mauvais sort. Un bon citoyen corporatif ne peut pas se déprendre de son devoir de livrer la bonne information quand son produit est intrinsèquement dangereux, c'est un devoir irréfragable.

Néanmoins, les juges Morissette, Bich et compagnie consacrent aussi plusieurs pages de leur arrêt à la démonstration que le juge Riordan aurait pu justifier les sanctions qu’il a imposées par d’autres logiques, s’il l’avait voulu, et même si ce n’était pas nécessaire selon eux.

Le vaillant juge de la Cour supérieure aurait-il fait toute cette analyse juridique si on lui avait miraculeusement donné 27 mois pour rédiger? Ce n’est pas certain.

Mais revenons-en à la sélection des pièces au dossier citées dans le jugement de première instance pour montrer que les cigarettiers n'ont pas fait leur devoir, et qu'ils ont même fait le contraire.

L’auteur du blogue, comme d’autres personnes qui ont suivi toute l’affaire, ne peut s’empêcher d’envisager que le juge Riordan, en ne mentionnant pas Bexon, par exemple, ou en évitant de parler de contrebande, par exemple, a peut-être fait exprès de laisser des pointillés dans l’illustration de sa logique et dans l’illustration des fautes des compagnies, et qu’il a aussi par moment réfréné son indignation.

S’il est seulement possible que le juge Riordan ait écrit avec un souci stratégique les 277 pages (303 pages dans la traduction française) de son jugement de 2015, il est en revanche plus que probable que que les juges Morissette, Hilton, Bich, Kasirer et Parent ont eu une ambition didactique en rédigeant leur arrêt de 2019.

Les juges de la Cour d’appel n’auraient peut-être pas pu et voulu faire plus court que 422 pages en prenant, par exemple, 36 mois au lieu de 27. Un avocat impliqué dans l’affaire a fait plaisamment remarquer à votre serviteur que le passé de professeur d’université de trois des cinq juges transparaissait dans l’arrêt, notamment dans sa longueur. De fait, Morissette et Kasirer ont enseigné à l’Université McGill, Bich a enseigné à l’Université de Montréal.  Alors peut-être bien.

Les prochaines années nous diront si l’arrêt rendu par la Cour d’appel vendredi est historique, d’autant qu’il suffirait que la Cour suprême du Canada se prononce sur la cause pour que la presse accorde aussitôt au plus haut tribunal du royaume le crédit d’avoir rendu un jugement historique, ce qui serait injuste. Au surplus, un pareil détour par Ottawa ne ferait pas qu’ajouter à la lassitude des victimes de l’industrie, il renforcerait l’impression que certains justiciables abusent des procédures et des ressources du système de justice. On ne s’en étonnera pas pour autant si cela arrive. C’est la question que tous les journalistes se posent: les cigarettiers vont-ils payer ou contester encore?

Qu’il mette ou non le point final à l’aventure judiciaire des fumeurs victimes de l’industrie du tabac, l’arrêt de la Cour d’appel est quand même destiné à être épluché par quantité d’avocats et de professeurs de droit durant les prochaines années ou décennies, parce que c’est une véritable leçon de droit et analyse qu’ont signée les honorables juges Morissette, Bich, Kasirer, Hilton et Parent.

*
Les historiens et amateurs d’histoire seront ravis d’apprendre que le texte de la Cour d’appel reprend notamment les éléments d’une chronologie explicite fournie par le juge Riordan en 2015 et enrichit cette chronologie de faits que le juge avait dispersés dans son jugement, et l'enrichit encore par d'autres lectures.

Lors de l'audition des parties par la Cour d'appel, en novembre 2016, le commun des mortels a pu avoir l'impression que l'arrêt de la Cour porterait seulement ou surtout sur ce qui convient d'admettre comme preuve et sur le droit à invoquer. Mais c'est oublier qu'en parallèle des plaidoiries, les parties soumettent des mémoires. Cela fait beaucoup de lecture. Et si cela ne suffisait pas, les juges auraient encore le droit d'aller à la pêche sur Internet.

L'arrêt de la Cour d'appel donne l'impression que les juges ont beaucoup lu et réfléchi. Cela valait la peine d'attendre.

4             La langue

L’arrêt de la Cour d’appel est rédigé en français, mais dès le début de leur texte, les juges nient explicitement toute valeur à la traduction française du jugement de première instance et ils tirent plusieurs extraits de la version originale anglaise sans les traduire, suivant une coutume de double unilinguisme probablement inimaginable dans une autre juridiction que canadienne, depuis l’abandon des longues citations latines que pouvaient se permettre les juristes occidentaux de naguère formés dans des collèges classiques.

