jeudi 23 mai 2013

146e jour et un petit bout du 147e jour - Des heures à éplucher des souvenirs du vingtième siècle

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces à conviction, voyez les instructions à la fin du présent message.

Au procès des trois principaux cigarettiers du marché canadien en vertu du Code civil du Québec et de la Loi sur la protection du consommateur, le témoin-expert en histoire David Flaherty a continué durant toute la journée de mercredi de souligner par des commentaires les passages importants dans son rapport d'expertise de 65 pages, qui est une sorte de revue de la presse québécoise allant de 1950 à 1998.

Par moment, l'assistance au procès pouvait avoir l'impression qu'il y avait plus de passages importants que de passages non importants. Plus d'une centaine d'articles ont été « soulignés » par le professeur Flaherty lors de la seule journée de mercredi. Mercredi soir, l'universitaire de carrière âgé de 73 ans a comparé sa journée à trois cours de suite au niveau des études avancées.

Le rapport en tant que tel (pièce 20063 au dossier de la preuve en défense) est complété par des chronologies détaillées, une par lustre: 1950-541955-591960-641965-691970-741975-791980-841985-891990-941995-98  (pièces 20063.2 à 20063.10).

L'interrogatoire par la partie défenderesse commencé mardi s'est enfin terminé tôt jeudi matin. Les avocats des autres compagnies qu'Imperial n'ont pas posé de questions.

Le procureur Bruce Johnston des recours collectifs a manqué de temps pour terminer jeudi son contre-interrogatoire de l'historien Flaherty.

Ce bout de contre-interrogatoire, tout de même substantiel, sera raconté dans notre prochaine édition.


1  La presse le dit, donc tout le monde sait

Grosso modo, la thèse fondamentale de la défense, depuis le début de ce procès, est que le peuple est censé connaître les méfaits sanitaires du tabac puisque la presse n'arrête pas d'en parler, et que les fumeurs sont donc responsables de leur sort puisqu'ils ont choisi de ne pas arrêter de fumer.

La revue de presse du témoin-expert de la défense de l'industrie se lit et s'écoutait comme un hommage appuyé au travail de la presse, ainsi qu'à celui des divers militants de la santé publique, dont les médias ont rapporté les gestes, les déclarations et les revendications au fil de la deuxième partie du vingtième siècle.

L'expert Flaherty a souligné l’œuvre de sensibilisation depuis 1950 du Dr Norman Delarue; des députés canadiens Barry Mather et Lynn McDonald; de Rachel Bureau et Marcel Boulanger du CQTS; du trio Garfield Mahood, David Sweanor et François Damphousse de l'Association pour les droits des non-fumeurs; des journalistes, chroniqueurs ou animateurs Lois Mattox Miller (Reader's Digest), Ann Landers (The Gazette), Gilles Provost (Le Devoir), Lise Lachance (Le Soleil), Jean-Marc Brunet (Le Journal de Montréal), Jean-Luc Mongrain (télévision), etc.

Hélas pour l'auteur d'une narration aussi flatteuse, il n'y avait dans la salle d'audience 17.09 aucun corbeau journalistique susceptible de laisser échapper le fromage du sens critique en écoutant le renard.

D'abord parce que l'assistance était clairsemée.

Ensuite parce qu'il est de notoriété publique ou common knowledge que la presse libre a longtemps servi en parallèle de complaisant véhicule publicitaire pour les produits du tabac, bien qu'avec la méthode Flaherty-Lacoursière, les annonces sont exclues de l'échantillon étudié de messages auxquels le public était exposé. C'est une chose qui était ressortie lors du contre-interrogatoire de l'historien Lacoursière il y a à peine une semaine.

Enfin parce qu'on retrouve dans la sélection Flaherty, comme dans la sélection Lacoursière, des articles au contenu informatif fort disparate. Ainsi, au fil du demi-siècle 1950-1998 tel que revisité par l'expert, les journaux québécois ont rapporté, entre autres,
  • le recul du taux de tabagisme dans la population;
  • l'augmentation du taux de tabagisme chez les jeunes femmes (à un autre moment);
  • la dénonciation par l'Institut du tabac d'un rapport sur les méfaits de la cigarette;
  • les comparaisons faites par des « amis » des fumeurs entre les militants antitabac et des fascistes; 
  • les propos de médecins qui affirmaient que la mort de René Lévesque à 65 ans ont suscité des questions inquiètes de fumeurs concernant leurs poumons;
  • le maintien par la Cour d'appel d'un jugement favorable à la Loi réglementant les produits du tabac;
  • le report de l'obligation d'apposer des mises en garde sanitaires sur les paquets de cigarettes.
(On pourrait continuer l'énumération, mais vous avez pigé l'idée.)

