vendredi 22 février 2013

118e jour - 21 février - Au revoir, professeur Siemiatycki.

L'épidémiologue Jack Siemiatycki n'a pas comparu bien longtemps jeudi devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. Les avocats Guy Pratte, Simon Potter et Allan Coleman ont posé leurs questions à l'expert des recours collectifs, et tout fut conclu en moins d'une heure.

Hélas pour le chercheur et professeur à la Faculté de médecine de l'Université de Montréal, il devra cependant revenir en mars, après avoir fait quelques relectures et vérifications qui lui permettront de répondre de manière utile à certaines questions des défenseurs des cigarettiers, de même qu'à des questions additionnelles que le procureur des demandeurs André Lespérance veut désormais lui poser.



Limiter les pertes

Me Guy Pratte a notamment demandé à l'expert Siemiatycki si son estimation du nombre de Québécois à indemniser éventuellement pour une maladie causée par le tabagisme tenait compte de fumeurs qui se sont intoxiqués à fumer une bonne partie de leur vie à l'extérieur du Québec et ont reçu leur diagnostic alors qu'ils résidaient au Québec. (L'avocat de JTI-Macdonald n'a pas dit « intoxiqués », mais on parle bien de ces fumeurs-là, et des indemnités que leur exclusion permettrait vraisemblablement d'économiser, si l'industrie écope d'un jugement final défavorable.)

Comme à plusieurs autres questions de Me Pratte, le professeur Siemiatycki a répondu non, sans avoir l'outrecuidance d'ajouter dans ce cas qu'il y a peut-être aussi des fumeurs qui ont enrichi le commerce de la cigarette au Québec mais dont une autre province canadienne avait hérité quand ils ont reçu un diagnostic de maladie due au tabagisme, quelque part entre 1996 et 2005.

Un ex-fumeur canadien
rescapé du cancer du larynx
(image de Santé Canada)
Le modèle prédictif de l'épidémiologue québécois ne prévoit pas non plus l'exclusion des fumeurs qui étaient au courant des risques du tabagisme.

À la vue de tout le terrain couvert par Me Pratte en plus d'une journée de contre-interrogatoire, Me Potter a eu une intervention très brève qui a consisté à vérifier que l'épidémiologue n'avait pas eu accès à la banque des renseignements nominatifs sur les membres des recours collectifs. Le témoin ne savait même pas que cette banque existait, et n'a pas vu de raison qu'on lui donne un accès.

L'avocat de Rothmans, Benson & Hedges est retourné à son pupitre et Me Allan Coleman s'est levé. L'avocat d'Imperial Tobacco est revenu sur la question de la linéarité de la relation entre le niveau de consommation cumulative de tabac et le risque d'être atteint par une des quatre maladies objets du litige. Me Coleman a fait verser au dossier de la preuve un article scientifique signé par ...l'épidémiologue Siemiatycki, dont ce dernier n'avait pas gardé un souvenir très vif. C'est en partie pour répondre que Jack Siemiatycki a proposé lui-même de revenir devant le juge.

Me Coleman a aussi voulu savoir si les paquets-années étaient la meilleure mesure de la consommation. Il y en a d'autres. Le professeur de l'Université de Montréal a répondu que le choix d'une mesure plutôt que d'une autre dépend de l'usage que le chercheur veut faire de ses calculs. 


Le fiel, le miel et maintenant l'académique

À des degrés divers, de cent façons, les avocats dans ce procès, tout en restant polis avec les témoins dont les déclarations sont globalement défavorables à leur partie, savent à l'occasion, lors des interrogatoires, adopter un ton insinuant, se donner un air glacial et même un peu fâché.

(Ce n'était surtout pas le cas cette fois-ci.)

Si ce n'est pas à l'occasion d'un interrogatoire, c'est lors d'objections et de plaidoiries: tant Pratte que Potter, Mitchell, Côté, Glendinning et Lehoux, aussi bien que Johnston, Trudel, Lespérance, Kugler et Boivin, ont eu, à un moment ou à un autre depuis mars 2012, des épisodes, généralement très courts, où ils prenaient le ton de l'indignation, sentiment tout à fait compréhensible, mais peut-être parfois un peu forcé. 

*

Avec les témoins inoffensifs, à l'inverse, le ton affable ou même mielleux a parfois été au menu.

À d'autres moments, Guy Pratte, Simon Potter, Suzanne Côté et François Grondin ont pu donner l'impression qu'on était à la Cour. Pas la Cour supérieure du Québec, mais la cour des Bourbon, des Stuart ou des Romanov. Le gros du miel, on le sert au juge, qui le retourne habilement, surtout pour soutenir le moral des deux camps.

* *

Il restait à se trouver dans un troisième type d'atmosphère, celui d'une sorte de séminaire universitaire, voire de soutenance de thèse sans animosité ni complaisance.

Lors du contre-interrogatoire de l'épidémiologue Jack Siemiatycki, tant Me Pratte et Me Potter que Me Coleman, un nouveau venu dans le procès, se sont prêtés à ce jeu durant plus d'une journée. Il n'est pas dit que l'universitaire de 66 ans ait trouvé reposantes ses nombreuses heures à la barre des témoins, mais d'autres experts comparus jusqu'ici devant le juge Riordan pourraient presque l'envier.

Presque, parce que le professeur Siemiatycki avait tout de même une grosse commande à livrer : livrer une estimation du nombre de personnes à indemniser, dans une action judiciaire où plusieurs milliards de dollars sont en jeu, et se taper la lecture de critiques nullement constructives du travail de sa petite équipe par un escadron de mercenaires judiciaires à temps plein affublés de doctorats en science.

Le professeur d'épidémiologie a déjà rédigé lui-même des rapports d'expertise et il ne fait pas cela bénévolement, heureusement, mais il y a des jours où il a dû se demander lesquels de ses anciens élèves talentueux aboutiront un jour à temps plein, aux États-Unis si ce n'est au Canada, dans l'orbite de compagnies de tabac régulièrement impliquées dans des litiges.

* * *

Outre l'épidémiologue Siemiatycki et l'expert en sondages de population Christian Bourque, qui doivent revenir terminer leurs témoignages respectifs, il reste désormais un seul expert que les avocats des recours collectifs veulent faire comparaître : le psychiatre Juan Negrete de l'Université McGill.


Champ de mars

Au vu des discussions de jeudi matin, le mois de mars s'annonce chargé, et même chargé comme un ciel d'orage, alors que février a été un mois de besogne tranquille.

Sont au programme, deux nouveaux témoins, soient le toxicologue Bilimoria et le chimiste Farone; trois « revenants »: Wayne Knox, Jacques LaRivière et Jeffrey Wigand; le versement au dossier de la preuve de documents de Statistique Canada; l'enregistrement de documents relatifs au témoignage du professeur André Castonguay, de même que le versement d'une collection de photos d'annonces de cigarettes ou d'événements commandités parues dans des publications québécoises à grand tirage ou placardées un temps sur les panneaux-réclames de diverses dimensions. Entre autres documents. Voilà pour la partie « facile ».

Par dessus cela, plusieurs débats doivent être tenus, par exemple sur le calcul des parts de marché des trois cigarettiers, et surtout des débats sur des requêtes formelles, dont une de la part de la partie demanderesse pour que la réclamation concerne désormais les victimes de la maladie pulmonaire obstructive chronique, plutôt que de l'emphysème, et pour que la notion de cancer de la gorge, qui figure dans le jugement de 2005 qui a autorisé les recours collectifs, ait une traduction médicale précise et plus fonctionnelle.

Il y a aussi trois requêtes d'autant de compagnies de tabac qui visent à faire radier des allégations fondamentales de la partie demanderesse, et qui auraient pour effet d'arrêter pratiquement le procès.

Oui, vous avez bien lu, tout cela  presque un an après les plaidoiries inaugurales.

Le juge Riordan, qui s'est révélé depuis plusieurs semaines agacé de la menace de l'industrie de faire dérailler le procès, avoue maintenant qu'il est très curieux d'entendre les motifs des défendeurs.

À force d'insistance, le magistrat semble avoir convaincu les cigarettiers de commencer  leur preuve en défense en avril, peu importe le sort qu'il réservera à leurs requêtes en non-lieu.

Me Bruce Johnston estime que les défendeurs abusent des procédures, et les contraintes d'horaire de Me Suzanne Côté en mars ne font pas brailler Me André Lespérance, qui a fait remarquer l'abondance des ressources chez la partie adverse. Le juge lui-même a suggéré aux cigarettiers d'appeler des renforts au besoin.  La situation ne manquait pas de sel. 


Avril au tribunal

À six semaines du commencement encore hypothétique de la preuve en défense, le public sait moins de choses sur le déroulement de celle-ci qu'on en savait le printemps dernier sur le déroulement de la preuve des recours collectifs durant le reste de l'année 2012.