Dans le jugement de première instance de l’honorable Brian Riordan, qui est d’abord paru en anglais seulement, il y avait aussi des citations françaises non traduites, bien que le juge en a été économe.

Le double unilinguisme de l’arrêt de la Cour d’appel, avec toute sa jurisprudence, n’est pas plus que le double unilinguisme original du jugement de première instance un problème pour les juristes québécois, habitués qu’ils sont de tremper dans les deux langues. En revanche, les 422 pages en français pondues par la Cour d’appel du Québec risque d’être indigestes pour plusieurs des avocates que la défense d’Imperial Tobacco a choisi de prendre à Toronto plutôt qu’à Montréal et qui ne maîtrisent pas le français. Ne souriez pas. 

(D’ailleurs à l’heure qu’il est, ce problème est sûrement réglé par la disponibilité d’une traduction récente.)

Pour les amants d’une certaine clarté de la langue, c’est comme de la musique aux oreilles quand les juges de la Cour d’appel qualifient le « Voluntary Code » de « code d’autoréglementation », au lieu de parler de « code volontaire ».

5             Mouvements de personnel et l'autre procès québécois du tabac

À l’été 2017, le juge Étienne Parent a choisi de retourner à la Cour supérieure du Québec. Cela semble heureusement ne pas avoir donné un prétexte à quiconque pour faire reprendre les auditions de novembre 2016 devant la formation de cinq juges de la Cour d’appel où siégeait le juge Parent. On l’a peut-être échappé belle.

En janvier 2019, l'honorable Stéphane Sanfaçon de la Cour supérieure du Québec a été nommé juge à la Cour d’appel du Québec. Le juge Sanfaçon présidait aux premiers balbutiements du procès que le Procureur général du Québec a entamé contre l’industrie du tabac pour recouvrer le coût des soins de santé liés à l’usage du tabac. Cette cause est infiniment moins avancée que celle des victimes d’un cancer, d’emphysème ou de dépendance causés par le tabagisme actif. Il est cependant possible que les avocats du ministère de la Justice trouvent dans l’arrêt récent de la Cour d’appel des munitions pour gagner du terrain contre les compagnies de tabac intimées.

6             Les profits d’Export A exportés en catimini

En octobre 2015, le juge Mark Schrager de la Cour d’appel du Québec a ordonné à Imperial Tobacco Canada et à Rothmans, Benson & Hedges de de verser un cautionnement de 984 millions de dollars, dans l’éventualité où ces compagnies devraient débourser un jour des milliards en exécution du jugement de la Cour supérieure du Québec de juin 2015, si ce jugement n’est pas invalidé par les tribunaux d’appel.

À ce moment, on espérait encore que JTI-Macdonald verserait sa part de 147 millions.

Mais les tireurs de ficelles de cette compagnie, qu’ils soient à Toronto (JTI-Macdonald), à Genève (JTI) ou à Tokyo (JT), semblent ne pas avoir leur pareil depuis au moins 20 ans pour embrouiller la comptabilité et donner l’extraordinaire impression que les ventes de cigarettes au Canada coûtent autant ou plus à JTI-Macdonald qu’elles ne lui rapportent.

Le 1er mars dernier, les avocats des victimes de l’industrie ont laissé savoir à la presse que JTI-Macdonald n’avait pas encore versé une cenne de cautionnement.

samedi 23 février 2019

L'arrêt de la Cour d'appel sera rendu public le 1er mars prochain.

La Cour d'appel du Québec va le vendredi 1er mars prochain, à 16:00 H. (heures de Montréal), rendre public son jugement sur la validité du jugement de première instance dans l'affaire opposant les trois principaux cigarettiers du marché canadien à deux groupes de fumeurs et anciens fumeurs québécois victimes d'un cancer au poumon ou à la gorge ou d'emphysème ou de dépendance qui ont réclamé contre les trois compagnies de tabac des dédommagements compensatoires et punitifs.

La parution prochaine du jugement en appel a été révélée vendredi après-midi dans un communiqué extrêmement bref de British American Tobacco (BAT), la maison-mère d'Imperial Tobacco Canada, à ses actionnaires et au public investisseur. On peut trouver le communiqué de BAT sur le babillard de la Bourse de Londres, où les titres de la multinationale sont échangées.

