Aux yeux du juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec, non seulement il est normal que les experts finissent par avoir de fortes convictions, mais il serait presque anormal qu'ils n'en aient pas. Pour autant, cela n'empêche pas le magistrat de reconnaître l'expertise d'un témoin, son utilité. C'est ce qu'il avait fait à la fin de novembre avec l'historien Robert Proctor. Rebelote aujourd'hui.
Richard W. Pollay |
Son témoignage en tant que tel a commencé aujourd'hui mais n'a pas été bien long, surtout parce que Me Simon Potter et Me Doug Mitchell, pour le compte des trois compagnies de tabac canadiennes, ont longuement contre-interrogé le professeur Pollay, avant de réclamer qu'il ne soit pas admis du tout comme expert. Leur motif principal : le professeur de 72 ans manque d'objectivité et d'indépendance.
Comme Proctor, Pollay a donné l'impression, lors du contre-interrogatoire, de ne pas être un genre d'homme à se sentir coupable d'avoir déjà traité implicitement les marketeurs du tabac de menteurs (dans le prospectus d'une vidéo documentaire) ou d'assassins (dans un carton d'invitation à une conférence), et il ne semble y voir aucune contradiction avec son rôle de chercheur universitaire.
Richard Pollay a une voix de contrebasse et aucune émotion apparente ne vient introduire de variation de volume, de débit ou de tonalité dans ses réponses, même aux questions les plus surprenantes.
Le bonhomme s'est déjà permis de transmettre des documents internes de l'industrie, qui venaient tout juste d'être divulgués dans un procès où il avait témoigné, à une collègue professeure à UBC qui s'apprêtait à aller témoigner en faveur de cigarettiers dans un autre procès. Pollay lui offrait de lui transmettre d'autres documents pour satisfaire sa possible curiosité intellectuelle. Me Potter a bien tenté de présenter ce geste comme le fait d'un fanatique, mais le juge Riordan a au contraire loué le comportement du professeur Pollay et fait valoir que ce comportement devrait être la norme entre les experts.
Pour sa part, le juge André Denis de la Cour supérieure du Québec, dans son jugement de 2002 qui faisait suite au procès sur la validité constitutionnelle de la Loi (fédérale) sur le tabac de 1997, avait estimé que « le témoin (Pollay) est une encyclopédie vivante de la publicité sur le tabac et un scientifique rigoureux en marketing ». Les juges Chabot et Brossard, ont eu des commentaires plus défavorables à Pollay mais ne l'ont pas pour autant récusé.
Lorsque, après la qualification du professeur de marketing comme expert, Me Craig Lockwood a tenté de faire retrancher au rapport d'expertise de Pollay (pièce 1381) plusieurs sections, il n'a pas eu plus de succès que les vétérans des causes des cigarettiers Potter et Mitchell. Le juge Riordan a refusé d'imposer le charcutage demandé, même s'il était d'avis que ces sections l'informent peu ou pas du tout.
Il faut dire que Brian Riordan préside depuis mars dernier un procès où les occasions d'en apprendre sur le marketing n'ont pas manqué. Le rapport du professeur Pollay date déjà d'octobre 2006.
Pour ceux qui s'intéressent aux questions de marketing du tabac sans avoir tout suivi comme le juge Riordan, le rapport demeure instructif.
L'interrogatoire de l'expert Pollay par le procureur des recours collectifs Bruce Johnston a permis de faire ressortir quelques leçons du genre :
- la cigarette se distingue des autres produits en ce que les fumeurs regrettent massivement d'avoir adopté le produit;
- l'augmentation du pouvoir d'attraction d'une marque d'un produit entraîne celle de la catégorie de produits;
- quand ils commencent à utiliser un produit, les gens jugent de la popularité d'une marque par l'abondance de la publicité
- la marque la plus souvent choisie est celle qui évite au maximum le ridicule;
- sur le marché des cigarettes, la différenciation des produits est forte mais provient très peu de différences substantives des cigarettes.
Le professeur Pollay a brièvement raconté l'histoire de la célèbre marque Marlboro, dont le marché se trouvait originalement plutôt féminin et restreint, et que les marketeurs ont transformé en cigarette emblématique de la virilité et en succès commercial monstre. Tout cela par la magie de la publicité et non pas de la chimie.
Il a aussi affirmé que le conflit interne ressenti par une majorité de fumeurs, entre leur connaissance de la nocivité du produit et leur incapacité d'arrêter de fumer, les rend particulièrement réceptifs à un message de réassurance en provenance des cigarettiers. La réassurance servie par l'industrie peut concerner le statut social du fumeur ou directement les aspects sanitaires. Cette politique a permis de modérer la tendance à la baisse des ventes.
Pollay a expliqué qu'en quelques années dans les années 1950, les marques sans filtre les plus populaires ont cédé la place aux cigarettes à bout filtre. Les filtres furent d'abord présentés comme une protection sanitaire. Par la suite, les implications sanitaires ont été subtilement suggérées plutôt qu'énoncées noir sur blanc.
L'expert en marketing a dit qu'il ne connaissait pas de praticien du marketing qui se limite à à voler des clients à la concurrence et s'abstient de favoriser la croissance du marché.
L'interrogatoire se poursuit mardi.
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