Il y a une liste de témoins de la défense que Me Glendinning a encore décrit jeudi comme temporaire et non contraignante.

Malgré tout cela, le miracle s'est renouvelé comme toutes les semaines. Le parterre de juristes s'est dispersé dans une relative bonne humeur, comme si tout le monde comprenait que ce procès n'est pas ordinaire. C'est une exploration, dans un sous-marin (métaphore que le juge a formulée le printemps dernier).

Les auditions s'arrêtent la semaine prochaine, comme à toutes les trois semaines, et reprennent le 4 mars.

Les avocats ont des tonnes de documents à s'échanger par courriel et par disque, entre autres les archives du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac.

Pour pratiquer le droit, il faut aimer la lecture.

jeudi 21 février 2013

117e jour - 20 février - Peut-on déterminer la cause du cancer d'un fumeur en particulier ?


Mercredi, au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers du marché canadien au palais de justice de Montréal, Me Guy Pratte a contre-interrogé toute la journée le professeur d'épidémiologie Jack Siemiatycki, auteur d'un rapport d'expertise rédigé à la demande des avocats des fumeurs victimes de cancers du poumon, de cancers du larynx, de cancers de la gorge ou d'emphysème.

Me Pratte représente le cigarettier JTI-Macdonald (JTI-Mac), mais le public de la salle d'audience pouvait avoir l'impression que son contre-interrogatoire sert et vise à servir la défense commune des trois cigarettiers, un peu à la manière des contre-interrogatoires en février des médecins Alain Desjardins et Louis Guertin par Me Jean-François Lehoux, qui défend Rothmans, Benson & Hedges (RBH), ou du contre-interrogatoire du chimiste André Castonguay par Me Suzanne Côté, qui défend Imperial Tobacco Canada (ITCL).

Me Pratte était très bien préparé. Autant lui et son coéquipier Me Kevin LaRoche avaient laissé entendre, ces dernières semaines, que la technicité du sujet (l'épidémiologie) les faisaient hésiter à se lancer dans le contre-interrogatoire du professeur Siemiatycki sitôt l'interrogatoire principal terminé, autant Pratte a finalement eu l'air d'un poisson nageant dans l'eau, un poisson de bonne humeur.

Le contre-interrogatoire a pourtant abordé des matières comme la marge d'erreur des intervalles de confiance des estimations de l'expert, la linéarité ou non de la relation entre le niveau de consommation cumulative de tabac d'un sujet et le risque d'être atteint par une maladie comparé à ce risque chez les non-fumeurs, l'effet de l'étalement de cette consommation cumulative sur un grand nombre d'années, l'hétérogénéité des données des études épidémiologiques sélectionnées, ainsi que les hypothèses et postulats que l'expert Siemiatycki a dû faire, comme n'importe quel chercheur, pour aboutir à certaines conclusions.

Mis devant certains textes qu'il a lui-même signés ou révisés au fil d'une carrière prolifique, l'épidémiologue de l'Université de Montréal a eu l'intelligence de ne pas offrir de réponses immédiates et définitives à toutes les questions, ce qui a pour conséquence qu'il devra revenir brièvement devant le tribunal en mars, en plus de revenir aujourd'hui.

Le témoin-expert avait parfois laissé échapper une pointe d'agacement lors des contre-interrogatoires qui ont précédé l'admission de son rapport lundi. Mercredi, il a eu avec l'avocat de l'industrie la patience de l'enseignant pour l'étudiant qui a bien étudié mais semble rêver que le prof lui confesse le peu de valeur des connaissances scientifiques ... à la veille d'un examen.

Celui qui fait passer l'examen final, le juge Brian Riordan, écoutait tout cela avec impassibilité.

Où cela va-t-il nous mener ?

Peut-être à une minimisation de l'admissibilité des fumeurs à des dédommagements pour leur maladie. S'il y a moins de victimes, il y a moins à payer.

Mais la défense de l'industrie a peut-être aussi une ambition plus grande.

En novembre, l'interrogatoire du chef de la direction de RBH, John Barnett, avait pris une tournure inusité lorsque les avocats des recours collectifs lui avaient mis sous les yeux la page consacrée à RBH sur le site internautique de Philip Morris International. Se trouvait là un aveu de la multinationale que les produits du cancer CAUSENT le cancer du poumon et d'autres maladies. Le patron de la filiale canadienne n'avait pas contesté ce que la maison-mère dit, et cela avait raccourci de beaucoup son interrogatoire.

Sur une page en ligne depuis le 26 mars, Japan Tobacco International, qui possède JTI-Mac au Canada, reconnaît aussi que le tabagisme cause des maladies chez les fumeurs.

Le texte de JTI donne cependant une indication de la position de défense ravitaillée par les contre-experts américains de l'industrie canadienne que sont Sanford Barsky, Laurentius Marais, Kenneth Mundt, Bertram Price et Dale Rice.

En gros, l'idée serait la suivante : oui, l'épidémiologie prouve que le tabagisme cause des cancers chez LES fumeurs, malgré leur diversité de modes de vie et d'habitudes, mais elle ne peut pas prouver qu'il le cause chez UN fumeur en particulier, à cause de la diversité des modes de vie et des habitudes.

Fondamentalement absurde, peut-être, mais tout de même astucieux.

Qu'ont dit les médecins appelés jusqu'ici comme experts dans le procès actuel, et qui connaissent leurs patients imparfaitement mais mieux que quiconque (y compris les patients eux-mêmes, parfois)? Le pneumologue Desjardins et l'oto-rhino-laryngologue Guertin ont témoigné que c'est sur la base d'études épidémiologiques qu'ils concluent au tabagisme comme cause des cancers ou de l'emphysème.

Il y a donc lieu de craindre qu'en dehors d'une maladie infligée à un fumeur dans les conditions de contrôle d'un laboratoire avec des rongeurs en cage, l'industrie canadienne ne soit pas plus disposée que jadis à accepter que ses produits aient été la cause d'un seul cancer.  Des cancers oui, un cancer non, à moins que vous soyez une machine à fumer.

Est-ce à dire que si des avocats réclamaient un montant global pour l'ensemble des victimes sans avoir pour objectif de le redistribuer à des victimes en particulier, l'industrie plaiderait coupable ? C'est assez peu vraisemblable, tant qu'il restera des avocats sur Terre, mais il est à souhaiter que les procureurs du gouvernement du Québec, qui réclame des dédommagements à l'industrie pour le coût des soins de santé prodigués aux fumeurs malades, tendent l'oreille.

Une seule victime, jamais. Mais un paquet de victimes, peut-être.


* * *

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
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mercredi 20 février 2013

115e et 116e jours - 18 et 19 février - En douze ans, au moins 110 000 Québécois malades à cause du tabagisme

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Parmi les Québécois qui ont reçu entre 1995 et 2006 un diagnostic de cancer du poumon, de cancer du larynx, de cancer de la gorge ou d'emphysème, il y en a au moins 110 282 au total dont on peut dire qu'ils ont plus de 50 % de chances d'avoir été dans ce triste état en conséquence directe de leur consommation passée de cigarettes.

Rien d'étonnant pour les spécialistes qui connaissent les probabilités d'être atteint.

Ainsi par exemple, par rapport aux non-fumeurs de sexe masculin, les fumeurs masculins en général ont un risque décuplé d'être atteints par un cancer du poumon. Les fumeuses comparées aux non-fumeuses voient leur risque multiplié par sept.

Jack Siemiatycki
Ces renseignements figurent parmi une masse d'autres semblables qui proviennent d'une méta-analyse de plusieurs études épidémiologiques livrée en 2009 par le professeur Jack Siemiatycki du département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Selon l'expérience de l'épidémiologue Siemiatycki (son curriculum vitae : pièce 1426), les études épidémiologiques rapportent un risque relatif de maladie chez des personnes exposées à une substance toxique qui varie habituellement entre 1,2 et 2,5 fois le risque de développer la même maladie chez les personnes non-exposées.

10 ou même 7, c'est un ratio très impressionnant à ses yeux, et il n'y a rien de nouveau sous le soleil pour les scientifiques. Dès 1964, le Surgeon General des États-Unis publiait un rapport où il était question de « fumeurs moyens » qui avaient entre 9 et 10 fois plus de risque que les non-fumeurs d'être atteints de cancer du poumon, et de « gros fumeurs » pour qui c'était 20 fois plus. Quand M. Siemiatycki faisait sa maîtrise en statistiques médicales à l'Université McGill à la fin des années 1960, les études concernant les risques du tabagisme étaient déjà citées en exemple dans l'enseignement.

Les calculs de probabilité ci-dessus sont contenus dans le rapport d'expertise de Jack Siemiatyckì versé lundi au dossier de la preuve.  (Le rapport principal est la pièce 1426.1 et les pièce 1426.2 et pièce 1426.4 sont des annexes également datées de 2009.)

