mercredi 20 juin 2012

45e jour - 19 juin - Ce qui était pour Imperial une « grande victoire » en octobre 1989

Lors de l'interrogatoire en mars dernier du conseiller juridique en chef et secrétaire corporatif d'Imperial Tobacco Canada limitée, Roger Ackman, les avocats des recours collectifs avaient fait verser en preuve un document rédigé par un avocat externe de la compagnie à l'adresse d'Ackman et relatant les événements en Cour supérieure du Québec le 3 octobre 1989. Cette relation judiciaire avait été réexpédiée le 4 octobre à divers cadres d'ITCL, accompagnée d'un courte introduction rédigée par Ackman. (pièce 68)

À cette époque, la compagnie se trouvait devant le tribunal afin de contester la légalité de la Loi réglementant les produits du tabac, adoptée l'année précédente par le Parlement fédéral, et le juge Jean-Judes Chabot, le 3 octobre 1989, venait d'accepter qu'ITCL ne soit pas obligée de produire les études scientifiques en sa possession et provenant de British American Tobacco (BAT), une « tierce partie » au procès selon l'avocat d'Imperial à l'époque, Simon Potter.

Le rédacteur de la relation judiciaire qualifiait la décision du juge Chabot de « victoire majeure ».

Le témoin de lundi et d'hier au procès des trois cigarettiers canadiens, l'avocat Lyndon Barnes, qui faisait partie de l'équipe juridique mobilisée en 1989 par Imperial, n'a pas souvenance d'avoir écrit la relation judiciaire en question. Me Barnes a fait valoir que ce pourrait être un autre avocat présent au tribunal et moins occupé que lui ce jour-là.

Selon Lyndon Barnes, la « victoire majeure », ce n'est pas que des documents dont on sait aujourd'hui le contenu fort compromettant (voir l'édition de ce blogue concernant le 10e jour), c'est que BAT, la multinationale qui contrôlait (et contrôle plus que jamais) Imperial Tobacco Canada, allait cesser de faire des pressions sur la compagnie canadienne, des pressions que celle-ci était pourtant libre d'ignorer, comme en a notamment témoigné en avril le chef de la direction d'ITCL à l'époque, Jean-Louis Mercier.

Sitôt levée la possible obligation par un tribunal canadien de produire des documents compromettants alors en sa possession, et après que Patrick Dunn, apparemment à son corps défendant, en ait fait le tri, Imperial semble s'être empressée de s'en départir, y compris par la destruction sous supervision du cabinet Ogilvy Renault, si bien qu'à l'alerte suivante, au milieu des années 1990, elle ne les avait plus.

Mais cette heureuse conséquence n'était qu'un effet prévu, et non pas un but de la politique de rétention/destruction de documents appliquée par ITCL, a fait valoir hier Lyndon Barnes au procureur des recours collectifs Bruce Johnston.

La crainte des litiges et le rôle des avocats externes

Au procureur Gordon Kugler lundi, le témoin Barnes avait déclaré qu'il n'a jamais lu les documents dont Imperial allait se départir à partir de 1989, mais que des parajuristes, l'un de son cabinet juridique (Osler, Hoskin & Harcourt) et l'autre du cabinet Ogilvy Renault de Montréal, avait participé à l'époque à l'identification des documents en question au siège social d'Imperial.

Me Kugler s'était étonné de la nécessité de payer des avocats de firmes externes pour un travail qu'allaient exécuter des parajuristes et qui ne semblait pas exiger non plus de formation scientifique.

Hier, au procureur Bruce Johnston, Lyndon Barnes s'est fait mettre sous le nez un dossier de 2010 où son cabinet d'avocats fait état d'une expédition en 1992 (avant juin) de documents à Ogilvy Renault pour « examen et avis juridique » relatifs la politique de rétention de documents.  Me Barnes a alors précisé qu'il n'y avait pas d'avocats impliqués à l'époque dans la sélection des documents à détruire, « à sa connaissance ».  

(En juin 1992, dans un message télécopié à des avocats de BAT et de Brown & Williamson, Me Simon Potter a fourni la confirmation confidentielle de la destruction d'un premier lot de documents)

La comparution de Lyndon Barnes s'est achevée dans la matinée d'hier.

Dans l'après-midi, le tribunal a écouté et regardé le témoignage sous serment de l'avocat britannique John Meltzer, réalisé à Londres en mars 2012.  (transcription de l'interrogatoire versée dans le dossier)

John Meltzer, qui représentait et représente toujours les intérêts de BAT, a affirmé avoir discuté avec Roger Ackman, Lyndon Barnes et Simon Potter de l'impact que pouvait avoir la production devant un tribunal canadien des rapports de recherche scientifique de BAT possédés en 1989 par ITCL.

La version aujourd'hui défendue par Lyndon Barnes et ITCL, c'est que cette dernière compagnie ne s'attendait pas à un litige judiciaire à l'époque où elle a autorisé la destruction des documents, en 1992.

Il faut croire que l'année 1992 semblait l'hirondelle qui faisait le bref printemps d'Imperial, alors que la compagnie n'a pourtant pas cessé, depuis les débuts du Projet Four Seasons en 1985 (voir notre blogue du 44e jour), de subir ou de lancer des actions en justice qui l'exposent à devoir produire des documents.

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Pour accéder aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.

Il y a aussi un moteur de recherche qui permet d'entrer un numéro de pièce à conviction ou un mot-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.