mardi 12 mars 2013

114e + 123e jours - Mr Knox out of the box (14 février et 11 mars)

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

Les francophones disent qu'il faut garder l'esprit ouvert, voir plus loin que son nez, ne pas mettre d’œillères. Les anglophones disent qu'il faut « penser hors du cadre « (to think out of the box).

À 71 ans, Wayne Knox semble ne jamais avoir oublié cela, et tant pis si la grande corporation, typiquement, n'est pas un milieu idéalement accueillant pour les esprits libres et les préfère, occasionnellement, sous la forme de consultants.

Quand on entend Wayne Knox dire qu'Imperial Tobacco Canada, à l'époque où il y était cadre, ne cherchait pas à vendre à des non-fumeurs, on se dit : pas encore un autre pour tenter de nous faire accroire que le seul but du marketing chez un cigarettier était de voler de la clientèle aux concurrents, qui ne pensait pas à empêcher les fumeurs de décrocher ou qui ne pensait pas à recruter de nouveaux fumeurs chez les jeunes?

Eh bien, non, monsieur Knox dit cela parce qu'il sait et reconnaît facilement que plusieurs jeunes bien en-dessous de l'âge légal sont déjà des fumeurs, par le simple effet de l'imitation des adultes et des pairs. Parmi les documents examinés dont Knox est l'auteur, on en trouve un du milieu des années 1970 où il rapporte que 20 % des fumeurs commencent entre 15 et 18 ans, 50 % avant cela. 30 % le font après 18 ans. Il est difficile de croire que M. Knox était le seul à savoir cela dans l'univers des cigarettiers.

Knox ne fait pas seulement que reconnaître que les compagnies observent avec un vif intérêt les nouvelles recrues, on sent que le bonhomme n'aurait pas eu de remords à faire ouvertement des campagnes de marketing auprès des jeunes fumeurs, puisqu'ils étaient fumeurs de toutes façons.  En revanche, les patrons de l'expert en marketing craignaient de s'attirer les foudres du gouvernement, et ils n'ont rien voulu savoir. Knox s'est dit ou se dit qu'Imperial faisait assez de profit sans cela.

Les autres témoins issus de l'industrie, qui ont parfois des trous de mémoire fort commodes, se souviennent toujours par coeur d'une ritournelle du genre « nous faisions des cigarettes à basse teneur en goudron et le gouvernement avait fait accroire aux consommateurs que c'était plus sûr, nous nous n'avons jamais dit cela...  Le croyiez-vous ? Je ne sais pas ce qu'on croyait, ou (variante) on n'y pensait pas....».

Knox, lui, croyait que les cigarettes à basse teneur en goudron étaient effectivement plus sûres pour la santé. Pour lui, il n'y a pas de différence entre les deux. Pourtant, la compensation, il connaît cela aussi, des mémorandas en parlaient dès le début des années 1970 (exemple : pièce 1022), et les avocats n'ont pas besoin de détour pour lui faire admettre la réalité du phénomène. Pour lui, la compensation est un accident, un phénomène qui n'était pas prévu par l'industrie, et il ne croit pas que les fabricants aient machiné le phénomène. Il n'a pas dit non plus qu'ils ont fait quoi que ce soit pour empêcher le phénomène.

Désinvolte, chaleureux, taquin, curieux, passant la moitié de sa semi-retraite en Thaïlande, Wayne Knox est le premier témoin à avoir occupé un poste dans l'industrie canadienne du tabac et dont celle-ci n'a apparemment pas formaté du tout le cerveau, peut-être parce qu'il a quitté le monde des cigarettiers dès 1985 pour travailler ailleurs, d'abord dans le marketing de la restauration-minute.  Il est tout de même parfois revenu conseiller son ancien employeur, et même jusqu'à ces dernières années.

Knox croyait en son produit en général, il croyait qu'il était de moins en moins toxique, et pourtant il entrevoyait aussi le déclin de l'industrie de la cigarette, sous l'influence combinée d'une acceptabilité sociale en pleine chute et de taxes élevées.
extrait de la pièce 1448 (W. Knox est l'auteur)

Il y a trente ans, Knox remarquait que les fumeurs n'étaient déjà plus capables de trouver des bénéfices au tabagisme. Il ne fait pas la distinction subtile et artificieuse de plusieurs cadres du tabac entre une dépendance dite classique (addiction) et la dépendance de la « nouvelle définition ». (dependency) (« nouvelle » vieille d'un minimum de 25 ans dans les documents d'autorités comme le Surgeon General des États-Unis, mais vieille de 49 ans chez les spécialistes de la dépendance (voir le témoignage à venir de l'expert Juan Negrete).

Une bonne partie de la journée du 14 février a consisté à interroger le témoin Knox au sujet d'une brique de 500 pages relative à un colloque interne à l'empire British American Tobacco tenu au Québec en juillet 1984  (pièce 1366.2).  M. Knox était l'un des deux principaux organisateurs de ce colloque.