La méta-analyse en question permet aussi savoir à quel point une consommation plus grande de tabac accroît le risque par comparaison à une faible consommation. Pour les deux sexes confondus, et parfois pour les deux sexes séparément. Pour les quatre maladies qui sont l'objet de réclamations aux cigarettiers devant la Cour supérieure du Québec. Les propres recherches du professeur Siemiatycki à partir de données des hôpitaux universitaires de Montréal lui donnent des estimations de risques relatifs comparables à ce qu'on retrouve dans la méta-analyse.(pièce 1428)

Concernant le « cancer de la gorge », dont il existe pas de définition consensuelle dans le monde médical, l'expert en épidémiologie mandaté par les avocats des recours collectifs s'en est prudemment tenu au plus petit commun dénominateur des diverses définitions utilisées, n'incluant que les victimes de tumeurs à l'hypo-pharynx et à l'oro-pharynx.


Un rapport qui dérange les cigarettiers

Lundi, les avocats de JTI-Macdonald, de Rothmans, Benson & Hedges et d'Imperial Tobacco Canada ont tenté de convaincre le juge Brian Riordan de rejeter le rapport d'expertise de Jack Siemiatycki sans s'en prendre directement à la qualité d'expert du professeur de 66 ans, comme s'ils pouvaient en avoir besoin un jour pour défendre d'autres clients que des compagnies de tabac. Ce n'est pas la première fois que l'épidémiologue québécois joue un rôle de témoin-expert dans un procès au Canada, et probablement pas la dernière.

Peu de temps après le retour de la pause du midi, le juge Riordan a admis Jack Siemiatycki comme témoin-expert et a accepté son rapport de 2009 et les annexes sans demander de modifications. Il faut dire qu'aucun des contre-experts mandatés par l'industrie du tabac n'a osé proposer une méthode de calcul alternative.

Le procureur André Lespérance des recours collectifs a alors commencé l'interrogatoire.

griffonnage de diagramme en direct
L'avocat avait ces dernières semaines évoqué la possibilité que son expert en épidémiologie utilise un moyen électronique moderne pour expliquer certains concepts au juge et au parterre de juristes. Vous pensez à des planches fignolées avec le logiciel Power Point ?  Trop lent, inutilisable dans une réponse improvisée, et les avocats des compagnies ont grogné quand Me Lespérance a envisagé cette option au début de l'année. Vous pensez à un acétate électronique branché sur un canon de projection ?  Vous brûlez. Mais pourquoi s'encombrer d'un clavier ou d'une souris à la barre des témoins ?  Vive le tableau noir et les craies de couleur, mais sans craie et sans ardoise !

L'épidémiologue Siemiatycki, flanqué de Me Michel Bélanger comme appariteur, a utilisé une tablette iPod et l'application Paper, et a griffonné en direct un diagramme, lequel est d'abord apparu sur le circuit d'écrans de la salle d'audiences, avant d'être transmis aux avocats et au juge, de la même façon qu'un autre de ses nombreux fichiers Microsoft ou Adobe qu'ils se transmettent chaque jour (et parfois la nuit).

Lundi, l'expert en épidémiologie a exposé la pertinence de cette science dans le monde moderne. Un raisonnement épidémiologique, c'est ce qui empêche de conclure hâtivement que la qualité de vie est meilleure à Shawinigan au Québec qu'à Victoria en Colombie-Britannique, sous prétexte que le taux de mortalité est nettement plus élevée à Victoria qu'à Shawinigan. Dans ce cas, il faut tenir compte de l'âge de la population. Quand il compare l'incidence d'une maladie dans un groupe avec l'incidence de la même maladie dans un autre groupe, le chercheur n'oublie pas de regarder les facteurs parasites (confounding factors).

Le professeur de l'Université de Montréal a aussi introduit le concept-clef de son rapport qu'est le risque relatif.

Ce n'était qu'un avant-goût de la journée de mardi.


De la vue globale à la démarcation des personnes à indemniser

De la notion de risque relatif (RR), où la probabilité d'incidence d'une maladie dans un groupe exposé à un facteur de risque est comparée à la probabilité dans un groupe de personnes non exposées, Siemiatycki est passé mardi à la fraction de cas (d'une maladie en particulier) dus à un facteur de risque (AF).

pièce 1427.1
Sur le premier diagramme (pièce 1427.1) légèrement incomplet (Le témoin-expert rodait alors le procédé explicatif.), la zone hachurée en noir correspond aux cas d'une maladie qui sont diagnostiqués chez des fumeurs et anciens fumeurs et sont attribuables à leur tabagisme. La ligne noire horizontale qui traverse l'ensemble des boîtes non-fumeurs (NS) et fumeurs (Smokers), correspond à la fréquence des cas de cette maladie chez les non-fumeurs, et à une fréquence égale chez les fumeurs qu'on ne doit pas attribuer à leur tabagisme.

Il fallait ensuite passer du groupe à l'individu et savoir quelle est la probabilité pour un fumeur ou ancien fumeur pris au hasard parmi ses semblables victimes de la maladie d'avoir cette maladie à cause de son tabagisme (probabilité de causalité)(PC).

On prend alors la même fraction de l'ensemble des cas de la maladie qui sont dus au tabagisme (zone hachurée en noir du premier diagramme) et on le divise par l'ensemble des cas de maladie diagnostiquées chez les fumeurs (grand rectangle gris sur le deuxième diagramme).

pièce 1427.2
Algébriquement, PC = (RR-1)/RR, où RR est le risque des fumeurs d'être atteints par la maladie par rapport au risque des non-fumeurs, lesquels ont un risque de base 1 par définition, et PC est la probabilité d'une relation de cause à effet entre le tabagisme et le diagnostic de maladie.

Le professeur Siemiatycki a ensuite introduit des différences entre les malades basées sur leur consommation cumulative de tabac en terme de paquets-années.

(Un paquet-année, c'est 7300 cigarettes, qui sont fumées au rythme d'un paquet de vingt par jour durant un an, d'où le nom. Deux paquets-années, par exemple, correspondent à une consommation deux fois plus intense durant la même période ou à une consommation aussi intense sur une période deux fois plus longue. Le concept de paquet-année, d'usage courant dans les études cliniques, a été originalement introduit devant le tribunal au début du mois par le Dr Alain Desjardins. Les deux experts qui ont suivi étaient également familiers avec le concept.)

La probabilité d'une relation de cause à effet entre le tabagisme et la maladie croît avec le nombre de paquets-années auquel le fumeur a été exposé, d'où un concept que l'épidémiologue Siemiatycki  a appelé la fraction légalement attribuable (LAF), qui est la fraction des fumeurs atteints d'une maladie dont on puisse dire qu'ils ont, du fait de leur consommation cumulative, plus de 50 % de probabilité d'avoir été atteints à cause de leur tabagisme.

Sur le diagramme suivant, la LAF correspond à la zone bariolée de lignes orangées. La zone hachurée en gris correspond aux malades dont la maladie a autant sinon plus de chances d'avoir été causée par un autre facteur que par le tabagisme. C'est évidemment dans cette catégorie que se retrouvent les malades qui n'ont jamais été fumeurs.

pièce 1427.3
Puisque les données de base sur la consommation cumulative de tabac sont disponibles dans le dossier médical des personnes qui ont reçu un diagnostic de cancer ou d'emphysème, les épidémiologues peuvent établir une relation en continu entre la consommation en terme de paquets-années et la probabilité pour un malade que sa maladie ait été causée par son tabagisme.

Au lieu d'avoir la forme d'un escalier, le diagramme se présente alors comme une pente.

La méta-analyse du professeur Siemiatycki et de son équipe montre notamment que chez les hommes, chaque paquet-année additionnel de consommation cumulative accroît de 0,34 le ratio du risque relatif de cancer du poumon.


À partir d'un certain seuil de consommation qui varie selon la maladie et le sexe, et que la grande majorité des fumeurs, selon les dossiers médicaux et selon les enquêtes de Statistique Canada sur les habitudes tabagiques, dépassent hélas facilement, les chances que le tabagisme soit la cause de la maladie dépasse une sur deux.

Ce seuil de la causalité est atteint pour le cancer du poumon avec 4 paquets-années chez les hommes et 3 chez les femmes. Pour les trois autres maladies, le calcul a été fait pour les deux sexes confondus et le seuil de la causalité est atteint aux environs de 5 paquets-années.


*

Me André Lespérance a terminé son interrogatoire du professeur Siemiatycki en le faisant parler de la solidité des estimations qui découlent de la méta-analyse.

* *

Toute la semaine a été prévue pour l'interrogatoire et les contre-interrogatoires de l'épidémiologue québécois. Parmi les spectateurs des deux derniers jours, certains des contre-experts de la défense prenaient place.

