(PCr)
Ce n'est pas toujours principalement dans le contenu des témoignages que se trouve la nouveauté, lors de certains jours d'auditions au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux groupes de fumeurs et ex-fumeurs qui attribuent aux pratiques de l'industrie du tabac leur dépendance à la nicotine ou leur maladie des voies respiratoires.
Ce n'est pas toujours principalement dans le contenu des témoignages que se trouve la nouveauté, lors de certains jours d'auditions au procès intenté contre les trois principaux cigarettiers du marché canadien par deux groupes de fumeurs et ex-fumeurs qui attribuent aux pratiques de l'industrie du tabac leur dépendance à la nicotine ou leur maladie des voies respiratoires.
La journée de mardi a vu les avocats des recours collectifs, Pierre Boivin et André Lespérance, soulever des paquets d'objections, contrairement à l'habitude de la partie demanderesse et plutôt à la manière de la défense des compagnies de tabac lors de plusieurs périodes du procès.
Nancy Roberts et Deborah Glendinning, les avocates d'Imperial Tobacco Canada (ITCL) en charge de l'interrogatoire d'un chimiste et ancien responsable du laboratoire de cette compagnie, Andrew Porter, n'ont pas aimé se faire retourner, après un délai de plusieurs mois, la monnaie de leur pièce, et elles ont réagi en bougonnant et en rouspétant, souvent même après que le juge Riordan ait tranché en faveur des objecteurs.
En substance, les objecteurs disaient: la question est trop directive; les événements examinés sont postérieurs à la période couverte par l'action judiciaire ou antérieurs au parcours professionnel du témoin dans l'industrie; le témoin est là pour témoigner de faits dont il a eu connaissance dans le cours de son travail et pas pour donner un avis d'expert sur le contenu de diverses études, même s'il est docteur en chime; on se sert abusivement du témoignage de M. Porter pour attester de la véracité du contenu de divers documents et non pas pour témoigner de la seule existence d'un échange passé ou d'un savoir écrit.
Par moment, le juge paraissait s'amuser un peu de la tournure des débats, et à d'autres moments, semblait regretter que le mauvais génie soit sorti de la bouteille.
Destinés à aboutir dans le dossier de la preuve en défense, non sans voir leur numéro de pièce souvent affublé d'un R (pour « avec réserve »), plusieurs dizaines de documents sont tout de même apparus brièvement sur les écrans de la salle d'audience et ont été décrits par le témoin.
Provisoirement, les nouvelles pièces au dossier ne sont donc pas accessibles à la presse et au public.
Il s'agissait surtout de rapports de laboratoire et d'articles scientifiques.
Dans le lot, figuraient des articles scientifiques (par exemple un célèbre de Wynder et Hoffmann) parfois parus à l'époque où Andrew Porter était encore un écolier, mais dont la lecture semble avoir été une sorte de passage obligé pour les chercheurs de l'industrie.
En fin de compte, Me Roberts, qui interrogeait M. Porter, a cependant peut-être réussi à nuancer l'impression sinistre que certains observateurs pourraient avoir que l'industrie du tabac a tout gardé secret ce qu'elle savait au sujet de la toxicité de la fumée du tabac. Imperial a souvent communiqué ses découvertes à l'extérieur de l'entreprise.
Reste à préciser ce qui était divulgué et auprès de qui, ainsi qu'à comprendre quelles étaient les implications.
Durant les années où le chimiste Porter travaillait comme chercheur et comme chef de laboratoire chez Imperial Tobacco à Montréal, de 1977 à 2005, des scientifiques de l'entreprise ont parfois signé des articles scientifiques dans des revues avec révision par des pairs et participé à la conférence annuelle (mondiale ?) des chimistes du tabac. (M. Porter lui-même a terminé son doctorat à l'Université McGill en 1980.)
Certes, les chercheurs de la rue St-Antoine ne sont pas allés dire que le tabagisme provoque des cancers et des infarctus chez les fumeurs, parce qu'ils ne travaillaient jamais sur des humains. Sur des souris, à l'occasion, sur des micro-organismes plus souvent, parfois sans aucun matériel vivant, juste pour connaître la composition chimique de la fumée quand on modifie telle ou telle condition de la combustion.
Par contre, la divulgation occasionnelle de découvertes de l'industrie semble (Ce n'est pas faire un audacieux procès d'intention de dire cela.) préparer la défense suivante: le gouvernement pouvait prendre connaissance de ce qui a été divulgué, et les hauts dirigeants de l'industrie n'ont rien à se reprocher si ce dernier n'a pas rapidement pondu de réglementation pour empêcher de mettre en marché des produits toxiques.
De fait, des autorités du gouvernement ont parfois cité des recherches de l'industrie.
Quant à savoir si l'obligation qu'avait le chat gouvernemental de prendre connaissance de possibles troublantes découvertes des savants de l'industrie s'étendait aussi à la haute direction de cette industrie elle-même, cela reste un grand mystère de ce procès. Les témoignages entendus au tribunal en 2012 portent à croire que les dirigeants du tabac lisaient plus volontiers des opinions d'avocats que des publications médicales ou des travaux de chimistes.
L'exercice de mardi permet tout de même de comprendre à nouveau les excitantes perspectives de découvertes qui s'ouvraient devant un chimiste plongeant dans une carrière au sein de l'industrie du tabac dans les années 1960, 1970 et 1980. On sent aussi que l'obligation de garder des secrets n'a vraisemblablement pas toujours été aussi radicale que chez les marketeurs, notamment. Peut-être parce que la chimie demeure un secret même quand on en parle librement...
On comprend donc que des chimistes comme William Farone, Jeffrey Wigand et Patrick Dunn aient pu un temps rêver de découvrir la pierre philosophale de la cigarette moins dangereuse. Farone et Wigand ont déchanté et sont passés dans le camp antitabac. Dunn a avalé de travers quand les avocats se sont mis à gêner le travail de ses équipes chez ITCL et a attendu sa retraite.
Et le chimiste Andrew Porter ?
Ce n'est peut-être pas un témoin aussi flegmatique que le marketeur Ed Ricard, mais on aurait du mal à détecter chez lui le moindre malaise à servir son ancien employeur.
À un certain moment, le procureur des recours collectifs André Lespérance a demandé à M. Porter d'apporter un document Power Point où il avait une présentation synthétique de travaux de recherche menés chez Imperial sur une longue période.
Le chimiste paraissait tout à fait disposé à transmettre ce document, puis il a tourné la tête vers les avocates, comme pour vérifier si cela était correct.