Me Bruce Johnston a mené l'interrogatoire. Il a terminé en début d'après-midi lundi 11 mars.
On parle d'interrogatoire, mais l'avocat avait parfois l'air d'un intervieweur de la télévision qui a bien préparé ses questions et reçoit des réponses intéressantes, mais qui a aussi le bonheur de voir son invité prendre occasionnellement les devants et proposer lui-même une explication supplémentaire ou verser dans la confidence.

(Du temps où il vivait à Montréal, M. Knox a déjà donné des cours à l'École des Hautes études commerciales. Ces jours-ci, sa démangeaison d'enseigner est si forte qu'avant le début de l'interrogatoire de lundi, il a discrètement remis à la blogueuse Cynthia Callard (Eye on the trials) des diagrammes manuscrits où sont comparés la structure organisationnelle d'un département de marketing classique à la Procter & Gamble et celui qu'avait ITCL durant la majeure partie du séjour de M. Knox dans l'entreprise. Le professeur Knox a brièvement expliqué que la structure inventée par le grand de la lessive (P&G) en 1938, et imitée sans discernement par toutes les grandes corporations du monde, mettait les gérants de marque en concurrence, une concurrence stérile, en particulier pour les budgets publicitaires, alors que l'autre modèle, forçait les acteurs de l'entreprise à planifier avec une vue d'ensemble. Knox a dit à Mme Callard et à votre serviteur que lorsque British American Tobacco a accru son contrôle direct sur ITCL, au milieu des années 1990, l'expérience d'une structure originale dans l'entreprise canadienne a pris fin, sans avoir été imitée dans d'autres grandes entreprises.)

Le contre-interrogatoire prévue par l'industrie a été d'une remarquable brièveté. Me Glendinning d'Imperial a fait dire au témoin Knox qu'il avait refusé de la rencontrer avant sa comparution, et puis s'est rassise. Me Potter de Rothmans, Benson & Hedges a fait dire à M. Knox qu'il n'avait jamais partagé ses analyses et découvertes avec la concurrence d'Imperial. Il faudrait apparemment en conclure que RBH ne savait rien. Bref, RBH serait moins coupable qu'Imperial du fait de l'incompétence de son département de marketing. Tous les brillants marketeurs du genre Kalhok, Bexon et Knox étaient chez Imperial. Ouf.

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Knox n’a jamais su qu'on pouvait penser à détruire des documents et il n’aurait jamais jugé utile la destruction de la brique ci-haut mentionné « qui ne contenait rien de compromettant ».

L'expert en marketing a aussi rapporté sa difficulté d'obtempérer aux directives des bibliothécaires d'Imperial qui se plaignaient de ne pas revoir certaines études empruntées par Wayne Knox, et que celui-ci était le seul à pouvoir retrouver dans son bureau bien rempli et désordonné (pour autrui). Knox a mentionné le souci des bibliothécaires de faire de la place au centre de documentation. Étrangement, ce souci du manque d'espace aurait pu les rendre heureuses que M. Knox garde des documents dans son bureau...

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Quand il a commencé à travailler chez Imperial au début des années 1970, Knox a constaté avec étonnement que la compagnie n'avait jamais interrogé les fumeurs sur leurs raisons de fumer. Lui trouvait que c'était une bonne question à se poser. (pièce 1041)

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Il y a plusieurs moyens de segmenter un marché, selon le témoin Knox.  Sous sa direction, les marketeurs d'Imperial se sont notamment mis à tenir compte du lieu où telle ou telle marque est vendue.  Vers 1985, grâce à un traitement avant-gardiste (informatisé) d'une masse de données, la compagnie savait que les Player's se vendaient bien dans telle sorte de magasin et les Matinée dans une autre sorte de points de vente, fréquentés par une clientèle différente. C'est ainsi qu'elle savait que l'endroit privilégié où rejoindre les jeunes hommes fumeurs est le dépanneur. Les arénas étaient aussi dans le collimateur de l'industrie, selon M. Knox

Depuis le début du procès, il y a maintenant un an, des témoins issus des entreprises concurrentes d'Imperial ont noté que cette compagnie occupait un maximum d'espace visuel dans les dépanneurs. Maintenant on sait que ce n'était pas par hasard.

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Comme son ancien patron Anthony Kalhok (témoignage d'avril), Wayne Knox croit que les recommandations sanitaires du gouvernement du Canada au début des années 1970 étaient les suivantes : ne commencez pas à fumer; si vous fumez, arrêtez de fumer; si vous ne pouvez pas arrêter, fumez moins; si vous ne pouvez pas fumer moins, fumez des cigarettes légères ou douces.

Peut-être que les défenseurs des cigarettiers feront un jour verser au dossier de la preuve un document confirmant que telle était la politique du gouvernement du Canada, mais pour le moment, cette croyance a la vie facile.


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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm


2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
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