* * *

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


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lundi 18 février 2013

112e et 113e jours - 12 et 13 février - Quand les avocats parlent d'épidémiologie


Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


112e jour - La difficulté d'avoir toujours le dernier mot (épidémiologie)


La journée du mardi 12 février avait été libérée de son contenu prévu à l'origine, en conséquence de la brièveté exceptionnelle de la comparution du médecin Louis Guertin la veille.

Les avocats ont donc profité de l'occasion pour débattre du calendrier des prochaines semaines, et en particulier de celui de la semaine qui commence maintenant. Ensuite, des documents qui ont été récemment l'objet d'une décision du juge Brian Riordan ont reçu un numéro de pièce et ont été versés dans le dossier de la preuve.

Mardi, la grande pomme de discorde était la suivante : que faut-il faire avec le rapport d'expertise que les avocats des recours collectifs ont obtenu en 2009 de l'épidémiologue Jack Siemiatycki, professeur au département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Quand faire témoigner l'épidémiologue et avec quels documents ? (Car il a rédigé des annexes, en voulant répondre aux critiques des contre-experts mandatés par les cigarettiers.) (exemple d'une annexe de 97 pages pleines de tableaux) À quelles questions le professeur Siemiatycki sera-t-il autorisé à répondre en interrogatoire et de quelle façon ?

Le débat s'est interrompu sans qu'une solution émerge ce jour-là. (La solution a été arrêtée jeudi matin, 114e journée d'audition du procès.)


Facteurs de risque et causes des maladies

Le mot épidémiologie a la même racine grecque que le mot épidémie. C'est une science qui mesure l'occurrence de diverses maladies dans la population et qui tente de relier leur incidence à différentes variables, appelées facteurs de risque. Au 19e siècle, un médecin s'est demandé, par exemple, pourquoi le choléra frappe si fortement dans tel quartier de Londres et moins ailleurs ? (La réponse était : parce que tout le monde prend son eau à la même pompe sur la rue Broad et touche la même poignée contaminée.)

Avec le développement de la cybernétique dans les années 1950 et quelques inventions du troisième quart du 20e siècle (transistor, code ASCII, micro-processeur, mémoire sur disque magnétique, etc) qui allaient mettre les ordinateurs à la portée de davantage d'équipes de recherche scientifique, afin de traiter des masses de données quantitatives, la médecine, comme plusieurs autres sciences, a enfin pu profiter pleinement du développement théorique des mathématiques depuis la Renaissance (calcul des probabilités, calcul matriciel, etc).

Les chercheurs en médecine ne se sont plus contentés de déterminer les causes des maladies en faisant des observations dans un environnement contrôlé, en laboratoire. Des épidémiologues, qui ne sont pas toujours des médecins de formation, se sont installés dans toutes les facultés de médecine. Les cliniciens québécois aujourd'hui en exercice ont tous appris à lire des études épidémiologiques.

Cependant, toute cette révolution semble avoir échappé à l'attention des cadres de l'industrie du tabac, trop absorbés qu'ils étaient à administrer le boom parallèle des ventes de cigarettes, puis à prévenir le plafonnement du marché.

Des retraités de l'industrie canadienne du tabac qui ont témoigné au présent procès depuis le printemps dernier ont donné un écho à la réponse apprise par cœur par cette industrie dans les années 1950 et 1960 qui consiste à mettre en doute que le tabagisme CAUSE des maladies, et ont tenté de faire valoir que ce n'était qu'un facteur de risque, cela en faisant remarquer que les fumeurs ne deviennent pas tous affectés d'une maladie mortelle, et que certains cancers qui frappent les fumeurs frappent aussi d'autres personnes.

Cette semaine, un expert va raconter comment l'épidémiologie permet de relier des lésions ou des décès observés à leur cause, après que le Dr Desjardins et le Dr Guertin soient venus dire au tribunal de Brian Riordan que c'était en vertu d'études épidémiologiques connues des médecins qu'ils considèrent le tabagisme comme la cause de l'écrasante majorité des cas de graves dommages à l'appareil respiratoire qu'ils observent en clinique de pneunomologie ou d'oto-rhino-laryngologie.

Le professeur Siemiatycki en a lourd sur les épaules.

Pour les épidémiologues comme Jack Siemiatycki, l'observation d'une simple corrélation statistique ne suffit pas à conclure à une relation de cause à effet.

Depuis le milieu des années 1960, on utilise comme filtre méthodologique une série de critères qui ont été, triste ironie pour les cigarettiers, explicités par l'un des deux auteurs du premier article scientifique à démontrer que le tabagisme causait le cancer du poumon, le statisticien anglais Austin Bradford Hill (1897-1991). L'autre auteur était le Dr Richard Doll.

Entre autres critères, il faut que le lien mathématique soit fort, impossible à attribuer au hasard et se répète dans les études. Si le risque d'une maladie chez les personnes exposées à une substance est plus de deux fois celui des personnes non-exposées, et s'il est calculé sur un échantillon suffisamment grand et représentatif de l'ensemble de la population étudiée, c'est un indice.

D'autre part, s'il y a une relation entre la quantité totale de poison à laquelle a été exposée une personne et la fréquence des symptômes, et si les symptômes suivent et non pas précèdent l'empoisonnement, c'est un autre indice.

La vraisemblance de la relation de cause à effet d'un point de vue biologique a aussi son importance. Dans le cas d'un empoisonnement, il faut que la toxine incriminée puisse rejoindre l'organe affecté d'une maladie. En ce sens, si l'application d'une solution de fumée du tabac sur le dos de souris leur cause un cancer du poumon, c'est un indice de ce qui pourrait se passer si on pouvait refaire l'expérience sur des sujets humains.

Avec toutes ces précautions, l'épidémiologue Siemiatycki a estimé qu'entre 1995 et 2006, il y a 110 282 Québécois dont le cancer du poumon, le cancer du larynx, le cancer de la gorge ou l'emphysème a plus d'une chance sur deux d'avoir été causé par le tabagisme actif. (Siemiatycki a compté comme cancers de la gorge uniquement ceux frappant l'hypopharynx ou l'oropharynx.)

tableau des conclusions du professeur Siemiatycki
Les défenseurs des cigarettiers ont mobilisé plusieurs contre-experts étrangers, qui ont pondu des rapports critiquant celui du professeur Siemiatycki :  Kenneth Mundt , Laurentius Marais et Bertram Price.  Dans leur critique des rapports respectifs du Dr Alain Desjardins et du Dr Louis Guertin, les médecins Sanford Barsky et Dale Rice ont aussi émis des réserves face à l'approche de l'épidémiologue québécois.


113e jour - 13 février - Au procès que l'homme fait aux souris, les souris accusent le chat

Mercredi, Me Suzanne Côté, pour ITCL, puis Me Doug Mitchell, pour JTI-Macdonald, ont contre-interrogé le chimiste André Castonguay toute la journée et terminé l'opération commencée le 11 février (voir notre édition du 110e jour).

La partie défenderesse a cette fois fait verser du dossier de la preuve des documents émanant du gouvernement fédéral canadien qui l'incrimine. Le gouvernement n'est plus là pour se défendre, depuis novembre.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

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mardi 12 février 2013

111e jour - 11 février - Un deuxième expert médical témoigne, le Dr Louis Guertin

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Faire rendre gorge, prendre à la gorge, rire à gorge déployée, porter un soutien-gorge,  avoir un chat dans la gorge, s'aventurer dans un coupe-gorge, etc : le mot gorge a évolué au fil de l'histoire de la langue française et continue de désigner un endroit du corps dont la délimitation manque de précision.

Les médecins, qu'ils soient omnipraticiens ou spécialistes, sont habitués de s'entendre décrire les maux de leurs patients avec des mots souvent bien approximatifs, alors qu'eux ont des vocables pour les moindres détails de notre anatomie. Pour savoir de quoi il est question exactement quand nous parlons, par exemple, d'une douleur à notre gorge, ces médecins questionnent, regardent, auscultent, tâtent, radiographient, prélèvent des tissus, font ce qu'il y a à faire pour préciser le diagnostic et le traitement éventuel.

Louis Guertin
Le Dr Louis Guertin est un spécialiste des maux des oreilles, du nez ou de la gorge, autrement dit un oto-rhino-laryngologiste (ORL), et un spécialiste de la chirurgie oncologique cervico-faciale, c'est-à-dire qu'il sait enlever des tumeurs ou des excroissances dans des endroits parfois exigus et difficiles d'accès. Les seules parties de la tête et du cou où ce chirurgien n'a pas à intervenir sont les yeux, espace de l'ophtalmologue, et le cerveau, domaine du neuro-chirurgien.

Au cours des deux dernières décennies, à la clinique d'oto-rhino-laryngologie de l'hôpital Notre-Dame de Montréal, un hôpital affilié à l'Université de Montréal, le médecin et professeur de chirurgie de 50 ans n'a pas manqué d'observer la très forte proportion (80 à 90 %) de fumeurs chez ses patients atteints de tumeurs au larynx et au pharynx. (Le larynx est au sommet du conduit d'air vers les poumons, et le pharynx est au-dessus et un peu à l'arrière, au carrefour des voies aériennes et digestive.)

