vendredi 20 avril 2012

18e et 19e jours - 18-19 avril - Oublis et dérapages

Avec un ancien vice-président au marketing comme Anthony Kalhok, les avocats ont notamment cherché des lumières sur les perceptions des fumeurs.  Avec un conseiller juridique en chef comme Roger Ackman, le sujet de la rétention/élimination de documents était un incontournable.

En Jean-Louis Mercier, qui fut pendant environ 14 ans le président de la plus grande entreprise de cigarettes au Canada, le tribunal et le public s’attendaient peut-être à entendre les réponses d’un homme animé d’un minimum de curiosité intellectuelle, ou qui le fut au plus fort de sa carrière.

Par moment, comme jeudi après-midi, quand il a commencé à parler de cigarette par exemple, Jean-Louis Mercier a donné l’impression de s’être intéressé au sujet.  Mercier n’en a oublié ni la confection, ni le goût.  (Mercredi, il s’est vanté de fumer encore, à bientôt 78 ans.)

L'ancien président d’Imperial Tobacco a nommé les grandes familles de cigarettes : la turque, l’américaine et la virginienne.  Il a parlé du tabac séché à l’air très chaud dans des hauts séchoirs, méthode utilisée pour le tabac qui aboutit dans toutes les cigarettes vendues au Canada.  Un tabac sans additif, a glissé M. Mercier au passage.

Parlant de la ventilation d’une cigarette, le témoin a expliqué qu’elle se fait par le papier et par des petits trous dans le filtre.  Il a dit que la nicotine est gazeuse quand elle est chauffée et que c’est l’air aspiré qui la dilue, alors que l’apport en goudron et en particules fines est diminué par le filtre, mais pas trop, « sinon vous tirez de l’air ».

Comme la veille, toute la salle écoutait avec attention, y compris le procureur des recours collectifs Philippe Trudel.

Mais quand ce dernier a demandé au témoin, entre autres, si on peut augmenter l’impact de la nicotine avec des additifs, l’ancien président a dit qu’il ne sait pas.

Au fil des journées de mercredi et de jeudi, Me Trudel a montré plusieurs documents que l’ancien président a reçus, ce que M. Mercier ne met pas en doute, mais le témoin ne se souvient pas de leur contenu.   (pièces 191, 192, 193, 194, 195 au dossier de la preuve)

Les documents de British American Tobacco parlaient, entre autres, de nouvelles cigarettes avec des perforations dans le filtre, des trous que 40 % des fumeurs bouchaient, plus ou moins consciemment.  Il était amplement question du phénomène de la compensation, objet de plusieurs questions hier. 

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Hier matin, l’ancien président d’Imperial Tobacco ne pouvait pas non plus se souvenir que ses avocats considéraient comme une « victoire majeure » qu’un juge ait décidé en 1989 que l’industrie du tabac n’avait pas d’obligation de partager avec le gouvernement ses documents scientifiques.pièce 70

C’est à peine s’il se souvenait qu’Imperial Tobacco était allé devant les tribunaux pour contester l’interdiction de la publicité du tabac prévu par la Loi réglementant les produits du tabac de 1988.  Une affaire qui n’était pas finie quand Jean-Louis Mercier a pris sa retraite en 1993.
Dans l’après-midi, Me Trudel a examiné avec Jean-Louis Mercier le compte-rendu d’une rencontre, à Rio en 1983, des présidents des filiales du groupe British American Tobacco.  Le témoin se souvenait d’avoir été à Rio, comme il se souvenait mercredi d’avoir aimé séjourner en Autriche pour une autre réunion de ce genre.

Citant un bout du compte-rendu, Me Trudel a demandé en quoi les mises en garde sanitaires peuvent être perçues comme une menace par les présidents des compagnies.  L’ancien président d’Imperial Tobacco s’est mis à parler du coût de la réimpression des paquets, à distinguer du coût minime d’avertissements sur les annonces.

Quand Mercier réfléchissait à l'avenir

En matinée, le procureur des recours collectifs a introduit en preuve un long document de réflexion produit en 1987 par le président de l’entreprise, Jean-Louis Mercier, et son « président du marketing», Wilmot Tennyson :  Some thoughts on Smoking and Health, Social Acceptance, Social Cost and Environmental Tobacco Smoke.  (pièce 187)

Le texte se voulait une analyse des perspectives de l’industrie du tabac en face du changement des mentalités concernant les méfaits sanitaires du tabagisme et l’acceptabilité sociale du produit.

Parmi les perles, on peut noter celle-ci (traduction de l’auteur du blogue) : « Le tabagisme est un sérieux risque pour la santé; c’est un fait accepté et il n’y a plus de possibilité de réfutation.  Les gouvernements en sont convaincus, les fumeurs le concèdent, les non-fumeurs sont indignés, les actionnaires et le personnel sont confondus ».

Le texte marqué comme « strictement personnel et confidentiel », n’était destiné qu’à deux autres lecteurs, soit Paul Paré et Purdy Crawford, alors les deux plus hauts dirigeants du holding Imasco, qui possédait 100 % d’Imperial Tobacco (et était contrôlé par British American Tobacco).

Lorsque le procureur Philippe Trudel a cherché à savoir si Imperial avait à l’époque le moindre doute que le tabagisme tuait à l’époque 32 000 Canadiens par année, Jean-Louis Mercier a répondu que si le gouvernement pouvait prouver scientifiquement que le produit tuait, cela aurait été une bonne raison de l’interdire.

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Les audiences du procès en recours collectifs des cigarettiers canadiens reprendront le lundi 30 avril devant la Cour supérieure du Québec.

Entre temps, ce blogue s’intéressera à ce qui se passe concernant ce procès, mais du côté de la Cour d’appel du Québec.