Le 1er juin 2015, la Cour supérieure du Québec a jugé Imperial Tobacco Canada, JTI-Macdonald et Rothmans, Benson & Hedges coupables d'avoir contrevenu au Code civil du Québec, à la Loi sur la protection du consommateur et à la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Dans son jugement, l'honorable J. Brian Riordan de la Cour supérieure a condamné les trois cigarettiers à des dédommagements compensatoires de 15,5 milliards $C et à des dommages punitifs de 131 millions $C.

Les trois compagnies de tabac se sont rapidement pourvus en appel, et à la fin de novembre 2016, ce fut au tour de cinq juges de la Cour d'appel du Québec d'entendre les parties afin de savoir s'il fallait valider ou invalider en tout ou en partie le jugement de première instance. (Nous avons couvert les six jours d'audition ici sur ce blogue.)

27 mois se seront écoulés entre les auditions et la sortie du jugement en appel.

*
Ce n'est pas la première fois que les journalistes peuvent trouver matière à se renseigner sur l'industrie du tabac grâce aux renseignements que les compagnies cotées sur les marchés boursiers sont tenues de divulguer.

Parfois, les nouvelles sont autrement plus juteuses que d'apprendre qu'un jugement va paraître à telle ou telle date.

On se souviendra qu'à partir de 2009, alors que les quotidiens canadiens bruissaient de reportages sur l'ampleur de la contrebande au Québec et en Ontario, reportages qui étaient en bonne partie l'écho des activités de propagande de groupes de façade des compagnies canadiennes de tabac, les maisons-mères de ces compagnies publiaient à New York, Londres et Tokyo des rapports financiers trimestriels ou annuels où se trouvait confirmé aux actionnaires que la contrebande reculait au Canada et cela grâce à l'action de la police. Il est apparemment moins facile de mentir ou de cacher la vérité aux actionnaires qu'aux consommateurs et aux fonctionnaires.

Dans une semaine, nous saurons si les juges de la Cour d'appel partagent les conclusions du juge Riordan au sujet de l'industrie canadienne du tabac. (Vous trouverez le jugement à l'adresse de la Société québécoise d'information juridique SOQUIJ.)

mercredi 5 mars 2014

Dernier appel pour des fumeurs et anciens fumeurs à destination du procès de Montréal avec leur dossier médical

(PCr)

Trois juges de la Cour d'appel du Québec, soient les honorables Marie-France Bich, Jacques Dufresne et Dominique Bélanger, ont siégé vendredi en vue d'entendre le réquisitoire de Me Suzanne Côté, pour le compte d'Imperial Tobacco Canada, contre la décision du 13 septembre 2013 du juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec de ne pas autoriser la défense de cette compagnie à exiger que des témoins apportent leur dossier médical lors de comparutions à venir au procès en recours collectifs contre Imperial et les deux autres principaux cigarettiers du marché canadien.
édifice Ernest-Cormier, siège
de la Cour d'appel du Québec
dans le district de Montréal

Les avocats Marc Beauchemin et Gordon Kugler se sont adressés à la formation de trois juges pour le compte des deux collectifs de victimes alléguées des pratiques commerciales de l'industrie du tabac et ont appuyé la décision du juge de première instance. Me André Lespérance, du recours collectif des fumeurs et anciens fumeurs atteints d'un cancer ou d'emphysème, a aussi répondu à quelques questions du tribunal.

Tant Me Côté que Me Beauchemin semblent avoir été en bonne partie empêchés de livrer leur message selon les plans d'argumentation qu'ils avaient préparés. Les juges Bich, Bélanger et Dufresne ont posé plusieurs questions et formulé à haute voix des impressions (peut-être éphémères ou rhétoriques), selon un ordre et une logique connus d'eux-seuls.

Le tribunal avait commencé par s'informer de l'avancement du procès, dont cinq mois se sont écoulés depuis que le juge Riordan a rendu le jugement interlocutoire qui est l'objet de l'appel. Me Côté et Me Lespérance ont répondu de leur mieux aux questions. Cela a retardé quelque peu les plaidoiries en tant que telles de Me Côté puis de Me Beauchemin, et leur a imposé de servir leurs arguments subséquents d'une manière qui était nettement plus difficile à suivre que d'habitude, et cela d'autant plus que les questions des juges ont continué d'imposer un ordre particulier aux exposés. Avec le quart d'heure que les juges lui ont originalement offert, Me Kugler a choisi de conclure en revenant sur certaines réponses que Me Beauchemin n'avait pas eu la chance de terminer.


