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(PLa)
Le profane assistant à l’audition de mercredi aurait eu toutes les raisons d’être confus : les compagnies de tabac ont fait des efforts soutenus durant des décennies pour nier que la cigarette soit à l'origine de maladies, mais une compagnie a pris toute la journée pour raconter, à travers son témoin, combien de recherches et de tests elle a mené pour produire une cigarette moins nocive.
L’étrangeté de la situation a été résumée par le juge Brian Riordan qui, au terme de la journée, a demandé au témoin, le chimiste Andrew Porter, d’Imperial Tobacco Canada (ITC), comment il était possible qu’il ait travaillé pendant des années au sein d’un programme de R&D de cigarettes moins nocives, tout en n’ayant jamais de conversations avec ses collègues sur les liens possibles entre tabac et cancer.
« Entre nous, nous parlions de biologie, d’épidémiologie », a répondu vaguement le chimiste. Quels aspects de l’épidémiologie? a insisté le juge. « Taux de cancer dans différents pays, le temps de latence du cancer, les tendances.... » Et puis, au milieu de son énumération, la « possibilité » que le tabac soit cancérigène. « Donc, vous aviez des conversations », a souligné le juge, ne cachant pas sa perplexité. « Oh, je ne dirais pas des conversations », a répondu évasivement le chimiste.
Auparavant, l’essentiel de la journée avait été consacré à la poursuite de son long interrogatoire, entamé mardi, par l’avocate d’Imperial, Nancy Roberts. Un interrogatoire parsemé de documents des années 1960 à 2010, visant apparemment à démontrer que le cigarettier avait consacré beaucoup d’efforts au développement d’une cigarette à plus faible teneur en goudron, ou avec moins de nicotine, ou moins de phénols, ou moins d’aldéhydes, ou avec filtres, ou avec du papier plus poreux...
Une pièce maîtresse de cette démonstration manque toutefois : combien d’argent a été investi dans ce travail de longue haleine, plus précisément dans le Project Day créé en 1987 : avant d’en arriver là, les avocats d’ITC ont demandé le huis clos, invoquant le caractère confidentiel de cette information financière. Après discussion, ils ont plutôt annoncé qu’ils produiraient un affidavit à cette fin.
Andrew Porter a travaillé au Project Day de 1987 à sa retraite en 2005, et ces deux dates ont contribué aux nombreux accrochages de mercredi entre les avocats des deux parties : plusieurs des documents présentés remontant à avant 1987, l’avocat André Lespérance des recours collectifs s’est chaque fois objecté, alléguant que Porter n’était pas là comme témoin-expert, mais comme témoin de faits dont il aurait eu connaissance dans le cadre de son travail.
L’avocate d’ITC s’est également employée ici et là à faire dire au témoin que puisqu’il y avait eu beaucoup d’études au cours de ces décennies, et qu’une partie de ce matériel était public, le gouvernement fédéral n’avait pu manquer d’être au courant des travaux entrepris par la compagnie pour « réduire le risque ».
Reste que, a admis Porter en conclusion de l’interrogatoire, ces recherches n’ont pas abouti à la commercialisation d’une cigarette moins nocive. « Tout a pris plus de temps que ce qui était prévu dans le plan », et plusieurs des produits testés n’auraient pas été appréciés du public. Qu’est-ce qui aurait pu être fait pour accélérer le processus, lui a demandé Nancy Roberts? « Rien ne me vient à l’esprit ».
Les choses se sont un peu corsées lors du bref contre-interrogatoire, à la toute fin de l’après-midi. De telles recherches semblant impliquer que leurs auteurs présument l’existence d’un lien entre tabac et cancer, l’avocat André Lespérance a tenté de faire dire au chimiste Porter qu’il était d’avis, depuis le début, qu’un tel lien existait. Dès 1977, à son entrée chez ITC, croyait-il que le lien tabac-cancer était désormais établi? « Je croyais qu’il y avait une bonne possibilité que ce soit vrai... Je tenais pour acquis que c'était très probable » (very likely).
Ce n’était cependant plus sa position en 1987, au début du Project Day? « J’avais raffiné mon point de vue. » a déclaré Andrew Porter. De quelle façon? J’ignore « ce que sont les mécanismes précis » qui pourraient causer le cancer. En d’autres termes, lui a fait dire Lespérance, jusqu’à ce que le témoin sache avec précision ce que sont ces mécanismes, il se refuse à dire que c’est à cause du tabac
Pourtant, l’épidémiologie n’est-elle pas une science dont l’objectif est d’établir de telles relations causales? « Je pense qu’elle peut nous pousser dans la bonne direction », s’est contenté de répondre le chimiste. Ce qui a entraîné la perplexité du juge en fin d’audience : comment un scientifique dont le travail touche à la fois à l’épidémiologie et à l’impact des différents composants du tabac sur la santé a-t-il pu se garder, pendant 18 ans, de toute conversation avec ses « huit ou neuf » collègues scientifiques, sur la possibilité d’un lien entre l'usage du tabac et le cancer?
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Il n'y a eu d'audition jeudi. Le procès reprend le lundi 9 septembre.
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