Les grosses molécules de la chimie organique, et en particulier celles du tabac et de la fumée du tabac qui causent des cancers, André Castonguay les connaît bien. Et mercredi, l'homme de 66 ans a admis candidement être un partisan du contrôle du tabac, presque littéralement sous le nez des avocats des fabricants, qui ont vainement cherché à convaincre le juge Brian Riordan de ne pas l'admettre comme expert dans le procès.
André Castonguay au palais de justice de Montréal (6 février) |
(6 des 34 témoins de 2012 ont déclaré avoir fait des études en chimie, sans compter un autre qui était diplômé en génie chimique. Rappelons cependant que ces témoins, y compris Jeffrey Wigand, n'étaient pas appelés à la barre comme experts mais pour communiquer leur connaissance de faits survenus lors de leur passage dans l'industrie. C'est lors de la preuve en défense, après mars 2013, que la défense des cigarettiers aura l'occasion de convoquer ses experts.)
À l'Université Laval, au sein de ce qui s'appelle maintenant la Faculté de pharmacie, André Castonguay a enseigné à partir de 1985 et a pris sa retraite à l'été 2010.
Avant de revenir à Québec, où il avait réussi un baccalauréat en chimie en 1971 et un doctorat en chimie organique en 1975, M. Castonguay a fait des recherches post-doctorales à l'Université du Michigan puis à l'Université Brandeis au Massachusetts, puis a oeuvré durant environ six ans comme chercheur et directeur de recherches à l'American Health Foundation (AHF) à Valhalla dans l'État de New York. (curriculum vitae d'André Castonguay)
À l'AHF, le chimiste québécois travaillait alors aux côtés notamment du médecin et épidémiologue Ernst Wynder (1922-1999) et du biochimiste Dietrich Hoffmann (1924-2011). Ces deux hommes furent à l'avant-garde de la recherche scientifique sur les méfaits sanitaires du tabagisme. L'AHF, devenu plus tard l'Institute for Cancer Prevention, était un organisme sans but lucratif dont les recherches firent souvent autorité dans le monde.
Parmi les articles publiés par l'expert Castonguay dans des revues scientifiques avec révision par des pairs, une centaine sont reliées à l'étude de la toxicité du tabac ou de la fumée du tabac. Plusieurs de ces articles scientifiques concernent le caractère cancérogène de nitrosamines spécifiques au tabac surnommées NNN et NNK.
À une question du procureur des recours collectifs Pierre Boivin, le professeur Castonguay a expliqué que NNN et NNK apparaissent lors de la fermentation du tabac qui accompagne le séchage de la feuille. Les deux nitrosamines se retrouvent aussi dans la fumée des cigarettes, notamment dans celle des marques de cigarettes canadiennes, qu'André Castonguay a été le premier à analyser sous cet angle, suivant des tests menés à son laboratoire de l'Université Laval, grâce à des machines à fumer. (Le chimiste n'a jamais mené d'expériences avec des humains.)
Le professeur Castonguay a été appelé deux fois à témoigner comme expert en défense du gouvernement fédéral canadien dans des actions judiciaires intentées par les cigarettiers pour contester la validité constitutionnelle des lois fédérales sur le tabac de 1988 puis de 1997. Ce cycle de procès a pris fin avec le jugement unanime de juin 2007 de la Cour suprême du Canada, qui a été une cuisante défaite des cigarettiers.
Mercredi, Me Jean-François Lehoux (Rothmans, Benson & Hedges), Me Doug Mitchell (JTI-Macdonald) et Me Suzanne Côté (Imperial Tobacco Canada) ont fait de leur mieux pour obtenir la disqualification de l'expert, puis le dépeçage de son rapport d'expertise. Peine perdue. Le juge n'a imposé aucun retranchement au rapport Castonguay, mais seulement mentionné que la partie demanderesse conservait son fardeau de montrer la valeur probante de ce qui s'y trouvait.
Me Pierre Boivin a fait verser le rapport dans le dossier de la preuve sous le numéro de pièce 1385 puis a commencé l'interrogatoire principal.
Le clou de l'interrogatoire, moment peut-être magnifié par la brièveté de cet interrogatoire, a été la mise en évidence d'un désaccord entre le chimiste Ray Howie de RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald) et l'expert universitaire au sujet du risque associé à la présence de substances cancérigènes dans la fumée du tabac. Lors de sa comparution devant le juge Riordan en septembre, M. Howie avait affirmé que la présence de benzo-a-pyrène à des doses de quelques nanogrammes ou même picogrammes dans la fumée de cigarette, était sans effet. (Le benzo-a-pyrène est une substance cancérigène chez l'être humain.)
Quand Me Boivin a demandé au professeur Castonguay combien il y avait de molécules de benzo-a-pyrène dans un nanogramme, le chimiste a répondu : « des trillions ». Or, lorsqu'on parle de cancérogénécité, et non pas de toxicité en général, il n'y a pas d'effet de seuil, a souligné le témoin-expert.
Et pour bien montrer que ce fait est connu des chimistes au moins depuis 1981, le professeur Castonguay a cité le rapport de cette année-là du directeur national de la santé publique des États-Unis (U. S. Surgeon General) qui dit qu'il n'y a pas de niveau de consommation du tabac qui mette le fumeur a l'abri du risque de cancer.
Le contre-interrogatoire du professeur Castonguay par les avocats des cigarettiers devrait prendre toute la journée de jeudi.
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