samedi 22 décembre 2012

98e jour - 19 décembre - La destination des débris, le tabac reconstitué et l'accumulation des pièces au dossier

Wolfgang Karl Hirtle a été mercredi matin le dernier témoin de l'année 2012 au procès en responsabilité civile des trois principaux cigarettiers canadiens devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec.

M. Hirtle est un ingénieur en procédés de 58 ans, entré chez Imperial Tobacco (ITCL) en 1979 et retraité depuis 2010.

Alors que tous les témoins masculins qui sont comparus jusqu'ici à ce procès portaient un veston et une cravate, M. Hirtle, un homme de haute taille à la carrure athlétique, était vêtu d'une simple chemise pâle à manches longues et d'un jean noir sans ceinture. Les avocats et le juge portaient tous leur toge, ce qu'ils font à chaque fois qu'un témoin doit comparaître.

convoyeur dans une usine vietnamienne
L'interrogatoire de l'ingénieur Hirtle par Me Gabrielle Gagné puis par Me André Lespérance a permis quelques confirmations ou des compléments d'information au témoignage des 30 août et 15 novembre de Pierre-Francis Leblond (ITCL), ainsi qu'aux témoignages des chimistes Ray Howie et Norm Cohen, respectivement retraités de JTI-RJR-Macdonald (JTI-Mac) et de Rothmans, Benson & Hedges (RBH).

Au terme d'un échange à cadence rapide où les acronymes WTS, WTSA, SDS, CRS et SRS fusaient comme les numéros d'articles du Code de procédure civile et du Code civil à d'autres moments de ce procès, et où on a compris de M. Hirtle que le tabac reconstitué (le recon) peut se présenter sous la forme d'une boue ou d'un pain plat, Me Gagné a demandé au témoin avec quels ingrédients était fabriqué le recon produit à l'usine « Ajax » d'Imperial Tobacco.  (L'usine était située sur l'île de Montréal, à LaSalle, aujourd'hui un arrondissement suburbain de la ville de Montréal.)

L'avocate se doutait bien de la réponse : le recon est fait essentiellement de débris de tabac récupérés dans les usines.

Elle s'est alors intéressée plus particulièrement à la provenance géographique de ces débris. M.Hirtle a déclaré qu'il venait de différentes usines, incluant les usines de Guelph et de Québec, mais pas l'usine de Montréal, parce que ses débris étaient de moins bonne qualité, et que les débris de Guelph et Québec suffisaient amplement aux besoins.


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Ici, l'auteur du blogue doit confesser qu'il a fini par conclure de l'ensemble de l'interrogatoire que l' usine de Montréal (« Montreal plant ») dont il était toujours question était celle d'ITCL située dans le quartier St-Henri, usine aujourd'hui fermée et convertie en habitations.

Il y a cependant une autre usine de cigarettes à Montréal, en opération à l'époque et encore maintenant : celle de JTI-Macdonald, au coin des rues Ontario et d'Iberville.

Il faudra probablement revenir dans ce blogue sur les rapports entre les différentes compagnies de tabac quant à la provenance des matériaux du recon et quant à sa destination, et clarifier le tout.

En attendant, voici une catégorisation provisoire : 
  • compagnies d'où provenaient les débris qui servaient à fabriquer le recon à l'usine Ajax : ITCL et RBH
  • compagnies qui ont été à certains moments la destination du recon d'Ajax, selon la pièce 40001: ITCL et JTI-Mac.
Durant au moins une partie de la période couverte par les recours collectifs (1950-1998), ITCL a eu des usines de cigarettes à Montréal (St-Henri), à LaSalle et à Guelph, en Ontario; JTI-Mac à Montréal (Faubourg à mélasse), et RBH à Québec et à Toronto. ITCL a eu aussi une usine de cigares à Joliette et une usine de pré-traitement des feuilles de tabac et des tiges, à Aylmer en Ontario.  Cette dernière approvisionnait aussi l'usine Ajax.

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W. K. Hirtle a aussi affirmé que le ramassage des débris de tabac dans les usines ne se faisait pas quand le temps était trop humide, afin d'éviter la moisissure. La majorité des débris venaient des usines (et non, entre autres, des cigarettes conservées trop longtemps dans les magasins faute d'être vendues).

L'ingénieur s'est souvenu que les machines étaient nettoyés après la fabrication du tabac haché fin (vendu en blagues), pour éviter que les additifs utilisés dans ces mélanges aboutissent dans les mélanges des cigarettes. Il a été question de l'amidon et de la glycérine utilisés comme un des additifs dans plusieurs marques, particulièrement des marques de tabac haché fin (vendu aux fumeurs de pipe ou de cigarettes à rouler).

