La cabro de moussu Seguin, que sé battégué touto la
niue émé lou loup, e piei lou matin lou loup l'a mangé.
Alphonse Daudet (1840-1897), en langue provençale
(cette phrase est à la fin de La chèvre de monsieur Seguin)
En 1997, la vice-présidente aux affaires publiques de RJR-Macdonald à l'époque, Mary Trudelle, a travaillé avec des spécialistes de la firme Cunningham Gregory + Company (aujourd'hui CGC Educational Communications) à la définition d'un programme, le programme Wise Decisions, qui visait à aider les enseignants à former leurs élèves de 12 à 14 ans à « prendre de sages décisions ». RJR-Macdonald voulait utiliser ce programme pour professer sa foi que « les mineurs ne doivent pas fumer ».
La pièce 867 au dossier est un mémorandum adressé par Mary Trudelle à Marcia Cunningham et John Gregory, les conseillers pédagogiques; plusieurs des annotations manuscrites sur le document de 44 pages intitulé Wise Decisions : A Guide to Smoking Prevention (pièce 867A) sont de la vice-présidente aux affaires publiques; alors que la pièce 867B est un projet d'avant-propos que devait signer le chef de la direction de RJR-Macdonald de l'époque, Povl van Deurs Jensen.
Le programme Wise Decisions de 1997 est l'un des nombreux sujets qui a été abordé jeudi au procès en recours collectifs des trois principaux cigarettiers canadiens, lors de la deuxième et dernière journée d'interrogatoire de Mary Trudelle.
Cela est assez compréhensible puisque l'industrie aime à dire que fumer est une décision d'adulte, alors que ses dirigeants savent bien et avouent parfois, quand des avocats leur rafraîchissent la mémoire à coup de documents, que c'est une décision prise par des enfants.
Professionnalisme
Mary Trudelle, qui possède une maîtrise en administration des affaires de l'Université York, est entrée en 1982 chez RJR-Macdonald (aujourd'hui JTI-Macdonald) à Toronto, comme gérante adjointe de produit, au département du marketing, où elle s'est alors mise à gravir les échelons.
En 1992, la carrière de Mary Trudelle a bifurqué quand elle est devenu la directrice de la recherche et de la planification stratégique de l'entreprise, avant d'être promu grande responsable des affaires publiques en 1994.
À ce titre, elle participait au comité des opérations du Conseil canadien des fabricants des produits du tabac (CTMC), un organisme qu'elle a conseillé encore pendant quelques mois après son départ de RJR-Macdonald en 1998. Elle n'a plus eu de rapports professionnels avec l'industrie du tabac depuis ce temps et est aujourd'hui âgée de 58 ans et travaille dans la région de Toronto. Mme Trudelle ne parle pas français ou très peu, malgré son nom familier aux oreilles québécoises
Bien qu'elle soit toute menue, Mary Trudelle a témoigné avec assurance, l'assurance d'une personne habituée aux responsabilités et au commandement, et elle a employé un ton posé. En parfaite professionnelle des relations publiques, elle a répondu aux questions des procureurs Philippe Trudel et Bruce Johnston en choisissant ses mots avec précaution mais sans hésitation, en semblant vouloir faire paraître son ancien employeur sous le moins mauvais jour possible sans mentir, un exercice où d'autre qu'elle ont eu l'air fou.
« Je suis renversé. » (juge Riordan)
Dès mercredi, en fin d'après-midi, Me Philippe Trudel des recours collectifs voulait savoir pourquoi Mme Trudelle avait biffé certains passages de l'avant-projet de « Marcia and John », comme ce bout du guide pédagogique de Wise Decisions (pièce 867A) où il était écrit que le tabagisme est « un choix qui a souvent des conséquences toute la vie durant ». L'ancienne responsable des affaires publiques de RJR-Mac avait soutenu que les effets potentiels de l'usage du tabac ne sont pas noir et blanc.
Le procureur Trudel est revenu à la charge jeudi en demandant pourquoi le guide ne faisait aucune allusion au caractère toxicomanogène de la cigarette, et pourquoi le programme insistait pour que l'enseignant n'offre aucune information factuelle sur l'usage du tabac. Mme Trudelle a expliqué que le but de l'exercice prévu dans le programme était de pousser les élèves à faire le travail eux-mêmes, à chercher l'information, à développer leur pensée critique et leur esprit de décision, à former leur propre opinion.
