mercredi 13 juin 2012

40e jour - 11 juin - Le privilège de l'immunité


Au moment où le procès québécois portant sur les recours collectifs contre les compagnies de tabac reprenait ce lundi matin, Montréal en était toujours à récupérer du week-end du Grand Prix et des manifestations contre celui-ci.

Il n'y a pourtant pas si longtemps, c'était en faveur du Grand Prix que des Montréalais se mobilisaient. En 1997, les chauffeurs de taxi et d'autres avaient paralysé temporairement la ville afin d'exprimer leur opposition à un projet de loi fédéral mettant fin aux commandites des compagnies de tabac. En raison de la menace des organisateurs de la F1 de supprimer le Grand Prix de Montréal si la loi était adoptée, l'interdiction de la promotion par commandite a été repoussée de quelques années.

Cette année, le gouvernement du Québec a choisi le vendredi de ce week-end particulier pour asséner à l'industrie du tabac une poursuite coup de poing de 60 milliards de dollars.

Le privilège parlementaire

L'audience sur le privilège parlementaire qui a eu lieu toute la journée de lundi se tramait depuis plus de six ans. Il avait d'abord été soulevé par les compagnies en 2006, mais le juge qui gérait le dossier avait différé les décisions à ce sujet jusqu'à la tenue du procès. La question centrale était de savoir si les entreprises peuvent voir leurs déclarations devant divers comités parlementaires être utilisées contre elles lors du procès.

L'immunité parlementaire ne peut être levée (sauf par le Parlement)…

M. Pratte, qui représente JTI-Macdonald, avait la responsabilité de présenter les arguments centraux des trois compagnies de tabac. Il en a appelé du rôle constitutionnel du privilège parlementaire et de ses racines dans le Bill of Rights britannique du 17e siècle.

À ses yeux, il ne suffit pas de protéger les compagnies de tabac des répercussions de leurs dires devant le Parlement, mais il est également nécessaire d'éviter que tout travail préliminaire à cette fin (tel que les documents de planification, les comptes-rendus de réunions, etc.) ne soit versé au dossier du procès. Ce privilège devrait être étendu à tous ceux qui ont travaillé au sein des compagnies de tabac et aux témoins qu'elles ont recrutés afin d'appuyer leurs points de vue et autres soumissions au Parlement.

Les avocats des deux autres compagnies de tabac appuyaient cette position. Au nom de Rothmans, Benson and Hedges, Jean-François Lehoux n'a parlé que brièvement. Le seul objectif d'introduire le contenu en cause était de nuire à la position des défendeurs, disait-il, ce qui allait donc directement à l'encontre du principe d'immunité parlementaire.

Au nom d'Imperial Tobacco, Suzanne Côté a souligné que les mesures prises par les compagnies de tabac suite à leur témoignage parlementaire ne pouvaient être considérées comme un faiblissement de leur droit à l'immunité. "Seul le Parlement peut lever ce privilège, ce qui signifie que ce qu'un témoin a dit ou fait ne peut pas être vu comme une renonciation au privilège."

Elle a décrit le large éventail de dossiers qu'elle voulait voir ainsi protégés. Il s'agit notamment des procès-verbaux comme le Hansard, de documents présentés à des comités, de matériel préparatoire à cette fin, d'articles de presse sur les événements parlementaires et de bulletins d'information ou de matériel de communication autre produit par les entreprises en lien avec leur témoignage.

…l'immunité parlementaire, finalement, peut être perdue.

Au nom des plaignants, André Lespérance a présenté au cours de l'après-midi les raisons pour lesquelles la quarantaine de documents en question devraient être admis au procès.

Le défi, a déclaré M. Lespérance, est de déterminer où l'immunité parlementaire commence et où elle s'arrête. Il a suggéré que la jurisprudence n'était pas encore bien établie et que des lacunes devaient être tirées au clair.

Il a souligné l'utilisation de preuves parlementaires pour définir des faits historiques, y compris lorsqu'un jugement de la Cour suprême du Canada en 1995 citait des discours tenus au Parlement par le ministre de la Santé d'alors, Jake Epp.

Il a mentionné que les compagnies de tabac avaient répété à profusion, à l'extérieur du Parlement, ce qu'elles avaient dit à l'intérieur et, ce faisant, avaient perdu l'immunité. En pareilles circonstances, la nécessité pour le Parlement de lever l'immunité ne s'applique pas.

Néanmoins, les demandeurs devaient être en mesure de présenter les dossiers parlementaires pour établir des faits historiques, pour aider à établir les positions des entreprises et pour contribuer à la détermination de dommages-intérêts punitifs.

La position du gouvernement fédéral était plaidée par un nouvel acteur au procès, M. Jean-Robert Noiseux du bureau du procureur général. Le gouvernement fédéral a appuyé la position de M. Lespérance et répété le point de vue qu'une fois qu'une personne décide de répéter à l'extérieur de la Chambre des communes ce qu'ils ont dit à l'intérieur, ils perdent les avantages de ce privilège.

Quelle que soit l'issue de l'audience d'aujourd'hui (y compris les inévitables appels !), elle contribuera à générer des précédents canadiens afin de guider l'application du privilège parlementaire dans les litiges civils.


Texte original: Cynthia Callard