mercredi 21 août 2013

158e jour - Promenade dans le champ

(PCr)
Lundi après-midi, l'examen de certains sujets traités dans le rapport d'expertise de l'historien Robert J. Perrins avait permis d'apprendre ce que le « gouvernement » pensait, et qui semble avoir pesé plus lourd dans l'orientation des compagnies que ce que le gouvernement disait publiquement.

C'est quoi ça, le gouvernement ?

Le premier ministre, le ministre de la Santé, le sous-ministre de la Santé, un autre puissant mandarin ?

Dans ce cas, il s'agissait du Dr Harold Colburn, un consultant médical à l'oeuvre au sein de Santé Canada dans les années 1960 et 1970. Le professeur Perrins a multiplié les occasions de citer les mémorandums internes dudit docteur, et son nom apparaît dans plusieurs pages du rapport d'expertise. C'est impossible de le manquer. Le Dr Colburn défendait la thèse d'une réduction des méfaits par des produits du tabac moins dangereux pour la santé.

Le rapport Perrins permet aussi de comprendre d'où vient la croyance qu'ont déclaré avoir eu certains témoins de faits issus dans l'industrie, Anthony Kalhok par exemple, la croyance que le gouvernement fédéral disait à une certaine époque aux fumeurs qui n'écoutaient pas son message principal (Cessez de fumer.) d'opter pour des cigarettes à teneur réduite en goudron.

Dès le milieu de la matinée de mardi, c'est sur le ministère fédéral de l'Agriculture et sa ferme expérimentale de Delhi en Ontario que le procureur Guy Pratte de JTI-Macdonald a fait diriger le projecteur par son témoin-expert de l'Université Acadia.

Le gouvernement, c'était alors, entre autres, le directeur adjoint de la recherche à Agriculture Canada, l'agronome D. G. Hamilton, un autre « docteur » (mais personne n'a précisé au tribunal que ce n'était pas en médecine). (Quelques recherches en ligne ont permis à votre serviteur de découvrir que M. Hamilton a étudié au Collège Macdonald, qui est la faculté d'agronomie de l'Université McGill, puis à l'Université du Wisconsin, qui ne décerne pas de doctorat en médecine.)

Est-ce que les recherches agronomiques du gouvernement ont été un succès, de demander Me Pratte à son expert. Mais oui, de répondre l'historien Perrins, les variétés de tabac développées à la ferme de Delhi ont supplanté la variété virginienne utilisée à l'origine dans les mélanges. Et de montrer un chronogramme de son rapport qui illustre cette évolution.

Exit le souvenir de la démonstration faite l'an dernier devant le tribunal par Me Maurice Régnier, qui représentait les intérêts de la Couronne fédérale, la démonstration que peu importe la teneur en nicotine et goudron des feuilles de tabac utilisées dans les mélanges entubés, l'industrie est capable de modifier à sa guise la teneur en nicotine et goudron du produit final, les cigarettes, et ce qu'elle a fait allègrement.

Exit le souvenir des critiques de l'historien Robert Proctor à l'encontre de l'approche des historiens mandatés par l'industrie du tabac. Proctor croit qu'un examen de la documentation interne des cigarettiers aurait permis à Perrins de constater que ces derniers ont été bien plus vite que la fonction publique fédérale à savoir à quoi s'en tenir avec le phénomène de la compensation, lequel phénomène réduit en cendres l'espérance de réduire les méfaits du tabagisme avec des cigarettes à teneur réduite en goudron.

Exit aussi le souvenir d'une opinion émise par le juge Riordan à l'effet qu'il peut être utile de savoir ce que pensaient les dirigeants des compagnies, notamment sur la question des méfaits sanitaires du tabagisme, parce qu'une compagnie en elle-même ne parle pas, mais inutile de savoir ce que pensaient des officiers subalternes et sous-fifres des compagnies passés à la barre des témoins ou cités dans des pièces.

Reste que pour le « gouvernement », qui est certainement quelque chose d'encore plus gros qu'une compagnie canadienne de tabac, la précaution souhaitée par le juge Riordan semble avoir été mise de côté.

Mais peu importe ce que des journalistes peuvent en penser, c'est l'opinion de l'honorable Brian Riordan qui compte, et le juge a semblé favorablement impressionné par le travail de l'historien, à qui il a servi des remerciements appuyés, à la fin de l'interrogatoire par Me Pratte.

Les avocats des recours collectifs ont silencieusement passé la journée à ronger leur frein.

Peut-être que c'est aujourd'hui, jour de contre-interrogatoire, que l'expert historien de l'industrie va avoir davantage l'impression de gagner sa paie.