lundi 10 décembre 2012

92e jour - 10 décembre - Des scientifiques censurés par des avocats

Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.

15 pages.  Elle comptait 15 pages, la première version, datée du 22 septembre 1989, du compte-rendu d'une réunion de vice-présidents à la recherche et au développement ou de scientifiques en chef au sein du groupe mondial British American Tobacco (BAT), réunion tenue du 18 au 22 septembre 1989 à l’hôtel Pan Pacific de Vancouver. (pièce 262)

Il s'agissait d'un brouillon...

Dans une des versions conservées chez Imperial Tobacco Canada (ITCL) à Montréal, vraisemblablement la version finale, du moins c'est ce qui est écrit dessus, datée du 12 décembre, le compte-rendu ne comptait plus que trois pages. (pièce 262B)

De 15 à 3 pages, à trois mois d'intervalle...

Lorsque Me Philippe Trudel avait interrogé là-dessus l'ancien chef de la direction d'ITCL, Jean-Louis Mercier, en avril dernier, ce dernier n'avait pu livrer aucune explication. M. Mercier s'était joint pendant quelques heures à la réunion de « scientifiques » du groupe BAT.

Le 31e témoin de faits au procès des cigarettiers canadiens au palais de justice de Montréal, Jeffrey Wigand,  un ancien v-p. à la R & D de Brown & Williamson, compagnie américaine soeur d'ITCL, a aujourd'hui (lundi) affirmé qu'il avait pour sa part reçu à l'époque une version où il avait trouvé plusieurs trous et bien des inexactitudes. (pîèce 262A) Cette version compte 12 pages et est datée du 28 septembre 1989.

Parmi les 12 personnes qui avaient participé à la réunion, 8 « docteurs », dont deux du Royaume-Uni, deux du Canada, deux d'Allemagne, un du Brésil et un des États-Unis.

Dans le cas de Jeffrey Wigand, on parle d'un doctorat en biochimie de l'École des sciences médicales de l'Université de l'État de New York (SUNY) à Buffalo,  précédé d'une formation en chimie organique.

(Dans les autres cas, la chose n'a pas été spécifiée, et n'est pas très importante, mais après plus de 90 jours de procès, il n'a jamais été question une seule fois d'un docteur en médecine à l'emploi d'une compagnie de tabac, et il est raisonnable de supposer, jusqu'à preuve du contraire, qu'il s'agissait de docteurs en chimie ou dans une discipline scientifique qui intéresse particulièrement les recruteurs des cigarettiers.)

Le témoin Wigand a affirmé aujourd'hui que son homologue chez ITCL à Montréal, Patrick Dunn, était indigné d'une politique où des avocats qui n'étaient même pas présents aux réunions se permettaient de réviser et de censurer les aide-mémoires des chercheurs des compagnies de tabac. Ce témoignage concorde avec ce que le tribunal a appris des sentiments de Dunn par diverses pièces enregistrées en preuve au procès lors d'interrogatoires le printemps dernier.

Jeffrey Wigand, né en 1942
Patrick Dunn,  décédé
en 2007 à l'âge de 60 ans















Si l'Américain a trouvé à l'époque auprès du Québécois quelqu'un qui partageait son indignation, cela a été tout le contraire dans la haute direction de Brown & Williamson.

Pour avoir demandé quelques corrections au « brouillon » qu'on lui demandait d'approuver, le vice-président à la R & D de Brown & Williamson s'est fait enguirlander par ses supérieurs et leur conseiller juridique.

À la même époque, à l'occasion d'un session de quelques jours que ses supérieurs l'avait envoyé suivre au cabinet juridique Shook Hardy Bacon de Kansas City au Missouri, Wigand commençait à découvrir l'écart qui séparait la belle ouverture d'esprit qu'il avait sentie avant son embauche à la toute fin de 1988, et le déni des méfaits qu'il constatait désormais dans le discours de l'industrie. Pas dans les conversations avec les chimistes mais dans la haute direction et chez les avocats.

Le processus d'embauche de Jeffrey Wigand par B & W avait duré six mois et le candidat, qui avait déjà derrière lui une carrière bien amorcée dans l'industrie pharmaceutique (Pfizer, Merck, Johnson & Johnson), avait d'abord compris et cru qu'on l'embauchait pour développer une « cigarette sûre » du point de vue sanitaire, ce qui allait de pair avec l'admission qu'il y a un problème.

D'autres personnes perdent leur innocence, ferment leur gueule, tiennent cela mort, et continue d'encaisser leur paie puis leur retraite.

Pour son malheur personnel,Wigand avait une autre conception de la science et a fini par témoigner devant des tribunaux et devant la presse de ce qu'il savait. (Sur ce blogue, nous avons fait allusion à Jeffrey Wigand plusieurs fois depuis le septième jour du procès.)

Le film L'initié, sorti en salles de cinéma en 1999, raconte le harcèlement subi par Jeffrey Wigand de la part de son employeur puis ex-employeur, ainsi que les efforts d'un journaliste du réseau de télévision CBS pour faire connaître au public le témoignage de M. Wigand, malgré la peur que l'industrie du tabac inspirait aux cadres de CBS.

Alors que les avocats des recours collectifs ont annoncé, il y a des années déjà, qu'ils allaient appeler l'ancien cadre de Brown & Williamson à témoigner au procès, et que sa comparution n'a pas cessé d'être envisagée dans le calendrier de 2012 depuis le début du procès en mars, Imperial Tobacco Canada a, la semaine dernière, fait livrer au domicile de M. Wigand un subpoena pour lui ordonner d'apporter des documents personnels faisant notamment état de ses revenus. Le témoin a dit qu'il n'avait pas reçu à temps cette assignation à produire des documents (en anglais, subpoena duces tecum).

Les avocats des recours collectifs ont dénoncé le fait qu'ITCL a prêté au juge Brian Riordan, dans un texte envoyé à un officier de justice américain relatif à la livraison du subpoena, une opinion que le juge québécois n'a jamais émise. Le juge Riordan a cherché à dédramatiser l'affaire mais a tout de même demandé aux avocates d'ITCL (Me Glendinning et Me Côté) de corriger le tir.

Le témoignage de Jeffrey Wigand devant le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec se poursuit demain (mardi). Il y aura un contre-interrogatoire qu'on s'étonnerait de voir ressembler à une douce conversation au coin du feu.

***

Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès contre les trois principaux cigarettiers canadiens, il faut commencer par

1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm

2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
3) puis revenir dans le blogue et cliquer sur les hyperliens au besoin,
ou
utiliser le moteur de recherche sur place, lequel permet d'entrer un mot-clef ou un nombre-clef et d'aboutir à un document ou à une sélection de documents.