Une compagnie privée de moyens de défense essentiels

La juge Bich  a voulu savoir si Me Côté partageait son impression générale que dans les actions en recours collectif, la partie demanderesse doit établir le préjudice subi par les représentants du recours et causé par le comportement de l'intimé, et que la cause à juger en est ensuite une d'extrapolation d'un cas particulier. Avant que Me Côté ait eu le temps d'introduire des nuances dans cette esquisse, la juge a souligné qu'une requête en rejet de l'ensemble de l'action judiciaire avait été entendue (en avril 2013) et rejetée par le juge Riordan, et que la question de la causalité était au cœur des plaidoiries des trois compagnies de tabac.

Me Côté a fait valoir que le juge Riordan, tout en rejetant la requête des compagnies, avait préféré juger au mérite de la suite des événements au lieu de rejeter la totalité de l'argumentation de la défense des compagnies. La défense d'Imperial croit encore que si l'interrogatoire d'un malade montre qu'il n'a pas écouté l'avis de son médecin, il y a rupture du nécessaire lien de causalité entre le préjudice subi et les agissements de la compagnie. La juge Bich a voulu savoir quelle serait l'utilité d'entendre 15 témoins victimes (de cancer) dont 10 pour lesquels cette relation de causalité ne serait pas établie.

Me Côté était en train de répondre quand la juge Bélanger a formulé son impression que l'audition d'une quinzaine de membres ne changerait rien à la preuve et a souligné que le « modèle de Gold » utilisé par l'expert en dépendance des recours collectifs pouvait être contesté par des experts de la défense et pourrait perdre sa force probante aux yeux du juge. L'avocate en a profité pour souligner que le Dr Negrete (l'expert en dépendance des recours collectifs) avait admis que cesser de fumer peut être facile pour certains fumeurs.

Le juge Dufresne a dit qu'il trouvait du flou dans la position de la compagnie. Il peut comprendre que le juge de première instance (Riordan) ait autorisé Imperial à convoquer à la barre des témoins des membres des recours collectifs, mais il constate que le nombre voulu par la compagnie varie trop souvent. (Plus tard, face à Me Marc Beauchemin en train de demander à la Cour d'appel de ne pas réviser le jugement interlocutoire de Brian Riordan, le juge Dufresne a exprimé sa crainte que l'autorisation accordée à Imperial par le juge de première instance de mener des contre-interrogatoires de membres des recours collectifs (avec ou sans dossier médical) débouche sur une instruction qui tourne à la « foire » (sic).)

Me Côté a répété que le témoignage d'une cinquantaine de (fumeurs et anciens fumeurs touchés par un cancer, l'emphysème ou la dépendance) serait utile à la défense, et avec des « membres non inscrits » dans ce lot. La juge Bich s'est alors demandé s'il ne fallait pas tenir compte du droit de personnes non enregistrées à un recours collectif de ne pas être impliquées dans une action en justice dont elles pourraient ignorer jusqu'à l'existence. La juge Bélanger a enchaîné en demandant quels seraient les critères de sélection des personnes (malades ou dépendantes) qui ne sont pas membres des recours collectifs.

Grosso modo, Me Côté a alors évoqué le cas de ces fumeurs qu' « on connaît tous » dans notre entourage, et a mentionné « ces fumeurs aux portes des édifices ». L'avocate a même ironisé sur le fait qu'on pouvait compter dans cette foule des juges de la Cour d'appel. Il a semblé à votre serviteur que la juriste s'aventurait à danser sur un endroit du lac où la glace est mince. Par chance, aucun juge ne l'a suivie à cet endroit, et le dialogue a enchaîné comme si de rien n'était sur la procédure classique d'une action en recours collectif.

La juge Bélanger a demandé à Me Côté si les cigarettiers avaient demandé de faire témoigner M. Jean-Yves Blais (le représentant des fumeurs et anciens fumeurs atteints d'un cancer ou d'emphysème) et Mme Cécilia Létourneau (la représentante des personnes dépendantes du tabac).

Me Côté a dit que M. Blais et Mme Létourneau avaient été interrogés par les parties avant le procès et dit que les dépositions préliminaires n'avaient pas été versées en preuve, ajoutant que le dossier médical de M. Blais (aujourd'hui décédé) n'est connu qu'à travers le rapport d'expertise du pneumologue Alain Desjardins.
(Le Dr Desjardins a attribué au tabagisme le cancer du poumon de M. Blais.)

