mardi 30 avril 2013

138e jour - Début d'une audition spéciale sur des requêtes extraordinaires des trois cigarettiers

Au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers du marché canadien, les défenseurs de ceux-ci ont tenté lundi de convaincre le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec que le procès devrait s'arrêter maintenant, parce que la partie demanderesse, qui a déclaré sa preuve close le 23 avril, n'a pas réuni de quoi faire la preuve de leur tort, et que dans le fond, le procès a été jusqu'ici une perte de temps.

Ce n'était pas la première fois que les avocats d'Imperial Tobacco Canada (ITCL), de Rothmans, Benson and Hedges (RBH) et de JTI-Macdonald (JTI-Mac) prétendaient cela depuis février 2005 et notamment ces derniers cinq mois devant le juge Riordan. C'est pour cela qu'il fallait fixer un rendez-vous spécial pour vider la question. Le rendez-vous est arrivé.

Il existe dans la loi québécoise une disposition que les défenseurs des compagnies de tabac invoquent pour faire se prononcer le juge Riordan sur la question maintenant.

Article 54.1 du Code de procédure civile (CPC): 
54.1. Les tribunaux peuvent à tout moment, sur demande et même d'office après avoir entendu les parties sur le point, déclarer qu'une demande en justice ou un autre acte de procédure est abusif et prononcer une sanction contre la partie qui agit de manière abusive.
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire, ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.
Ironiquement, toute la section dont fait partie cet article de loi maintenant invoquée contre des recours collectifs a été insérée en 2009 par le législateur québécois dans le CPC afin notamment de prévenir les poursuites-baillons par de gros intérêts financiers contre les auteurs de recherches scientifiques, de livres ou d'articles de presse qui leur déplaisent. Les anglophones d'Amérique du Nord appellent ces actions judiciaires abusives des Strategic Lawsuit Against Public Participation ou SLAPP. Le préambule de ladite section du CPC se lit ainsi
La présente section a été insérée par l'article 2 du chapitre 12 des lois de 2009 (Loi modifiant le Code de procédure civile pour prévenir l'utilisation abusive des tribunaux et favoriser le respect de la liberté d'expression et la participation des citoyens aux débats publics). Le préambule de cette loi se lit ainsi
CONSIDÉRANT l'importance de favoriser le respect de la liberté d'expression consacrée dans la Charte des droits et libertés de la personne;
CONSIDÉRANT l'importance de prévenir l'utilisation abusive des tribunaux, notamment pour empêcher qu'ils ne soient utilisés pour limiter le droit des citoyens de participer à des débats publics;
CONSIDÉRANT l'importance de favoriser l'accès à la justice pour tous les citoyens et de veiller à favoriser un meilleur équilibre dans les forces économiques des parties à une action en justice;». 


Trop tard

Dans la requête d'ITCL, qu'a plaidé Me Suzanne Côté, il est fait état du concept de prescription, qui existe tant dans le Code civil du Québec que dans la tradition juridique du common law.

Grosso modo, selon la lecture qu'ITCL fait du Code civil, lorsque les cabinets juridiques Lauzon Bélanger Lespérance et De Grandpré Chait ont déposé le 18 novembre 1998 leur demande d'autorisation d'un recours collectif contre les trois cigarettiers au nom des personnes victimes d'une des quatre maladies nommées (cancer du poumon, emphysème, cancer du larynx, cancer de la gorge), il n'aurait pas fallu que cela couvre les personnes qui ont reçu leur diagnostic avant le 18 novembre 1995, soit trois ans plus tôt. Pour ces personnes atteintes de ces maladies, c'était trop tard, elles n'avaient qu'à présenter leurs réclamations plus tôt.

Il faut croire qu'il n'est pas trop tard, presque 15 ans après le début des procédures, pour servir un tel argument limitatif.

Quant aux personnes qui attribuent aux pratiques de l'industrie cigarettière leur dépendance à la nicotine, elles auraient perdu leur droit de réclamer une compensation si elles ne l'ont pas fait avant le 30 septembre 1994, soit quatre ans avant que les cabinets juridiques Trudel & Johnston et Kugler Kandestin demandent une autorisation de recours collectif pour ces personnes. Autant dire que ce recours était caduc avant de commencer.

Et pourquoi ? Parce qu'a partir de 1993, il y a eu sur les paquets de cigarettes des mises en garde de Santé Canada contre le risque de dépendance.

Me Côté a aussi fait valoir, transcription judiciaire à l'appui, que Mme Cécilia Létourneau, qui est la représentante du collectif des personnes dépendantes, a explicitement annoncé en 1997, après son passage en Cour du Québec au palais de justice de Rimouski, son intention de ne plus poursuivre l'industrie. La dame ne serait donc plus habilitée à représenter les fumeurs accrochés à la nicotine.

Et le recours collectif serait invalidé du même coup, a demandé, en substance, le juge Riordan ? L'avocate a répondu par l'affirmative.


La faute des fumeurs

En appui de la requête de RBH, qui recoupe en partie celle d'ITCL, l'avocat Simon Potter a martelé de différentes façons que la preuve de méfaits dus à la consommation des produits des compagnies intimées était insuffisante, notamment parce que les demandeurs n'ont produit aucun témoignage de victimes, ce que la défense sera obligée de faire, alors que cela ne devrait pas être sa tâche.

Me Potter a mentionné le cas de M. Jean-Yves Blais, le fumeur décédé du cancer du poumon en 2012 dont le nom figure dans le nom officiel de la cause des personnes dont la maladie est attribuée au tabagisme. L'avocat de RBH a fait valoir que le silence des avocats du recours collectif ne permettait même pas de savoir si M. Blais, quand il a commencé à fumer en 1954, l'avait fait avec des cigarettes roulées à la main (ou avec des cigarettes prêtes-à-fumer) et si c'était le résultat des pratiques de l'industrie.

Me Potter a plus ou moins décrit M. Blais comme la victime de sa propre faiblesse, puisqu'il n'a pas tenu compte des mises en garde apposées sur les paquets par l'industrie à partir de 1972, qu'il n'a pas suivi le conseil d'arrêter de fumer reçu de son médecin en 1987, qu'il en est venu à consommer deux paquets par jour, tout cela en une époque où des gens arrêtaient de fumer.

L'avocat considère que la poursuite contre son client et l'industrie est fondée sur l'idée que les fumeurs sont incapables d'exercer leur liberté (de fumer ou de ne pas fumer).

Me Potter a semblé vouloir ridiculiser les allégations à l'appui de l'autre recours collectif qui parle de la perte d'estime de soi qui affecte les personnes dépendantes à la nicotine conscientes de l'être. L'avocat a fait valoir que si ces personnes peuvent réclamer collectivement une réparation, les mangeurs de chocolat et les buveurs de café doivent aussi avoir ce droit. Et de même pour les personnes qui tentent de perdre du poids.

