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Jeudi, Me Douglas Mitchell, pour le compte de JTI-Macdonald (JTI-Mac), puis Me Craig Lockwood, pour le compte d'Imperial Tobacco Canada (ITCL) ont pris le relais de Me Simon Potter, pour Rothmans, Benson & Hedges (RBH), afin de terminer le contre-interrogatoire commencé mercredi du professeur émérite de marketing Richard Pollay, témoin-expert appelé par la partie demanderesse dans le procès en recours collectifs contre les trois cigarettiers canadiens.
Pollay face à Me Mitchell et Me Lockwood
Comme lors du contre-interrogatoire de qualification de l'historien Robert Proctor en novembre, Me Mitchell a montré qu'il était extrêmement bien préparé et n'était pas d'humeur à faire de quartier.
Jeudi matin, pendant plus de trois heures et demie, à peine aérées d'une pause de 15 minutes, l'avocat a exposé le professeur Pollay à un feu nourri de questions, des questions qui appelaient comme réponse un oui ou un non. À aucun moment, il n'a semblé que l'expert en marketing faisait l'affirmation ou la négation qui allait apaiser la déstabilisante colère froide du défenseur de JTI-Mac, qui était encore plus terrifiant quand il souriait, et n'a pas été avare de sourires carnassiers.
Bien entendu, chacun sait qu'il y a une part de théâtre dans le métier d'avocat, et le juge Brian Riordan le sait sûrement, mais personne n'a ri jeudi, pas même les co-défenseurs de Me Mitchell quand celui-ci a paru avoir marqué des points.
Qu'est-ce qui a permis à Richard Pollay de tenir le coup? L'habitude de quelqu'un qui a déjà témoigné dans un procès? Une petite séance de yoga à la pause?
Peut-être, mais sûrement aussi en partie, par moment, une certaine impression de déjà-vu.
Car il faut savoir que ce n'est pas la première fois que Rick Pollay fait face à Doug Mitchell. Le professeur de marketing britanno-colombien et l'as du Barreau québécois sont des vétérans de leur camp respectif. En 2002, devant le juge André Denis de la Cour supérieure du Québec, dans un procès intenté par les cigarettiers canadiens au sujet de la validité constitutionnelle de la législation fédérale sur le tabac de 1997, Mitchell avait contre-interrogé Pollay, alors témoin-expert de la Couronne.
À défaut d'avoir observé la cadence, le ton et la gestuelle de l'interrogatoire de l'époque, le lecteur pourra juger de la similarité des thèmes abordés en lisant la transcription du contre-interrogatoire de 2002 et celle de la journée de jeudi dernier au procès actuel.
Si Me Mitchell a pu servir de nouveau plusieurs de ses questions au professeur Pollay, c'est en bonne partie parce que ce dernier n'a pas assez rafraîchi sa contribution à l'édification des juges (Denis puis Riordan) pour s'éviter cette épreuve. (Voir son rapport d'expert de 2000 pour le procès de 2002, et son rapport d'expertise de 2006 dans le présent procès, pièce 1381)
Disons que les réponses de l'expert Pollay ont par moment donné l'impression que ce dernier avait été exagérément économe de certaines vérifications. À d'autres moments, on sentait que Me Mitchell était à la veille de reprocher à Richard Pollay d'avoir sauté trop vite aux conclusions en présumant que RJR-Mac (JTI-Mac avant 1999) croyait à la rotondité de la Terre alors qu'il n'avait pas vérifié que des documents de cette compagnie l'affirmait.
Après la fin des contre-interrogatoires de jeudi, l'avocat des recours collectifs Bruce Johnston a profité des tout derniers moments de Richard Pollay à la barre des témoins pour rafraîchir la mémoire du juge Riordan et montrer pourquoi l'expert n'avait pas trouvé de documents de RJR-Mac qui soient clairement à propos des adolescents comme cibles du marketing. La raison est que le quartier général de RJR International en Caroline du Nord a donné dès 1978 l'ordre de faire disparaître de tels documents, et la filiale canadienne s'est pliée aux exigences (pièce 656).
Ce camouflage documentaire n'a pas empêché l'analyste Connie Ellis du concurrent RBH, en 1994, de remarquer que « RJR est à l'origine de plusieurs études et campagnes de publicité ciblant les starters, c'est-à-dire les 12 à 16 ans. » (pièce 762)
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Avec le ton déférent qui convient à un juriste encore dans la trentaine, Me Craig Lockwood, s'est lui aussi essayé à griller le témoin-expert, en tentant notamment de faire valoir que Richard Pollay avait une tendance à la sélectivité des observations, et que certains mots-clefs relatifs au réconfort (« reassurance ») par l'industrie des fumeurs inquiets pour leur santé (« pre-quitters ») étaient rares dans les archives d'ITCL. Le professeur Pollay a alors expliqué que les mots-clefs en question n'étaient pas les seuls indicateurs des préoccupations et il a mentionné d'autres termes utiles, pour qui voudrait mettre la ceinture et les bretelles.
