mardi 14 janvier 2014

197e jour - L'homme qui devait « résoudre le problème » d'Export A

(PCr)

Ce n'était pas la première fois lundi que Peter J. Hoult se pointait à la barre des témoins devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec. M. Hoult était comparu en septembre et octobre 2012, sur demande des procureurs des recours collectifs, et à titre d'ancien grand responsable du marketing chez RJR-Macdonald (1979-1983), puis chef de la direction de la compagnie (1987-1988). L'interrogatoire de 2012 avait notamment permis de mettre en lumière son rôle dans les préparatifs par l'industrie de la contestation de la Loi réglementant les produits du tabac adoptée en 1988 par le Parlement fédéral canadien. On avait également découvert le rôle du témoin Hoult dans la relance de la marque Camel, quand il était cadre supérieur de R. J . Reynolds Tobacco International (RJRTI), au milieu des années 1980 et en 1988-1989.

Bref, Peter Hoult, un petit homme mince de 70 ans, est un poids lourd du marketing. Il parle distinctement comme le professeur d'université qu'il a parfois été ces deux dernières décennies, d'une voix de contrebasse, avec un restant d'accent britannique, malgré une carrière surtout menée en Amérique du Nord depuis une quarantaine d'années.

Cette fois-ci, Peter Hoult est revenu à l'appel des procureurs de JTI-Macdonald. Me Doug Mitchell a semblé tenter de l'utiliser comme témoin-expert pour contrer le témoignage du professeur de marketing Richard Pollay.

Ce n'était pas la première fois que la défense des compagnies de tabac transforme un témoin de faits en témoin-expert. On a plus ou moins vu le même procédé avec Jeff Gentry, interrogé par Me Guy Pratte de JTI-Macdonald, avec Steve Chapman, interrogé par Me Simon Potter de Rothmans, Benson & Hedges, et avec Graham Read, interrogé par Me Deborah Glendinning d'Imperial Tobacco Canada.

Cette fois-ci encore, le juge Riordan a rejeté les objections des avocats des recours collectifs et a permis à la défense de procéder. Mais parce qu'il arrive le quatrième, ou pour une autre raison, Me Mitchell n'a pas eu droit à un Brian Riordan disposé à faire semblant que le procédé lui plaisait. Plusieurs fois durant la journée, le juge se tenait la mâchoire d'un air ennuyé.  Malgré sa grande expérience du dossier du tabac, Me Mitchell n'a pu cacher sa déception, mais il a procédé, méthodiquement, fidèle à ses habitudes. L'avocat pourra se consoler en se disant que le juge n'a pas porté de masque avec lui. « My lord » Riordan est peut-être un roi qui sourit à Potter et Pratte comme à des courtisans, et traite Mitchell en homme du peuple. Il n'est pas dit qu'il « achète » davantage la vision de l'histoire des premiers que celle du second.

Aux dires de Me Mitchell, le professeur Pollay aurait présenté le marketing des compagnies de tabac comme particulièrement perfide alors que c'est du marketing comme celui de n'importe quel fabricant de savon, comme Unilever chez qui le témoin Hoult a déjà oeuvré.

(Peu importe ce qu'on veut retenir du témoignage de Pollay, on peut se demander si un juge dans le monde a déjà entendu une compagnie de savon déclarer qu'elle s'abstenait scrupuleusement de recruter des clients ailleurs que chez les concurrents et dans la population d'âge mineur...)

Lundi, Peter Hoult a raconté comme trop d'autres anciens cadres du tabac cette incroyable légende du marketing qui ne viserait qu'à prendre des clients aux concurrents, dans un marché du tabac en déclin. Un marché où, selon l'expert Pollay, la fidélité à une marque est plus forte que pour n'importe quel produit.

Ce qui ressort d'un peu nouveau de l'interrogatoire de lundi de M. Hoult, c'est à quel point c'est l'imagerie publicitaire qui crée la demande pour une marque, et non les caractéristiques physiques du produit.

L'ancien haut dirigeant de RJR-Macdonald a dit clairement que le blanc sur un paquet communique au consommateur l' « information » que le produit est « léger » (en goudron), alors que le rouge indique un produit « pleine saveur », c'est-à-dire plus fort en goudron.
annonces avant le passage de Peter Hoult

Une annonce montrant un homme tout seul en train de fumer une Export A communiquerait au consommateur l'idée que le fumeur de cette marque est prêt à se contenter de peu. Pas fameux pour recruter de nouveaux clients. Avec un camion à l'arrière-plan du camionneur souriant au lecteur du magazine, les hommes épris d'indépendance et de liberté pouvaient peut-être identifier leur destin à celui d'un fumeur d'Export A, espéraient les marketeurs de Macdonald.

Et pour les hommes qui aimaient plutôt à s'imaginer en tenue de soirée à distance intime d'une femme portant des bijoux, RJR-Macdonald proposait à la même époque la marque Select.

Pub après Hoult
Sous le court règne de Peter Hoult, Macdonald Tobacco a progressé sur le chemin qui sépare une compagnie gérée de façon artisanale et rentière par la famille Stewart au début des années 1970 et une compagnie orientée sur la satisfaction du marché (market driven) comme Imperial Tobacco.

Reste qu'encore en 1992, quand le témoin Lance Newman est entré comme marketeur chez RJR-Macdonald, beaucoup restait à faire, selon lui.  En 1994, lorsque Connie Ellis du marketing de Rothmans, Benson & Hedges passait un savon aux dirigeants de sa compagnie, elle ne considérait pas encore RJR-Macdonald comme « market driven », mais plutôt une compagnie soucieuse du coût de production autant que de la demande. L'épisode tapageur des commandites Sport Extrême ne battait pas encore son plein, une époque de la publicité où les camions stationnés dans des paysages aérés ont cédé la place aux motocyclettes en train de rouler dans la boue, aux vélos de montagne ou aux planches à voile.