Encore plus qu'à l'idée d'un dédommagement compensatoire pour les victimes, - celles qui passeraient à travers un examen détaillé de leur biographie et de leurs erreurs de jeunesse -,  l'avocat de RBH s'oppose à l'idée d'un dommage punitif, c'est-à-dire à une sorte d'amende, qui serait imposé aux cigarettiers (et versé dans un fonds de lutte contre le tabagisme et non aux victimes). Me Potter laisse entendre que les gouvernements n'ont pas cessé de vouloir que du tabac soit vendu.

(Ce matin, avant que la partie demanderesse prenne la parole, Me Suzanne Côté, en réponse à une question du juge lundi, est brièvement venu apporter de l'eau au moulin de cette thèse en signalant que la la Loi sur le recouvrement du coût des soins de santé et des dommages-intérêts liés au tabac de juin 2009 et la requête introductive d'instance de la poursuite lancée contre l'industrie par le gouvernement du Québec en juin 2012 ne contenaient aucune disposition pénale.)


Peut-être pas de rapport avec les pratiques de l'industrie

La requête de JTI-Mac n'y va pas de main morte. La compagnie voudrait que le jugement Jasmin lui-même, le jugement qui a autorisé en février 2005 les recours collectifs et un procès, soit annulé.

Parlant le troisième et pour le compte de JTI-Mac, Me Guy Pratte a notamment insisté sur l'absence de lien certain entre les agissements des compagnies et les dommages subis par les plaignants. L'avocat a notamment invoqué la faiblesse de la preuve épidémiologique introduite lors du procès actuel.

Me Pratte suggère au juge Riordan que les recours collectifs soient suspendus et remplacés par des recours individuels. Une telle « solution » a déjà été adoptée en Floride. (voir à ce sujet le blogue du professeur de droit Byron Stier).

*

Le débat se poursuit aujourd'hui avec le point de vue de la partie demanderesse, dont les avocats ont écouté avec le plus grand sérieux les arguments des défendeurs de l'industrie.

Imperial a aussi deux autres requêtes spéciales à plaider, dont une concernant la politique de retention (destruction) de documents d'ITCL souvent discutée dans le présent procès.

mercredi 24 avril 2013

137e jour - LE RIDEAU TOMBE SUR LE PREMIER ACTE - 23 AVRIL

Au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers canadiens par des collectifs de personnes dépendantes à la nicotine ou atteintes de graves maladies, les avocats des demandeurs ont fini mardi de livrer leur preuve. Le 137e jour d'audition a été une demi-journée sans fanfare ni trompette.

Un dernier témoin de faits était prévu à l'horaire, l'ancien chef de la direction d'Imperial Tobacco Jean-Louis Mercier, enfin de retour de sa retraite hivernale en Floride, et les documents qu'on devait examiner avec lui ont finalement été versés comme pièces au dossier de la preuve sans sa présence, avec l'accord des avocats de la compagnie. Les pièces en question sont des procès-verbaux de réunions de comités du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC).

La relecture des témoignages précédents de M. Mercier devant le juge Riordan pourrait avoir incité la défense à ne pas courir après les dangers d'un interrogatoire et à se montrer aussi pratique que la défense des deux autres compagnies.

Il restait par ailleurs encore des documents déjà enregistrés dans la preuve mais qui étaient affublés d'une cote R, pour « sous réserve », et qui seront maintenant aussi publics que les autres pièces parce que les vérifications nécessaires à leur admission ont été accomplies. Les documents en question sont notamment des études de marché.

Toute cette première partie du menu de la journée, méthodiquement servie par Me Gabrielle Gagné, a été vite avalée et digérée.

La matinée aurait pu être plus courte et observée plus complètement, si ce n'était d'un certain document qu'Imperial Tobacco Canada (ITCL) a voulu protéger des regards du public en invoquant le secret professionnel de l'avocat. Pour discuter librement du cas, le huis clos a été réclamé par les avocats de la compagnie, et le juge Riordan, pour une troisième fois en treize mois, a fait sortir de la salle d'audiences la poignée d'observateurs qui s'y trouvaient.

Il restait une formalité à accomplir en cette journée, celle de la proclamation de la fin de la présentation de la preuve, un moment qui n'a aucune raison d'être soumis à un huis clos. Elle a hélas été accomplie sans que personne ne vienne redonner au public l'accès à la salle d'audience. Il faudra lire comment cela se passe dans la transcription officielle de la journée du 23 avril, quand elle sera disponible.

Les avocats des recours collectifs sont sortis de la salle et se sont engouffrés dans les ascenseurs sans avoir perdu les sourires qu'ils avaient au début de la journée. Il est vraisemblable que le juge Riordan a rendu une décision favorable au versement du document litigieux dans le dossier des pièces au dossier de la preuve.

Et voilà. Rideau.

À partir de maintenant, ce pourrait être aux compagnies de tabac de présenter leur preuve en défense, mais les défenseurs ne sont pas prêts à commencer avant la mi-mai. Elles n'ont pas fourni mardi de nouveau calendrier comprimé de leur preuve en défense, comme le juge l'avait espéré le 11 avril.

Le prochain rendez-vous devant le tribunal aura lieu le matin du 29 avril, alors que les parties débattront, peut-être durant deux jours, d'une requête extraordinaire des cigarettiers qui visent à rien de moins qu'à dessaisir le juge d'une partie de la matière sur laquelle il avait été jusqu'ici entendu qu'il allait se prononcer un bon jour, à la toute fin.

Il y a désormais au moins 2957 pièces dans ce que les avocats appellent la preuve, et 46 personnes ont livré un témoignage oral. « Au moins », parce que les pièces enregistrées au dossier de la preuve ne sont pas encore toutes dans la banque de pièces accessibles en ligne. 


Ce qui était connu avant les portes soient closes

Sans avoir besoin d'écouter à travers les fentes des portes, et en se basant exclusivement sur ce qui a été discuté publiquement dans la salle d'audience à un moment ou un autre durant les 137 jours du procès, on peut dire que le document litigieux
  • a un lien avec la pièce 34, où se trouve expliquée en long et en large la position d'ITCL en 1998 sur différents sujets, notamment sur les conséquences sanitaires du tabagisme;
  • a un lien avec le témoignage oral qui était attendu de la part du chimiste Stewart Massey, un ancien cadre d'ITCL, et qu'il ne rendra pas maintenant qu'il est mort (mort le 4 avril dernier).