Ce schéma pour internautes n'a hélas pas été vu au tribunal.
Larynx ? Pharynx?  Et la gorge là-dedans? L'actuelle action en justice contre les cigarettiers canadiens a été intentée entre autres pour obtenir l'indemnisation de personnes qui sont victimes d'un cancer de la gorge et l'attribue à leur tabagisme. Or, comme le tribunal l'a appris lundi, il n'y a pas d'unanimité dans le monde médical sur ce qu'est la gorge. La larynx, comme les poumons, c'est clair. La gorge, non.


Le cancer du larynx et des VADS

Dans son rapport d'expertise, le Dr Guertin s'est attardé à parler de l'incidence du carcinome épidermoïde (CA) des voies aéro-digestives supérieures (VADS) et du larynx, à ses symptômes, à son traitement, aux dommages et inconvénients découlant de la maladie, ainsi qu'à l'association entre le tabagisme et cette maladie, sans oublier de considérer les autres facteurs de risque que le tabagisme.

Le Dr Guertin inclut dans les VADS l'hypopharynx, l'oropharynx et la cavité buccale, mais il exclut le nasopharynx, par où il ne passe normalement pas d'aliments et de boissons. De même, il ne considère pas les glandes salivaires ou la glande thyroïde, qu'on pourrait aussi situer aux environs de « la gorge », mais dont les cancers n'ont pas été associés au tabagisme par qui que ce soit.

Lundi, après un premier interrogatoire et un premier contre-interrogatoire, l'ORL clinicien et chirurgien Louis Guertin a été reconnu comme expert à ce titre par le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. (curriculum vitae mis à jour du Dr Guertin, pièce 1387.1)

Le rapport d'expertise du Dr Guertin, qui date d'octobre 2006, a été accepté sans retranchements (« sans charcutage », a dit le juge avec un sourire ironique), et le procureur des recours collectifs Michel Bélanger a aussitôt fait verser cette expertise écrite au dossier de la preuve en demande. (pièce 1387)

L'interrogatoire principal mené par Me Michel Bélanger a notamment visé à offrir à l'expert une occasion de répondre aux critiques contenues dans le rapport de contre-expertise du Dr Dale Rice, un ORL que les cigarettiers ont trouvé à l'Université de Californie du Sud (USC) à Los Angeles. (contre-expertise Rice)

Le clinicien québécois a saisi cette occasion pour parler notamment de son équipe et de l'équipement à l'hôpital Notre-Dame qui sont, selon lui, à la fine pointe du progrès, ainsi que du sort malgré tout pénible des victimes du cancer du larynx et des VADS.

Le Dr Guertin a raconté avoir eu des patients menacés d'une mort à très brève échéance et qui refusaient une chirurgie ou une chimiothérapie plutôt que de survivre en étant en partie défigurés, ou rendus aphones ou incapables d'avaler sans douleur. Ces séquelles ne se produisent pas toujours, mais les traitements en eux-mêmes sont souvent pénibles. Le Dr Guertin les a décrit éloquemment, les a fait presque sentir, et a offert une visite de la clinique aux juristes et au juge, qui n'a pas eu l'air de goûter cette proposition. Si cette invitation était un faux pas, ce fut apparemment le seul de la journée.


Contre-interrogatoire et cancer de « la gorge »

Me Jean-François Lehoux a accompli pour l'ensemble des trois cigarettiers la tâche de contre-interroger le témoin-expert du jour, avant puis de nouveau après sa qualification.

Plusieurs questions de Me Lehoux étaient sur le modèle de celles qu'il a posées la semaine dernière au pneumologue Alain Desjardins puis au chimiste André Castonguay, mais il y en avait moins.

Comme au Dr Desjardins, Me Lehoux a notamment demandé au Dr Guertin s'il avait coutume de mettre ses patients fumeurs en garde contre le tabac, et la réponse a été affirmative. Durant les traitements, les patients arrêtent de fumer, mais certains drogués de la nicotine se remettent à fumer au bout d'un an, et le médecin en a déjà vu un fumer à partir de sa trachéotomie (un trou fait dans le larynx pour redonner un meilleur débit aérien à des victimes de tumeurs à cet endroit).

Comme au professeur Castonguay, Me Lehoux a notamment demandé au Dr Guertin s'il avait adhéré à la « religion antitabac ». André Castonguay avait dit que oui, avec candeur. Louis Guertin a dit « pas encore », avec un sourire dans la voix. Mais le médecin a aussi déclaré, et avec gravité, qu'il est difficile pour un ORL de ne pas être contre l'usage du tabac. L'oto-rhino-laryngologiste montréalais s'est demandé sur quelle planète vivait son homologue Rice de Los Angeles.

Comme lorsqu'il interrogeait les experts Desjardins et Castonguay, Me Lehoux a obtenu de l'expert Guertin qu'il dise qu'il n'est pas épidémiologue. Cette fois ci, le juriste s'est cependant fait dire par le témoin que l'utilisation des études épidémiologiques est le pain quotidien des cliniciens, et que la formation des médecins fait de nos jours une place importante à l'épidémiologie.

Deux jours avaient été prévus pour la comparution de l'expert au tribunal et le juge Riordan lui a finalement donné son congé et l'a remercié, dès le début de l'après-midi le premier jour.

On peut se demander à quel point la comparution de Louis Guertin aurait été courte s'il n'y avait pas eu cette pomme de discorde qu'est le « cancer de la gorge ».

Me Lehoux a fait reconnaître au Dr Guertin que sa définition de la gorge différait de celle que le National Cancer Institute (NCI) des États-Unis sert aux patients, laquelle définition inclut le nasopharynx mais n'inclut pas la cavité buccale. Le Dr Guertin a fait remarquer à l'avocat que la définition du contre-expert de la défense, le médecin californien Dale Rice, différait elle aussi de celle du NCI que Me Lehoux a découverte.

L'exclusion de la cavité buccale des sites anatomiques couverts par une indemnisation éventuelle des « cancers de la gorge » laisserait encore environ les trois quarts des CA des VADS observés.

Il a également été question de l'abus de consommation de boissons alcoolisées comme facteur de risque relatif au CA des VADS. Il vient loin derrière le tabagisme, pris isolément (pièce 1388), et concerne un nombre beaucoup moins grand de patients, à l'hôpital Notre-Dame comme ailleurs. L'abus d'alcool et le tabagisme combinés maximisent cependant les chances d'être atteint d'un CA des VADS.


Couvrez cette gorge que je ne saurais voir (reprise)

L'un des jugement de l'honorable Brian Riordan qui avait été contesté devant la Cour d'appel du Québec et finalement endossé en décembre par cette dernière est l'objet d'une demande par Imperial Tobacco Canada d'une autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. C'est une première dans ce procès.

Dans le jugement à nouveau contesté, Brian Riordan refusait d'être la seule personne au monde à ne pas pouvoir lire un rapport préliminaire d'expertise de l'historien David Flaherty aux compagnies de tabac qui est accessible sur le site de la bibliothèque Legacy.


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lundi 11 février 2013

110e jour - 7 février - Bienvenue au procès du gouvernement du Canada, professeur Castonguay.

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Les trois principaux cigarettiers du marché canadien continuent de vouloir faire reporter sur le gouvernement fédéral canadien les blâmes que les collectifs de victimes alléguées des pratiques de l'industrie du tabac adressent à cette dernière.

Le contre-interrogatoire de jeudi du chimiste André Castonguay de l'Université Laval par Me Suzanne Côté d'Imperial Tobacco Canada (ITCL) semblait principalement motivé par cet objectif.

Ce contre-interrogatoire a duré toute la journée de jeudi et n'est pas terminé, de sorte que le professeur Castonguay, heureusement à la retraite, bien qu'on pourrait lui imaginer des occupations plus agréables, devra revenir devant le juge Brian Riordan mercredi prochain.

Les avocats de Rothmans, Benson & Hedges et de JTI-Macdonald auront également quelques questions additionnelles à poser à l'expert de la partie demanderesse. Cette dernière voudra sans doute aussi donner à son expert des occasions d'éclaircir certains points devenus obscurs.


L'accès aux archives du gouvernement fédéral canadien

Symboliquement, la journée de jeudi a commencé par l'apparition devant le tribunal de Me Nathalie Drouin, qui représente la Couronne fédérale canadienne dans d'autres affaires, et l'a représentée dans le présent procès jusqu'au jugement de la Cour d'appel du Québec qui a sorti le gouvernement d'Ottawa de son inconfortable position de défenseur en garantie.

