Pour savoir comment activer les hyperliens vers les pièces au dossier de la preuve, voyez les instructions à la fin du présent message.
Dans l'industrie du tabac, il y a trois catégories de responsables de recherches scientifiques : ceux dont l'industrie aime appeler le témoignage; les substituts à ces derniers quand ils ont la déloyauté de mourir; et ceux que les cigarettiers préféreraient tenir loin des tribunaux, parce que leur témoignage accable l'industrie.
Si William Farone (125e et 126e jours) ou Jeffrey Wigand (92e jour, 93e jour et 127e jour) font partie de la troisième catégorie, et Andrew Porter (33e, 34e, 35e, 46e, 161e et 162e jours) de la deuxième, Graham Read, lui, fait partie de la première classe.
Biochimiste formé en Angleterre à l'Université de Hull et à l'Université de Leeds, Graham Read a été mêlé depuis 1976 aux recherches scientifiques de British American Tobacco (BAT), groupe multinational auquel appartenait et appartient encore Imperial Tobacco Canada (ITCL), de même que des fabricants de cigarettes en Australie, au Royaume-Uni, en Allemagne, au Brésil et au Mexique. BAT est aussi le principal actionnaire de R. J. Reynolds aux États-Unis.
Avant de prendre sa retraite en 2010, M. Read était passé de l'examen de microbes dans des vases de Petri à l'étude du comportement des fumeurs, et il a été durant plusieurs années le grand stratège mondial de la recherche chez BAT et un membre du conseil d'administration de la compagnie à Londres. Il a encore parfois servi de consultant depuis lors.
Bien qu'il ne possède pas de doctorat, ce qui a dispensé lundi le public de la salle d'audience 17.09 du palais de justice de Montréal d'entendre le mot « docteur » à tous bouts de champs, Graham Read répond avec aisance à toutes les questions où il est utile de vulgariser le sujet. Il explique volontiers et habilement la différence entre une substance qui provoque une mutation du code génétique d'un organisme, inscrit dans sa molécule d'acide désoxyribo-nucléique (ADN), et une substance qui favorise la multiplication des cellules défectueuses.
C'est à peine une métaphore de dire que le témoin Read joue bien son rôle. En fait, cela fait plusieurs fois qu'il fait entendre sa voix ronronnante et son bel accent de financier anglais devant des tribunaux d'Amérique du Nord, et son témoignage présente une grande constance, sous tous les climats.
Fondamentalement, Graham Read raconte les efforts du groupe BAT pour découvrir la chose qui dans la fumée du tabac cause des maladies, en particulier le cancer, afin de mettre au point des cigarettes moins dangereuses pour la santé. Des cigarettes qui, de son propre aveu, n'ont jamais abouti aux lèvres des fumeurs, mais c'était, a-t-il avancé lundi, à cause des pouvoirs publics qui n'ont pas voulu les autoriser.
Read, parfois à titre d'expert, a témoigné des recherches de BAT dans le procès intenté par l'État du Minnesota contre les cigarettiers (conclu par une entente à l'amiable en 1998), dans le procès mené par le Procureur général des États-Unis contre les mêmes compagnies et conclu par le verdict dévastateur de la juge Gladys Kessler en 2006, de même que dans des recours privés (celui des sidérurgistes et celui de la compagnie d'assurance Blue Cross).
La collection Legacy Tobacco documents de l'Université de Californie à San Francisco contient des milliers de documents dont Graham Read est le signataire ou un destinataire, à moins que son nom soit simplement mentionné par des correspondants.
Dans l'action en recouvrement des dépenses relatives aux soins de santé que le Procureur général du Québec a lancé contre l'industrie du tabac en juin 2012, action judiciaire où le procès devant la Cour supérieure du Québec est commencé mais extrêmement peu fréquenté par le public, et où aucun témoin n'a jusqu'à présent comparu devant le juge Stéphane Sanfaçon, BAT a fait produire à Graham Read, le printemps dernier, un affidavit dont le but était de mettre son ancien employeur hors de cause.
Cela n'a pas impressionné le juge Sanfaçon, qui a maintenu la multinationale au rang des compagnies intimées dans le procès. (jugement Sanfaçon du 4 juillet 2013.)
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La journée d'audition de lundi a continué de montrer les signes d'une évolution et parfois d'un renversement des attitudes des parties.
Avec la nouvelle et forte propension de la partie défenderesse à utiliser des témoins de faits comme témoins de l'histoire d'une compagnie avant leur entrée en fonction, déjà évidente lors de la comparution récente du chimiste Andrew Porter, les avocats des recours collectifs ont multiplié les objections.
Lundi, Me Philippe Trudel a formulé la quasi-totalité des objections en français, sans se soucier de l'unilinguisme anglais présumé des avocates d'ITCL Deborah Glendinning et Nancy Roberts, pilote et navigatrice de l'interrogatoire de M. Read.
Le juge Riordan n'a pas pipé mot mais semble ne pas présumer d'un progrès suffisant des aptitudes des deux avocates torontoises, puisqu'il a souvent discrètement fourni les éléments d'une traduction lors de ses interventions.
Le juge a aussi parfois posé des questions au témoin sur les sources de ses connaissances, mais rejeté la quasi-totalité des objections, comme s'il voulait désarmer par avance une critique qui le présenterait comme ayant été moins libéral avec les compagnies qu'avec les recours collectifs, et même si le témoin parlait parfois de documents que la partie demanderesse au procès n'a jamais vus.
C'est ainsi qu'est passé comme une lettre à la poste un mémoire présenté par BAT en octobre 1999 à la Chambre des communes. Mais attention, pas la Chambre des communes à Ottawa, celle de Londres. (pièce 20230 au dossier de la preuve) Le document fait notamment valoir la collaboration de l'industrie avec les pouvoirs publics.
Il n'est pas déraisonnable de penser qu'il y a quelques mois, les avocats du tabac auraient invoqué, au choix, pour refuser l'admission de pareil document en preuve, son caractère étranger, la date postérieure à la période couverte par les recours collectifs (1950-1998) ou le principe de l'immunité appliquée aux témoins accueillis par des commissions parlementaires.
Cette nouvelle approche est cependant une boîte de Pandore, et les avocats des recours collectifs voudront peut-être montré au juge Riordan ce que les commissaires parlementaires britanniques ont retenu des propos de BAT.
À plusieurs moments, des pièces ont été versées au dossier de la preuve en défense en invoquant le jugement interlocutoire du 2 mai 2012 ou l'interprétation du juge Riordan de l'article 2870 du Code de procédure civile. À ce jeu, la partie demanderesse bougonne pour la forme mais gagne peu à peu l'assurance que les compagnies ne tenteront plus de contester le bien-fondé des décisions de Brian Riordan si jamais elles allaient un jour en appel d'un jugement final défavorable.
Le témoignage de Graham Read a aussi permis à Me Glendinning de faire expliquer la nature des rapports entre BAT à Londres et ITCL à Montréal, en matière de recherche scientifique. (voir notamment la pièce 20212 au dossier de la preuve)
Le témoignage de M. Read se poursuit aujourd'hui et devrait se terminer mercredi.
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Pour accéder aux jugements, aux pièces au dossier de la preuve ou à d'autres documents relatifs au procès en recours collectifs contre les trois principaux cigarettiers canadiens, IL FAUT commencer par
1) aller sur le site des avocats des recours collectifs https://tobacco.asp.visard.ca/main.htm
2) puis cliquer sur la barre bleue Accès direct à l'information
ou
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