*

Il est bien pratique que le Service d'information sur les procès du tabac soit composé de deux blogueurs. Un petit accident ridicule a mis votre serviteur dans l'impossibilité de rester dans la salle d'audience plus que quelques minutes mardi matin. Vous devez à Cynthia Callard, la rédactrice-éditrice d'Eye on the trials, de connaître maintenant l'essentiel de ce qui s'est passé mardi.

Depuis treize mois, les seules fois, rares, où votre serviteur était dans la salle d'audience sans Cynthia ou son remplaçant Michael DeRosenroll, la transcription officielle de l'audition était disponible le lendemain et permettait à notre homologue anglophone, au besoin, de confirmer l'exactitude des notes prises ou du récit déjà publié par le rédacteur-éditeur de Lumière sur les procès du tabac. Ce n'est pas le cas cette fois-ci. La transcription n'est pas encore disponible (petit commentaire rédigé jeudi matin à 8h20.)



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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.












mardi 23 avril 2013

Les avocats des recours collectifs vont conclure leur preuve aujourd'hui

Même si deux recours collectifs et non un seul sont à l'origine du procès dont vous suivez ici les rebondissements depuis treize mois, les avocats des quatre cabinets juridiques associés aux réclamations faites au nom des victimes du tabagisme ont tous les jours donné au public de la salle d'audience l'impression qu'ils forment une seule et même petite équipe très soudée.

C'en est au point où on est forcé de conclure que ce n'est pas seulement pour la façade, puisqu'il serait difficile de jouer la comédie si bien si longtemps.

Les avocats des recours collectifs en mai 2012

(La photo de groupe ci-dessus, avec sept des avocats à l'extérieur du palais de justice de Montréal, a été prise en mai 2012 par M. Andrew Cleland. Votre serviteur y a juxtaposé en médaillon une image de Me Gordon Kugler.)

À l'aube de la 137e journée du procès et dernière journée de la preuve des demandeurs, l'auteur du blogue s'autorise un petit coup d’œil sur les coéquipiers en question.


1 Bélanger

Formé comme notaire autant que comme avocat, Michel Bélanger a étudié à l'Université d'Ottawa et a été admis au Barreau du Québec en 1988. Il a alors fondé l'étude Lauzon Bélanger avec Me Yves Lauzon, l'un des pionniers canadiens des recours collectifs, une procédure possible au Québec depuis des amendements en 1978 au Code de procédure civile.

Me Bélanger détient aussi un diplôme d'études supérieures spécialisées en droit de l'environnement et de l'aménagement du territoire de l'Université Robert Schuman, à Strasbourg, en France.

Non seulement ce juriste enseigne ce domaine du droit dans plusieurs universités québécoises, mais il est aussi le président du conseil d'administration de Nature Québec, un organisme sans but lucratif fondé en 1981 et voué à la conservation de la nature, au maintien des écosystèmes essentiels à la vie et à l’utilisation durable des ressources. (Nature Québec a été connu de 1983 à 2005 sous le nom d'Union québécoise pour la conservation de la nature.)

Ironie du sort, Me Bélanger et ses coéquipiers plaident une affaire dont sont exclues toutes les questions relatives à la « fumée de tabac dans l'environnement », c'est-à-dire au tabagisme involontairement subi par des millions de non-fumeurs, et ses conséquences.

Pour les besoins de la preuve devant le juge Riordan, Me Bélanger s'était réservé la tâche d'interroger les experts médicaux Alain Desjardins et Louis Guertin. Autrement, il a régulièrement rédigé un résumé de la journée d'audition au bénéfice de l'équipe des demandeurs, un rôle discret qui fait que son nom est apparu moins souvent que d'autres dans les compte-rendus de ce blogue. Bélanger était cependant présent très tôt dans le recours collectif organisé par le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS), soit le recours des victimes de quatre maladies du thorax et de la « gorge » attribuées au tabagisme.


2 Lespérance

Formé en droit à l'Université du Québec à Montréal et admis au Barreau du Québec en 1983, André Lespérance a débuté sa carrière comme avocat à la Banque du Canada avant de se joindre au bureau du Procureur général du Canada où il a œuvré pendant près de 20 ans.

Me Lespérance détient également une maîtrise en sciences économiques de l’Université de Montréal (1987). C'est en 2008 qu'il a ajouté son savoir-faire et son nom à ceux de l'étude Lauzon Bélanger.

Quand votre serviteur, alors journaliste principal de la revue Info-tabac, avait interrogé Michel Bélanger au printemps 2011, celui-ci avait dit de son associé Lespérance qu'il a tout lu ce qui allait être enregistré au dossier de la preuve lors du procès et davantage, sur le sujet des activités des cigarettiers. Après treize mois de procès, il est tentant de penser que Lespérance a aussi tout retenu.

C'est André Lespérance qui, pour le recours collectif des victimes de maladies attribuées au tabagisme, a prononcé le réquisitoire inaugural au procès le 12 mars 2012. Dans les interrogatoires qu'il mène, il a le style de l'étudiant à la curiosité insatiable déçu d'arriver au bout de la connaissance de son interlocuteur, un style qui, mine de rien, peut être très fertile en réponses éclairantes.


3 Beauchemin

Associé au gros cabinet juridique De Grandpré Chait, Marc Beauchemin est le seul avocat sur le tableau de groupe ci-dessus qui ne porte pas de toge (à part Me Kugler en médaillon) et ce n'est pas sans doute pas par hasard.

Dès avant le début du procès en tant que tel, Me Beauchemin a plaidé pour les besoins des deux recours collectifs, mais seulement devant des juges de la Cour d'appel du Québec, un tribunal où les magistrats n'entendent pas de témoin mais seulement des avocats, et où les cigarettiers semblent faire tout leur possible pour amener l'affaire présidée par le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. (Quand il n'y a pas de témoin qui comparaît, les avocats sont en tenue de ville.) Jusqu'à présent, Me Beauchemin a eu nettement plus de succès que les avocats des cigarettiers.

Hiver 2005, après le jugement Jasmin
Sur la photo ci-contre (prise par Denis Côté de la revue Info-tabac), on reconnaît les avocats Bélanger, Lauzon et Beauchemin, que le directeur général du CQTS Mario Bujold présente à la presse, au moment de l'annonce que la Cour supérieure venait d'autoriser les deux recours collectifs contre les cigarettiers canadiens, en février 2005. (lien vers l'article d'Info-tabac (page 14) )


4 Johnston

Le réquisitoire inaugural des avocats du recours collectif des personnes dépendantes de la nicotine a été prononcé en mars 2012 par Me Bruce W. Johnston (W pour Walter, au cas où vous auriez l'idée de confondre ce Bruce Johnston québécois, marathonien à ses heures, avec un des vénérables membres des célèbres Beach Boys de la Californie).

