Au moment
où le procès québécois portant sur les recours collectifs contre les compagnies
de tabac reprenait ce lundi matin, Montréal en était toujours à récupérer du
week-end du Grand Prix et des manifestations contre celui-ci.
Il n'y a
pourtant pas si longtemps, c'était en
faveur du Grand Prix que des Montréalais se mobilisaient. En 1997, les
chauffeurs de taxi et d'autres avaient paralysé temporairement la ville afin d'exprimer
leur opposition à un projet de loi fédéral mettant fin aux commandites des
compagnies de tabac. En raison de la menace des organisateurs de la F1 de
supprimer le Grand Prix de Montréal si la loi était adoptée, l'interdiction de
la promotion par commandite a été repoussée de quelques années.
Cette
année, le gouvernement du Québec a choisi le vendredi de ce week-end particulier
pour asséner à l'industrie du tabac une poursuite coup de poing de 60 milliards de dollars.
Le privilège parlementaire
L'audience
sur le privilège parlementaire qui a eu lieu toute la journée de lundi se
tramait depuis plus de six ans. Il avait d'abord été soulevé par les compagnies
en 2006, mais le juge qui gérait le dossier avait différé les décisions à ce
sujet jusqu'à la tenue du procès. La question centrale était de savoir si les
entreprises peuvent voir leurs déclarations devant divers comités
parlementaires être utilisées contre elles lors du procès.
L'immunité parlementaire ne peut être levée (sauf par
le Parlement)…
M. Pratte,
qui représente JTI-Macdonald, avait la responsabilité de présenter les arguments
centraux des trois compagnies de tabac. Il en a appelé du rôle constitutionnel
du privilège parlementaire et de ses racines dans le Bill of Rights britannique
du 17e siècle.
À ses
yeux, il ne suffit pas de protéger les compagnies de tabac des répercussions de
leurs dires devant le Parlement, mais il est également nécessaire d'éviter que tout
travail préliminaire à cette fin (tel que les documents de planification, les
comptes-rendus de réunions, etc.) ne soit versé au dossier du procès. Ce
privilège devrait être étendu à tous ceux qui ont travaillé au sein des
compagnies de tabac et aux témoins qu'elles ont recrutés afin d'appuyer leurs
points de vue et autres soumissions au Parlement.
Les
avocats des deux autres compagnies de tabac appuyaient cette position. Au nom
de Rothmans, Benson and Hedges, Jean-François Lehoux n'a parlé que brièvement. Le
seul objectif d'introduire le contenu en cause était de nuire à la position des
défendeurs, disait-il, ce qui allait donc directement à l'encontre du principe
d'immunité parlementaire.
Au nom
d'Imperial Tobacco, Suzanne Côté a souligné que les mesures prises par les
compagnies de tabac suite à leur témoignage parlementaire ne pouvaient être
considérées comme un faiblissement de leur droit à l'immunité. "Seul le Parlement peut lever ce privilège, ce
qui signifie que ce qu'un témoin a dit ou fait ne peut pas être vu comme une
renonciation au privilège."
Elle a
décrit le large éventail de dossiers qu'elle voulait voir ainsi protégés. Il
s'agit notamment des procès-verbaux comme le Hansard, de documents présentés à
des comités, de matériel préparatoire à cette fin, d'articles de presse sur les
événements parlementaires et de bulletins d'information ou de matériel de
communication autre produit par les entreprises en lien avec leur témoignage.
…l'immunité parlementaire, finalement, peut être perdue.
Au nom des
plaignants, André Lespérance a présenté au cours de l'après-midi les raisons
pour lesquelles la quarantaine de documents en question devraient être admis au
procès.
Le défi, a
déclaré M. Lespérance, est de déterminer où l'immunité parlementaire commence
et où elle s'arrête. Il a suggéré que la jurisprudence n'était pas encore bien
établie et que des lacunes devaient être tirées au clair.
Il a
souligné l'utilisation de preuves parlementaires pour définir des faits
historiques, y compris lorsqu'un jugement de la Cour suprême du Canada en 1995 citait
des discours tenus au Parlement par le ministre de la Santé d'alors, Jake Epp.
Il a mentionné
que les compagnies de tabac avaient répété à profusion, à l'extérieur du
Parlement, ce qu'elles avaient dit à l'intérieur et, ce faisant, avaient perdu
l'immunité. En pareilles circonstances, la nécessité pour le Parlement de lever
l'immunité ne s'applique pas.
Néanmoins,
les demandeurs devaient être en mesure de présenter les dossiers parlementaires
pour établir des faits historiques, pour aider à établir les positions des
entreprises et pour contribuer à la détermination de dommages-intérêts
punitifs.
La
position du gouvernement fédéral était plaidée par un nouvel acteur au procès,
M. Jean-Robert Noiseux du bureau du procureur général. Le gouvernement fédéral
a appuyé la position de M. Lespérance et répété le point de vue qu'une fois
qu'une personne décide de répéter à l'extérieur de la Chambre des communes ce
qu'ils ont dit à l'intérieur, ils perdent les avantages de ce privilège.
Quelle que
soit l'issue de l'audience d'aujourd'hui (y compris les inévitables appels !), elle
contribuera à générer des précédents canadiens afin de guider l'application du
privilège parlementaire dans les litiges civils.
Texte original: Cynthia Callard