Me Lockwood a semblé marquer un point quand il a montré qu'un certain document à propos des rares fumeurs qui changent de marque (les « switchers ») avait été produit dans le procès de 2002 (et se trouve dans le dossier du procès actuel, pièce 989.32), alors que le rapport d'expertise de Richard Pollay prétend qu'Imperial Tobacco ne l'a pas produit.
L'éditrice du blogue Eye on the trials, Cynthia Callard, n'a pas manqué de signaler à ses lecteurs que le document avait été versé au dossier du procès de 2002 grâce à l'intervention de Me Maurice Régnier, qui représentait le gouvernement fédéral canadien.
Dans le procès présidé par le juge Brian Riordan, la Couronne fédérale n'est plus là pour rappeler ce qu'on lui doit dans la mise au jour des passes-passes judiciaires de l'industrie.
Pollay face à Me Potter
Dans la profession d'avocats comme dans toutes les professions, on trouve des hommes sur leur quant-à-soi qui ne rient pas volontiers les blagues, surtout quand ils ne les content pas eux-mêmes. Le bouillant Doug Mitchell n'est assurément pas de cette catégorie, et lorsqu'il n'est pas au milieu d'une « exécution », c'est un avocat d'un abord facile et volontiers rieur, avec qui il doit être aisé pour un coéquipier du jour ou même un adversaire d'hier de s'imaginer à un 5 à 7 festif après un événement sportif.
Dans le contre-interrogatoire de mercredi après-midi, son confrère Simon Potter de RBH, avec ses références aux Mercedès et au brandy, et avec ses questions ouvertes et un ton invitant à la confidence presque philosophique, a paru convier le témoin Pollay, non pas au pub pour une partie de tire-au-poignet, mais dans ce genre de clubs à fauteuils rembourrés, où le sort des empires s'est parfois réglé, entre deux bouffées de pipe ou de cigares, et deux gorgées d'eau de vie.
Le professeur de marketing a volontiers concédé à Me Potter que les compagnies de tabac, « pour faire des profits et satisfaire leurs actionnaires », devaient se livrer à de savantes études de marché et faire connaître leurs marques, y compris par la commandite d'événements. Par contre, il n'a pas été d'accord que les mises en garde sanitaires écrites en petits caractères au pied des annonces de cigarettes, mises en garde découlant du code d'auto-réglementation de l'industrie du tabac en vigueur dans les années 1970 et 1980, constituaient une répétition valable de l'information sur les méfaits du tabagisme. D'abord parce que les messages n'étaient pas très explicites quant à la nature des méfaits ou leur probabilité, et parce que seulement 10 % des consommateurs lisent ce genre de petits caractères, selon les experts en marketing.
Le contre-interrogatoire étrangement feutré de Richard Pollay par Me Potter a paru jeter les avocats des recours collectifs dans un abîme de perplexité, ce qui n'a rien fait pour dissiper celle, immense, de votre serviteur. Le défenseur en chef de Rothmans, Benson & Hedges voulait-il, à un certain moment, amener l'expert Pollay sur le thème de la contrebande ?
Le procès présidé par Brian Riordan n'est pas encore, ne sera jamais, celui de la contestation en justice d'une législation forçant les fabricants de cigarettes à vendre leurs produits dans des emballages uniformes et neutres, comme la législation australienne. On pouvait se demander par moment si Philip Morris International, via Simon Potter et sa façon d'« utiliser » le professeur de marketing Pollay, était déjà en train de positionner ses pièces en fonction de cette énorme bataille. Le mystère est resté entier.
Chose plus évidente, comme lors de plusieurs des interventions de Me Potter depuis mars, le véritable ennemi, le vrai coupable, à ses yeux, c'est encore et toujours le gouvernement, contre qui les victimes du tabagisme devraient exercer des recours, au lieu de le faire contre les compagnies de tabac. Malheureusement pour les cigarettiers, le professeur Pollay n'a pas semblé le témoin le plus apte ou le plus utile à détourner les blâmes sur le gouvernement.
La question finale du juge
Le juge Brian Riordan a demandé au professeur Pollay si selon son opinion d'expert en marketing, les stratégies de marketing conçues et appliquées par les cigarettiers induisaient (le public) en erreur.
Richard Pollay a répondu que oui, parce qu'elles ne procuraient pas les renseignements qui auraient vraiment informé les consommateurs et offraient plutôt du réconfort (reassurances).
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Cette semaine, le tribunal ne siège pas.
Lundi et mardi prochains, 4 et 5 février, le pneumologue Alain Desjardins de l'Université de Montréal s'amènera à la barre. Il sera suivi mercredi et jeudi par le chimiste André Castonguay de la Faculté de pharmacie de l'Université Laval.
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