De tous les avocats de la partie demanderesse, Bruce Johnston semble l'un des deux plus redoutables dans un interrogatoire en langue anglaise, du fait de sa capacité d'improvisation, et celui qui, lorsqu'il intervient dans un débat, peut vous sortir un adjectif à quatre syllables à l'égal d'un Simon Potter ou d'un Doug Mitchell du côté de la défense des cigarettiers, et avec le même effet divertissant, un effet qu'il ne boude pas.

En novembre dernier, lors de la comparution du témoin Robert Proctor, expert en histoire de la cigarette appelé à la barre par les recours collectifs, et que plusieurs avocats canadiens-anglais et américains, de même que des reporters de la grande presse du Québec, étaient venus observer au palais de justice de Montréal, Johnston a eu avec l'historien une « conversation » aussi entraînante qu'éreintante pour la réputation des compagnies de tabac intimées.

L'aisance de Johnston en anglais ne l'empêche pas d'être aussi l'un des plus prompts à se plaindre de l'usage parcimonieux du français que fait la défense d'Imperial Tobacco Canada, ou bien, par exemple, à expliquer à un témoin étranger l'absence de caractère religieux dans les serments prêtés devant un tribunal au Québec.

De l'Université McGill, où il a étudié le droit civil et la common law, Bruce Johnston est aussi sorti avec un diplôme en histoire.


5 Trudel

Johnston et Philippe H. Trudel (H pour Hubert), qui ont fondé le cabinet Trudel & Johnston en 1998, ont tous deux été admis au Barreau du Québec en 1993. Ils leur est arrivé d'amener leurs causes jusque devant la Cour suprême du Canada. Les deux hommes ont souvent prononcé des conférences sur le sujet des recours collectifs.

Philippe Trudel est diplômé en sciences politiques de l'Université Laval, la doyenne des universités francophones d'Amérique, et a fait son droit à l'Université de Montréal.

Quand il plaide une requête ou argumente sur une objection, cet avocat montre une grande habileté à montrer l'absurde d'un raisonnement de ses adversaires. Face à certains témoins de l'industrie, on a aussi vu Me Trudel, à force d'insistance courtoise, obtenir parfois des aveux dévastateurs.

Cécilia Létourneau en 2005
(une autre photo de Denis Côté)
Dans le recours en justice des personnes que le tabagisme a rendu dépendantes à la nicotine, collectif dont Mme Cécilia est la première membre et le fer de lance, deux avocats du cabinet Kugler Kandestin se sont joints à Me Trudel et à Me Johnston.


6 Boivin

C'est aussi de la Faculté de droit de l'Université de Montréal que provient Pierre Boivin, qui a par la suite obtenu une maîtrise en droit du King's College de l'Université de Londres (1988), puis a été admis au Barreau du Québec en 1989.

Me Boivin est associé à l'étude Kugler Kandestin, un cabinet fondé en 1926 et qui ne compte qu'une quinzaine de professionnels, tous à Montréal, mais dont la réputation de plaideurs, notamment en matière de recours collectifs, s'étend depuis longtemps jusqu'en Colombie-Britannique, selon nos sources.

Boivin, c'est notamment le juriste des petites remarques pleines de gros bon sens paysan, mais aussi le procureur notamment chargé de mener à bien l'interrogatoire de plusieurs chimistes (Porter, Cohen, Castonguay), au bénéfice d'un juge dont ce n'est pas la tasse de thé. Il semble qu'on compte aussi sur Me Boivin pour réunir et préparer la documentation utile au calcul par un juricomptable de la capacité des compagnies de tabac à verser des dommages punitifs à un fonds de lutte contre le tabagisme, si la cause des victimes du tabac triomphe finalement.


7 Kugler

L'associé émérite de Pierre Boivin, Gordon Kugler, a fait moins d'apparitions dans la salle 17.09 depuis treize mois que les sept autres avocats de la partie demanderesse. Mais quand il participe à la partie visible de la bataille, Me Kugler peut être d'une efficacité magistrale.

Est-ce parce que Gordon Kugler, admis au Barreau du Québec en 1967 (après des études en économique et en science politique puis en droit), est le doyen de tous les juristes au procès et parle d'expérience, ou parce qu'il est grand, mince et droit comme un cierge, parle peu, s'assoit tranquillement quand un adversaire soulève une objection substantielle durant un de ses interrogatoires, puis se redresse et pose lentement, d'une voix de contrebasse, des questions qui paraissent avoir été très minutieusement préparées et dont il ne s'écarte pas sans prendre bien son temps ?

Peut-être tout cela et d'autres choses encore. En tout cas, même le juge Riordan, qui excelle à taquiner finement les avocats, n'a pas su tirer davantage de Me Kugler que des sourires d'homme modeste et réservé, d'un homme pourtant professeur d'université à ses heures et praticien hautement coté par ses pairs.

Contrairement aux cadres de l'industrie qui se sont trouvés face à Me Kugler et ont peut-être rêvé qu'il ait déjà pris sa retraite, le public de la salle a pu savourer, lors de l'interrogatoire du témoin John Barnett de Rothmans, Benson & Hedges le 19 novembre, l'aplomb de l'avocat dans sa réplique à une objection à ce moment-là plutôt tactique du plus expérimenté des rhéteurs de la partie défenderesse.

Me Potter: Est-ce que la question est « Pourquoi ils sont appelés des bâtons » ou « Pourquoi ils ne sont pas appelés autrement » ?
Me Kugler: Les deux.
Me Potter : Bien, demandez une des deux.
Me Kugler: Merci. Je vais demander les deux.


8 Gagné

La seule personne dans l'équipe des recours collectifs qui peut se vanter d'avoir été autant de jours dans la salle d'audiences que le juge lui-même est Me Gabrielle Gagné.

Stagiaire chez Lauzon Bélanger Lespérance en 2011, après un baccalauréat au Québec et une maîtrise en droit international qui l'ont fait séjourner en Italie, Gabrielle Gagné a été admise au Barreau du Québec en janvier 2012, quelques semaines avant le début du procès.

Depuis lors, Me Gagné semble être devenue aux yeux du juge, comme Me Nathalie Grand'Pierre d'Imperial et Me Catherine McKenzie de JTI-Macdonald, la référence sûre quand il a temporairement besoin d'une guide dans le volumineux dossier de la preuve, ou besoin de vérifier l'exécution de telle ou telle procédure. Quand l'une de ces trois avocates a parlé, les hommes se taisent ou opinent en silence, et ce silence est un hommage presque quotidien à l'honnêteté, à l'exactitude et à la diligence des trois avocates.

