Pour une troisième journée d'affilée, la Cour supérieure du Québec a écouté hier le témoignage du chimiste Andrew Porter, dans le cadre du procès intenté contre les trois grands cigarettiers du marché canadien par deux recours collectifs de victimes du trio, et notamment au nom de dizaines de milliers de personnes atteintes de cancer du larynx, de la gorge ou du poumon, ou d'emphysème.
Entre 1977 et 2007, pour le compte d'Imperial Tobacco Canada, puis chez British American Tobacco (BAT) dans son Angleterre natale, Andrew Porter a passé beaucoup de temps à imaginer et à bricoler, avec des équipes de recherche, des cigarettes qui continueraient de « satisfaire » le fumeur autant que maintenant, et qui causeraient moins de dommages à sa santé. Aucune n'a été commercialisée jusqu'à présent. (Voir les pièces 395 à 398 sur le Projet Day.)
L'interrogatoire de l'ancien chercheur d'ITCL par Me Pierre Boivin, depuis mardi jusque vers la fin de la matinée d'hier, puis par Me André Lespérance jusqu'au milieu de l'après-midi, a tout de même permis de mieux connaître ce que la compagnie a découvert, au fil des ans, et quelles étaient ses préoccupations réelles. Le témoin Porter a aussi répondu à des questions de la partie défenderesse (Me Glendinning et Me Potter), en fin d'après-midi.
Des fumeurs qui fument autrement que des machines
Jusqu'à ce que Santé Canada établisse en 1999-2001 de nouvelles normes s'appliquant aux méthodes à utiliser pour connaître la composition de la fumée de tabac, les cigarettiers canadiens appliquaient les méthodes de mesure de l'Organisation internationale de normalisation (ISO) et de la Commission fédérale du commerce des États-Unis.
Cela donnait des mesures de la teneur en nicotine et en « goudron » de chaque marque de cigarette, et l'abaissement de la teneur ainsi mesurée était perçu par plusieurs fonctionnaires comme un moyen de diminuer la quantité de drogue et de toxines inhalée par le fumeur.
Hélas, les machines à fumer de l'époque aspiraient la fumée des cigarettes avec la régularité d'un métronome et sans subtilité, ce qui ne ressemble guère au comportement des fumeurs, que leurs fournisseurs connaissent mieux que quiconque.
Dès 1975, ITCL a mis au point, mais sans le crier sur les toits, des machines à fumer imitant mieux le comportement des fumeurs en train d'aller chercher leur dose de nicotine. (pièce 389)
À la même époque, la compagnie commençait de mettre en marché ses premières marques de cigarettes « légères », lesquelles diffèrent principalement de leur marque de référence par la présence d'un certain nombre de minuscules perforations dans le papier, comme l'a expliqué hier le chimiste Andrew Porter.
Les chercheurs dans l'industrie ont donc tout de suite constaté que ces produits étaient « surfumés » (traduction du néologisme « over-smoked »), c'est-à-dire que les fumeurs, sans s'en rendre compte, pouvaient ajuster leur succion de fumée à leur besoin d'une dose particulière de nicotine. (pièce 391)
Imperial a aussi fini par constater que la quantité de nicotine contenu dans le plasma sanguin des fumeurs était absolument indépendante de la teneur en nicotine officielle de leur marque favorite. (pièce 385)
Jusqu'à présent, aucun témoignage entendu ou document examiné au procès de Montréal ne permet cependant de croire que l'industrie ait révélé ce qu'elle savait aux gouvernements ou au grand public. Les procureurs des cigarettiers commenceront leur preuve en défense en février.
Des filtres pour diminuer l'acidité
Durant l'époque où Andrew Porter a travaillé chez Imperial, l'entreprise a tenté d'ajouter dans le filtre une substance alcaline, comme le carbonate de sodium (attention : pas du bicarbonate de sodium), afin d'augmenter la quantité de nicotine par bouffée sans augmenter du même coup la quantité inhalée des autres substances issues de la combustion de la cigarette. (pièce 377 A)
Le tabac comme facteur de risque de maladies
Questionné par le procureur André Lespérance, Andrew Porter a refusé d'admettre que la fumée de tabac est une cause de maladies.
Par contre, le chimiste d'Imperial n'a pas chipoté sur le fait que certaines personnes sont atteintes et d'autres non, afin de pouvoir conclure, comme d'autres témoins, qu' « on ne peut rien dire ».
Le témoin a même admis que le tabagisme est un facteur de risque pour plusieurs maladies, dont le cancer du larynx, de la gorge et du poumon, ainsi que pour l'emphysème. On ne lui a pas demandé s'il pense que les gens devraient s'abstenir de fumer, par précaution.
Quand Me Deborah Glendinning, avocate d'Imperial Tobacco, a demandé au chimiste Porter ce qu'il lui faudrait pour être certain que les produits améliorés que la compagnie a tenté de développer sont vraiment meilleurs pour la santé, il a répondu qu'il faudrait une preuve épidémiologique. Un hommage déguisé...
Suites à prévoir
Le témoignage d'Andrew Porter reprendra le 11 juin. Lors du contre-interrogatoire par Me Glendinning et par Me Simon Potter (l'avocat de Rothmans Benson & Hedges), le témoin a fait des réponses que Me Maurice Régnier a trouvé incriminantes pour le gouvernement du Canada, la troisième partie dans ce procès. Comme il était 16h55, le juge n'a pas imposé à Me Régnier de défendre son client à la sauvette.
Entre temps, d'autres témoins sont appelés à comparaître la semaine prochaine, dont l'actuelle patronne d'ITCL, Marie Polet, lundi.
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Pour
accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au
procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il
faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.
Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un numéro de pièce au dossier ou un mot-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.
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