Au terme d'un court échange avec le juge Dufresne, Me Côté est parvenu à  faire valoir que la plus ou moins grande valeur probante de témoignages (de soi-disant victimes des compagnies de tabac) ne devrait pas enlever le droit à la défense d'en faire entendre quelques uns. La juriste a souligné que ce sont les demandeurs qui ont choisi de faire une preuve basée sur l'épidémiologie, et que c'est le prix à payer.

Me Côté a fait valoir que M. Jean-Yves Blais avait été plus d'une fois prévenu d'arrêter de fumer et que son emphysème était « congénital ». (S'il y avait eu une pause à ce moment et si un médecin avait été dans la salle, deux conditions qui manquaient, votre serviteur aurait aimé découvrir comment, même en connaissant le dossier médical de la mère de M. Blais, on peut aboutir à ce genre de conclusion sans être en train de faire de l'épidémiologie par la bande...)

L'avocate d'Imperial a déclaré que les experts de la défense croient que l'épidémiologie est insuffisante pour établir la preuve (d'une relation de causalité entre le tabagisme d'une personne et le cancer qui la frappe).

La juge Bélanger a alors demandé si c'est nécessaire d'avoir le dossier médical d'un certain nombre de témoins pour savoir si les victimes ont été prévenues. (On dirait que la juge Bélanger est au courant de la thèse principale des cigarettiers: « tout le monde savait ».)

Le juge Dufresne a renchéri en disant croire que tous les membres des recours collectifs se sont faits prévenir. (Le juge Dufresne fait partie des juges de la Cour d'appel devant qui les parties au procès devant le juge Riordan ont déjà parlé du rapport préliminaire de l'historien David Flaherty sur la « connaissance populaire » des méfaits du tabac, rapport que Riordan voulait accueillir en preuve malgré les compagnies, jugement que la Cour d'appel a validé.) Le juge Dufresne s'est demandé si un « va et vient » de victimes présumées à la barre des témoins ne serait pas une exception dans le cadre d'un recours collectif.

Me Côté est revenu sur son argument de la proportionnalité que le législateur a introduit dans le Code de procédure civile (voir notamment l'article 4). Elle a accusé le juge Riordan d'inverser la règle de la proportionnalité en permettant moins de moyens de défense à sa cliente qu'à des justiciables dans des causes où le montant des réclamations est beaucoup plus petit.

La juge Bélanger a demandé à l'avocate d'Imperial si elle avait envisagé que le juge Riordan donne tort (sur le fond de l'affaire) aux demandeurs dans le procès. Me Côté a dit qu'elle ne voulait pas courir de risque.


Apporter des dossiers médicaux ? Inutile, coûteux, compliqué.

Me Marc Beauchemin a commencé par dire qu'il mettait son plan d'argumentation à la poubelle. Cependant, puisqu'il fait partie avec Me Suzanne Côté de cette race d'avocats qui savent leur dossier par coeur et qui sont capables de jouer au bingo auquel un tribunal les invite, il est bien possible que lui et son coéquipier Gordon Kugler soient parvenus à dire tout ce que le tribunal voulait savoir ou avait besoin de savoir de leur part. On verra bien.

Tout de même, il faut remarquer la patience ou la modestie de ces trois juristes. Peut-être bien que tous les chemins mènent à Rome, y compris ceux que le tribunal choisi pour son instruction. Chacun leur tour, les trois juges ont d'ailleurs fait état de l'expérience des juristes présents et l'éloge paraissait tout à fait sincère.

Puisque le juge Dufresne avait parlé avec Me Côté d'admissions à rechercher en lieu et place de témoignages additionnels à valeur probante incertaine, Me Beauchemin a commencé sa plaidoirie en mentionnant qu'il y avait eu lors du procès de nombreuses admissions de la part de la partie demanderesse et de ses experts.

« La multifactorialité des maladies, les variations médicales individuelles, ...», c'est « déjà au dossier », de souligner l'avocat des recours collectifs. Me Beauchemin a même cité un passage (page 69) du rapport d'expertise de l'oto-rhino-laryngologiste Louis Guertin qui dit qu'il n'y a pas deux patients identiques. Néanmoins, il y a un trait commun au niveau du préjudice et de la causalité, malgré les différences.

