mercredi 15 janvier 2014

198e jour - Insatisfactions au pays de la satisfaction

(PCr)

Comme le chanteur Mick Jagger et l'ancien  premier ministre du Québec Jacques Parizeau, Peter J. Hoult a jadis fréquenté la London School of Economics. Le premier, qui n'a jamais fini ses études, a hurlé sa difficulté de trouver la « satisfaction » dans une célébrissime chanson des Rolling Stones et a fait fortune dans l'industrie culturelle. Le second, devenu économiste, voit le Québec rester une province du royaume canadien, quand il rêvait d'en faire une république souveraine au nord du 45e parallèle en Amérique du Nord. Le troisième s'est intéressé à la satisfaction du consommateur au point de devenir un dirigeant de compagnie de tabac et de connaître certains succès ...et certaines frustrations.

annonce de 1981
Au terme de ses quatre années comme vice-président au marketing de RJR-Macdonald, en 1983, M. Hoult croyait avoir mis en place des mesures propices à une stabilisation de la part de l'entreprise sur le marché canadien de la cigarette. Quand il est revenu diriger la compagnie à l'hiver 1987, la part de marché de RJR-Mac était plus petite que jamais, et le volume des ventes au Canada de toute l'industrie n'augmentait plus que par la croissance de la population totale, car la prévalence avait entamé un déclin qui allait s'avérer irrémédiable (bien qu'en dents de scie).

Pourtant, d'après ce que Peter Hoult a raconté mardi lors de son interrogatoire par Me Doug Mitchell, défenseur de ce qui s'appelle maintenant JTI-Macdonald, toute son énergie a bientôt dû être canalisée vers un autre champ de bataille, car un nouvel ennemi s'était réveillé: le gouvernement d'Ottawa.

Il est heureux que feu Bill Neville, le lobbyiste en chef du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac à l'époque, toujours si bien informé des intentions gouvernementales, et qui a témoigné devant le juge Brian Riordan en juin 2012, n'ait pas entendu Peter Hoult raconter à quel point il avait été surpris, choqué, quand le ministre fédéral de la Santé Jake Epp (1984-1988) a mis fin à la tradition de dialogue avec les cigarettiers inaugurée par son prédécesseur Marc Lalonde (1972-1977) et décidé de contrôler l'industrie du tabac par voie législative. À l'époque, le chef de la direction de RJR-Macdonald a compris que le gouvernement conservateur agissait pour ne pas laisser l'initiative législatrice à une députée du deuxième parti de l'Opposition.

Avec les autres dirigeants de compagnie de tabac et conseillé par la maison-mère R. J. Reynolds, Peter Hoult est monté aux barricades. La bataille devant l'opinion publique et les députés pour faire modifier ou rejeter le projet de loi C-51 du ministre Epp a échoué. La Loi réglementant les produits du tabac, adoptée en 1988 par des députés de tous les partis, a interdit toute publicité de ces produits. C'est alors que l'industrie a entamé une bataille judiciaire, au motif que cette interdiction brimait la liberté d'expression reconnue comme une liberté fondamentale dans la constitution canadienne.


Complaisantes croyances

La publicité, le témoin Peter Hoult lui prête une influence à la fois forte et curieusement limitée.

Pour M. Hoult, la publicité est la clef du repartage du marché et c'était une occasion pour RJR-Macdonald de reprendre du terrain pris par Imperial Tobacco. (C'était aussi une occasion pour ce concurrent d'en gagner encore, mais le témoin ne l'a pas dit.)

Les plafonds de dépenses publicitaires que s'imposaient les grands cigarettiers canadiens en vertu de leur code d'autoréglementation embarrassaient déjà Peter Hoult. Ce qu'il a perçu comme un manque de combativité d'Imperial Tobacco contre les projets de loi anti-publicitaires de 1987, le chef de RJR-Mac est allé jusqu'à l'attribuer à la position dominante de ce concurrent sur le marché. (Hélas, M. Hoult est parti en 1988 continuer sa carrière aux États-Unis avant d'avoir constaté à quel point Imperial tenait à continuer de faire de la publicité.)

Mais quant à la possibilité d'au moins freiner le déclin tendanciel du tabagisme grâce à l'effet banalisant du tabac par l'ensemble de la publicité, Peter Hoult a donné l'impression de ne pas y croire.

annonce de 1985
Lors d'un contre-interrogatoire de l'ancien marketeur, le procureur des recours collectifs André Lespérance a montré qu'on pouvait transmettre un message publicitaire à une très forte proportion d'une population donnée, par exemple les adolescents, même avec un média dont l'auditoire ne compte qu'une minorité de personnes de cette catégorie.

Dans le monde enchanté du témoin Hoult, tel qu'il est apparu au fil de ses réponses aux avocats, les images de réussite sociale, de satisfaction personnelle ou de bonne forme physique que les annonces de cigarettes donnaient à voir, même quand elles étaient vues par tout le monde sur des panneaux-réclames, n'auraient eu d'effet que sur les fumeurs, et même plus précisément sur les fumeurs adultes seulement, et n'ont eu aucun effet sur le reste de la population.

Exposez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens...

Alors que toutes les études de marché de RJR-Macdonald sont censées ne s'être intéressées qu'aux fumeurs, selon le témoin, ce dernier ne semble pas douter de sa foi en l'absence d'effet des annonces sur l'imaginaire des jeunes non-fumeurs.