Me Drouin venait déposer un disque compact fourmillant de renseignements, et cette livraison se voulait pour la Couronne une manière diligente de se conformer à une assignation à produire un lot d'archives gouvernementales que les procureurs des recours collectifs, grâce à l'autorité du tribunal de Brian Riordan, veulent pouvoir consulter, voire utiliser comme mine de nouvelles pièces à verser en preuve. On parle d'environ 650 000 documents et d'un total d'environ 3,4 millions de pages.

La défense des compagnies de tabac avaient déjà depuis des mois ou des années accès à cette même montagne d'archives, réalité qu'avait notamment révélée la transmission aux parties cet hiver d'un deuxième supplément très documenté au rapport d'expertise de l'historien Robert Perrins, et ce qu'a révélé encore plus éloquemment jeudi le contre-interrogatoire lui aussi très documenté du témoin-expert Castonguay par Me Suzanne Côté.

Me Nathalie Drouin est repartie vers le ministère fédéral de la Justice avec une ordonnance du juge Riordan au gouvernement du Canada de donner aux procureurs des recours collectifs un accès égal et aux mêmes conditions que l'autre partie aux archives gouvernementales en question. L'avocate de la Couronne avait trouvé toute naturelle la démarche des recours collectifs.  L'ordonnance fait en sorte que certains documents sont tout de même confidentiels, et aussi que les copies de tous les documents qui n'auront pas encore été transformées en pièces au dossier de la preuve à la fin du procès seront détruites.

Le procureur des recours collectifs André Lespérance a profité de l'occasion pour signaler que sa partie envisageait de récupérer à son compte des rapports d'expertise que le gouvernement fédéral canadien avait fait préparer pour sa défense, et dont la Couronne n'a plus besoin depuis l'arrêt de la Cour d'appel du Québec, un arrêt que l'industrie a renoncé à contester devant la Cour suprême du Canada. Les rapports d'expertise en question sont ceux du biochimiste et toxicologue Leonard Ritter, du chimiste William Farone et du pneumologue et épidémiologue David Burns. (Ces rapports d'expertise sont déjà dans la banque de données accessibles en ligne, mais ils n'ont pas encore été enregistrés au dossier de la preuve au procès.)

 
Depuis quand, depuis quand

Lors du contre-interrogatoire de jeudi, Me Suzanne Côté a plusieurs fois demandé au professeur Castonguay s'il serait abouti à telle ou telle conclusion dans son rapport (qui date de juin 2006), s'il avait eu connaissance de tel ou tel document qu'elle lui montrait, lesquels documents apparaissaient brièvement sur les écrans de la salle d'audiences.

L'expert interrogé pouvait aussi lire les documents imprimés et insérés pour lui dans de gros cahiers-anneaux posés près de la barre des témoins. À vue de nez, il y avait au moins une centaine de documents.

Puisqu'il faut, en vertu du Code de procédure civile, donner un préavis de dix jours à la partie adverse avant d'enregistrer un document au dossier de la preuve, et que la plupart desdits documents venaient juste d'entrer aussi en possession des recours collectifs, qui ne les avaient donc pas encore lu, ces documents que l'avocate d'ITCL a fait pleuvoir devant le tribunal figurent pas encore dans le dossier de la preuve.

Dans l'immédiat, leur brève exhibition sans suite a suffi pour permettre à Me Côté de poser certaines questions au témoin-expert, et d'en obtenir des réponses parfois embarrassées et souvent courtes, et d'autant plus courtes que l'avocate se disait trop pressée pour entendre des développements de la part du témoin.

D'une certaine manière, le décapant contre-interrogatoire de qualification du professeur Castonguay par Me Jean-François Lehoux mercredi avait préparé le terrain en obligeant l'expert à s'en tenir très strictement à son domaine d'expertise. Son domaine est la toxicité du tabac et non pas l'épidémiologie, une science qui permet d'évaluer le risque de maladie.

Le contexte du contre-interrogatoire de jeudi par Me Côté (préparation par Me Lehoux et pluie de nouveaux documents) permettait donc de produire une impression.

L'impression sommaire serait la suivante : l'expert aurait tourné certains coins ronds dans son rapport. Par exemple, il a qualifié de cancérigènes pour l'être humain des substances qui le sont effectivement, mais qui n'avaient pas encore été officiellement catégorisées ainsi à l'époque des faits reprochés aux cigarettiers (période de 1950 à 1998).  (rapport d'André Castonguay, pièce 1385)

Toutefois, lorsque la partie demanderesse puis le public pourront examiner tous les documents qui ont plu sur la tête de l'expert jeudi, il n'est pas exclu que ceux-ci puissent être retournés en partie contre les deux autres compagnies de tabac, voire même contre Imperial.

*

Les nitrosamines spécifiques au tabac, surnommés NNN et NNK, sont des substances dérivées de la nicotine contenue dans le tabac qui apparaissent lors de la fermentation de celui-ci. Dans le cas du tabac séché rapidement à l'air chaud (plutôt qu'à l'air libre), c'est la présence d'oxydes d'azote dans l'air réchauffé par les séchoirs qui favorisait l'apparition des deux nitrosamines.

À propos de la NNN et de la NNK, voici des bouts d'histoire qu'a attrapés au vol votre serviteur lors du contre-interrogatoire. Les voici sommairement remis en ordre chronologique.

1962 : les chimistes Druckrey et Preussmann de l'industrie publient un article scientifique où ils suggèrent la présence dans le tabac de nitrosamines spécifiques (par rapport à des nitrosamines qu'on retrouve ailleurs);
1967 : un rapport du Surgeon General suggère leur présence dans le tabac;
1975 : le biochimiste Dietrich Hoffmann de l'American Health Foundation confirme que la NNN est présente dans les cigarettes de marques américaines;
1978 : le chimiste Rickert, qui a travaillé tant pour le gouvernement du Canada que pour l'industrie, confirme la présence de la NNN dans les marques canadiennes;
1981: malgré la « controverse », ITCL parle, dans un document interne que ne connaissait pas l'expert Castonguay, de réduire la présence des nitrosamines (La controverse semble venir de ce que le tabac contient tellement de substances cancérigènes qu'on n'était pas certain que les nitrosamines qu'on ne retrouve que dans le tabac sont cancérigènes aussi.)
1999 : un projet circule à Santé Canada d'imposer une mise en garde sanitaire au sujet de la NNN et de la NNK (André Castonguay n'avait jamais vu ce document non plus.);
2001 : ITCL passe à l'action et impose un changement dans la méthode de séchage du tabac de ses fournisseurs de tabac de Virginie afin de réduire la teneur en NNN et NNK de ses mélanges; le gouvernement canadien refuse de confirmer que cette diminution de la toxicité est une diminution du risque (Encore un autre nouveau document.);
2007 : l'Agence internationale de recherche sur le cancer, qui relève de l'Organisation mondiale de la santé, conclut à la cancérogénécité (qu'elle soupçonnait depuis 1985) de la NNN et de la NNK.

Me Suzanne Côté a aussi contre-interogé le professeur André Castonguay au sujet du benzo(a)pyrène. Le procédé était le même. Il a également été question du concept de pro-cancérogénécité.

Le public de la salle d'audience a aussi pu voir des documents datés de 1964 où il est question de la teneur en goudron et en nicotine. Il s'agit d'articles de journaux où l'ancien président d'ITCL, John Keith se plaint de ce que les résultats provenant des machines à fumer ne reflètent pas la consommation réelle des fumeurs. Or, les déclarations de M. Keith faisaient suite à l'initiative qu'avait prise un concurrent de publiciser les teneurs en goudron et en nicotine.  (À cette date, est-ce que le gouvernement canadien prescrivait la moindre chose au sujet de ces teneurs ?  Ça, ce n'est pas clair du tout.)

* *

De façon générale, lors de l'ensemble du contre-interrogatoire de jeudi, le chimiste André Castonguay a systématiquement refusé de conclure qu'une réduction de la toxicité par le retrait de certaines substances toxiques du tabac, retrait qu'il considère comme justifiée dès qu'il est possible, correspond nécessairement à une réduction du risque de cancer. Essentiellement pour trois raisons. Primo, parce que la réduction de la teneur en nicotine d'un mélange, par exemple, ne se traduit pas nécessairement par la réduction de la quantité de nicotine que le fumeur cherchera et réussira effectivement à inhaler, car il y a le phénomène de la compensation. Avec la nicotine viennent les nitrosamines. Secundo, parce qu'il n'y a pas de seuil au-dessous duquel les substances cancérigènes cessent de l'être. Tertio, parce que l'épidémiologie est hors du domaine d'expertise du témoin-expert, face à Me Côté aussi bien que face à Me Lehoux.

Contrairement à l'historien Robert Proctor, le chimiste André Castonguay reconnaît aux filtres des cigarettes une capacité de filtrer une partie des matières toxiques. Par contre, il a refusé de dire si cela réduit significativement le risque d'être atteint par des maladies.

