Entre 1985 et 2007, la compagnie Imperial Tobacco Canada a fait confiance à Lyndon Barnes, partenaire de la firme Osler, Hoskin & Harcourt, notamment comme coordonnateur de la vaste équipe d'avocats chargés de la représenter dans divers litiges judiciaires.
Lyndon Barnes a compris en 1995 ou en 1996 que des documents originalement en possession d'Imperial Tobacco Canada ne l'étaient plus, quand les avocats ontariens de Mirjana Spasic, une victime de cancer du poumon qui poursuivait son client, ont émis des demandes pour obtenir ces documents, et que la compagnie n'a pas pu les produire. Me Barnes a déclaré qu'à l'époque, il s'est fait dire par les responsables de la recherche et du développement chez ITCL que les documents avaient été détruits.
Concernant cette désormais célèbre destruction de documents survenue à Montréal en 1992 (événement connu du public depuis 1998), peut-être pourra-t-on arriver un jour à concilier deux histoires à première vue contradictoire, mais cela devient de plus en plus difficile après le témoignage de Lyndon Barnes entendu hier devant la Cour supérieure du Québec au procès en recours collectifs des trois grands cigarettiers canadiens.
Deux histoires ?
Une première histoire, connue depuis les auditions du début d'avril au palais de justice de Montréal, est celle d'un vice-président à la recherche et au développement d'ITCL, Patrick Dunn, qui ne voulait pas du tout que sa compagnie se départisse des rapports de recherche scientifique contenus dans la bibliothèque du siège social, que ce soit pour les voir expédiés en Angleterre, chez British American Tobacco, ou au cabinet juridique Ogilvy Renault de Montréal, où la déchiqueteuse les attendait.
Durant toute la matinée d'hier (lundi), les réponses du témoin Lyndon Barnes au procureur des recours collectifs Gordon Kugler ont pu donner au tribunal et au public l'impression de comprendre le rôle de grain de sable de Dunn.
Mais pour qui n'aurait entendu le témoignage de Lyndon Barnes que dans l'après-midi, c'était presque à croire que c'est Dunn qui voulait se départir des documents et que c'est cela qui a nécessité l'intervention d'avocats, avec effet de retarder la destruction de ceux qui l'ont finalement été.
La teneur et parfois le ton des questions de Me Kugler indiquaient qu'il avait de la misère à avaler cette histoire tirée par les cheveux.
Le témoin, plutôt flegmatique en matinée, a aussi donné plusieurs signes de sa propre incrédulité, reculant d'un grand pas après ses réponses aux questions embêtantes, regardant souvent vers le plancher plutôt que vers Me Kugler ou le juge Riordan, se frottant le dessous du nez en regardant le procureur (et plus rarement le juge), et se faisant dire par le juge de donner sa réponse dans le microphone, pour qu'elle soit audible.
Le témoignage de Lyndon Barnes a permis de confirmer que le projet Four Seasons, dont plusieurs autres témoins jusqu'ici semblaient avoir oublié le mobile ou l'existence, était effectivement un projet proactif de planification d'éventuelles poursuites contre l'industrie du tabac en rapport avec les dommages sanitaires de ses produits. L'avocat Barnes a eu des réunions à ce sujet, aux États-Unis et au Canada, dès 1986.
L'interrogatoire se poursuit ce matin, cette fois-ci par Me Bruce Johnston.
Un avis de décès paru le 20 novembre 2007 dans le quotidien The Gazette révèle que Patrick Dunn, chimiste et ancien cadre d'Imperial Tobacco, est mort à Montréal à l'âge de 60 ans d'un cancer du pancréas.