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Par ailleurs, voici ci-dessous un écho plus complet du 102e jour du procès.
( Vous aviez déjà lu que l'interrogatoire de l'expert Christian Bourque commencé mercredi n'a pas repris jeudi 102e jour, première partie : exit Bourque ).
102e jour, deuxième partie : par ici les problèmes
Tant qu'à être réunis jeudi devant le juge, les avocats des deux parties ont brièvement discuté de plusieurs affaires et ont tenté, entre autres, de s'entendre sur les formalités de la production de certains documents, avec très peu de succès évidents.
Par ailleurs, certaines requêtes ont été annoncées, ou annoncées de nouveau, qui font craindre des perturbations et des retards à venir dans l'avancement du procès.
Voici une revue des enjeux soulevés par les débats de la semaine, examinés sans souci de l'ordre chronologique.
2.1 Simon Potter témoignera-t-il ?
Lundi, le juge Riordan avait paru stupéfait de voir le nom de Me Simon Potter dans la liste des personnes que les procureurs des cigarettiers veulent appeler à la barre des témoins de faits en vue de la preuve en défense.
Même s'ils se sont employés depuis mars à faire devant le tribunal la preuve qu'il y a eu chez Imperial Tobacco, au début des années 1990, une vaste opération de destruction de rapports scientifiques et autres documents susceptibles de servir contre la compagnie dans des litiges, les avocats des recours collectifs donnent toutes les apparences d'avoir exclu de faire témoigner Me Potter, qui était jadis un conseiller juridique externe d'Imperial et sait beaucoup de choses sur cette opération.
Pour construire sa preuve, la partie demanderesse au procès s'est plutôt rabattue, entre autres, sur le témoignage de quelques autres avocats associés aux événements ou mis dans le secret, tels que Roger Ackman, John Meltzer, David Schechter ou Lyndon Barnes.
En auraient-ils décidé autrement que les demandeurs se seraient heurtés, entre autres, au juge Riordan, qui s'est montré sensible à l'idée qu'un justiciable, la compagnie RBH dans le cas présent, ne doit pas être empêché par la partie adverse ou sans nécessité de choisir et d'employer pleinement l'avocat qui lui paraît le meilleur, et dans ce cas-ci, d'engager un vétéran des causes de l'industrie comme Simon Potter.
Mais que se passe-t-il quand le catapultage à la barre des interrogatoires est décidé par un codéfendeur de RBH, c'est-à-dire ITCL ?
Lundi, Me Potter a déclaré que son rôle de témoin potentiel ne lui plaît pas, et déclaré que ce n'était pas lui ou son client (RBH) qui a décidé de l'amener à la barre des témoins.
Le juge Riordan a fait transmettre à ITCL, par Me George Hendy et par Me Simon Potter, son voeu qu'ITCL n'appelle pas ce dernier à la barre des témoins.
Jeudi, Me Bruce Johnston, qu'on avait pas encore vu ou entendu à la Cour depuis le début de la semaine, a exprimé publiquement son soupçon. « Je serais sidéré si Me Potter n'était pas partie prenante à la décision de le mettre sur la liste (des témoins).» (I would be flabbergasted if Mr Potter was not a party to the decision to put himself on the list.)
Bien que le juge ait taquiné le procureur des recours collectifs sur son choix de mot (flabbergasted), il a exprimé avec un redoublement de gravité son vœu qu'ITCL organise sa défense sans appeler Me Potter à la barre des témoins. Cela n'a pas la meilleure façon de procéder, a-t-il prévenu.
2.2 De la difficulté de faire témoigner des avocats
Le cas Potter a consommé très peu de temps. Par contre, jeudi comme à plusieurs reprises ces derniers mois, il a été longuement question des obstacles à l'enregistrement comme pièces au dossier de la preuve du témoignage écrit de David Schechter, d'un mémo de J. Kendrick Wells à un grand patron de Brown & Williamson (Pritchard), et de documents relatifs au témoignage inachevé de Guy-Paul Massicotte devant le juge Riordan en octobre et novembre derniers.
Or, Schechter, Wells et Massicotte ont la qualité d'avocat. (Avait, dans le cas de Schechter, qui est décédé.)
Pour ces trois cas comme pour d'autres survenus dans d'autres procès intentés contre l'industrie du tabac, nul n'a prétendu que tout ce qu'un avocat dit, écrit, touche, lit ou entend devient du secret professionnel.
Pourtant, l'auteur du présent blogue ne peut éviter de se souvenir parfois du roi Midas, un personnage de légende de la Grèce antique, qui vit un jour exaucé son vœu de transformer en or tout ce qu'il touchait.
Midas, pour ne pas mourir de faim, se ravisa vite et implora Dionysos de défaire le miracle. Quant à la limitation du secret professionnel des avocats, les juges ont leur mot à dire là-dessus, et on peut relire entre autres les jugements concordants de Brian Riordan le 17 mai et de la Cour d'appel le 14 décembre sur une distinction entre le secret concernant la préparation d'un litige et le secret professionnel stricto sensu.
Dans les cas Wells et Massicotte, le différend entre les deux parties ne semble cependant pas avoir été tranché.
2.3 Concilier des expertises non concordantes
À la fin de février, les recours collectifs voudraient faire témoigner le professeur d'épidémiologie Jack Siemiatycki de l'Université de Montréal.
Les compagnies de tabac ont commandé pas moins de six contre-expertises.
Le procureur des recours collectifs André Lespérance a exprimé son voeu que son expert puisse répondre à ses critiques. Il a été question d'une projection avec le logiciel Power Point et que l'épidémiologue québécois montre ce que donnerait une reprise de ses calculs en tenant compte des hypothèses suggérées par ses critiques.
Le juge Riordan a semblé ouvert à l'idée, mais les avocats des cigarettiers considèrent qu'une présentation de ce type diffère trop substantiellement d'un petit calcul fait par un expert sur une feuille de papier lors d'un interrogatoire et que les juges ont coutume d'accepter en preuve. Les défenseurs des compagnies de tabac aimerait avoir la présentation du professeur Siemiatycki le plus tôt possible avant sa comparution.
2.4 Débattre de requêtes sans enliser le procès
Il a été question d'une requête de la partie demanderesse en radiation de certaines allégations de la défense. L'industrie voudrait de son côté plaider une requête en annulation de certaines accusations des recours collectifs, faute de preuve, rien de moins.
Ces histoires remontent à 2009, et le procès a pu débuter en 2012 parce que les parties ont fait un compromis, mais il semble à la veille de la caducité.
Il faudra trouver du temps pour entendre les plaidoiries sur la question, au milieu d'un calendrier serré de comparutions de témoins-experts.
Et il faut mélanger cela avec des appels à prévoir devant la Cour d'appel du Québec
Le juge a redonné des signes de vouloir commencer la preuve en défense des cigarettiers sans tarder et d'en finir avec l'ensemble du procès en deux ou trois ans. Plus tôt dans la semaine, il lui est arrivé de dire : « It is not that I don't like to be with you, guys, but ... (il faut finir un jour ce procès).
Avec le sourire, comme d'habitude.
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Le témoignage du professeur de marketing Richard Pollay commencera lundi matin.