L'interrogatoire de l'historien Flaherty par Me Neil Paris n'a pas permis de savoir quel était le critère d'inclusion d'une nouvelle dans la revue de presse, ni surtout d'apprendre quelle importance relative l'historien accordait à chacune dans la mesure des progrès de la « connaissance commune ».

Si l'annonce d'un recul du taux de tabagisme dans la population témoigne à un moment donné du progrès de la connaissance populaire des méfaits du tabac, une augmentation de la proportion de fumeurs ne devrait-elle pas indiquer le contraire ? Eh bien non. Apparemment, cela fait deux articles qui parlent du tabac, point.

En dépit de commentaires critiques par l'expert, à l'écrit et à l'oral, toutes les nouvelles qui relataient des débats sur des politiques publiques relatives au tabac ont semblé être mises sur le même pied que celles, surtout parues au début de la période, qui rapportent une connaissance médicale des méfaits du tabagisme. Toutes ces nouvelles sont-elles censées s'additionner pour prouver la connaissance des méfaits du tabac ...par les lecteurs des journaux ?? 

Ce n'est pas le duo Flaherty-Paris qui a tiré les choses au clair durant plus de deux jours de dialogue ronronnant.


2  Changement de ton de l'industrie selon ses besoins

En revanche, à la lecture du rapport d'expertise de l'historien Flaherty, comme à la faveur de sa relecture partielle et commentée en compagnie de l'avocat d'Imperial Tobacco, il est facile d'entrevoir que la société québécoise a changé, et la visite des coupures de presse, si elle n'est pas concluante pour le juge Riordan, aura peut-être été jugée divertissante, malgré ses répétitions.

Ainsi par exemple, l'industrie a changé de ton avec le gouvernement.

Dans la revue de presse du professeur Flaherty, on voit qu'en 1969, quand le ministre fédéral canadien de la Santé, John Munro, envisageait de réglementer le commerce du tabac, le président d'Imperial Tobacco Company of Canada Limited (ITCCL) à l'époque, Paul Paré, a parlé de « guerre » et d' « attaque », ce que La Presse et Le Journal de Montréal, entre autres, ont rapporté. (Lors du témoignage de Peter Gage en septembre, ce dernier avait dit que son patron chez Macdonald Tobacco, David M. Stewart, avait pour sa part vu comme un « Pearl Harbor » la publication par le ministre Munro de tableaux de la teneur en goudron et en nicotine de différentes marques de cigarettes.) (Finalement, le projet législatif de Munro a été mis de côté en 1972 et il a fallu attendre 1988 pour que le Parlement adopte un cadre législatif contraignant.)

De nos jours, les communiqués d'Imperial Tobacco Canada parlent des gouvernements comme de « partenaires », alors que les législations et les réglementations sont beaucoup plus exigeantes que dans les années 1960, de l'aveu même de l'industrie. En plus, les partenaires provinciaux ont lancé des poursuites judiciaires contre les cigarettiers... Les temps changent, c'est vrai.

Un autre exemple d'évolution durant la période étudiée est surgi de l'interrogatoire du professeur Flaherty, qui a vu comme l'indice d'un basculement (déjà définitif ?) de l'opinion québécoise les résultats d'un sondage publié à l'occasion de la Semaine des non-fumeurs en janvier 1989 et alors rapporté notamment dans le Journal de Montréal. Selon ce sondage, les Québécois étaient majoritairement favorables à des interdictions de fumer dans les endroits publics.

Et voilà un autre article échantillonné dans le rapport d'expertise sur la « connaissance commune ». Mais si par hasard dans la page d'à-côté un sondage contemporain avait révélé que la majorité des Canadiens déclaraient néfaste le libre-échange nord-américain, est-ce que M. Flaherty ne ferait pas une distinction plus nette entre une connaissance populaire et une opinion ?

On n'a pas pu le savoir.

**

Jeudi matin, le témoin-expert a rallongé la liste de ses étoiles médiatiques de la lutte antitabac en mentionnant la Gang allumée, un réseau de petits groupes d'adolescents militants créé, vers la fin de la période étudiée, par le Conseil québécois sur le tabac et la santé (ce même CQTS qui poursuit les cigarettiers).

L'avocat d'Imperial Neil Paris a aussi offert au professeur David H. Flaherty une occasion d'égratigner son confrère de l'Université Stanford Robert N. Proctor.

Flaherty a déploré l'évolution du style de Proctor depuis son livre de 1999 sur la guerre des Nazis contre le cancer et le tabac, puis  il a accusé l'universitaire californien d'avoir une idée fixe sur l'industrie américaine du tabac et de l'avoir transposé au Canada sans connaître ce pays.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
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