Parmi les juristes qui ont procédé depuis treize mois à l'interrogatoire ou au contre-interrogatoire d'un témoin, Me Gagné est la plus jeune. Les interrogatoires en 2012 de l'ancien marketeur de RBH Ron Bulmer et de l'ingénieur d'ITC Wolfgang Hirtle n'ont cependant pas été les seuls moments où l'avocate a fait enregistrer des documents au dossier de la preuve. Plusieurs centaines de pièces sont au dossier et accessibles en ligne sur le site des recours collectifs, grâce à l'esprit classificateur et à la patience de Gabrielle Gagné.



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Quelques remarques qui valent pour les juristes des deux camps

Premièrement, ce que le public peut voir et entendre lors des journées d'auditions du procès, et dont votre serviteur rapporte des bribes aux lecteurs de ce blogue, ce n'est qu'une partie du travail des avocats, la partie immergée de l'iceberg.

Ce que le public de la salle d'audience peut constater, c'est que seulement quelques avocats, dont c'est le rôle et le tour, parlent. Les autres passent la journée à écouter le témoin, ou le juge, ou les quelques avocats dont c'est le rôle de parler. En même temps qu'ils écoutent, ou quand personne ne parle, les avocats, assez souvent, lisent ou relisent les documents auxquels l'interrogatoire ou le processus d'enregistrement au dossier fait référence.

Dans tous les cas, il faut être capable de se concentrer et de le rester plusieurs heures.

Dans ce procès, il n'y a rarement moins d'une douzaine d'hommes et de femmes de loi dans la salle, et on entend jamais un murmure.  L'ambiance est plus studieuse que dans toutes les bibliothèques publiques que vous avez connues au Québec, et le silence n'est brisé que par l'interrogatoire, ou la plaidoirie.

Bref, cela se passe exactement comme cela doit se passer, à la cour présidé par Brian Riordan.


Deuxièmement, ce que le public de la salle ne peut pas voir ni entendre, on peut quand même l'imaginer, avec un minimum d'expérience du travail intellectuel ou de la vie : en dehors des jours où le tribunal siège, les avocats lisent, ils lisent beaucoup, ils écrivent, et ils ont des réunions pour échanger leurs vues et convenir de stratégies et de tactiques.


Troisièmement, dans un procès comme celui dont ce blogue relate les événements, le travail des avocats est un travail d'équipe qui s'assimile à celui d'un orchestre. Certains, généralement les plus expérimentés, ont le rôle du premier violon ou du soliste. Toutefois, si un de ces avocats qui restent silencieux dans la salle d'audience, ou un autre que vous n'avez pas vu au tribunal depuis quelques semaines, arrivait mal préparé, ou avait mal renseigné son groupe, il risquerait de ne pas suivre le rythme, ou de provoquer une fausse note.

vendredi 19 avril 2013

Un témoignage pictural du temps où la commandite d'événements fleurissait au Québec




Pour ceux qui auraient oublié cette époque de l'histoire canadienne, aux lendemains du référendum d'octobre 1995 sur l'indépendance politique du Québec, référendum gagné d'extrême justesse par les partisans de son maintien dans le royaume canadien, les manuels d'histoire sont là pour mentionner la soudaine multiplication des drapeaux unifoliés dans le paysage québécois, puis le scandale causé par la découverte que cette campagne de « commandites » d'événements par le gouvernement d'Ottawa servait aussi à financer illégalement le Parti libéral du Canada.

On peut cependant se demander si les manuels d'histoire générale accorderont autant d'importance qu'il le mérite au phénomène parallèle des commandites d'événements par les cigarettiers du marché canadien, qui ont proliféré à la même époque, avant de disparaître progressivement entre 2000 et 2003, sous l'empire de lois adoptées en 1998 par l'Assemblée nationale du Québec et par le Parlement du Canada.

Certes, l'invention de la publicité du tabac est bien antérieure aux panneaux-réclames et autres dispositifs associant une marque de tabac à un événement commandité par un cigarettier, mais il est difficile d'imaginer qu'un tel déploiement publicitaire soit resté sans effet, et il est naturel de s'être demandé ce que cherchaient les vendeurs des marques DuMaurier et Player's (Imperial Tobacco Canada), Craven A, Benson & Hedges et Belvedere (Rothmans, Benson & Hedges), et Export A (JTI-Macdonald).

Scène du Festival de jazz Du Maurier, juillet 1998
pièce 1513.6, photo de Denis Côté

Avant la dénormalisation du tabac

Grâce à toute une collection de photos récemment versée par les avocats des recours collectifs au dossier de la preuve au procès qu'il préside, le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec peut ou pourra avoir un aperçu de l'effort des cigarettiers pour rester dans la conscience des Québécois, s'il lui était arrivé de ne jamais se mêler, durant la deuxième moitié des années 1990, aux foules des festivals, spectacles et compétitions de tous genres, voire de monter dans un autobus, ou de ne pas avoir gardé une vive mémoire de tout cela.

À la même époque, les cigarettiers contestaient devant la justice la constitutionnalité de la législation fédérale qui restreignait la publicité de leurs produits et de leurs marques.

C'est à Denis Côté que les procureurs des victimes de dépendance à la nicotine et de maladies attribuées au tabagisme doivent l'enrichissement pictural de leur preuve concernant les commandites des cigarettiers.

Quelques paragraphes plus bas, il sera question de cet exceptionnel témoin de notre époque, mais disons tout de suite qu'il n'y a pas eu de comparution de M. Côté à la barre des témoins. 

Vous pourrez aussi jeter un coup d’œil sur ses photos, et les grossir en cliquant dessus.


Bouclage de la preuve des recours collectifs

Dans procès des trois principaux cigarettiers du marché canadien, les défenseurs de ces derniers n’ont pas cessé de déplorer depuis mai 2012 que des documents aient pu être versés dans le dossier de la preuve en demande sans que le juge ait entendu un témoin en parler, et cela parce que les auteurs ou les destinataires de ces documents sont tous morts, ou parce qu’il serait déraisonnable de convoquer des vieillards, un par un, chacun pour un seul document, peut-être deux, afin de finalement s’entendre dire très peu de choses éclairantes, vraisemblablement.

Le juge Brian Riordan a passé beaucoup de temps à juger de l’admissibilité en preuve de plusieurs de ces documents, dont la valeur probante reste à établir, de l'avis même des demandeurs aussi bien que du juge, et cette valeur probante ne sera peut-être que marginale, en fin de compte.

