Sur le marché des cigarettes « ultra-légères », Benson & Hedges (B&H) et sa Viscount avaient précédé Imperial Tobacco et sa Medallion, au début des années 1970. Voilà un épisode de l'histoire de l'industrie canadienne du tabac que le témoignage de lundi de Ron W. Bulmer au procès des principaux cigarettiers a permis d'examiner.
extrait de la pièce 891, printemps 1977 |
Ronald Willard Bulmer est entré au département du marketing chez B&H en 1972. Il a gravi les échelons et est devenu le vice-président du marketing à la fin de 1976. En mars 1978, il a quitté l'entreprise et travaillé dans d'autres secteurs, en particulier celui des pêcheries. Il est aujourd'hui âgé de 69 ans.
34 ans après son passage dans le monde de la cigarette, M. Bulmer pourrait avoir oublié beaucoup de choses, ce qui lui ferait livrer un témoignage plein de trous de mémoire et ennuyant. Heureusement et malheureusement, ce témoin, comme plusieurs autres à ce procès, a passé plusieurs heures ces derniers mois à préparer son témoignage avec les avocats de son ancien employeur. Avec les défenseurs de Rothmans, Benson & Hedges (RBH) dans ce cas précis. Cela donne davantage de réponses, des réponses qui font défaut d'être originales ou trop révélatrices.
Ron Bulmer a été interrogé par Me Gabrielle Gagné puis par Me Bruce Johnston, pour le compte des recours collectifs, ainsi que par Me Simon Potter pour le compte de RBH.
Déception
Alors que des documents laissaient croire que M. Bulmer avait assisté à une session de formation donnée à l'hiver 1978 à Washington par le Tobacco Institute, un organisme de l'industrie américaine du tabac, le témoin a juré qu'il n'y avait pas été. À la mi-octobre, le témoin John Broen avait lui aussi déclaré au tribunal de Brian Riordan qu'il n'avait pas assisté à cet événement, alors que son nom apparaissait lui aussi sur une liste d'«étudiants» et une liste de réservations. Ces documents maintenant au dossier étaient déjà sur le site de la bibliothèque de documents du tabac Legacy, où est archivée la documentation interne des compagnies de tabac divulguée à la suite de jugements de tribunaux et d'une entente à l'amiable survenue aux États-Unis en 1998 (Tobacco Master Settlement Agreement).
Pour adoucir la déception des avocats des recours collectifs, Ron Bulmer a déclaré qu'il était certain de son absence et qu'il avait aussi « vérifié avec sa femme », une affirmation qui a fait s'esclaffer les juristes de tous bords. Avant d'imaginer que ce genre de remarque doit quelque chose aux astuces des avocats du cabinet McCarthy Tétrault (RBH), l'internaute peut découvrir que ce n'est pas la première fois que M. Bulmer fait allusion à sa femme dans une comparution publique, ce dont témoigne la transcription d'une commission parlementaire à Ottawa en septembre 1998, où M. Bulmer comparaissait à titre de président du Conseil canadien des pêches. (Indice de recherche : Mme Bulmer lit l'Ottawa Citizen.) Bref, au-delà d'un naturel affable, M. Bulmer a l'expérience des relations publiques.
Viscount et la concurrence
pièce 891, page 1 |
Une édition de 1977 (pièce 891) d'une sorte de journal d'entreprise fait remonter la planification stratégique à ce moment où le gouvernement canadien avait publié les premiers tableaux de teneurs en goudron des marques de cigarettes. (C'était en 1969.)
Dans un autre document (d'une vingtaine de pages) destiné notamment aux distributeurs (pièce 896), on ne trouve nulle part de prétention que la basse teneur en goudron fait de la Viscount une cigarette moins nocive pour la santé. On trouve par contre un passage où il est mentionné que les machines à fumer n'exhalent pas la fumée, comme si on voulait suggérer aux vendeurs que les machines ne mesurent rien d'utile ou s'empoisonnent plus vite que les humains.
M. Bulmer a témoigné que la question des méfaits sanitaires du tabac était rarement discutée dans la compagnie à l'époque où il y travaillait. Le témoin a refusé d'admettre que les fumeurs fumaient à cause de l'apport en nicotine que cela leur procurait. Après avoir tenté de son mieux d'éluder la question, l'homme du marketing a fait valoir que c'était plutôt la saveur qui motivait le client. Pour Bulmer, la saveur est associée au goudron.
Lorsque Imperial Tobacco a sorti sa Medallion avec une teneur aussi basse en goudron, Kalhok (pièce 50001) d'Imperial et Bulmer de B&H (pièces 50008 et 898) ont croisé le fer, prenant à témoin Norm McDonald, le directeur exécutif du Conseil canadien des fabricants de produits du tabac (CTMC) à l'époque. La taille des mises en garde sanitaires a fait l'objet d'un différend (pièce 898).
L'usage du mot doux (pièce 897) et l'usage des couleurs (pièce 894) étaient de véritables enjeux pour B&H à l'époque où Bulmer travaillait au marketing.
Intéresser les jeunes fumeurs
L'interrogatoire a permis de verser à la preuve plusieurs documents témoignant de l'intérêt de B&H pour le marché des jeunes fumeurs et des résultats de la compagnie (pièces 899, 899A, 899B, 899C). M. Bulmer a raconté que les projets de nouvelles marques caressés du temps de son passage n'avaient pas encore débouché sur le marché à son départ de la compagnie en 1978.
* *
L'interrogatoire de Ron Bulmer n'a duré qu'une journée.
La prochaine édition de ce blogue parlera de la comparution aujourd'hui de John Broen, un ancien cadre de Benson & Hedges puis de Rothmans puis de RBH, dont le témoignage n'avait pu être achevé à la mi-octobre. Il manquait une demi-journée.
Mercredi et jeudi, l'ancien conseiller juridique interne en chef de RJR-Macdonald, Guy Paul Massicotte, viendra témoigner au tribunal de Brian Riordan.
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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information, puis
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