À un moment donné, le juge Brian Riordan est sorti de sa réserve habituelle.
Juge Brian Riordan: Ce programme fut-il appliqué, à votre connaissance ?
Témoin Mary Trudelle: Non, pas au meilleur de ma connaissance.
Riordan: La première fois que j'ai vu cela, je ne pouvais pas en croire mes yeux. Vous êtes à peu près le dixième témoin à avoir dit que les compagnies ne devaient pas faire la moindre déclaration au sujet des risques du tabagisme à cause d'une crédibilité qui était tellement basse dans le public...
Trudelle : M'hum.
Riordan: Il n'y avait pas de respect du tout accordé à leur opinion (l'opinion des cigarettiers).
Trudelle: C'est vrai.
Riordan: Et maintenant, je vois une compagnie tentant de s'insérer elle-même dans le curriculum scolaire et disant... Je suis renversé. Quel était le plan d'affaires derrière cela ?
Trudelle: Ce programme... Le plan d'affaires, comme vous appelez cela, était d'offrir aux enseignants un autre moyen...
Riordan: Non, non, qu'est-ce que vous...
Trudelle: Pardon.
Riordan: Pourquoi RJR-Macdonald était-elle en voie de s'impliquer dans le curriculum scolaire ?
Trudelle: Nous étions en voie de nous impliquer parce que la recherche que nous avions faite avec le CTMC consistant à recueillir les perspectives des gens au sujet de... leur fournir plus d'information, soit à ces gens, ou in general things, ils revenaient et disaient: « Nous pensons que plus d'information aux enfants serait utile. » Et nous avions déjà de l'information de nos collègues aux États-Unis; ils avaient adopté ou mis en place un programme très similaire à celui-là, et j'avais vu cela et j'étais intrigué. À mesure que nous avons avancé dans notre recherche comme industrie, il est apparu qu'il y avait une opportunité pour nous, en fait, de fournir aux enfants l'information que d'autres disaient que nous devrions fournir. Alors nous cherchions à le faire avec ce programme, en le développant dans un contexte canadien.
Riordan: Était-ce un programme du CTMC ou de RJR-Macdonald ?
Trudelle: Non, ce ne l'était pas, c'était un projet de la compagnie.
Riordan, s'adressant aux procureurs des recours collectifs: Prochain onglet?! (Next tab?!)
(Les documents que les procureurs se proposent de soumettre à l'examen des témoins lors des interrogatoires sont rangés dans de gros cahiers-annneaux où ils sont séparés par des feuilles de carton ou d'acétate à onglets numérotés. Le mot tab, suivi d'un numéro, est donc entendu plusieurs fois par jour au tribunal, où la langue de travail est généralement l'anglais.)
De la suite dans les idées ?
Dans l'après-midi, le procureur Bruce Johnston a cherché à savoir s'il y avait un lien entre le projet pédagogique Wise Decisions et les conseils que RJR-Macdonald avait reçus un an plus tôt de la part de Tim Woolstencroft de la firme Strategic Counsel (pièce 775).
Le rapport de Strategic Counsel, dont les recommandations reposaient notamment sur une fine analyse d'un sondage d'opinions, révélait entre autres que 40 % des personnes interrogées déclaraient que « l'image qu'elles se font des dirigeants de compagnies de tabac s'améliorerait "significativement" si elles voyaient ces compagnies faire quelque chose pour prévenir le tabagisme juvénile ».(page 8 dans le document original, page 9 du fichier Adobe).
Puisque la préoccupation pour l'image en était une de toute l'industrie, les conseils de Strategic Counsel avaient suscité des réflexions et échanges au sein du comité des opérations du CTMC (pièces 462 et 462A).
extrait du rapport d'avril 1996 de Strategic Counsel (pièce 775) |
Mary Trudelle a reconnu que le programme Wise Decisions pouvait avoir comme effet d'améliorer l'image de l'industrie du tabac, mais elle a repoussé les suggestions de Me Johnston qu'il y a eu un rapport entre l'intérêt pour les « sages décisions » (wise decisions) en 1997 et l'objectif de promouvoir le « droit de choisir » (right to choose) recommandé en 1996.
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Lundi prochain (29 octobre), c'est un ancien cadre de Benson & Hedges, Ron Bulmer, qui témoignera au procès présidé par le juge Brian Riordan. John Broen, de RBH, est appelé à recomparaître mardi.
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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information, puis
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