jeudi 16 janvier 2014

199e jour - Un as du marketing sur la sellette

(SGa)

Mercredi, un ancien personnage important de l'industrie canadienne de la cigarette, Peter Hoult, en était à sa dernière journée de témoignage. Présent depuis le début de la semaine, M. Hoult s'était déjà présenté à la barre des témoins en 2012. L'homme a été responsable du marketing chez RJR-Macdonald (1979-1983) et puis chef de la direction de la compagnie (1987-1988). En contre-interrogatoire, il a surtout été questionné sur les décisions qu'il a prises (ou pas prises) lors de son passage comme responsable du marketing chez RJR-MI.


Les cigarettes légères

L'arrivée de M. Hoult au marketing chez RJR-Macdonald Inc en 1979 a correspondu avec une période où le tabagisme amorçait un déclin et plus spécialement les produits de ce cigarettier. Pour tenter de retrouver ses parts de marché, RJR-MI a misé sur la promotion des cigarettes légères et semi-légères et aussi sur les jeunes fumeurs (nous y reviendrons dans le paragraphe suivant). On sait maintenant que ces cigarettes dont les fabricants ont vanté les vertus dans leur stratégie de marketing (en laissant entendre entre autres qu'elles étaient moins nocives pour la santé) ne bénéficiaient d'aucun avantage pour la santé. Me André Lespérance, un des avocats du recours collectif, a posé quelques questions à ce sujet à M. Hoult. Il lui a demandé si l'un des problèmes de ces cigarettes étaient qu'elles encourageaient les fumeurs à fumer davantage pour compenser le faible taux en nicotine contenu dans chacune d'entre elles. M. Hoult a répondu qu'il n'y avait aucune évidence de cela. M. Hoult a affirmé ne pas croire pas non plus que la nicotine soit la raison d'être pour fumer. Selon lui, l'accoutumance au tabac est beaucoup plus complexe que cela.

À cette époque, une autre stratégie de marketing a été développé pour accroître les ventes de cigarettes. Elle consistait à intéresser les jeunes adultes au tabagisme, notamment par l'offre de cigarettes légères. RJR-Macdonald, comme les autres cigarettiers, s'est intéressé à cette clientèle, âgée de 18 à 30 ans. Peter Hoult l'a admis et a même reconnu que cette stratégie avait connu un certain succès. Mais cette stratégie visait-elle seulement les jeunes de 18 ans et plus? Les cigarettiers ne s'intéressaient-ils pas aussi aux jeunes en-deça de cette âge, comme plusieurs analystes l'ont soupçonné à l'époque?  Me André Lespérance a voulu le savoir en demandant à M. Hoult s'il y avait eu de la recherche faite sur les jeunes fumeurs âgés de moins de 18 ans. M. Hoult a répondu qu'il ne croyait pas que ce type recherche ait eu lieu.


Le blocage des perforations

Revenons sur les cigarettes légères. Ce type de cigarettes s'est avérée plus nocive que prévue pour une autre raison. Elles étaient dotées de filtres avec perforations. Ces trous auraient dû normalement réduire les doses de nicotine et de goudron inhalées par les fumeurs, par rapport à l'usage de cigarettes « régulières ». Or, lorsque bloqués par les lèvres ou les doigts des fumeurs, l'effet était inverse. Cela résultait en une hausse importante des taux de goudron, de nicotine et de monoxyde de carbone (pour ne nommer que ces substances) ingérés par les fumeurs; taux jusqu'à huit fois supérieure aux taux inscrits sur les paquets. En septembre 1977, Alexander B. Morrison, un sous-ministre adjoint de Santé et Bien être social Canada, écrivait une lettre à Paul Paré, directeur du Conseil canadien des fabricants de produits de tabac (CTMC) pour demander aux fabricants de divulguer les véritables taux ingérés par les fumeurs lorsque ceux-ci obstruent les perforations. L'auteur de la lettre mentionnait que l'absence de cette information sur les paquets de cigarettes induisait les fumeurs en erreur et causait un préjudice à leur santé. M. Morrison ajoutait aussi qu'il était important que l'information indiquée soit la bonne puisque les cigarettiers l'utilisait pour faire la promotion des cigarettes légères.

Me Lespérance a demandé à M. Hoult s'il était au courant que le blocage des perforations accroissait la quantité de goudron et de nicotine ingérés par les fumeurs. La réponse de Peter Hoult a été plutôt surprenante. « J'ai été mis au courant de cela quelque part entre 1980 et 1983 lorsque l'information a commencé à circuler,» dit-il. (traduction libre) Pourtant, la lettre de M. Morrison, envoyée au CTMC, datait de 1977.

On peut douter de la mémoire de Peter Hoult dans ce dossier à la suite des révélations faites en audience, mercredi, basée sur une correspondance interne datant de juin 1988.

Dans cette lettre, le directeur de la recherche scientifique chez RJR-Macdonald, Derick A. Crawford, déplore le refus de la haute direction de l'entreprise (M. Hoult était alors le grand patron.) d'accepter la proposition de placer les trous plus haut sur le filtre afin qu'ils ne soient pas obstrués par les lèvres ou les mains des fumeurs.

À la question de Me Lespérance lui demandant pourquoi avoir refusé d'accepter cette modification, M. Hoult a répondu: « je ne souviens pas avoir pris cette position. »


Une publicité qui contrevenait au Code

En 1983, alors que M. Hoult était responsable du marketing chez RJR-Macdonald, une publicité a retenu l'attention de Me Philippe Trudel, un des avocats du recours collectif. Il s'agit de la publicité de la marque de cigarette Macdonald Select. On y voyait un couple, tous les deux cigarettes à la main, dans une situation romantique. Le titre était sans équivoque: The pleasure is all mild. Me Trudel a rappelé que cette publicité contrevenait à la règle 8 du Code de conduite du CTMC adopté en 1976. Cette règle mentionnait notamment qu'une publicité ne doit pas mettre de l'avant une situation de romance pour vendre un produit. M. Hoult a nié qu'il s'agissait d'une situation de romance.

D'autre part, fait intéressant, M. Hoult a expliqué l'importance des couleurs dans la stratégie de marketing des différents types de cigarettes. La couleur blanche est utilisée pour les cigarettes légères car elle représente la légèreté. Pour les couleurs foncées, c'est l'opposé. Le vert est traditionnellement associé aux cigarettes menthol (...en plus d'être associé historiquement à l'Export A régulière, dans le cas particulier du marché canadien).

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La semaine prochaine, les auditions se poursuivent avec la comparution de deux témoins-experts: l'économiste Kip Viscusi qui viendra parler de l'effet informatif des mises en garde sanitaires,  et la psychiatre Dominique Bourget, au sujet de la dépendance.