Me Beauchemin a déclaré que les experts de sa partie (entre autres le Dr Guertin) avait indiqué que la seule façon d'établir la causalité, c'est d'utiliser l'épidémiologie.

Votre serviteur a cru comprendre que ce serait par conséquent au juge de première instance de trancher entre les points de vue opposés des experts des deux parties, et que Me Beauchemin invitait ainsi la Cour d'appel à ne pas s'aventurer dans la cuisine du juge Riordan.

Hélas, ce fut un moment de l'audition où Me Beauchemin essayait de répondre à une question de la juge Bélanger quand la juge Bich l'a interrompu pour poser une autre question, auquel Me Beauchemin a commencé à répondre, lorsqu'il fut interrompu de nouveau par la juge Bich avec une autre question différente des deux premières.

Les magnétophones ne sont pas permis dans les tribunaux et la vitesse à laquelle tout cela s'est passé surpasse la virtuosité de votre serviteur au clavier.

Un peu avant 11h20, Me Beauchemin a cité de la jurisprudence (jugement Wagner de la Cour d'appel en octobre 2012, jugement Doyon de 2006), en appui de sa thèse que la détermination de la relation de causalité (entre un tort subi et le comportement d'un intimé) est une question commune (et non pas une question qu'il faut trancher pour chacun des membres d'un recours collectif).

Me Beauchemin a parlé du rapport du Dr Barsky, censé faire contrepoids au rapport du Dr Desjardins, comme complètement inconclusif.

L'avocat a ensuite cité la cause des malades de l'hôpital de St-Ferdinand, qui est allée jusqu'en Cour suprême du Canada en 1996, et où les juges ont établi que le dossier médical n'est pas toujours la meilleure preuve d'un dommage subi par un groupe de personnes par la faute d'un autre groupe, et que c'est par exception à la règle d'exclusion du ouï-dire que les documents médicaux sont admis.

L'avocat a reproché à la compagnie Imperial de ne pas savoir ce qu'il y a dans les dossiers médicaux ni ce qu'elle en fera, et de faire du « discovery » (L'étape avant le début du procès.) alors qu'elle est plus proche de la fin de sa preuve en défense que du début.

Tant Me Beauchemin, que Me Gordon Kugler qui lui a succédé au lutrin, ont fait valoir qu'une intervention de la Cour d'appel pour autoriser Imperial à exiger que des témoins apportent leur dossier médical, en cassation du jugement interlocutoire de Brian Riordan, constituerait un changement de cap de la Cour d'appel du Québec dans la présente affaire. Les juges n'ont pas eu l'air enchantés d'entendre cela.

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Juste avant une petite pause, le juge Dufresne s'était interrogé à haute voix sur l'existence d'un risque que certains témoins convoqués n'apportent pas leur fameux dossier médical. Fort d'une longue expérience des affaires de responsabilité médicale, Me Kugler a souligné qu'il était difficile, long et coûteux pour quiconque, mais en particulier pour une personne âgée et souffrante, d'obtenir son dossier médical. L'avocat des recours collectifs a fait comprendre qu'il n'était pas évident de savoir jusqu'à quand il faut remonter dans la biographie médicale de quelqu'un pour satisfaire la curiosité des interrogateurs.

Réagissant à un ensemble de commentaires et de questions des juges qui pouvaient donner à penser que le juge Riordan a « changé d'idée » quant au droit d'Imperial d'interroger des membres des recours collectifs, Me Kugler a dit que le juge de première instance ne « peut pas empêcher la défense » de convoquer qui elle veut à la barre des témoins (parce que ce serait illégal). Le juge ne fait que rejeter certaines exigences que la défense veut imposer auxdits témoins.

Me Kugler est revenu sur la question de la « proportionnalité ». Il s'est efforcé de montrer qu'il serait déraisonnable d'exiger la production d'un dossier médical à chacune des personnes dépendantes du tabac qui réclame 5000 $ aux cigarettiers.

Me Kugler a aussi pris le contrepied d'une façon courante de s'exprimer dans la présente cause.  L'avocat a dit qu'il n'y a pas de membres des recours collectifs, il n'y a que des personnes qui veulent faire partie du groupe que le juge définira comme les membres du recours collectif, s'il décide de donner raison aux demandeurs.  L'avocat prétend que les personnes qu'on appelle « les membres » ne sont pas différentes de tous les bénéficiaires possibles d'un jugement qui imposerait un dédommagement aux compagnies intimées.