Dans le cas des documents photographiques produits par Denis Côté, la défense des cigarettiers n’a pas exigé la témoignage oral de l’auteur, qui est pourtant dans la cinquantaine et bien vivant. L'authenticité de ses photos n'a pas été mise en doute.  Les procureurs des recours collectifs ont pu procéder par une déclaration sous serment de M. Côté (pièce 1500.1), pour sauver un peu de temps, plutôt que de procéder par un interrogatoire et des contre-interrogatoires devant le juge.

L’effet secondaire d’un tel procédé accéléré est que le juge n’a peut-être pas encore ouvert les fichiers contenant des preuves incontestables d’une activité publicitaire des cigarettiers au Québec, en dehors des magazines et souvent sous les yeux de tout le monde, durant une partie de la période couverte par la poursuite.

Voici maintenant la suite de notre petit échantillon de la sélection de photos de Denis Côté que les avocats des victimes du tabagisme ont fait aboutir comme pièces au dossier de la preuve au procès des cigarettiers.

Il faut noter que ces annonces ne portent aucune mise en garde sanitaire. Ce ne sont pas légalement des annonces d'un produit, et assister à des feux d'artifice en famille en plein air, cela ne donne pas le cancer... 


Des marques de cigarettes plein la vue

Annonce des feux d'artifice Benson & Hedges
photo de juin 1998, pièce 1508.4

Le Festival Craven A Juste pour rire ,
photos prises en juillet 1996 et  mai 1997
pièce 1510.3 et 1510.1


annonce sur un autobus pour l'Omnium de tennis Du Maurier
photo prise en décembre 1997, pièce 1514.5

annonce dans un autobus pour un concert de rock Belvedere
photo prise en mars 1996, pièce 1509.1


annonces de trois marques et étalages au point de vente
photo en juillet 1998, pièce 1510.13

Événement au mont Ste-Anne associé à Export A
photo prise à Montréal en avril 1997, pièce 1517.1

photo prise à Montréal de l'annonce d'un événement
à 6h30 de route de là (Wasaga Beach), août 1998
pièce 1517.13

 
Les Arts Du Maurier et l'équipe de course automobile Player's
photo prise en juin 1998, pièce 1511.3

Denis Côté, témoin d'une époque

Avant le fonder en 1994 l'organisme sans but lucratif Info-tabac (aujourd'hui Montréal sans fumée), puis de lancer en 1996 la revue Info-tabac, qu'il a piloté jusqu'à l'automne 2012, M. Côté avait fondé et dirigé le magazine Tennis Mag de 1987 à 1992.

Comme l'auteur du blogue l'a compris en travaillant durant quatre ans auprès de l'éditeur-fondateur d'Info-tabac, ce dernier n'a jamais pu se faire docilement à l'idée que des compagnies de tabac puissent s'associer impunément à des événements sportifs. Côté sait la fascination que le sport exerce sur la jeunesse et sur le petit peuple, dont il ne s'est jamais séparé et à qui va sa première loyauté.

Ceux qui veulent savoir de quel bois s'est parfois chauffé ce photographe et journaliste socialement engagé peuvent le relire dans ses mots, parlant en 1997 du tennis organisé par le tabac.

Dans le dossier des pièces au dossier de la preuve, on ne trouve pas exclusivement des photos relatives à la commandite d'événements. En voici une qui montre l'évolution du paquet de Du Maurier, et qui montre des cigarettes en tant que telles.  L'annonce est flanquée d'une mise en garde, dans ce cas-ci, mais une mise en garde exclusivement écrite, comme avant janvier 2001.

mars 1996, pièce 1512.1

Et en voici une dernière, avec la blonde Écossaise qui a longtemps figuré sur les paquets d'Export A.

(séries de pièces numérotées 1515.1 à 1515.4 ainsi que 1516.1 à 1516.5)

avril 1997, pièce 1516.5



Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


annonces associant les marques Benson & Hedges, Belvedere et Craven A (de Rothmans, Benson & Hedges) à des feux d'artifice à Montréal et à Québec, des tournées de concerts de rock et au Festival Juste pour rire:
1508.11508.21508.41508.51509.1, 1509.21509.31509.41509.51509.61510.11510.21510.31510.41510.51510.61510.71510.81510.91510.101510.111510.121510.131510.141510.151510.161510.171510.181510.191510.201510.21


annonces associant les marques DuMaurier et Player's (d'Imperial Tobacco Canada) au Festival de jazz de Montréal, au Grand Prix du Canada et à un tournoi international de tennis qui a changé plusieurs fois de nom (C'est maintenant la Coupe Rogers.):
1511.11511.21511.31511.41511.51512.11512.31512.41513.21513.31513.41513.51513.61513.71513.81514.11514.21514.31514.41514.51514.61514.7


annonces associant la marque Export A (de JTI-Macdonald) à des événements sportifs (motocross, motomarine, vélo de montagne, et autres « Sports Extrêmes » « Va jusqu'au bout »):
1517.11517.21517.31517.41517.51517.61517.71517.81517.91517.101517.121517.131517.14


Les marques nommées dans le présent article ne sont pas les seules marques de RBH, ITCL et JTI-Mac qui ont été associées à des commandites d'événements.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm

2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.





samedi 13 avril 2013

136e jour - Un usage qui serait excessif du système judiciaire, selon le juge Riordan.

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.


L'honorable Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a déclaré jeudi en fin d'après-midi que les compagnies de tabac feraient un usage excessif des ressources de la Cour (an excessive use of Court resources) en faisant s'étirer leur procès sur 304 jours additionnels au cours des deux prochaines années et demie.

Le magistrat a affirmé que c'est un grave problème à ses yeux d'administrateur du système de justice québécois.

Brian Riordan, J.C.S.
Après examen du calendrier des comparutions de témoins envisagé par les défenseurs des cigarettiers, calendrier qui a été dévoilé mardi (et le tribunal n'a pas siégé mercredi), le juge Riordan a prévenu jeudi qu'il songeait sérieusement à restreindre le temps où il est disposé à entendre les compagnies en défense.

Après 136 jours d'auditions utilisés par les avocats des recours collectifs pour bâtir leur preuve du tort causé par les cigarettiers, le juge a estimé que pour les défendeurs, « ... 25 % plus de temps que ce que les demandeurs ont pris ... serait suffisant, plus que suffisant pour défendre leur cause d'une manière raisonnable et efficace ». (traduction de l'auteur du blogue) (Cela donnerait 175 jours s'ajoutant à 140 jours, dans les calculs du juge.)

(Les procureurs des recours collectifs ont annoncé la clôture prochaine de leur preuve au terme d'un 137e et dernier jour d'audition à venir le 23 avril. Les 137 jours incluent près de trois jours accordés en avance à la défense de JTI-Macdonald avec le témoignage de Peter Gage les 5, 6 et 7 septembre, cela à cause du grand âge du témoin.)

