À certains moments suivant son arrivée en 1977, le jeune chimiste originaire d'Irlande du Nord a envisagé les possibilités d'une cigarette sans tabac et avec l'ingrédient essentiel de la dépendance du client : la nicotine. (Une cigarette tout de même combustible même si elle aurait été sans tabac.)
Malheureusement, le commerce des cigarettes riches en « goudron » cancérigène était trop payant pour que les prudents hommes du commerce laissent les hommes des laboratoires changer aussi radicalement le produit, l'un des piliers de ce qu'on appelle dans les écoles d'administration les « quatre P du marketing » (le produit, le prix, la promotion-publicité et le pipe-line (c'est-à-dire la distribution))
M. Hood a aussi, et plus en profondeur, travaillé sur les caractéristiques de la fumée du tabac, cherchant en particulier à la rendre moins acide, mais plusieurs de ses conclusions se sont heurtées au conservatisme de ses grands patrons et n'ont pas débouché, selon ce qu'il sait, sur des changements du produit commercialisé. Au bout de quelques années, John Hood est parti pour la brasserie Molson, puis vers d'autres cieux.
Aujourd'hui âgé de 62 ans, mince, droit, avec des épaules carrées, John Hood a amorcé un grand nombre de ses réponses hier par un soupir de fatigue ou d'écoeurement, et ne s'est pas privé de rappeler que les questions du procureur des recours collectifs Pierre Boivin concernaient des événements arrivés il y a 30 ou 35 ans.
Me Boivin n'est cependant pas du genre à se laisser impressionner par si peu, et il a profité de la visite de M. Hood pour faire verser en preuve une quinzaine de documents (pièces 676, 676 A et B, 677 à 681, 682, 682 A à D, 683, 684) qui ajoutent des touches au tableau d'une industrie savante et dissimulatrice.
Voici un échantillon des documents examinés.
En décembre 1977, John Hood rapportait (pièce 676B) qu'il a accordé sa priorité à l'élévation de la teneur en nicotine dans les marques canadiennes d'une façon qui produise un goût plus satisfaisant pour le consommateur. Il constatait que ce but peut être atteint en augmentant les éléments riches en nicotine dans les mélanges ou en diminuant le niveau d'acidité (en augmentant le pH) de la fumée, ce qui accroît la proportion de nicotine libre dans la bouffée et procure au fumeur la sensation d'un goût plus prononcé.
Lorsqu'il visita les laboratoires du groupe RJR à Winston-Salem en Caroline du Nord, le chimiste Hood témoigna avec enthousiasme des recherches qui s'y faisaient sur l'ajout de composés d'ammonium au tabac, afin de relever l'alcalinité (diminuer l'acidité) de la fumée (pièce 677). Le processus est surnommé « ammoniation ».
Plus tard, le chercheur a déchanté et déclaré que « l'ammoniation produit des résultats mitigés. D'une part, il y a une augmentation de la douceur, mais elle est de peu de poids, du moins pour les mélanges canadiens de tabac 100 % séché à air chaud et non aromatisé (unflavoured 100% flue-cured Canadian blends), comparée aux retours d'arrière-goût. » (pièce 686)
Dans les années qui suivent, John Hood s'est employé à réduire, par différentes manipulations chimiques des composants de la cigarette, la teneur en goudron de la fumée. (pièces 682, 682A, 682B, 682C et 682D)
Comme le montrent notamment les pièces 683 et 684, les chercheurs de RJR-Macdonald se tenaient au courant des découvertes de leurs confrères à Winston-Salem au sujet de la relation entre la nicotine, le goudron et la satisfaction des fumeurs.
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Le chimiste Hood a répondu par la négative (No, I don't.) quand Me Boivin lui a demandé, avec un texte à l'appui, s'il savait ce qu'était le DM, un additif dont les propriétés étaient évoquées par feu Derick Crawford, le directeur de la recherche et du développement au-dessus de John Hood, dans un document examiné lundi, et que le témoin de lundi, Peter Hoult, ne connaissait pas non plus.
Le juge Riordan a remarqué avec le sourire : « C'est tout un mystère ». On découvrira peut-être que c'était la nicotine, mais un aveu accélérerait les travaux du tribunal.
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Les heures en compagnie de John Hood ont paru longues aux blogueurs et à plusieurs avocats, même si son témoignage a duré moins qu'une journée ordinaire complète d'audition.
La comparution de M. Hood a été suffisamment courte pour permettre à Me Gabrielle Gagné, après le départ du témoin, de reprendre la longue tâche de faire verser au dossier des pièces en conviction un autre lot de documents dont l'auteur et les destinataires sont décédés ou disparus, ou qui ne parlent que de défunts. Pour chaque document, qui comptent parfois plusieurs pages, Me Gagné souligne le ou les passages sur lesquels le juge et les juristes devront porter leur attention.
La valeur probante de ces documents reste encore à établir, mais les procureurs des recours collectifs ont convaincu le juge, le printemps dernier, de la nécessité de les admettre, en dépit des oppositions de la défense des compagnies, laquelle trouve ces documents sans pertinence en regard de la preuve judiciaire, et continue d'ailleurs de le rappeler régulièrement.
Aujourd'hui (mercredi), l'ancien patron de RJR-Macdonald et spécialiste du marketing Peter Hoult vient continuer son témoignage commencé jeudi dernier et poursuivi lundi.
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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectif contre les trois grands cigarettiers, il faut commencer par
1) aller sur le site de la partie demanderesse
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information,
3) et revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens à volonté.
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