N'empêche que ce que le public raréfié de la salle d'audiences a pu sentir mercredi et jeudi, c'est la complémentarité du travail de Me Côté d'ITCL et de Me Lehoux de RBH.  Le jeu était du genre : pile, l'expert perd; face, les compagnies gagnent. À ce stade du procès, il devient difficile d'imaginer que les compagnies n'ont pas commencé à travailler en équipe. La chose n'a pas toujours paru évidente depuis mars dernier.

Jeudi, certains avocats des recours collectifs semblaient avoir hâte que leur témoin-expert soit de retour de Québec mercredi. Il est à douter que le professeur André Castonguay ait dit son dernier mot.


Cette semaine

Lundi et mardi prochains, un deuxième médecin témoignera en tant qu'expert au procès. Il s'agit du Dr Louis Guertin, qui est oto-rhino-laryngologiste. Rappelons que le recours collectif concerne aussi des victimes de cancer de la gorge et de cancer du larynx.

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jeudi 7 février 2013

109e jour - 6 février - Enfin un chimiste qui n'est pas de l'industrie

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Les grosses molécules de la chimie organique, et en particulier celles du tabac et de la fumée du tabac qui causent des cancers, André Castonguay les connaît bien. Et mercredi, l'homme de 66 ans a admis candidement être un partisan du contrôle du tabac, presque littéralement sous le nez des avocats des fabricants, qui ont vainement cherché à convaincre le juge Brian Riordan de ne pas l'admettre comme expert dans le procès.

André Castonguay au palais de
justice de Montréal (6 février)
Dans l'action en recours collectif intentée contre les trois principaux cigarettiers canadiens devant la Cour supérieure du Québec, André Castonguay est devenu mercredi le 38e témoin et le cinquième témoin-expert, mais le premier chimiste à comparaître devant le juge qui ne soit pas issu de l'industrie du tabac, une industrie où les chimistes semblent avoir trouvé un intéressant débouché professionnel, du moins dans le dernier demi-siècle.

(6 des 34 témoins de 2012 ont déclaré avoir fait des études en chimie, sans compter un autre qui était diplômé en génie chimique. Rappelons cependant que ces témoins, y compris Jeffrey Wigand, n'étaient pas appelés à la barre comme experts mais pour communiquer leur connaissance de faits survenus lors de leur passage dans l'industrie. C'est lors de la preuve en défense, après mars 2013, que la défense des cigarettiers aura l'occasion de convoquer ses experts.)

À l'Université Laval, au sein de ce qui s'appelle maintenant la Faculté de pharmacie, André Castonguay a enseigné à partir de 1985 et a pris sa retraite à l'été 2010.

Avant de revenir à Québec, où il avait réussi un baccalauréat en chimie en 1971 et un doctorat en chimie organique en 1975, M. Castonguay a fait des recherches post-doctorales à l'Université du Michigan puis à l'Université Brandeis au Massachusetts, puis a oeuvré durant environ six ans comme chercheur et directeur de recherches à l'American Health Foundation (AHF) à Valhalla dans l'État de New York. (curriculum vitae d'André Castonguay)

À l'AHF, le chimiste québécois travaillait alors aux côtés notamment du médecin et épidémiologue Ernst Wynder (1922-1999) et du biochimiste Dietrich Hoffmann (1924-2011). Ces deux hommes furent à l'avant-garde de la recherche scientifique sur les méfaits sanitaires du tabagisme. L'AHF, devenu plus tard l'Institute for Cancer Prevention, était un organisme sans but lucratif dont les recherches firent souvent autorité dans le monde.

Parmi les articles publiés par l'expert Castonguay dans des revues scientifiques avec révision par des pairs, une centaine sont reliées à l'étude de la toxicité du tabac ou de la fumée du tabac. Plusieurs de ces articles scientifiques concernent le caractère cancérogène de nitrosamines spécifiques au tabac surnommées NNN et NNK.

À une question du procureur des recours collectifs Pierre Boivin, le professeur Castonguay a expliqué que NNN et NNK apparaissent lors de la fermentation du tabac qui accompagne le séchage de la feuille. Les deux nitrosamines se retrouvent aussi dans la fumée des cigarettes, notamment dans celle des marques de cigarettes canadiennes, qu'André Castonguay a été le premier à analyser sous cet angle, suivant des tests menés à son laboratoire de l'Université Laval, grâce à des machines à fumer. (Le chimiste n'a jamais mené d'expériences avec des humains.)

Le professeur Castonguay a été appelé deux fois à témoigner comme expert en défense du gouvernement fédéral canadien dans des actions judiciaires intentées par les cigarettiers pour contester la validité constitutionnelle des lois fédérales sur le tabac de 1988 puis de 1997. Ce cycle de procès a pris fin avec le jugement unanime de juin 2007 de la Cour suprême du Canada, qui a été une cuisante défaite des cigarettiers.

Mercredi, Me Jean-François Lehoux (Rothmans, Benson & Hedges), Me Doug Mitchell (JTI-Macdonald) et Me Suzanne Côté (Imperial Tobacco Canada) ont fait de leur mieux pour obtenir la disqualification de l'expert, puis le dépeçage de son rapport d'expertise. Peine perdue. Le juge n'a imposé aucun retranchement au rapport Castonguay, mais seulement mentionné que la partie demanderesse conservait son fardeau de montrer la valeur probante de ce qui s'y trouvait.

Me Pierre Boivin a fait verser le rapport dans le dossier de la preuve sous le numéro de pièce 1385 puis a commencé l'interrogatoire principal.

Le clou de l'interrogatoire, moment peut-être magnifié par la brièveté de cet interrogatoire, a été la mise en évidence d'un désaccord entre le chimiste Ray Howie de RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald) et l'expert universitaire au sujet du risque associé à la présence de substances cancérigènes dans la fumée du tabac. Lors de sa comparution devant le juge Riordan en septembre, M. Howie avait affirmé que la présence de benzo-a-pyrène à des doses de quelques nanogrammes ou même picogrammes dans la fumée de cigarette, était sans effet. (Le benzo-a-pyrène est une substance cancérigène chez l'être humain.)

Quand Me Boivin a demandé au professeur Castonguay combien il y avait de molécules de benzo-a-pyrène dans un nanogramme, le chimiste a répondu : « des trillions ».  Or, lorsqu'on parle de cancérogénécité, et non pas de toxicité en général, il n'y a pas d'effet de seuil, a souligné le témoin-expert.

Et pour bien montrer que ce fait est connu des chimistes au moins depuis 1981, le professeur Castonguay a cité le rapport de cette année-là du directeur national de la santé publique des États-Unis (U. S. Surgeon General) qui dit qu'il n'y a pas de niveau de consommation du tabac qui mette le fumeur a l'abri du risque de cancer.

Le contre-interrogatoire du professeur Castonguay par les avocats des cigarettiers devrait prendre toute la journée de jeudi.

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mardi 5 février 2013

107e et 108e jours - 4 et 5 février - Un quatrième expert témoigne, le médecin Alain Desjardins

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Comme le rappelait le journaliste et biochimiste de formation Fernand Seguin (1922-1988), dans un texte publié à la fin des années 1970, il fut un temps, plus ou moins éloigné selon les endroits, où ce n'était pas l'activité cérébrale autonome, ni même les pulsations cardiaques, mais la respiration, qui servait aux humains à déterminer si l'un des leurs était vivant ou mort. Animal ou végétal, tout ce qui arrête de respirer meurt.

Bien avant de « rendre leur dernier souffle », nos amis fumeurs, souvent, le cherchent, ce souffle.

Alain Desjardins
Depuis plus de 22 ans, à chaque semaine de son travail clinique, au service de pneumologie de l'Hôpital Sacré-Coeur de Montréal, un hôpital affilié à l'Université de Montréal, le Dr Alain Desjardins rencontre plus d'une centaine de Québécois qui peinent à respirer, qui toussent un peu trop souvent, ou dont le mucus ou les crachats sont teintés de sang, et qui souffrent et ont peur. Souvent, ils ont été référés au pneumologue par un confrère médecin à l'urgence. Le reste du temps, la référence vient d'un médecin généraliste.

Quand on parle de l'inhalation funeste ou débilitante de fumée de cigarettes, le pneumologue clinicien connaît le tabac, après environ 130 000 consultations, dont environ 10 % pour des cas de cancer du poumon et 60 % pour des cas de maladie pulmonaire obstructive chronique. Les victimes de ces deux maladies ne sont pas tous des fumeurs actifs ou d'anciens fumeurs, mais d'après ce qu'a observé le Dr Desjardins, les fumeurs représentent au-delà de 85 % du lot.

Par des questions précises posées systématiquement aux patients en pneumologie, le Dr Desjardins est même en mesure de constater une forte relation entre la dose cumulative de fumée de tabac inhalée, mesurée par le nombre cumulatif de cigarettes consommées, et l'occurrence du cancer du poumon. Il a aussi observé les effets sanitaires de l'exposition fréquente à la fumée émanant d'un conjoint fumeur.