Le juge Brian Riordan croit pouvoir appuyer sur les articles 4.1, 10 et 1045 du Code de procédure civile une décision de sa part sur le calendrier du procès. Il continue cependant d'espérer ne rien devoir imposer.

S'adressant aux défendeurs des cigarettiers, le magistrat a conclu que « si quelqu'un peut revenir (le 23 avril) avec une meilleure idée et une façon plus efficace de procéder, je serais ravi de l'entendre  ».

La semaine prochaine, le tribunal ne siège pas, car les compagnies ne seront pas prêtes à commencer leur longue preuve en défense.

Alors que votre naïf serviteur imaginait que la séance de jeudi, étant donné l'heure qu'il était, allait se clore sur l'intervention du juge et le silence pensif des avocats, Me Simon Potter, défenseur de Rothmans, Benson & Hedges (RBH), a tenu à faire valoir que la longueur de la preuve en défense était la conséquence de l'autorisation accordée (par le juge Jasmin en 2005) aux avocats des recours collectifs de faire le procès des pratiques de l'industrie sur une période d'un demi-siècle (1950-1998), et de l'autorisation (par le juge Riordan en 2012) de faire entrer dans le dossier de la preuve des documents provenant des États-Unis.

Le juge Riordan n'a cependant pas semblé vouloir laisser le dernier mot à l'audacieux avocat ou prendre de blâme. Le magistrat s'est plutôt demandé à haute voix ce que les défendeurs comptaient poser comme questions à des victimes alléguées des pratiques de l'industrie du tabac en prenant 60 jours pour en interroger 50, alors qu'il lui semble qu'on pourrait en interroger quatre par jour.

Le juge a aussi noté qu'un premier projet sommaire de calendrier examiné en janvier dernier prévoyait encore 21 témoins à interroger en rapport avec le rôle du gouvernement fédéral canadien (dans les agissements des cigarettiers), et qu'il y en a maintenant 38...

Tout cela dit sur le ton d'un homme qui serait convaincu que les cigarettiers ne font pas exprès pour enliser le procès qu'il préside.


LA REDÉFINITION DES GROUPES

Les avocats des recours collectifs ont senti le besoin de préciser la définition des groupes ou collectifs de victimes alléguées des pratiques de l'industrie du tabac pour la faire concorder avec la preuve, et notamment la preuve d'experts, qu'ils ont présentée au tribunal.

Ils ont donc déposé la semaine dernière une requête en ce sens, qui a été débattue jeudi.

La définition des groupes? Cela nous impose un retour sur le passé. 

1) Quelques dates

C'est le 30 septembre 1998 que le cabinet Trudel et Johnston a signifié son intention de lancer un recours collectif des personnes dépendantes à la nicotine, dont Mme Cécilia Létourneau. (Pour se remémorer la savoureuse préhistoire du cas Létourneau, qui remonte à 1997, on peut relire les trois premiers paragraphes de notre édition relative au 26e jour du procès.)

Le Conseil québécois sur le tabac et la santé (CQTS) songeait de son côté à s'attaquer à l'industrie du tabac. Le cabinet Lauzon Bélanger Lespérance a signifié le 18 novembre 1998 son intention de lancer un recours collectif au nom du CQTS et de victimes de certaines maladies attribuées au tabagisme, des victimes telles que M. Jean-Yves Blais (qui est décédé du cancer du poumon à l'été 2012). Les quatre maladies étaient le cancer du poumon, l'emphysème, le cancer du larynx et le cancer de la gorge.

Dans son jugement du 21 février 2005, qui a autorisé les deux recours collectifs et un procès commun contre les trois mêmes compagnies de tabac intimées, le juge Pierre Jasmin de la Cour supérieure du Québec a défini le groupe Létourneau et le groupe CQTS-Blais. (jugement Jasmin du 21 février 2005)

Deux de ces trois dates reviennent constamment dans les tableaux de la prochaine section.

2) Modifications réclamées au juge

Le débat de jeudi se référait à différentes versions de propositions de la partie demanderesse qui n'étaient pas toutes sous les yeux des blogueurs ou qui ne sont apparus que partiellement sur les écrans de la salle d'audience.

La transcription officielle du 136e jour d'audition fournit plusieurs bribes de références textuelles qui sont surgies au milieu d'un long échange difficile à suivre entre les avocats des deux parties et avec le juge. Toutefois, elle ne permet pas à elle seule de reconstituer avec certitude la proposition finale soumise à la réflexion du juge.

Dans les tableaux ci-dessous, le contenu de la colonne de droite correspond donc à ce que les blogueurs ont entendu ou vu, et compris. Le contenu de la colonne de gauche est du « copié-collé » du jugement Jasmin.

Les lecteurs doivent être prévenus que la version finale au propre des avocats pourrait être un peu différente.




recours collectif Létourneau

 groupe ou collectif tel que
défini par le juge Jasmin

nouvelle définition envisagée jeudi


Toutes les personnes résidant au Québec qui, au moment de la signification de la requête, étaient dépendantes de la nicotine contenue dans les cigarettes fabriquées par les défenderesses et le sont demeurées ainsi que les héritiers légaux des personnes qui étaient comprises dans le groupe lors de la signification de la requête mais qui sont décédées par la suite sans avoir préalablement cessé de fumer.



Le groupe est composé de toutes les personnes résidant au Québec dépendantes de la nicotine contenue dans les cigarettes fabriquées par les défenderesses et qui doivent satisfaire à trois (3) critères :
1)  elles ont commencé à fumer les cigarettes fabriquées par les défenderesses, avant le 30 septembre 1994;
2)  elles fumaient de façon quotidienne les cigarettes fabriquées par les défenderesses, au 30 septembre 1998;
3)  et elles fumaient toujours les cigarettes fabriquées par les défenderesses en date du 21 février 2005.

Le groupe inclut aussi les héritiers légaux des personnes décédées entre le 30 septembre 1998 et le 21 février 2005, si elles fumaient au moment de leur décès et satisfont aux critères 1 et 2 décrits ci-haut.





recours collectif CQTS-Blais

groupe ou collectif tel que
défini par le juge Jasmin

nouvelle définition envisagée jeudi


Toutes les personnes résidant au Québec, qui au moment de la signification de la requête souffraient d'un cancer du poumon, du larynx, de la gorge ou d'emphysème, ou qui depuis la signification de la requête ont développé un cancer du poumon, du larynx, de la gorge ou ont souffert d'emphysème après avoir inhalé directement de la fumée de cigarettes, avoir fumé un minimum de quinze cigarettes par période de vingt-quatre (24) heures pendant une période prolongée et ininterrompue d'au moins cinq (5) ans et les ayants droit de toute personne qui rencontrait les exigences ci-haut mentionnées et qui serait décédée depuis la signification de la requête.





