mercredi 30 mai 2012

33e jour - 29 mai - Une industrie méfiante de sa propre science



Mesures de l'effet mutagène
de la fumée de six marques
 canadiennes de cigarettes
Le diagramme ci-joint, qui provient d'une recherche menée chez Imperial Tobacco à Montréal, représente la relation entre la quantité d'une substance, ici de la fumée de tabac, quantité mesurée en microgrammes sur l'axe horizontal, et le nombre observé de colonies d'un mutant d'un microbe, ici le microbe de la salmonellose, dont l'abondance des mutations est mesurée sur l'axe vertical.

Bref, plus on expose le microbe à la fumée du tabac, plus on a de cellules mutantes.  (On notera au passage qu'il n'y a pas de différence significative entre la fumée d'une Player's Light d'Imperial, d'une Export A de JTI-Macdonald, ou d'une Mark 10 de Rothmans, Benson & Hedges.)

Qui dit cellules mutantes ne dit pas forcément cellules cancéreuses, mais des résultats de ce genre, disponibles depuis plus de 30 ans dans l'industrie, ne devaient-ils pas allumer une lumière rouge clignotante et sonner l'alarme dans les consciences, au sein de n'importe quelle direction d'entreprise responsable ?

Dans une compagnie comme Imperial Tobacco à Montréal, l'audition d'hier en Cour supérieure du Québec montre qu'il y avait du personnel avec une formation scientifique et des ressources matérielles pour produire de belles et utiles connaissances (Quelques exemples : pièce 357pièce 360), mais personne qui était chargé de diffuser cette connaissance en dehors de cercles restreints de savants du tabac.

Après 33 jours de procès, se trouve ainsi complétée et renforcée l'impression qu'il n'y avait, chez ITCL du moins, aucun dirigeant pour s'intéresser à la recherche scientifique, aussitôt que la connaissance qui en résulte pouvait fournir la moindre idée des méfaits de l'usage du tabac sur les organismes vivants, en particulier des êtres humains.

Le témoignage d'un chimiste de l'industrie

Pourvu d'un doctorat en chimie, Andrew Porter a travaillé dans la recherche chez Imperial à Montréal, de 1977 à 2005.  Il travaille encore comme consultant pour l'industrie.

Il a été interrogé hier par le procureur Pierre Boivin, dont c'était le tour, dans l'équipe d'avocats des recours collectifs, de passer du banc des écrans au front des cahiers-anneaux, et de l'étude silencieuse et stratégique des dossiers à un rôle plus sonore et plus tactique en station verticale.

En examinant avec le chimiste Porter des organigrammes des équipes de recherche au sein de British American Tobacco (BAT), puis plusieurs procès-verbaux de réunions de chercheurs de BAT et de ses filiales, Me Boivin a montré que les ressources humaines et matérielles à la maison-mère étaient encore plus considérables que chez ITCL, et que l'information circulait entre les spécialistes du groupe BAT, y compris dans la filiale canadienne.

Le tribunal aura peut-être aussi noté que le personnel scientifique d'ITCL savait aussi ce qui avait été découvert chez les « concurrents » de BAT, comme R. J. Reynolds (alors propriétaire américain de Macdonald au Canada), ou comme Rothmans.  Contrairement au marketing, la chimie ne semble pas connaître de frontières.

Même s'il n'est pas docteur en médecine, Andrew Porter n'a pas cherché à jouer l'ignorant devant la Cour : le témoin savait que les nitrosamines, que l'on trouve naturellement dans la feuille de tabac et surtout dans la fumée du tabac, ne sont pas seulement des substances mutagènes, mais des substances cancérogènes.

En utilisant, par exemple, des méthodes de séchage des feuilles de tabac qui en défavorisent la fermentation spontanée, on peut diminuer la quantité de nitrosamines, mais pas l'éliminer, a expliqué M. Porter à Me Boivin.

Par divers traitements du mélange de tabac, avec de l'éthanol par exemple, on peut diminuer fortement la teneur de sa fumée en différentes substances toxiques, a fait valoir le chimiste, mais on aboutit finalement à un produit sans saveur, invendable.

Le procureur Boivin a voulu savoir si Andrew Porter avait entendu parler d'un changement de la politique de retention/destruction de documents chez Imperial.  (Cette politique qui s'est traduit par l'expédition de 2000 documents vers l'Angleterre et par la destruction de centaines de rapports de recherche scientifique.)  Le chimiste a répondu à Me Boivin qu'il en avait demandé la raison à ses supérieurs, Stewart Massey et Patrick Dunn, et qu'il n'avait pas compris leurs explications.

Me Boivin a insisté pour savoir si la peur de poursuites judiciaires faisaient partie des motifs.  Le témoin Porter a déclaré que cela faisait partie des motifs invoqués par Stewart Massey.

Le témoignage d'Andrew Porter continue aujourd'hui (mercredi).

Le fédéral confiné au rôle de spectateur

Au début de la matinée, avant qu'Andrew Porter ne comparaisse, Me Maurice Régnier, pour le compte du gouvernement du Canada, avait tenté de faire témoigner M. Murray Kaiserman, aujourd'hui retraité, et qui a été durant plusieurs années un des piliers des programmes de lutte contre le tabagisme à Santé Canada.

Le juge Riordan n'a pas voulu entendre le témoignage de faits de Murray Kaiserman, qui reviendra cependant comme témoin expert dans le procès, vraisemblablement à l'automne.