Au procès des trois principaux cigarettiers du marché canadien en Cour supérieure du Québec, la journée de mercredi s'est terminée sur un suspense. Un autre.
Environ une heure avant le moment de la clôture habituelle des débats de la journée, le juge Brian Riordan a exigé des procureurs des recours collectifs qu'ils choisissent entre deux voies : soit le versement en preuve du rapport d'expertise de Christian Bourque soumis aux parties en juillet 2011, le tout à assortir de questions-réponses sur le contenu de ce rapport lui-même, à la suite d'un interrogatoire par la partie demanderesse, puis d'un contre-interrogatoire par la partie défenderesse; soit le retrait de l'actuel rapport de M. Bourque et l'enregistrement éventuel d'un rapport augmenté de toutes les matières sur lesquelles le procureur des recours collectifs André Lespérance a tenté hier d'interroger l'expert et qui ne sont pas dans le rapport, selon les avocats des cigarettiers et le juge.
Les avocats des trois cigarettiers avaient fait valoir que leurs défenses respectives étaient basées sur le rapport de juillet 2011, et le juge a estimé que Me Lespérance dépassait les bornes.
Christian Bourque |
Le rapport d'expertise de Christian Bourque, qui est vice-président à la recherche chez Léger Marketing, porte sur la signification et la portée des études possédées par l'industrie du tabac et destinées à mesurer la perception ou la connaissance des consommateurs quant à certains risques et dangers reliés à la consommation des produits du tabac.
Interrogatoire interrompu
La qualité d'expert en sondages de population et de chercheur en marketing de M. Bourque a été facilement reconnue par les défenseurs de RBH, JTI-Mac et ITCL. Même si Léger Marketing est une firme connue du public québécois surtout pour ses sondages sur les intentions de vote, la firme fait son beurre à 80 % du côté des études de marché pour des entreprises commerciales, et non des partis politiques ou des médias, et Christian Bourque est dans le marketing depuis environ 18 ans, comme quoi une scolarité de doctorat en science politique peut mener loin, surtout pour qui est fort en maths.
L'interrogatoire a permis à M. Bourque de fournir au tribunal une marge d'erreur qui manquait à certaines estimations contenues dans son rapport. Les défenseurs de l'industrie ont encaissé le coup.
Lorsque Me Lespérance a voulu faire faire à l'expert Bourque des comparaisons entre les résultats des sondages de l'industrie auprès des Québécois et auprès de l'ensemble des Canadiens, les objections se sont cependant multipliées, et le procédé de Me Lespérance s'est enrayé.
Grosso modo, le procureur des recours collectifs a présenté son procédé comme une économie de temps : il profite de la présence de M. Bourque à la barre des témoins pour répondre aux rapports de contre-expertise, au lieu de reconvoquer M. Bourque avec un nouveau rapport après que les contre-experts auront témoigné.
De plus, Me Lespérance a de nouveau présenté la contribution de Christian Bourque au procès comme une contre-preuve, étant donné que la défense de fond de l'industrie est de dire que « les gens ont toujours connu les méfaits du tabac », alors que l'évolution même des résultats des sondages de l'industrie au fil des décennies montre une progression des connaissances, à partir d'une situation où la confusion et l'ignorance étaient fréquentes et profondes.
Le juge Riordan n'achète pas l'argument de la « contre-preuve » à ce qui sera vraisemblablement un élément important de la preuve en défense des compagnies.
Pas comme en décembre
En décembre, avec le premier témoin-expert des recours collectifs, le professeur d'histoire Robert Proctor, la bataille sur la qualification de l'expert avait duré toute une journée.
En revanche, au bout du quatrième jour, le juge Riordan lui-même avait profité de la présence de l'expert en histoire des sciences et histoire de la cigarette pour l'interroger sur des choses qui ne se trouvaient pas dans son rapport, du moins pas dans la partie de son rapport qui a été finalement versé comme pièce au dossier de la preuve.
Cette fois-ci, en présence de l'expert Bourque, le juge a répété qu'il savait lire les résultats de sondage. Cette remarque pourrait bien attendre aussi les défenseurs s'ils s'avisent d'utiliser la voie interrogatoire pour étirer la sauce produite par certaines contre-expertises (par exemple le rapport Durand ou le rapport Duch).
(Assistaient silencieusement à l'interrogatoire de Christian Bourque, assis aux côtés des avocats des cigarettiers, les deux contre-experts: la professeure Claire Durand du département de sociologie de l'Université de Montréal et le politologue Raymond Duch de l'Université d'Oxford au Royaume-Uni.)
Des positions inégalement confortables
Toute cette affaire fait cependant entrevoir de nouveau une plausible inégalité des capacités financières des deux parties en présence dans ce procès.
Il ne s'agit pas seulement du budget disponible lorsqu'il s'agit de commander une expertise ou une contre-expertise.
En tout début de séance hier, Me Philippe Trudel a fait part de son espérance que la preuve en défense des cigarettiers, qui s'annonce longue, ne tarde pas à s'enchaîner à la preuve bientôt terminée des demandeurs, en mars, puisque qu'un tel flottement et l'incertitude empêchent les avocats des recours collectifs de prendre d'autres mandats, qui rapportent de l'argent à relativement court terme.
Faut-il rappeler qu'il n'y a pas eu de campagne auprès des malades et autres victimes des pratiques de l'industrie pour leur faire souscrire de quoi financer leur réclamation devant la justice. Les procureurs des recours collectifs gagneront le fruit de leurs efforts de longue haleine par un pourcentage sur les gains obtenus lors d'un verdict final favorable ou d'un règlement à l'amiable. En attendant, les cabinets Lauzon Bélanger Lespérance, Trudel et Johnston, De Grandpré Chait et Kugler Kandestin financent la cause par des emprunts et par d'autres mandats.
Ce ne serait pas faire preuve d'une grande audace éditoriale de dire que les avocats d'ITCL, de RBH et de JTI-Mac ne ménagent pas leurs efforts et dépensent des trésors de vigilance et d'intelligence dans la défense de leurs clients.
Si la défense est financée à la manière traditionnelle, les cabinets Osler, Harkin & Harcourt, McCarthy Tétrault, Borden Ladner Gervais, et Irving Mitchell Kalichman facturent cependant aux compagnies de tabac les heures de travail de leurs cerveaux, peu importe l'issue du procès.
Le principal empêcheur de tourner en rond dans un procès, en cette matière comme en d'autres, c'est comme toujours le juge.
Plus tôt cette semaine, le juge Riordan, sur le mode de la plaisanterie, a passé le message de sa volonté de ne pas voir le procès s'étirer indûment.
*
Le public de la salle d'audience 17.09, incluant la presse, saura ce matin si l'interrogatoire de l'expert Bourque se poursuit. Un interrogatoire en français, cela fait changement. Le sous-marin est au port.
La semaine prochaine, le témoin-expert attendu est le professeur de marketing à la retraite Richard Pollay.
**
Pour
accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents
relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par
1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.