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La juge Bich, qui présidait aux échanges, a paru très reconnaissante aux avocats de s'être pliés à l'exercice imposé par la Cour.

Note 1
Les juristes québécois prononcent le nom de la juge biche, comme le nom de la femelle chez les cervidés, et non pas bic, comme le nom du fondateur de l'empire du stylo-bille Marcel Bich.


lundi 4 novembre 2013

Appels au sujet de l'examen de dossiers médicaux individuels durant le procès: jamais trois sans quatre

(PCr)
En ce lendemain d'élections municipales dans tout le Québec, par un jour frais et ensoleillé d'automne à Montréal, tandis que JTI-Macdonald reprenait, avec un interrogatoire du chimiste Ray Howie, la présentation de sa preuve en défense devant un juge de la Cour supérieure, une bataille parallèle se déroulait devant un juge de la Cour d'appel du Québec, au sujet des assignations à produire un dossier médical qu'Imperial Tobacco Canada voudrait délivrer à un certain nombre de fumeurs et anciens fumeurs qui sont inscrits aux recours collectifs contre l'industrie.

L'édition de ce blogue relative au 160e jour, en août, a raconté la substance du débat en première instance devant le juge Brian Riordan.

Dans son jugement du 13 septembre dernier relatif à ce débat, l'honorable Riordan a rejeté pour une quatrième fois l'idée d'autoriser l'examen des biographies médicales individuelles lors du procès, et il a donc annulé les assignations à produire (subpoena duces tecum) le dossier médical qu'Imperial s'apprêtait à envoyer à des membres des collectifs. En revanche, le magistrat a autorisé la compagnie à convoquer quand même ces personnes à la barre des témoins, si elle le veut.

Serez-vous étonné d'apprendre que la compagnie de tabac a demandé à la Cour d'appel du Québec de réunir une formation de trois juges de ce tribunal pour entendre un appel de cette décision?

L'audition sur la permission d'aller en appel était présidée par l'honorable Yves-Marie Morissette et a eu lieu ce matin.

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D'entrée de jeu, le juge Morissette a dit qu'à la lecture de certains passages du jugement contesté, il avait eu parfois l'impression que le juge Riordan souhaitait connaître l'avis de la Cour d'appel sur le fond du litige, c'est-à-dire sur sa façon d'instruire cet élément de la preuve.

Le juge d'appel a ensuite résumé la décision de première instance contestée et a terminé en se demandant à haute voix si une deuxième formation de trois juges de la Cour d'appel pourrait faire mieux que la première formation, dont l'arrêt d'octobre 2012 avait été rédigé par le juge Richard Wagner avant sa nomination à la Cour suprême du Canada.

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Pour le compte d'Imperial, Me Suzanne Côté a fait valoir que dans le fond, sa compagnie avait besoin de procéder à des interrogatoires de membres des recours collectifs, avec dossiers médicaux sous la main, afin de pouvoir prouver qu'il n'y a pas suffisamment de similarités entre les biographies des fumeurs pour qu'un tribunal puisse instruire une affaire en recours collectif et décider de dommages compensatoires ou punitifs.

L'avocate a aussi avancé que les précédents arrêts de la Cour d'appel en rapport avec cette question, y compris l'arrêt rédigé par le juge Wagner, ne créaient pas une situation d'affaire jugée puisque les auditions relatives à ces arrêts avaient eu lieu avant que le procès commence.

Me Côté a souligné que des experts médicaux de la partie demanderesse, le pneumologue Alain Desjardins et l'oto-rhino-laryngologiste Louis Guertin, avaient reconnu l'hiver dernier en interrogatoire qu'il fallait une connaissance complète de la situation individuelle d'un patient pour produire un diagnostic de cancer du poumon ou des voies aéro-digestives supérieures. Pour l'avocate, il s'agit là d'une admission capitale.

Bien que ce n'est pas la première fois qu'Imperial conteste un jugement de première instance relatif à la comparution de membres des recours collectifs, et qu'un homme de la rue pourrait avoir l'impression que c'est la compagnie qui provoque des débats sur la question, Me Côté a dit qu'elle aurait aimé que le débat qui a eu lieu en août devant le juge Riordan et qui a donné lieu à une décision de ce dernier en septembre ait lieu après que l'industrie ait pu faire entendre ses experts médicaux. Bref, c'était trop tôt. Les experts sont attendus l'hiver prochain.

