mercredi 11 septembre 2013

164e jour - Le Grand Jos connaissant

(PCr)
D'une part, il y a cette réalité d'aujourd'hui: quand un journaliste internaute se rend sur les pages en ligne de la multinationale British American Tobacco (BAT), qui possède et contrôle Imperial Tobacco Canada, le leader du marché canadien, il y trouve des admissions que le tabagisme est une cause de cancer et que le tabac rend dépendant.

Les avocats savent cela aussi et il est maintenant certain que le juge Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec a pris connaissance de la position actuelle de BAT.

D'autre part, il y a Graham A. Read, 64 ans, le témoin du jour au procès de Montréal intenté aux trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux groupes de personnes atteintes d'une maladie grave ou dépendantes au tabac et qui se disent victimes des pratiques des cigarettiers.

Avec ce témoin, l'avocate d'Imperial a eu cet échange lundi matin.

Me Deborah Glendinning: ... Alors vous avez eu, M. Read, au-dessus de... je dirais, 33 ans d'expérience à travailler à diverses fonctions, grimpant jusqu'à l'ultime sommet des activités de recherche et de développement chez BAT: vous a-t-on demandé, au fil de ces années, d'acquérir une compréhension de l'évolution historique et du travail que BAT a accomplis en rapport avec ses fonctions de recherche et développement ?
Graham Read: On ne m'a pas demandé de le faire mais je l'ai fait...

Moyennant quoi, le témoin a été autorisé durant le reste des journées de lundi et de mardi à se prononcer sur tout et à citer des études que personne ne voyait sur un écran ou en papier dans la salle d'audience. Autorisé à contredire des experts reconnus par le tribunal, alors qu'il est censé n'être qu'un témoin de faits.

M. Read a aussi été autorisé à contredire d'autres témoins de faits entendus au tribunal, à partir d'un résumé oral et très personnel de l'avocate qui l'interrogeait. Autorisé même à produire un document qui est un résumé schématique et coloré de sa vision des événements, cela quand des experts au procès se sont fait interdire l'usage de Power Point.

Les objections des avocats des recours collectifs ont pratiquement toutes heurté un mur.

Tiendrait-on alors enfin l'homme qui pourra dire sans entrave au juge depuis quand la compagnie admet publiquement que le tabac cause des maladies et crée la dépendance ? Et pourquoi elle a changé d'idée ?

Alors là, les choses sont beaucoup moins claires, ou alors extrêmement claires.

Lors d'une commission parlementaire à Londres en 2000, le chef de la direction de BAT à l'époque, Martin Broughton, a admis qu'il existait une relation de cause à effet entre le tabagisme et des cancers.

Or, la période durant laquelle les compagnies intimées dans le présent procès se voit reprocher de ne pas toujours avoir reconnu ce fait va de 1950 à 1998, si bien qu'on se demande comment les aveux tardifs de BAT aident la cause d'Imperial au Canada.

Les audiences publiques de 2000 avaient été précédés à l'automne 1999 de la soumission de mémoires par les organisations intéressées à le faire, ce qui fut le cas de BAT. Graham Read avait participé de près à la rédaction.

Par ailleurs, le témoin a fait valoir que le rapport du Surgeon General des États-Unis en 1988, qui affirmait que le tabac cause une dépendance et une dépendance comparable à celle causée par la cocaïne ou l'héroïne, avait été reçu avec scepticisme dans l'industrie, sinon par les fumeurs eux-mêmes.

Entre 1988 et la franchise actuelle du site internautique de BAT, il n'a pas eu moyen de savoir ce qui avait provoqué une évolution.

Très souvent, même quand les questions de Me Glendinning étaient très évidemment formulées pour attirer une réponse commençant par un oui ou par non, suivie ou non d'une explication, Graham Read escamotait cette étape si naturelle et commençait une réponse détaillée.

Ce procédé est fort brillant comme moyen de suspendre un auditoire à ses lèvres, attendant un oui ou un non rassurant par sa simplicité.

Cela fait cependant penser au chef de la direction de R. J. Reynolds Tobacco devant un comité du Congrès américain en 1994, quand un député avait demandé si la nicotine crée la dépendance, oui ou non. Le député avait interrompu le fin finaud témoin et vérifié sur le champ s'il fallait considérer sa réponse amputée et savante comme un non.

Il n'y avait pas ce genre de député dans la salle d'audience lundi et hier, mais des avocats de la partie demanderesse forcés d'attendre le moment où ils pourront contre-interroger le témoin.

Le contre-interrogatoire commence ce matin.