Le groupe est composé de toutes les personnes résidant au Québec qui satisfont  à deux (2) critères :

1)   avoir fumé un minimum cinq (5) paquets-année de cigarettes fabriquées par les défenderesses, c’est-à-dire toute combinaison du nombre de cigarettes fumées par jour multiplié par le nombre de jours de consommation, dans la mesure où le total est supérieur à 36 500 cigarettes

par exemple :

5 paquets-année =  20 cigarettes par jour durant 5 ans ( 20 x 5 x 365 = 36 500 ), ou

5 paquets-année =  25 cigarettes par jour durant 4 ans ( 25 x 4 x 365 = 36 500 ), ou

5 paquets-année =  10 cigarettes par jour durant 10 ans ( 10 x 10 x 365 = 36 500 ), ou

5 paquets-année =  50 cigarettes par jour durant 2 ans ( 50 x 2 x 365 = 36 500 )


et qui

2)   le 18 novembre 1998, souffraient, ou ont développé avant la date du (date du jugement final futur du juge Riordan),

a)     un cancer du poumon, ou
b)     un cancer (carcinome épidermoïde) de la gorge, à savoir du larynx, de l’hypopharynx, de l’oropharynx ou de la cavité orale, ou
c)     de l’emphysème.

Le groupe comprend également les héritiers et ayants droits des personnes décédés entre le 30 septembre 1998 et le 21 février 2005, si elles fumaient au moment de leur décès et répondaient aux critères 1 et 2.



3) Pas question de changer

Dans le célèbre monologue d'Hamlet (acte 3, scène 1), le jeune prince de Danemark remarque que l'on préfère « supporter les maux que nous avons par peur de nous lancer dans ceux que nous ne connaissons pas ». C'est peut-être ce qui a inspiré RBH, JTI-Macdonald et Imperial dans leur position conservatrice et attentiste, concernant la définition des groupes.

Il faut souligner que le juge Riordan a souvent exprimé depuis des mois son désir de voir précisés et éclaircis les critères de l'inclusion ou non d'un fumeur (ou un ancien fumeur) dans un groupe.

Depuis le temps que les avocats des cigarettiers, et en particulier le vétéran Potter, se plaignent du jugement Jasmin, on pouvait théoriquement envisager qu'ils saisissent l'occasion offerte par le débat sur la requête des recours collectifs. Ils auraient proposé eux aussi des balises, qui pourraient être très restrictives tout en étant compréhensibles par le commun des mortels et administrables par le juge.

Grosso modo, on pourrait dire que Me Simon Potter (RBH) a présenté comme injuste la révision proposée des définitions, alors que Me François Grondin (JTI-Mac) s'était préparé à la présenter comme pratiquement interdite à ce stade-ci, au vu de la jurisprudence. Imperial, une fois n'est pas coutume, s'est reposé un moment de batailler.

Le juge a tenté de faire penser aux avocats de l'industrie qu'une date postérieure à 2005 pour la qualification des victimes de maladies pourrait protéger leurs clients contre des poursuites futures par des victimes exclues du simple fait de cette date de clôture.

Peine perdue.

Si l'honorable Brian Riordan décidait de donner raison aux cigarettiers dans son jugement final, ces derniers ne trouveraient-ils pas avantage à l'inclusion d'un maximum de fumeurs dans les groupes ?


4) Pommes de discorde

Dans la délimitation de ce qu'est la gorge, un terme anatomiquement vague, Me Michel Bélanger et ses associés proposent d'inclure la cavité orale, en plus du larynx, de l'hypopharynx et de l'oropharynx.

Les avocats du recours collectif semblent suivre en cela la recommandation du médecin Louis Guertin, un expert en oto-rhino-laryngologie dans le procès actuel. (son rapport d'expertise, pièce 1387)

Lors de sa comparution le 11 février dernier, le Dr Guertin a estimé qu'environ le quart des carcinomes épidermoïdes de l'ensemble formé par le larynx et les voies aéro-digestives supérieures surviennent dans la cavité orale. (voir notre édition relative au 111e jour).
Ce schéma pour internautes n'a hélas pas été vu au tribunal.





Cette appartenance de la cavité buccale à ce qui pourrait être considéré comme la gorge ne fait pas l'unanimité chez les médecins, et avait donc peu de chances de rallier les avocats des cigarettiers, qui cherchent naturellement à maximiser les exclusions.

Au surplus, l'épidémiologue Jack Siemiatycki a témoigné en février qu'il ne l'avait pas incluse dans son estimation la plus prudente possible du nombre de cas de « cancer de la gorge » attribuables au tabagisme (son rapport d'expertise, pièce 1426.1).

Jeudi, le juge Riordan a confessé qu'il n'avait pas remarqué cette différence entre les deux experts des recours collectifs dans le traitement de l'enjeu.

L'autre grande question que devra trancher le juge Riordan est la suivante: que faire avec les personnes dépendantes à la nicotine du tabac qui ont arrêté de fumer durant une certaine période de temps ou plusieurs fois ? Faut-il les exclure des bénéficiaires potentiels des indemnités ?

Pour Me Deborah Glendinning d'Imperial, il faut s'en tenir à la définition du juge Jasmin, qui se traduirait selon elle par une exclusion automatique.

Pour Me Philippe Trudel, les tentatives d'abstinence et les rechutes sont une réalité de la dépendance bien expliquée par le Dr Juan Negrete lors de son témoignage en mars dernier. Me Trudel et ses associés proposent d'utiliser le test de Fagerström pour savoir si une personne est dépendante et donc éligible pour un dédommagement.



* *

Prochains rendez-vous

Lors de leur prochain rendez-vous devant le juge, le 23 avril, les parties interrogeront, et éventuellement contre-interrogeront, l'ancien chef de la direction d'Imperial dans les années 1980, Jean-Louis Mercier.

M. Mercier est déjà comparu deux fois au tribunal de Brian Riordan, mais ses lumières sont de nouveau requises concernant certains documents.

Après cela les avocats des recours collectifs déclareront officiellement close leur preuve.

Les 29 et le 30, les parties débattront de la fameuse et mystérieuse requête en non-lieu (Appellation provisoire.) des compagnies de tabac, laquelle devrait être connue le 18 avril.

Ce blogue ne fera cependant pas relâche jusqu'au commencement de la preuve en défense des cigarettiers à la mi-mai. Des éditions spéciales sont prévues. Il se peut aussi que d'autres tribunaux « produisent des nouvelles » relatives à des « procès du tabac ».



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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.