Par contre, M. Hirtle ne se souvient pas si les résidus du tabac haché fin étaient utilisés dans le recon fabriqué par ITCL. En outre, il a confirmé que le même ensemble de machines était utilisé pour le recon destiné à toutes les compagnies.

Me Lespérance a cherché à mesurer les allers et venues des flux de débris et de recon. Le témoignage de M. Hirtle porte à penser qu'environ la moitié des débris ramassés par les collecteurs mécaniques à la grosse usine de Guelph était jetée à la poubelle, et que l'autre moitié, jointe avec ce qui arrivait de Québec, donnait un volume de matériau largement suffisant pour exempter ITCL d'avoir à utiliser les débris et poussières de l'usine de Montréal.

Me Lespérance a fait confirmer par l'ingénieur Hirtle que la politique d'ITCL était de réduire à zéro le gaspillage de matériau et qu'il n'avait pas de preuve que les débris de Montréal n'étaient pas utilisés. Le témoin a laissé échapper un court ricanement devant l'insistance de l'avocat. M. Hirtle avait l'air assez sûr de lui-même, sans cependant prendre de ton arrogant.

Me Lespérance a fait verser au dossier de la preuve une lettre attestant de l'acheminement des débris de Montréal vers l'usine Ajax (pièce 1256, temporairement confidentielle). W. K. Hirtle a semblé maintenir son opinion qu'Ajax n'avait pas besoin de les utiliser pour produire son volume désiré de recon, tout en reconnaissant que ce n'était pas exclu.

Le juge Riordan a voulu savoir quelle proportion de recon se retrouvait dans les mélanges incorporés dans les cigarettes. C'était à peu près 4 pourcent, a témoigné M. Hirtle, c'est-à-dire 0% dans certaines marques et 8 % dans d'autres marques. Il y avait peut-être une marque avec 10 % de recon.

Il n'y a pas eu de contre-interrogatoire. Wolfgang Karl Hirtle aura passé seulement 2 heures à la barre des témoins.


Un après-midi tranquille et productif

Dans l'après-midi, une soixantaine de documents ont été enregistrés comme pièces au dossier.

Aux côtés d'une correspondance interne des trois compagnies, abondante et variée, il y avait un extrait du Hansard du Parlement du Canada sur les auditions de la commission de 1969 présidée par le député Gaston Isabelle.

Deux lettres de l'avocat David Sweanor, un ancien employé de l'Association pour les droits des non-fumeurs, à des dirigeants de compagnies de tabac ont été versées au dossier.

Lorsque les procureurs des recours collectifs ont voulu enregistrer aussi une lettre de M. Sweanor à la ministre de la Santé et du Bien-être social du début des années 1980, l'honorable Monique Bégin, l'avocat de RBH Pierre-Jérôme Bouchard s'est objecté au motif que ce genre de pièces devait ou devrait être produite quand l'expéditeur de la lettre est appelé à la barre, et que les demandeurs n'ont qu'à faire enfin comparaître M. Sweanor.

Le juge Riordan a maintenu l'objection de Me Bouchard.

Me Lespérance a alors laissé entendre que les recours collectifs allaient convoquer M. Sweanor.

Personne n'a mentionné la possibilité d'entendre le témoignage de Mme Bégin.

* *

À la fin de la journée de jeudi, à 16h57, il ne restait que douze braves dans la salle d'audience : les procureurs Trudel, Gagné et Lespérance pour les recours collectifs; les avocats George Hendy et Nathalie Grand'Pierre (ITCL), Pierre-Jérôme Bouchard (RBH), de même que Catherine McKenzie et Patrick Plante (JTI-Mac), plus le juge, la greffière, la sténographe et votre serviteur.

Le tribunal recommencera à siéger le 14 janvier. Un débat est prévu sur l'admission en preuve du célèbre mémorandum de novembre 1989 de l'avocat Kendrick Wells de Brown & Williamson, et sur l'intensité du caviardage qu'il convient d'imposer au témoignage écrit de février 2005 de feu David Schechter devant un tribunal américain présidé par la juge Gladys Kessler.

Le juge Riordan a encore répété, avec le sourire, et sans ironie apparente, qu'il s'attend à voir le 14 janvier le programme de défense des compagnies. Les recours collectifs auront terminé leur preuve au tout début de mars.


***

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm

2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.