L'avocate d'Imperial n'a pas voulu préjuger de la valeur probante qu'auraient eu ces expertises à venir aux yeux du juge Riordan mais elle a dit croire à la pertinence d'une telle séquence d'événements. Une intervention de la Cour d'appel serait donc justifiée, pour toutes ces raisons.

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En défense du jugement de Brian Riordan, les avocats des recours collectifs Marc Beauchemin et Gordon Kugler ont pris la parole.

Me Beauchemin a commencé par souligner que nul n'est autorisé à demander inlassablement la même chose à une cour de justice sans donner l'impression d'abuser du système. L'avocat du cabinet De Grandpré Chait a souligné que le juge Riordan n'a pas demandé à la Cour d'appel de réviser ses jugements mais qu'elle l'a fait trois fois sur trois en sa faveur.

Me Beauchemin a ensuite analysé un cas qui fait jurisprudence où la Cour d'appel a émis l'opinion qu'un recours collectif ne doit pas être traité comme un faisceau de causes individuelles. L'avocat a souligné que les cigarettiers eux-mêmes, dans leur preuve en défense, ont eu recours à des experts, des experts en histoire, qui théorisent sur la « connaissance populaire » et généralisent à tout le monde une connaissance des méfaits sanitaires du tabac qui n'était pourtant pas partagée par de nombreux fumeurs.

Selon Marc Beauchemin, les distinctions entre les individus qui fonderaient l'attribution d'un dédommagement plus ou moins élevé doivent se faire et peuvent se faire au moment de la présentation des réclamations individuelles, une fois le jugement final rendu en faveur des recours collectifs, mais n'ont pas d'utilité pour déterminer le tort ou non des cigarettiers.

L'avocat des recours collectifs a répété de plusieurs façons que la Cour d'appel faisait face à la quatrième version d'une invitation à se pencher sur une chose déjà jugée par elle. Me Beauchemin a déploré que les membres des recours collectifs subissent la menace constante d'une remise en cause de leurs droits (à un recours collectif) (à un procès des cigarettiers plutôt que le leur).

Marc Beauchemin a affirmé au juge Morissette que le calendrier de la preuve en défense des cigarettiers fond comme peau de chagrin ces mois-ci et que l'audition d'un appel n'accélérera rien.

Me Gordon Kugler a enchaîné en faisant valoir au juge Morissette que s'il convoquait une formation de trois de ses collègues pour entendre un appel, Imperial n'avait aucune chance de gagner cette manche.

Le doyen dans le camp des avocats des recours collectifs a déclaré qu'un jugement supplémentaire n'aboutirait jamais à la conclusion que l'examen des dossiers médicaux individuels lors de l'instruction d'un recours collectif est nécessaire. Le mieux que peuvent espérer les cigarettiers est une porte entrouverte avec la mention que de tels dossiers pourraient être utiles.

Me Kugler a aussi cité certains articles du Code de procédure civile, notamment des articles de la séquence 1027 à 1032, où le législateur décrit le contenu et l'effet d'un jugement dans une action en recours collectif.

Pour les juristes dans la salle, ce pouvait être une toute autre histoire, mais pour l'auteur de ce blogue, il a été très instructif de lire ce bout du code, en particulier l'article 1031.
1031. Le tribunal ordonne le recouvrement collectif si la preuve permet d'établir d'une façon suffisamment exacte le montant total des réclamations des membres; il détermine alors le montant dû par le débiteur même si l'identité de chacun des membres ou le montant exact de leur réclamation n'est pas établi.
Comme Me Beauchemin, Me Kugler a répété de diverses manières que l'affaire devant le juge Morissette est une chose jugée. Le juge a confessé qu'il penchait en faveur de l'acceptation de la requête d'Imperial Tobacco en début de séance mais que les avocats l'avaient fait douter et qu'il allait avoir besoin de réflexion avant de trancher.

L'honorable Morissette a annoncé qu'il allait prévenir dès mercredi s'il fallait attendre de sa part un rejet écrit de la requête ou s'il fallait au contraire que les avocats des deux parties planifient avec lui une nouvelle audition devant trois de ses collègues de la Cour d'appel.

DERNIÈRE NOUVELLE DATÉE DU MERCREDI 6 NOVEMBRE: le juge Morissette a accordé à Imperial la permission demandée d'en appeler de la décision du 13 septembre 2013 du juge Brian Riordan. Une formation de trois juges d'appel entendra les parties le 28 février 2014.