Dans un procès par jury, tels que ceux des actions en recours collectifs aux États-Unis, le pneumologue Desjardins aurait peut-être été l'homme pour impressionner fortement le jury à coups d'anecdotes tristes sur une montagne de drames humains, surtout quand moins de 20 % des patients diagnostiqués d'un cancer du poumon que voient Alain Desjardins sont encore en vie au bout de cinq ans. Devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec, et en l'absence d'un jury populaire dans les procès au civil au Canada, les procureurs du recours collectif des victimes québécoises de cancer du poumon, du larynx ou de la gorge ou d'emphysème n'ont pas cru le pathos utile. L'ensemble témoignage est resté technique, bien qu'éloquent.

Il a fallu à peine plus d'une vingtaine de minutes d'interrogatoire et de contre-interrogatoires de qualification (que les anglophones appellent le voir-dire) pour que le juge Riordan reconnaisse l'expertise du médecin de 52 ans comme pneumologue clinicien.

Le procureur Michel Bélanger a aussitôt fait verser dans le dossier de la preuve le rapport d'expertise du Dr Desjardins (pièce 1382), un rapport qui date de 2006, et l'interrogatoire principal a commencé. Le Dr Desjardins a choisi de témoigner en français.

(Du côté de la partie demanderesse au procès, Michel Bélanger est l'avocat avec la plus longue expérience professionnelle, si on excepte Me Gordon Kugler, et il est celui dont la présence a été la plus assidue au procès depuis mars. Mais jusqu'à présent, Me Bélanger s'était cantonné dans un rôle d'observateur attentif, silencieux et souriant. Le grand gaillard a choisi une bonne occasion de se déplier les jambes en s'amenant sur le devant de la scène lundi. Les talents de vulgarisateur de Me Bélanger, dont votre serviteur a profité plus d'une fois ces deux dernières années, ont été mis à contribution hier matin, lorsqu'il lui a fallu rafraîchir la mémoire du juge Riordan sur les montants des réclamations par victime et sur certains détails du processus d'indemnisation d'une victime dans l'éventualité où le jugement final condamnerait les cigarettiers à des réparations. Me Bélanger a une longue pratique des recours collectifs.)

Dans l'après-midi de lundi, Me Jean-François Lehoux, défenseur de Rothmans, Benson & Hedges, a mené un contre-interrogatoire, qui s'est terminé ce matin (mardi). Sitôt après, son collègue François Grondin, avocat représentant JTI-Macdonald, a pris le relais très brièvement. Imperial Tobacco s'est abstenu de participer au contre-interrogatoire. Me Bélanger et le juge Riordan ont eu quelques questions supplémentaires.

Avant 9h45 mardi, après trois quarts d'heure de comparution, le Dr Desjardins a reçu son « billet de sortie » du tribunal. Il s'était préparé à une épreuve plus longue, et a tout de suite eu l'air rajeuni.

Les parties seront de retour devant le juge demain, pour entendre le témoignage du chimiste André Castonguay de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval.


Cancer du poumon, MPOC, emphysème pulmonaire 

Lors de sa comparution, le pneumologue Desjardins a expliqué les moyens utilisés pour diagnostiquer un cancer du poumon et préciser la sorte précise : imagerie par rayons X ou par résonance magnétique, biopsies ou prélèvements de sécrétions, puis analyse. L'expert a aussi mentionné les soins prescrits : intervention chirurgicale, radiothérapie, chimiothérapie, ou, quand il n'y a plus rien d'autre à faire que d'atténuer la douleur, soins palliatifs. Tout cela se traduit pour les malades en séjours nombreux et pénibles en milieu hospitaliers.

Le médecin spécialiste a aussi précisé que les patients suivis par son service sont ceux atteints d'un cancer qui a d'abord touché le poumon (cancer primaire), et non les patients portant une tumeur au poumon résultant du cancer d'un autre organe et diffusé par le sang (cancer métastasique).  Dans ce second cas, les malades sont confiés à l'observation des hémato-oncologues.

Le cancer a semblé inspirer aux avocats et au juge une curiosité moins grande que la maladie pulmonaire obstructive chronique (MPOC).

Une partie du rapport d'expertise du Dr Desjardins et de son témoignage oral ont porté sur le lien entre le tabagisme et la MPOC, une pathologie caractérisée par la diminution du débit aérien d'un individu par rapport au maximum de ses capacités. Une personne atteinte prend plus de temps à se remplir et à se vider les poumons.

Or, ce n'est pas cette maladie qui est nommée dans la décision de février 2005 du juge Pierre Jasmin de la Cour supérieure du Québec qui a autorisé les recours collectifs contre les cigarettiers (l'autre recours collectif est celui des personnes dépendantes à la nicotine).

Dans le jugement Jasmin, il était plutôt question d'emphysème et de trois types de cancers. Idem dans la requête introductive d'instance (la demande formelle d'un procès) déposée quelques mois plus tard devant le système de justice par les cabinets juridiques Lauzon Bélanger Lespérance et De Grandpré Chait. (La requête des victimes de la dépendance à la nicotine avait été pilotée parallèlement par les cabinets Trudel & Johnston ainsi que Kugler Kandestin.)

diagramme de Venn cité dans le rapport du Dr Desjardins
L'emphysème, par comparaison avec la MPOC, consiste entre autres en une destruction graduelle des parois des alvéoles pulmonaires, qui sont le lieu même de l'entrée dans le sang de l'oxygène de l'air et de l'élimination du gaz carbonique.

Selon le rapport du Dr Desjardins, la très grande majorité des fumeurs victimes de MPOC sont atteints d'un certain type d'emphysème (le type centro-lobulaire). D'autres cas de MPOC sont causés par la bronchite chronique. Tout cela est parfois combiné à de l'asthme.

L'emphysème se manifeste notamment par une toux et une expectoration de mucus fréquentes, et sauf pour une personne dotée d'une capacité pulmonaire très au-dessus de la normale, par une diminution du débit aérien ressentie comme un essoufflement.  Les symptômes de la MPOC sont identiques. (Les zones 2 et 11 sur le schéma correspondent à un stade d'avancement de l'emphysème précédant l'obstruction graduelle des bronches.)

Chez les victimes de MPOC, la réduction du débit aérien progresse inexorablement avec les années et on peut la mesurer. Chez tous les fumeurs atteints par la MPOC, le fait de cesser de fumer ralentit cependant nettement cette détérioration des capacités respiratoires.
chronogramme reproduit dans le rapport du Dr Desjardins

Le Dr Desjardins propose d'estimer le degré d'atteinte à l'intégrité physique des fumeurs victimes d'emphysème à partir de mesures objectives utilisées pour connaître l'état d'avancement de la MPOC, la spirométrie. La spirométrie consiste en la mesure, avec l'aide d'appareils, des débits expiratoires forcés d'un sujet. Les variables essentielles sont la capacité vitale forcée, mesurée en demandant au sujet de s'emplir au maximum les poumons, et le volume expiratoire maximal dans la première seconde.

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L'interrogatoire de Me Bélanger et le contre-interrogatoire par Me Lehoux ont permis au pneumologue Desjardins d'exprimer sa perplexité face à une critique de son rapport par le contre-expert de la défense, le Dr Sanford Barsky, de Reno au Nevada.

Le Dr Barsky a fait valoir (en 2010 !) que seulement une minorité des fumeurs sont atteints par le cancer du poumon et que d'autres personnes que des fumeurs sont atteintes par ce cancer. Le Dr Desjardins a semblé tiquer sur le mot « seulement » et a dit que l'importance relative du risque du tabagisme s'appréciait en comparant l'incidence du cancer du poumon (ou de n'importe quelle autre maladie) avec celle d'un groupe de contrôle, par exemple des personnes non exposées au facteur de risque. Il a dit que les remarques du Dr Barsky trahissaient une profonde méconnaissance de l'épidémiologie.

Avec persévérance et adresse, Me Lehoux a cherché à faire confirmer par le Dr Desjardins la nécessité qu'un pneumologue ou un pathologiste se mêle du processus pour déterminer le stade d'avancement de l'emphysème ou du cancer. Ce n'est sans doute pas un hasard si des cigarettiers, avant même le début du procès public, ont présenté plus d'une requête pour obtenir une ordonnance de soumettre un gros échantillon de fumeurs ou anciens fumeurs réclamant un dédommagement à un lourd processus d'examen de biographie médicale. L'expert en pneumologie a montré beaucoup de réticence. Il a notamment soutenu qu'il est relativement rare qu'une biopsie ou un prélèvement de secrétions bronchiques par un spécialiste ne confirme pas ce qu'une interrogation du patient et une simple radiographie avaient déjà laissé soupçonner.

Me Lehoux a aussi cherché auprès du Dr Desjardins à connaître la fréquence ou la régularité des appels à cesser de fumer lancés par les médecins à leurs patients.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
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