Jeudi, lors de la deuxième et dernière journée d'interrogatoire de Norm Cohen, le chimiste en chef de Rothmans dans les années 1970 et 1980, puis de RBH de 1986 à 2000, il a été question de la toxicité de la fumée de tabac, de compensation, du financement de certaines recherches universitaires par l'industrie du tabac et du rôle du gouvernement du Canada.
L'industrie utilisait des additifs sans permission et sans savoir les effets
Mercredi, le procureur des recours collectifs Pierre Boivin avait fait verser comme pièce au dossier de la preuve un document de 1981 qui montrait une liste d'additifs utilisés par Rothmans dans ces cigarettes vendues au Canada (pièce 800). En interrogatoire, le témoin Norm Cohen avait alors fait des distinctions entre les additifs au papier, au filtre et au tabac reconstitué, sans lequel il n'y a pas selon lui de cigarettes possibles, et les aromates et autres additifs qui changent le goût de la fumée. M. Cohen n'aimait pas la deuxième catégorie, mais sa compagnie oui, du moins à l'époque.
Plusieurs des additifs en question appartenaient à la liste du comité Hunter, utilisée dans l'industrie britannique du tabac, mais jamais approuvée par Santé Canada, comme l'a montré la preuve faite en contre-interrogatoire du chimiste Ray Howie de JTI-Mac par l'avocat du gouvernement fédéral (Me Régnier).
Les autres additifs figuraient sur la liste GRAS ou sur la liste FEMA, utilisées dans l'industrie des aliments aux États-Unis. GRAS est un acronyme pour Generally Regarded As Safe, c-à-d des additifs Généralement Vus comme sans danger. FEMA est un acronyme pour Flavour and Extract Manufacturers Association, autrement l'Association des fabricants d'essences et de saveurs.
Le fait qu'on ne fait pas généralement brûler ses aliments et qu'on ne se les envoie pas dans les poumons semblait avoir échappé au chimiste Howie de Macdonald. Le chimiste Cohen de RBH, lui, a dit mercredi qu'il était sous l'impression que les listes étaient faites pour des substances destinées à être inhalés plutôt qu'avalés.
« Personne ne nous a dit qu'il y avait d'effet dommageable alors nous avions à prendre » les listes, a dit M. Cohen, lequel avait expliqué que sa compagnie n'avait aucune compétence technique pour mener des analyses de toxicité, et n'en avait par conséquent jamais fait. L'industrie employait des chimistes, pas des médecins.
Attitude audacieuse d'utiliser des additifs à l'aveuglette ? Sûrement. Mais était-ce au moins fondé sur un fond de vérité quand au « jamais rien dit » ?
Jeudi, le procureur Boivin est arrivé avec, d'une part le procès-verbal d'une réunion en avril 1981 entre les chimistes de l'industrie et trois fonctionnaires du Bureau de contrôle du tabac de Santé et Bien-être social Canada (pièce 802), et d'autre part une lettre de décembre 1983 du pharmacologue Albert J. Liston du même ministère (pièce 802 B), qui montrent que le ministère était sceptique et réticent.
lettre de 1983 du ministère de la Santé au CTMC |
Une fumée cancérigène et RBH le savait
Mercredi, Me Boivin avait mis sous le nez de M. Cohen un document interne de RBH daté de 1988 (pièce 793) à propos de tests pour mesurer les concentrations de certaines substances dans la fumée des cigarettes de la compagnie, et il avait demandé si les tests étaient importants parce que les substances en question étaient cancérogènes, ou co-cancérogènes, c'est-à-dire cancérogènes lorsque associées à une autre substance de la fumée. Le chimiste en chef de RBH avait nié que cela puisse être la raison.
Jeudi, Me Boivin est revenu à la charge avec un mémorandum de 1987 où le chimiste Cohen décrit à ses collègues certaines de ces mêmes substances contenues dans la fumée comme « extrêmement cancérogènes » ou « initiatrices ou promotrices de tumeurs ». (pièce 801)
RBH savait que les fumeurs « compensaient »
Me Boivin a voulu savoir jeudi s'il y avait un phénomène de compensation de la part des fumeurs quand ils optaient pour des cigarettes avec des teneurs réduites en goudron, et souvent réduites en nicotine par la même occasion. Le témoin Cohen n'a pas fait de chichi pour le reconnaître. Une étude qu'il a réalisée en 1987 montrait que le fumeur moyen d'une marque de cigarette à basse teneur en goudron inhalait 33% plus de goudron que ce qui était indiqué sur les paquets.(pièce 805). À la même époque, Norm Cohen a aussi constaté que les marques avec les teneurs en nicotine les plus élevées et les marques les plus populaires étaient souvent les mêmes. (pièce 806).
Le genre de recherche que le CTMC aimait : un curieux exemple
À titre de scientifique de sa compagnie, Norm Cohen siégeait au comité du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac qui distribuait des fonds à des recherches scientifiques intéressant l'industrie dans son ensemble. C'est ainsi qu'à partir de 1978, l'industrie canadienne a financé les recherches du psychologue Verner Knott de l'Université d'Ottawa. Ici, psychologie rime avec électro-encéphalogrammes et physiologie du cerveau, et non pas avec le divan de Sigmund Freud et le complexe d'Oedipe. (pièce 815)
La maison-mère de Rothmans en Angleterre, suivait avec intérêt les initiatives de l'industrie canadienne. En mars 1980, elle se réjouissait d'apprendre que les observations de Verner Knott (pièce 816A) sur des patients psychiatrisés du Royal Hospital d'Ottawa allaient permettre de savoir si de fumer peut les aider à composer avec le stress.
Le « Dr Knott » envisageait aussi d'étudier l'activité électrique du cerveau d'enfants afin de savoir ultimement lesquels étaient susceptibles de devenir ou non fumeur un jour. Certaines maisons-mères des cigarettiers canadiens ont craint le scandale si la chose s'ébruitait et le CTMC a refusé dans ce cas de financer le chercheur du département de psychologie de l'Université d'Ottawa.
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Aujourd'hui et demain, Patrick Fennell, un ancien président de Rothmans, Benson & Hedges, comparaît devant le tribunal du juge Brian Riordan.
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