lundi 18 février 2013

112e et 113e jours - 12 et 13 février - Quand les avocats parlent d'épidémiologie


Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


112e jour - La difficulté d'avoir toujours le dernier mot (épidémiologie)


La journée du mardi 12 février avait été libérée de son contenu prévu à l'origine, en conséquence de la brièveté exceptionnelle de la comparution du médecin Louis Guertin la veille.

Les avocats ont donc profité de l'occasion pour débattre du calendrier des prochaines semaines, et en particulier de celui de la semaine qui commence maintenant. Ensuite, des documents qui ont été récemment l'objet d'une décision du juge Brian Riordan ont reçu un numéro de pièce et ont été versés dans le dossier de la preuve.

Mardi, la grande pomme de discorde était la suivante : que faut-il faire avec le rapport d'expertise que les avocats des recours collectifs ont obtenu en 2009 de l'épidémiologue Jack Siemiatycki, professeur au département de médecine sociale et préventive de la Faculté de médecine de l'Université de Montréal.

Quand faire témoigner l'épidémiologue et avec quels documents ? (Car il a rédigé des annexes, en voulant répondre aux critiques des contre-experts mandatés par les cigarettiers.) (exemple d'une annexe de 97 pages pleines de tableaux) À quelles questions le professeur Siemiatycki sera-t-il autorisé à répondre en interrogatoire et de quelle façon ?

Le débat s'est interrompu sans qu'une solution émerge ce jour-là. (La solution a été arrêtée jeudi matin, 114e journée d'audition du procès.)


Facteurs de risque et causes des maladies

Le mot épidémiologie a la même racine grecque que le mot épidémie. C'est une science qui mesure l'occurrence de diverses maladies dans la population et qui tente de relier leur incidence à différentes variables, appelées facteurs de risque. Au 19e siècle, un médecin s'est demandé, par exemple, pourquoi le choléra frappe si fortement dans tel quartier de Londres et moins ailleurs ? (La réponse était : parce que tout le monde prend son eau à la même pompe sur la rue Broad et touche la même poignée contaminée.)

Avec le développement de la cybernétique dans les années 1950 et quelques inventions du troisième quart du 20e siècle (transistor, code ASCII, micro-processeur, mémoire sur disque magnétique, etc) qui allaient mettre les ordinateurs à la portée de davantage d'équipes de recherche scientifique, afin de traiter des masses de données quantitatives, la médecine, comme plusieurs autres sciences, a enfin pu profiter pleinement du développement théorique des mathématiques depuis la Renaissance (calcul des probabilités, calcul matriciel, etc).

Les chercheurs en médecine ne se sont plus contentés de déterminer les causes des maladies en faisant des observations dans un environnement contrôlé, en laboratoire. Des épidémiologues, qui ne sont pas toujours des médecins de formation, se sont installés dans toutes les facultés de médecine. Les cliniciens québécois aujourd'hui en exercice ont tous appris à lire des études épidémiologiques.

Cependant, toute cette révolution semble avoir échappé à l'attention des cadres de l'industrie du tabac, trop absorbés qu'ils étaient à administrer le boom parallèle des ventes de cigarettes, puis à prévenir le plafonnement du marché.

Des retraités de l'industrie canadienne du tabac qui ont témoigné au présent procès depuis le printemps dernier ont donné un écho à la réponse apprise par cœur par cette industrie dans les années 1950 et 1960 qui consiste à mettre en doute que le tabagisme CAUSE des maladies, et ont tenté de faire valoir que ce n'était qu'un facteur de risque, cela en faisant remarquer que les fumeurs ne deviennent pas tous affectés d'une maladie mortelle, et que certains cancers qui frappent les fumeurs frappent aussi d'autres personnes.

Cette semaine, un expert va raconter comment l'épidémiologie permet de relier des lésions ou des décès observés à leur cause, après que le Dr Desjardins et le Dr Guertin soient venus dire au tribunal de Brian Riordan que c'était en vertu d'études épidémiologiques connues des médecins qu'ils considèrent le tabagisme comme la cause de l'écrasante majorité des cas de graves dommages à l'appareil respiratoire qu'ils observent en clinique de pneunomologie ou d'oto-rhino-laryngologie.

Le professeur Siemiatycki en a lourd sur les épaules.

Pour les épidémiologues comme Jack Siemiatycki, l'observation d'une simple corrélation statistique ne suffit pas à conclure à une relation de cause à effet.

Depuis le milieu des années 1960, on utilise comme filtre méthodologique une série de critères qui ont été, triste ironie pour les cigarettiers, explicités par l'un des deux auteurs du premier article scientifique à démontrer que le tabagisme causait le cancer du poumon, le statisticien anglais Austin Bradford Hill (1897-1991). L'autre auteur était le Dr Richard Doll.

Entre autres critères, il faut que le lien mathématique soit fort, impossible à attribuer au hasard et se répète dans les études. Si le risque d'une maladie chez les personnes exposées à une substance est plus de deux fois celui des personnes non-exposées, et s'il est calculé sur un échantillon suffisamment grand et représentatif de l'ensemble de la population étudiée, c'est un indice.

D'autre part, s'il y a une relation entre la quantité totale de poison à laquelle a été exposée une personne et la fréquence des symptômes, et si les symptômes suivent et non pas précèdent l'empoisonnement, c'est un autre indice.

La vraisemblance de la relation de cause à effet d'un point de vue biologique a aussi son importance. Dans le cas d'un empoisonnement, il faut que la toxine incriminée puisse rejoindre l'organe affecté d'une maladie. En ce sens, si l'application d'une solution de fumée du tabac sur le dos de souris leur cause un cancer du poumon, c'est un indice de ce qui pourrait se passer si on pouvait refaire l'expérience sur des sujets humains.

Avec toutes ces précautions, l'épidémiologue Siemiatycki a estimé qu'entre 1995 et 2006, il y a 110 282 Québécois dont le cancer du poumon, le cancer du larynx, le cancer de la gorge ou l'emphysème a plus d'une chance sur deux d'avoir été causé par le tabagisme actif. (Siemiatycki a compté comme cancers de la gorge uniquement ceux frappant l'hypopharynx ou l'oropharynx.)

tableau des conclusions du professeur Siemiatycki
Les défenseurs des cigarettiers ont mobilisé plusieurs contre-experts étrangers, qui ont pondu des rapports critiquant celui du professeur Siemiatycki :  Kenneth Mundt , Laurentius Marais et Bertram Price.  Dans leur critique des rapports respectifs du Dr Alain Desjardins et du Dr Louis Guertin, les médecins Sanford Barsky et Dale Rice ont aussi émis des réserves face à l'approche de l'épidémiologue québécois.


113e jour - 13 février - Au procès que l'homme fait aux souris, les souris accusent le chat

Mercredi, Me Suzanne Côté, pour ITCL, puis Me Doug Mitchell, pour JTI-Macdonald, ont contre-interrogé le chimiste André Castonguay toute la journée et terminé l'opération commencée le 11 février (voir notre édition du 110e jour).

La partie défenderesse a cette fois fait verser du dossier de la preuve des documents émanant du gouvernement fédéral canadien qui l'incrimine. Le gouvernement n'est plus là pour se défendre, depuis novembre.

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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.