vendredi 23 mai 2014

Au menu du jour: des questions relatives à la situation financière de JTI-Macdonald

(PCr)
Au procès au civil intenté contre l'industrie canadienne de la cigarette par deux collectifs québécois de fumeurs ou anciens fumeurs atteints de dépendance à la nicotine, d'un cancer ou d'emphysème, c'est aujourd'hui, 23 mai, que le grand patron du troisième plus important cigarettier du marché canadien, Michel Poirier, va de nouveau comparaître devant le juge J. Brian Riordan de la Cour supérieure du Québec.

Le président et chef de la direction de JTI-Macdonald avait déjà témoigné devant le tribunal en septembre 2012, et était alors convoqué par la partie demanderesse au procès afin de répondre à des questions sur les positions historiques de sa compagnie concernant notamment les méfaits de la consommation de tabac. Il revient maintenant pour répondre à des questions sur les finances actuelles de la compagnie, et de nouveau à la demande des avocats des recours collectifs.

Pourquoi ?

Eh bien parce qu'il n'y a pas seulement des dédommagements compensatoires qui sont réclamés aux compagnies de tabac pour des torts qu'elles auraient causés, il y a aussi des dommages punitifs (qui ne peuvent pas être versés à un fonds de lutte contre le tabagisme, contrairement à ce que votre serviteur a longtemps pensé).

Or, si le juge Riordan décide un jour de donner raison aux demandeurs et d'en accorder, ces montants d'argent tiendraient compte, en vertu de l'article 1621 du Code civil du Québec, de la situation patrimoniale, c'est-à-dire la richesse accumulée, de chaque compagnie.

Or la compagnie doit sa chemise et fait des pertes, selon ce qu'ont découvert les avocats des recours collectifs l'automne dernier.

Des pertes ?

Est-ce donc que les coûts de fabrication ont explosé ? Est-ce que les fumeurs canadiens auraient cessé d'acheter des Export A, Macdonald Spéciale et autres marques de cigarettes offertes par JTI-Macdonald ?

Vraisemblablement non. Mais ces marques, qui valent des milliards de dollars, n'appartiennent plus à la compagnie canadienne depuis 14 ans. Et JTI-Macdonald paie cher pour les utiliser.

Et qui paie-t-elle ?

Réponse: une compagnie, JTI Trade Marks, qui appartient à l'empire Japan Tobacco mais qui n'est pas l'objet d'une poursuite en justice. Et voilà.


Une comparution conséquente du débat du 226e jour

Quand ils eurent compris la combine comptable, l'an dernier, après avoir enfin mis les yeux sur des états financiers transmis pour le moment encore à titre confidentiel par les compagnies, les avocats des recours collectifs se sont précipités devant un juge pour s'assurer que JTI-Mac n'allait pas se sauver avec la caisse durant le procès.

Puisque le juge Riordan était absorbé par l'instruction de la preuve, ou pour un autre motif que les blogueurs n'ont pas saisi, les recours collectifs sont allés devant son confrère Robert Mongeon de la Cour supérieure du Québec et ont demandé des mesures de sauvegarde. Après avoir entendu des avocats des deux camps, le juge Mongeon a réfléchi puis il a statué qu'il ne pouvait rien faire contre le stratagème de Japan Tobacco. La juge Manon Savard de la Cour d'appel a ensuite refusé d'accorder aux recours collectifs une permission d'en appeler du jugement Mongeon.

(Le dispositif de JT a été mis en place à une époque où Macdonald Tobacco s'était déclarée à l'article de la faillite alors qu'elle était poursuivie au civil et au criminel pour son implication des années 1990-1994 dans la contrebande des cigarettes au Canada. JTI-Mac et sa maison-mère de
1974 à 1999, la compagnie américaine R. J. Reynolds Tobacco, ont finalement reconnu leur culpabilité par le truchement d'une entente à l'amiable conclue en avril 2010 avec les gouvernements provinciaux et fédéral, entente assortie, comme l'entente avec les deux autres cigarettiers en 2008, d'une peine purement financière que les spécialistes du contrôle du tabac ont alors assimilé à rien de plus qu'un petit coup de règle sur les doigts. Le fisc québécois n'a recouvré que 7 % des taxes perdues, et cela sans parler des effets sur les dépenses en soins de santé d'une consommation accrue d'Export A et autres cigarettes de marque achetées sur le marché noir.)

Lors du 226e jour d'audition le 16 avril dernier, les procureurs des recours collectifs Gordon Kugler et André Lespérance ont plaidé devant le juge Riordan la nécessité d'interroger le patron de JTI-Macdonald, Michel Poirier, concernant la structure financière d'un empire dont la filiale canadienne vend pour 100 millions $C de produits du tabac par an dans le pays mais inscrit une perte dans son état des résultats. Pour utiliser les marques détenues par JTI Trade Marks, JTI-Macdonald lui paie des intérêts, qui étaient minimes durant la période 2009 à 2011. Me Kugler a expliqué que le taux d'intérêt avait été relevé depuis la fin de 2012, ce qui montrait que le cigarettier a de réelles capacités de payer des dommages. Les procureurs des recours collectifs n'ont appris cela qu'à l'automne 2013.

C'était peut-être la première fois que le juge Riordan prenait connaissance de cette épineuse affaire, à moins qu'il en ait lu un écho dans les blogues Eye on the trials et Lumière sur le tabac (surtout le premier).

Pour sa part, lors de ce même jour d'audition, Me Guy Pratte, le défendeur de la compagnie, aurait alors voulu que la partie demanderesse se contente du trésorier de JTI-Mac, Robert McMaster, et qu'il n'y ait pas de citation à comparaître expédiée au chef de la direction, puisque l'affaire était jugée.

Quand il a fait part de sa décision le midi même, le juge Riordan a estimé qu'il ne voyait pas de raison d'empêcher les demandeurs de faire leur preuve en interrogeant des personnes qu'ils croient susceptibles de mieux répondre à des questions. On peut aussi dire, parce que cela est apparu à d'autres moments depuis 2012, que Riordan n'est pas ce genre de juge à s'émouvoir de l'agenda chargé des patrons de grandes compagnies.

M. Poirier arrivera quand même ce matin sans menottes aux poignets. Et pour quelques milliards de dollars, aurait-il un rendez-vous plus important qu'avec le juge Riordan ?